Mercredi 16 Février 2022
J 0
4h : Ça faisait bien longtemps que je ne m’étais pas levée aussi tôt. Oïkia est déjà debout puisque sa petite truffe ne me rejoint pas pour notre rituel du câlin matinal.
4h30 : S’évanouir dans la nuit commence à devenir une habitude. Comme si cette ambiance si spéciale du moment trop tard pour être le soir, et trop tôt pour être le matin était synonyme de nouvelles aventures. Ma petite maman est toujours là pour me dire au revoir en m’amenant à la gare, moitié pour un dernier bisous, moitié pour se rassurer toutes les deux.
5h02 : Pas de temps à perdre mon train part dans 10 minutes. La grosse valise de 25 Kg a trouvé sa place dans la caisse de transport de la louve, le sac de treck bien en place sur mes épaules on s’élance toutes les trois vers l’escalier menant vers l’extérieur du quai, faute ascenseur disponible. Maman porte l’arrière de la caisse, je prend l’avant et ordonne à Oïkia de rester près de nous.
5h08 : La grille est fermée. Un rapide coup d’œil à l’heure me suffit pour comprendre que nous n’avons pas le luxe de réfléchir plus longtemps : il faut remonter les escaliers qui viennent de nous essouffler et traverser la gare pour accéder au quai par l’intérieur. A ce stade il faut courir : « Prends Oïkia, je m’occupe de la caisse ! », arrivées en haut à bout de souffles nos peines ne s’arrêtent pas là : la porte s’ouvre en sens unique, et évidement pas dans le nôtre. Foutu sens de circulation Covid, à force de faire des détours je vais finir par rater mon train. Maman, désespérée et voyant l’horloge tourner, fait de grand signe type SOS aux quelques personnes qui se trouvent à l’intérieur. Sans s’en apercevoir la porte s’est ouverte d’elle même et j’éclate de rire en m’engouffrant dans l’ouverture en la voyant continuer son mayday comme une malheureuse. Tout à coup la caisse, dont les roulettes sont essentielles à notre bonne progression, coince. Je mets la main rapidement pour voir ce qui cloche et regrette vite mon geste : une roue a sautée dans la course et je me brûle la peau sur le fer chauffé par le frottement. Pas le temp d’avoir mal, il faut avancer. J’ai chaud, maman stress, Oïkia suit comme une championne. Troisième escalier, il faut descendre, si cette foutue caisse ne roule pas elle va glisser mais hors de question que l’aventure commence par un échec.
05h12 : « Vite mademoiselle, vite ! ». « Le train à destination de Paris Gare de Lyon, voie A, va partir. Attention à la fermeture automatique des portes ». Je sers à la hate mon pilier dans mes bras, lance un « je t’aime » un peu pressé après un unique et dernier bisou et saute dans le train.
5h20 : Ma meilleure alliée, habituée des trains et des baroudages en général, trouve sa place à mes pieds sans que j’ai à fournir le moindre effort et se fera oublier jusqu’à notre arrivée. J’ai mal à la main. Après examen plus approfondi je me suis bien brûlée : deux belles cloques dans la paume et sur mon majeur marqueront ce départ un peu hâtif.
8h40 : « Notre train à destination de Paris Gare de Lyon va entrer en gare ». Je me suis endormie après avoir cherché pendant trois quarts d’heure de nouvelles roulettes à faire livrer à destination. Sans perdre de temps je rassemble mes affaires et mes esprits pour penser efficacité : traverser la Gare sur trois roues, trouver un taxi qui veuille bien d’une poilue, et rejoindre l’aéroport Charles de Gaulle.
10h05 : UberPet est fait pour nous. Ce service bien connu a ouvert ses portes depuis peu aux courses accompagnées de nos amis les bêtes moyennant un petit supplément.
10h20 : Oïkia ne voyagera pas seule. Une petite famille, manifestement inquiète de ce grand départ, m’informe que 3 chiens (y compris le leur) partent pour Montréal. Je retrouve le regard inquiet de ma petite maman chez la mère de famille que je vois devant moi, les larmes au bord des yeux de devoir dire au revoir à sa fille qui s’envole pour 2 ans de « Permis Vacances Travail ». Je tente de la rassurer avant de les laisser pour aller finir de nous enregistrer.
