J 47 - J 49

Publié le 6 avril 2022 à 23:00

J 47 

 

8h30 : Will que je croise pour la deuxième fois sur le pas de ma chambre à l’air aimable comme une porte de prison. Un « morning » marmonné plus tard je me demande si j’ai fais quelque chose qui lui a déplu. Sa chambre est collée à la mienne et même si ce garçon a l’air très charmant au premier regard, il a du en oublier d’apprendre à sourire. Revenue dans la cuisine après quelques pas dans la rue, il me propose un café que j’accepte, peut être que je me suis trompée ? J’acquiesce et lui indique que je reviens dans quelques secondes. Mon café est déposé sur la table, lui, en a deux autres dans les mains et remonte dans sa chambre dès mon arrivée dans la cuisine. Bon j’ai compris, il n’est pas seul, le message est plutôt clair ! Loins de moi l’idée de le charmer vous me connaissez, non ?

10h : Missions explorations aujourd’hui. J’ai porté mon dévolu sur le grand Riverdale Park à une petite demi heure de marche. J’en profite pour découvrir les autres espaces verts sur mon chemin pour repérer ceux dans lesquels Oïkia pourrait se défouler un peu sans laisse. 

12h : Une demi douzaine d’arrières trains reniflés, au moins autant de maîtres rencontrés, une dizaine d’écureuils coursés, une belle chute sur les fesses pour moi, et une sacré balade pour Oïkia plus tard, je rentre aussi fatiguée qu’elle. 

14h : C’est reparti pour un tour ! En solitaire cette fois. Ce matin j’ai repéré une piscine dans laquelle je compte bien aller un de ces 4 et je me suis repérée dans la ville comme j’ai pu. Cette-fois je me dirige vers l’opposé, à l’Eaton Center, l’un des plus grands centres commerciaux de cette grande mégalopole. J’y achète du thé et m’excuse après avoir fait répéter la vendeuse : elle me rassure tout de suite « votre anglais n’est pas mauvais, j’ai tout compris de ce que vous m’avez dit ». Boutique suivante, je demande si la librairie contient une section française (le tout en anglais évidement). A ça la nouvelle vendeuse me questionne « des livres écrits en français, ou des livres qui parlent de la France ? » Avant que j’ai pu ouvrir la bouche pour répondre, celle-ci enchaine en m’affublant d’un dédaigneux « Vu votre accent, je connais déjà la réponse ». Bitch. Si j’avais eu de la répartie et un meilleur niveau je lui aurait mis sous le nez qu’elle ne se débrouillerait peut être pas aussi bien dans ma langue. Quatre livres se battent en duels, je n’achèterais rien ici. J’ai pourtant terminé les cinq livres qui chargeaient déraisonnablement ma valise, j’irais à la bibliothèque demain, pour une autre aventure. 

 

J 48

 

7h30 : Une petite truffe humide cherche des câlins. Je sens une grosse boule de poil se blottir contre moi et me tirer de mes rêves. J’occuperais ma matinée à faire de la cuisine ; la maison est endormie, et semble le rester jusqu’à 11h. Je sauve mon pain rassis avec du pain perdue et mes épinards avec une tarte chèvre-miel. Tout est fait maison, et quand on a pas de rouleau à pâtisserie on a toujours un verre sous la main pas vrai ? Que seraient mes aventures sans système D ? 

11h : Will semble toujours aussi aimable, je sens qu’on va s’amuser tous les deux ! J’ai passé la matinée dans la cuisine et n’ai croisé personne hormis une apparition furtive de quelques secondes. Jimmy est revenu de Montréal visiblement, et visiblement ce n’est pas ici que je pratiquerais mon anglais puisque chacun semble cantonné à sa chambre et sa propre vie, dans une maison abritant tant de monde finalement personne ne vis avec personne. Il va falloir aller chercher ailleurs ! Ça tombe bien j’ai rendez-vous demain pour le bénévolat et accompagnée ou pas je compte bien visiter la ville. 

13h : Quelques courses au St Laurent Market, puis je me dirige vers la bibliothèque du quartier : ici pas de livre français non plus, la personne de l’accueil m’oriente vers une autre bibliothèque, un peu plus loin.

14h30 : Repassée à la maison pour une pause repas je repars aussi vite en quête de lecture. Le troisième essai est un échec : je vais devoir me diriger vers la bibliothèque centrale de la ville. Ça fait une petite trotte à pied, mais je suis bien avec moi même. Je marche, j’écoute, je découvre, et j’admire cette ville qui grouille de vie. J’ai l’impression d’être un rat de Paris en Amérique et ça m’amuse, j’observe, me perds volontairement, me laisse guider, entre, ressort, tourne, contourne, ce n’est pas ça la meilleure façon de découvrir ? Je réfléchit aussi, ça tourne à plein régime là dedans. Qu’est ce que tu veux ? Quand ? Pourquoi ? Comment ? Quels sont tes moyens ? Donne toi les moyens ! Tu vas pas y arriver. Tu vas y arriver. Tu rates. Oui, et alors ? Et je marche, et je pense, et je vis, et j’avance.

17h : Aussi grande était-elle, la bibliothèque n’était pas très riche dans sa section française. Que de vieux classiques, et même si je n’ai rien contre Baudelaire et ses fleurs du mal ou Victor Hugo et ses Misérables j’avoue que je pencherais bien pour quelque chose de plus léger. 