11h : Ma louve embarque avant les humains, comme d’habitude je la vois partir le cœur serré. « On se retrouve vite mon bébé. » En attendant je flâne dans les duty free en faisant quelques emplettes pour mes hôtes. Du fromage pour Adrianne, et des macarons pour ma future famille d’accueil feront très bien l’affaire. Lorgnant une boîte de biscuit que je n’avais pas vue je me trouve déjà dans l’obligation d’employer mon anglais tant redouté « Scuse me, where are you find this, please? » (excuse moi, ou es tu trouvé ça, s’il te plaît ?) je demande au monsieur devant moi. Répétant mon erreur il fini par comprendre et m’indiquer ce que je cherche. Il faut surtout que je cherche à progresser par ce qu’on est pas dans la merde avec ce niveau d’anglais. Quelques secondes plus tard seulement je me rends compte de mon erreur et de la catastrophe imminente de mon arrivée dans ce pays qui ne parle pas ma langue.
13h20 : Bien installée au fond de mon fauteuil, je m’envole vers de nouvelles aventures.
20h26 : J’arrive dans 45 minutes et viens seulement de réaliser ce que je suis entrain de faire. Pour une fois l’excitation prend le pas sur l’inquiétude, après tout qu’est ce que je risque à part des histoires à raconter ? Ma meilleure amie est avec moi, ici, ensemble, il ne peut rien nous arriver. J’ai hâte d’atterrir, hâte de goûter à tout ça, de manger du sirop d’érable et de courir dans la neige, d’avoir trop froid et te rencontrer des gens à l’accent bizarre qui m’appelleront « la française de France », de grandir et d’apprendre. Par ce qu’après tout je fais tout ça pour ça, et une fois de plus je réalise à quel point je suis heureuse et chanceuse d’avoir choisi et d’avoir pu choisir cette vie.
20h30 : Fait pas trop la belle Thaïs, dans 3 jours tu vas pleurer en appelant ta maman par ce que tu paniques. Comme d’hab.
21h : Je trépignes comme une gamine qui va à la piscine. Vous savez cette excitation simple et débordante qui vous fait vous sentir tout léger ? Qui gazouille dans le ventre et vous fait sourire comme un idiot ? En plein dans l’mille.
21h02 : L’annonce de l’atterrissage imminent se fait entendre. J’ouvre le hublot par automatisme et découvre ébahie de vastes étendues parsemées de couvertures blanches, l’immensité de cette terre inconnue s’étale sous mes ailes, et bientôt, dans quelques instants, je pourrais la parcourir.
16h heure locale (22h en métropole) : Maintenant il va falloir prouver au gentil monsieur de l’immigration que je ne suis pas une terroriste. Non je ne transporte pas d’arme avec moi, non je ne vais pas travailler au black, non je ne transporte rien d’illégal. Ah si, visiblement l’importation de petits bâtonnets de saucisson c’est interdit ici. Je me les vois confisqués et dois même déclarer mon fromage.
17h : Après un bon moment à attendre mon « hors format » préféré (Oïkia) j’engage la conversation avec un couple qui semble patienter aussi. Jason et Ambre viennent s’installer ici après avoir parcouru l’Australie. Ils ont trouvé du travail et commence une nouvelle vie avec leur chat qui a voyagé avec nous. Après une bonne demi heure de discussion et une plaisanterie de « autant on attend pas au bon endroit », je m’aperçois qu’effectivement, Oïkia attend sagement dans sa cage depuis tout ce temps, après avoir été déposée plus loin. Je salue les voyageurs et me dirige à la hâte vers la douane pour payer la taxe dont je dois m’acquitter pour faire entrer ma meilleure amie sur le territoire. 35$ (ce sont des dollars canadiens ici) plus tard je rejoins Adrianne qui vient d’arriver dehors. Après un gros câlin surexcité on charge le tout dans le coffre et prenons direction de la maison dans une voiture en libre service. Je m’émerveille de cette invention : tout comme les trottinettes à Marseille ou les vélos à Montpellier, ici on peut emprunter une voiture avec sa carte d’abonnement et la déposer où bon nous semble. Grâce à une application d’autres utilisateurs pourront s’en resservir en géolocalisant « l’auto » la plus proche de leur point de départ.
17h30 : Oïkia rencontre Spyke, gros chien nounours d’Adrianne et Raphaël qui nous accueillerons les 10 prochains jours. En même temps que leur rencontre ma louve découvre la neige. Elle ne semble pas y prêter plus d’attention que ça, comme si ça lui paraissait naturel. Ses petites pattes foulent le lit blanc sans y laisser de trace, et elle invite déjà son nouveau compagnon au jeu.
22h30 : Il est tard pour moi mais l’excitation de mon arrivée m’a maintenue éveillée sans trop lutter. Il est l’heure de dormir, et malheur… la série Friends ne m’endormira pas comme chaque soir, étant visiblement absente de la plateforme Netflix au canada.
J 1
7h15 : Des oeufs tous blancs, du lait sans lactose, il y a des choses bizarres dans le frigo de mes hôtes. Evidement on ne manque pas de bacon et de beurre de cacahuètes par contre. J’opte pour un petit déjeuner discret pendant que la maison reste endormie et tape sur mon clavier après avoir sorti mon petit monstre, les yeux encore collés, dans le froid canadien.
8h45 : Adrianne se joint à moi pour le petit déjeuner. Au menu bagel au fromage frais et bacon (du vrai, du bon, du gras !) grillé, j’en salive.
10h30 : Après une bonne discussion matinale je m’emmitoufle afin de braver le froid pour une balade dans les alentours. La température est « douce » et force la neige à devenir pluie, c’est donc en petits bibendum trempés que nous nous élançons dans les larges rue de Montréal. Je m’émerveille de tout : de grands trottoirs, des feux à l’américaine, des gens souriants, de la neige en masse et des petits écureuils sauvages. Oïkia saute dans la neige comme une enfant, des flocons dans les yeux. Et je m’élance derrière elle, savourant tout ça, nous deux, ces beaux moments et les suivants.
11h : Ici les chiens doivent être en laisse faute de quoi une amende salée pourrait nous rappeler à l’ordre. Je me réconforte en me disant que dans 10 jours, là où nous allons, pas de risque qu’il y ai ce genre d’obligations. Les rues sont très américanisées, les maisons au briques rouges sont bien rangées et bordées d’un pavillon. Les trottoirs, larges, encerclent un grand square à quelques centaines de pas de l’appartement. On s’y rend toujours en laisse et j’y découvre un grand parc à chien. Seul hic : il faut s’acquitter d’une taxe cette fois aussi, à l’année, afin d’obtenir une « médaille » qui nous permettrait d’y accéder en règle.
12h30 : Une bonne balade qui a bien dégourdit les jambes et les pattes de tout le monde. On s’offre de quoi se requinquer et on continuera à deux cette fois pour une visite plus lointaine.
14h30 : C’est fou cette capacité qu’ont les gens à passer de l’anglais au français en permanence. Premier arrêt apple store. Chaque personne de chaque commerce commence son abord par un « Bonjour, comment tu vas ? ». Simple formule de politesse, mais très souvent utilisée dans la vie en générale. Ici pas de chichi chacun se tutoie. J’ai beaucoup de mal à comprendre les personnes avec qui j’interagis entre leurs débits de paroles, leurs accents canadiens prononcés, et l’anglais qu’ils mêlent à la conversation sans même y prêter attention. Je dois paraître tellement gauche, et pourtant on est qu’en partie française, la suite de l’aventure s’annonce haute en couleur.
15h : Après avoir acheté un adaptateur pour Mac (les prises sont différentes ici) la deuxième étape sera le magasin d’en face : SQDC (société québécoise du cannabis). Ici l’accès à ce genre de substance est beaucoup moins réglementée et nettement moins hypocrite qu’en France. De façon plus encadré, ils permettent un accès à ces éléments sous différentes formes : huiles, gélules, thés, sprays et j’en passe. Il ne nous suffit que d’un simple contrôle de notre majorité internationale pour entrer nous informer. Certains sont à visées apaisantes, d’autres euphoriques ou encore excitantes, tout un catalogue de possibilité nous est présenté. J’expose mes interrogations et apprends par Adrianne qu’ici pas question d’avoir consommé tout ça au volant évidemment, mais pour l’alcool aussi c’est politique tolérance zéro : vieux conducteur, ou jeune alcoolique peu importe, si vous vous faite piquer, vous petit expatrié, a avoir joué avec le feu, c’est un allé simple dans votre pays d’origine qui vous attend.