18h : J’ai crapahuté toute la journée, je suis épuisée. Encore un tour pour Oïkia et mon lit me tend déjà les bras. 

 

J 49

 

9h10 : J’ai 20 minutes d’avance. Le lieu de rendez-vous se trouvait à une bonne demi heure de marche de la maison dans un quartier que je n’avais pas encore exploré. Arrivée vers destination je vérifie 2 fois sur mon téléphone : est ce que je suis au bon endroit ? 155 Broadview Av. C’est bien ça mais ça sens bizarre : au sens propre, une quantité d’encens embaument jusque sur le trottoir, j’en ai les narines agressées de bon matin. Je me retrouve les bras ballants devant une large porte, de ce qui semble être une église et tout à coup je ne sais plus quoi dire : je viens voir qui déjà ? J’ai oublié son nom. « Je suis Thaïs », oui Thaïs bien, mais tout le monde s’en fou de ça, personne te connait ça sert à rien. Articule… Articule ! Volunteering faut dire que c’est pas le mot le plus facile qu’on ai utilisé hein. Finalement, parmi les personnes qui me regarde un peu bizarrement, l’une d’elles se réveille brusquement : Sister Paul, oui, c’est ça ! Sister je-sais-plus mais c’était une sister ! Comment j’ai pu ne pas penser à une organisation religieuse avec un indice aussi criant ? 

9h20 : On me propose un siège, parmi ceux disposés en cercle, en attendant le « tea time », c’est un secte ou quoi ? Un drôle de monsieur vient soudain s’assoir à coté de moi l’air maladroit dans son corps mais profondément gentil dans les yeux. Il n’est pas très grand et se perd dans une veste de deux fois sa taille. Il a plus de sa barbe fouillis que de cheveux au milieu du crâne, et s’adresse à moi avec une direction déconcertante. Je répond et m’intéresse à mon tour, assez mal à l’aise d’être ainsi questionnée par un inconnu qui se tient si près. Peut être une de ces pauvres personnes pour qui l’on cuisine ? Par ce qu’avant de prendre le thé, c’est quand même la raison de ma présence ici : faire du volontariat pour aider à préparer des repas dans le but de les mettre à dispositions de personnes dans le besoin. 

9h45 : Finalement le monsieur de tout à l’heure n’est autre que « frère Louis », en plein dans le mille Thaïs. Une fois les présentations faites tout le monde se voit assigner une tâche. Certains à la peinture, d’autres au nettoyage, pendant que quelques personnes s’occupent des légumes pour la soupe. Moi, je suis assignée en cuisine qui baragouine déjà espagnole : je rejoins une équipe de trois, composée elle même de deux espagnols et d’une mexicaine. Je suis de corvée poivrons et ça m’occupe un bon moment. Une cagette de lamelles plus tard, chacun s’active à sa tâche. On mélange, on goute, on fait cuire, on me demande d’improviser une sauce alors j’improvise : tomates pelées, lauriers, un peu de miel, une pointe d’ail et c’est repartis. La matinée est déjà passée, chacun est convié à manger une soupe, bénévole ou non. Avant ça on rompt le pain, et après on fait la prière. Quand je dis « on », le « je » n’en fait pas partie. N’ayant aucune connaissance religieuse je m’informe respectueusement mais ne tiens pas spécialement à participer, j’aurais une légère impression d’hypocrisie. Bien que je n’ai aucun problème et un profond respect pour toutes religions, je me trouve souvent aux opposés dans bien des domaines. Mon attrait pour les femmes est un premier point à soulever, et s’il y a bien une chose que je n’aime pas faire c’est avoir à cacher des choses. Deuxième point essentiel : mon gout pour la sciences. Beaucoup trop cartésienne pour tout remettre aux mains d’une puissance supérieure me semble difficile (ou trop facile peut être?), bien que salvateur dans bien des situations. J’ai pu en constater les bienfaits face à l’affrontement d’épreuves difficile comme le deuil, ou la maladie : bien plus aisément acceptés dans le cadre d’une foi religieuse ou spirituelle. J’avoue que ma sexualité ouverte et sans tabou complète un peu plus mon tableau athéiste. 

13h : Au court de cette journée je rencontre une québécoise, qui repart déjà cette semaine, et d’Anna, la mexicaine en cuisine avec moi, que je reverrais mercredi prochain. Elle a 29 ans et est arrivée au canada en 2018. Son fort accent espagnol mélangé à son américain ne m’aide pas beaucoup mais elle semble être passée par les mêmes étapes que moi. 

17h45 : Le reste de la journée a été long, mais je tenais à rester jusqu’au bout pour voir l’organisation générale. Après la soupe, encore une prière, puis quelques activités artistiques, et encore un prière. Le repas du « soir » approche mais je décline : j’ai tout ce qu’il faut à la maison, contrairement aux personnes qui viennent chercher réconfort ici je ne suis pas dans le besoin et j’aurais l’impression de manger leur repas. On voit tout type de profil ici : jeunes, moins jeunes, pauvres ou aisés, handicaps légers, lourds, canadiens ou pas, femmes, hommes, religieux, non religieux. Tout semble se mélanger dans un brouhaha de respect et de partage. 

18h15 : Je rêverais de me mettre directement au lit mais Oïkia ne doit pas être de cet avis. Je l’emmène se promener pour me faire pardonner de cette absence prolongée. Je joue avec elle, et la laisse se défouler avec d’autres congénères. 

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