16h : Il ne fait pas si froid que ça mais Adrianne me tire la main pour me faire découvrir la suite. On s’engouffre dans ce qui ressemble à une bouche de métro pour y découvrir une véritable vie souterraine. 3 centres commerciaux juxtaposés s’étendent sur plusieurs étages et permettent le parcours d’une vie sous la ville s’étendant à plusieurs kilomètres. Après avoir flâné un bon moment il est l’heure de rentrer. Dans le métro (à 3$50 le trajet, aïe) je suis ébahie de la bienveillance des gens et de leurs facilités d’interactions. C’est de cette manière qu’un homme, assis près de nous, engage la conversation après avoir dessiné le profil d’Adrianne sur son carnet de croquis. Mon amie, bien intégrée dans cette vie canadienne, n’a pas la moindre réaction de recul face à cet inconnu qui lui souris sans aucune idée derrière la tête.
18h : Un peu d’écriture, un bon repas, et un gros dodo.
J 2
6h30 : Bon, c’est déjà ça. Avant de me lever sur la pointe des pieds je sens qu’une visiteuse a décidé de s’incruster dans le lit. Dans cette maison par le droit de monter sur les meubles alors la fourbe a profité de mon sommeil pour se lover contre moi, j’ai du mal à lui en vouloir.
6h45 : J’ouvre la porte pour lui laisser le temps de faire un pipi matinal, le froid assaille ma peau encore endormie mais je ne résiste pas à sortir profiter des 25 cm de poudreuse qui recouvrent notre rue d’un lit moelleux. Comme une gamine le matin de noël je découvre qu’il neige avec des étoiles dans les yeux. Après ce lever de bonheur je patiente silencieusement en avançant le puzzle mille pièce qui leur donne tant de fil à retordre.
10h45 : Bien emmitouflée, je m’apprête à braver le froid. Les deux couches ne sont pas de trop pour affronter les -8° des rues montréalaises (ressenti -15°) mais Oïkia ne fait aucune différence. Elle court, saute, s’amuse, et moi je m’émerveille de la voir enfin dans son élément. A chaque pas je dois veiller à ce que la neige ne soit pas plus haute que ma botte qui n’est pas fermée sur le dessus, mes doigts pourtant bien rangés dans des gants « grands froids » sont déjà tout engourdis, et mon visage semble comme agressé de chaque pore offert à ce froid intransigeant.
15h : La balade de ce matin c’était l’échauffement, le programme de l’après-midi sera bien plus long, malgré mon espoir le soleil n’a pas réchauffé les températures de l’après-midi, il fait même -9° maintenant. Collant, chaussettes, jean, pull, manteau, gants, bonnet, tour de cou, la totale ne suffit pas : il fait froid ! Marcher, il faut marcher. Oui c’est beau, non, non on s’arrête pas. Trop froid.
15h45 : On commence par le quartier chinois, où je n’y vois… que des chinois. Oui bon, je vous l’accorde on s’y attendait un peu. Les bâtiments y retrouvent une architecture typique mêlée à cette fameuse touche américaine, au détour d’une boulangerie j’admire une personne, assez âgée, qui joue non seulement du violon sous la neige, mais surtout avec des gants. C’est amusant et joli comme image, la route continue après avoir laissé quelques cents dans son étui. Cette route elle continue vers le vieux Montréal.
16h30 : Bordée d’un port gelé une grande roue surplombe le reste de la ville gardant à son pied une patinoire naturelle spacieuse. J’ai froid, comment font ces gens pour se couvrir si peu ? Pour réconfort Adrianne m’emmène chez « Erable & Companie » afin de s’offrir « une tire de sirop d’érable » coulée et durcie par la glace devant nos yeux. Comme il fait chaud à l’intérieur du magasin il faut payer avant, et sortir rapidement avant que « le suçon » (la sucette en France) ne fonde. Pas question de perdre un doigt pour une sucette, tant pis pour mes gants si ça coule dessus mais je mangerais tant bien que mal cette sucrerie avec mes gants. Une fois croqué le sirop fond dans la bouche, c’est un délice.
17h30 : Sur le chemin du retour la nuit tombe déjà, et moi je n’arrête pas d’ouvrir de grands yeux ébahis. La neige, la couleur de la grosse brune, et le charme des rues d’ici offrent un charme que je pensais légende. Dans ma tête ce genre d’image, de maison pavillonnées et briquées de rouge, couvertes de neige et bordée de grands arbres blancs n’existait que dans les films romantiques. Montréal est beau.
18h : Deneiger sa voiture semble être un sport national ici, tout au long des routes chacun s’y applique, avec sa propre méthode et sa détermination bien personnelle.
19h : Quelques courses, et le programme de la journée s’en arrêtera là, déjà bien éprouvant.
J 3
7h30 : Y a du progrès. Oïkia, qui n’a toujours pas le droit de monter sur le lit me fait savoir son envie de se lever par un grand coup de langue sur le nez. Elle pose sa tête et me regarde droit dans les yeux l’air de dire « puisque je peux pas venir, c’est à toi de te bouger ma vieille ».
9h : Adrianne me dorlote, pendant que j’appelle la métropole elle se décide à me faire un petit déjeuner de champion : pancakes et oeufs brouillés au sirop d’érable. Encore une fois une réussite, pourtant elle ne mange pas avec moi puisqu’ils s’absentent tous les deux en fin de matinée pour bruncher. Le frère de Raphaël leur a offert un brunch /spectacle de gospel pour noël, j’ai hâte qu’elle me raconte.
14h : J’ai passé la matinée a bûcher sur mon nouveau site internet. C’est pas du grand art mais je suis plutôt satisfaite et ça conviendra à tout le monde de cette façon. Ma page Facebook commençait à ressembler à un fourre tout à force d’avoir trop de chose à raconter.
15h : J’avais prévu de me rendre à la gare et d’en profiter pour promener la louve mais deux hics : Oïkia n’est pas acceptée dans le métro, et c’est presque une tempête de neige dehors. Rien de pressé, mes billets pourront attendre.
19h : L’après-midi a été calme mais la soirée promet de l’être beaucoup moins. Du vernis noir sur les ongles, des faux piercings un peu partout, nos tenues les plus darks, pas de doute, on se rend bien à une soirée métal. Isabella, l’une des copines d’Adrianne et Raphaël est tatoueuse, végétarienne et gotique. Rien à voir, mais à ça s’ajoute son copain espagnol et leur bande d’amis multiculturelle, la soirée risque d’être haute en couleur.
20h : Pile à l’heure, mais visiblement ici ça ne se fait pas d’arriver en retard à une soirée puisque tout le monde débarque dans ce petit appart en quelques minutes.
21h : J’ai l’impression de passer pour une inadaptée sociale. Moi qui n’ai d’habitude aucune difficulté à discuter avec des inconnus, quand on ne parle pas la même langue c’est tout de suite beaucoup plus difficile. L’anglais se mêle alors au français, à l’espagnol, l’estonien, et je crois même entendre une autre langue dont je n’arrive pas à définir l’origine.
22h : Pour délier les langues (dans le sens chaste du terme bien sur) rien de mieux qu’une bonne bière !
00h : La soirée bat son plein quand quelqu’un lança l’idée très spirituelle d’aller glisser dehors. Ma réponse, encore moins intelligente bien entendu, ne s’est pas faite attendre vous l’aurez deviné. Et c’est de cette façon que j’attraperais certainement une pneumonie, en allant faire du snow et de la luge, passablement éméchée par -15° au coeur de la ville de Montréal.
1h : « Happy birthday to you », piñata, gateau et tout le bazar.
1h30 : Raphaël et moi on vote pour un Uber. Triple du prix du métro mais deux fois moins loins et beaucoup moins froid.
J 4
15h : Un couple d’amis devait venir prendre le gouter mais ayant appris notre soirée de la veille, pas très covid, ils se sont désistés. La journée restera bien calme, entre siestes et soupes.
J 5
14h : Pour le programme de la journée nos amis poilus vont pouvoir nous accompagner. Dans un premier temps, après avoir récupéré une autolib, on prend la direction du quartier nommé « Westmount ». Bien connu pour être le quartier des riches, il abrite les plus belles maisons de la ville. Doté d’un sol chauffant pour accélérer la fonte des neiges, certaines grandes baraques sont dignes de Los Angeles. Je prends quelques clichés mais en prend surtout plein les yeux, comme d’habitude sur écran ça ne rendra rien mais dans ma tête c’est quelque chose.
15h : C’est parti pour le Mont Royal. Le paysage est totalement différent tout à coup. On pourrait se croire dans les montagnes, à tel point qu’il semble tout à fait normal que les skieurs de fond se mêlent aux marcheurs. Oïkia a besoin de se défouler et nous le fait comprendre.
15h30 : Elle n’a jamais été aussi mal élevée. Elle tire, jappe, saute, aboie, mais surtout fait tout sauf écouter. J’ai honte de son comportement obsessionnel tout à coup : un écureuil et c’est perdu, le peu d’obéissance que j’ai réussi à récupérer est perdu. Le problème c’est qu’ici des écureuils il y en a partout. La mal élevée tire dans tous les sens, change de direction, bondit et faillit m’emporter à plusieurs reprise sur la glace pour une belle cascade. Je peste et fini par lui faire manger de la neige, faute de vouloir lui donner la paire de baffe qu’elle mériterait je tente une autre approche. Un peu à l’écart on rencontre deux maîtres de chiens qui semblent bien codés, ici on ne devrait pas risquer grand chose, je lâche le monstre pour qu’elle évacue toute cette énergie.
15h45 : Après qu’elle ai fait une quantité incalculable de roulés boulés dans la neige on reprend la route et c’est toujours pas ça mais c’est déjà mieux. Adrianne ne semble pas avoir plus de sens de l’orientation que moi, on a fait plusieurs détours avant d’arriver là où elle voulait m’emmener. Ici, dans les hauteurs de la ville, on bénéficie d’une vue panoramique sur les toits de Montréal. Recouverte de son manteau de neige, elle est magnifique et gigantesque, sa taille fait près de 5 fois Paris.
16h15 : Encore quelques détours à force de se perdre, puis nous retrouvons notre voiture avec 15 minutes de retard.
18h : J’ai trouvé plus mauvaise joueuse que moi ! La fin de la journée se termine en jeux de société et Adrianne n’aime pas perdre visiblement. Moi je découvre plein de nouveau jeux et savoure un simple moment de partage avant de me replonger dans la construction de mon site. Trie, écriture, correction, montage, coupage, j’essaye de ne pas prendre de retard dès le début.
J 6
10h : Mes amis ont un rendez-vous administratif pour gérer leur demande de renouvellement visa de travail. Heureusement pour eux leurs démarches sont très simplifiées grâce au boulot de Raphaël. Sa boite offrant du travail à une majorité d’étranger, ils gèrent les demandes et même les paiements de ces derniers et de leurs compagnons. L’administration reste l’administration, et Adrianne vient de recevoir son visa terminé, d’une durée valide de 3 mois… 2 mois après le début de la procédure. Dans un mois il faudra déjà tout recommencer. Les démarches sont diverses, et plus ou moins compliquées mais ils m’ont déjà fait part de leur souhait d’une résidence permanente. Sans surprise après 3 ans passés ici. Ils sont « tomber en amour » du Canada, et ne s’imaginent pas un instant faire marche arrière pour rentrer en France. Je crois que je comprends l’amour de Montréal, mais je suis plutôt en désaccord quant à cette haine française contre le propre système de notre pays. Moi qui travaille dans la santé et le social, malgré mon manque de reconnaissance et de salaire je me sens plutôt chanceuse de notre fonctionnement. Je crois que nous n’avons pas à nous plaindre de notre situation, et je crois surtout que mes voyages précédents n’y sont pas pour rien dans cette prise de position. Le Suriname, les Comores : la pauvreté humaine sous toutes ses coutures, je pense l’avoir touchée du doigt, et je me sens reconnaissante d’être née petite blanche, française et bien dans mes basques.
11h : J’ai rendez-vous pour enlever la manucure jolie mais pas très pratique pour les semaines à venir. Premier point : on ne parle qu’anglais ici (avec un accent asiat soit dit en passant). Deuxième point : on me demande d’enlever mes chaussures à l’entrée. C’est monnaie courant ici dans certains commerces mais surtout chez les gens. Les boots pleines de neige ça fait tout de suite désordre mais du coup détail important pour continuer à avoir la classe : penser à ses chaussettes ! Avoir un robe moulante hyper sexy avec de beaux collants et des chaussettes à doigts de pieds multicolores ça casse un peu le personnage.
11h15 : Je prend la direction de la gare centrale pour y acheter les billets de train (hors de prix) qui vont nous acheminer jusqu’à Cobourg, en Ontario. Ici, à Montréal nous sommes au Québec, l’une des parties françaises. Mais mon but à moi c’est d’apprendre l’anglais, alors j’ai eu la merveilleuse idée de compliquer les choses et de plonger directement dans la gueule du loup en allant vivre 4 semaines dans une famille entièrement anglophone, dans la région anglaise de l’Ontario. Cette famille avec qui je suis entrée en contact grâce au site international du Wwoof (World Wide Opportunities in Organic Farming) possède une ferme nommée « The Hutt on Morganson » littéralement « La hutte des Morganson ». Le principe est simple : un échange de bon procédé impliquant un travail de quelques heures par jour de ma part (4 ici), et l’offre du gite et du couvert de leur part.
11h30 : « A cause de la Covid nous ne voyageons plus avec les animaux de cette taille ». Ici ma louve n’est pas acceptée à bord du train. En temps normal, elle voyage dans un compartiment à part, mais visiblement il va falloir que je trouve une autre solution. Je rebrousse chemin en réfléchissant aux différentes possibilités. Je tente de retrouver la maison pour mettre mon sens de l’orientation à l’épreuve mais c’est toujours pas ça. Deux rues plus loin, je manque de perdre ma main dans ce -9° ressenti -17° pour sortir mon bon vieux GPS.
14h : Un bon petit « dîner » comme ils disent ici, et nous voilà reparties pour le marché couvert d’Atwater. Fruits, légumes, boucherie, fromagerie, un marché classique accompagné d’un nombre incalculable de dérivés de leur produit phare, le sirop d’érable. Suçons, pâtes, biscuits, produit brut, gâteaux et j’en passe, pour être honnête c’est tellement sucré que même moi, grande gamine de 25 ans irrattrapable pour son envie infatigable de sucre, je pourrais commencer à m’en écoeurer.
14h45 : Un petit détour pour admirer le canal Lachine pas très loin. Il est recouvert de glace, et de neige, et le tout est suffisamment solide pour que quelqu’un se soit amusé à marcher là ou personne n’était allé afin d’y dessiner un coeur géant par le sillon de son passage.
15h : Nouvelle destination : l’oratoire saint Joseph. Un magnifique bâtiment religieux situé en hauteur. Adrianne me propose de marcher 15 minutes plutôt que de reprendre le métro, j’accepte et découvre un nouveau concept : la pluie verglaçante. J’ai été surprise de constater qu’à cette température il pouvait pleuvoir et non pas neiger. Sauf qu’à la différence, ici la pluie congèle instantanément à votre contact. Mon manteau s’est figé dans le froid, et le peu de peau que mon visage offre à l’air libre est fouetté sans arrêt pendant tout le voyage. Arrivées au pied de la basilique on voit s’éloigner la navette, après 5 bonnes minutes à attendre dans ce froid glacial on se décide à avancer pour faire le chemin à pied quitte à se faire récupérer au passage. Le concept avoir les cuisses qui chaussent alors qu’on ne les sens plus c’est quelque chose. Là haut, à bouts de souffles après un bonne dizaine de minutes à monter, la navette arrive juste en même temps que nous.
16h : Frère Joseph est l’homme d’église qui a mené le projet de cette basilique à bout. Non croyante mais toujours intéressée par de nouvelles connaissances j’avance silencieusement dans cet endroit aussi grand que joli. Petit plus, la vue qu’offre la hauteur de la bâtisse est magnifique.
18h30 : Le froid c’est épuisant. Bien contente d’être rentrée, on restera tranquilles ce soir.
J 7
12h : Ce midi rendez-vous à la banquise. Pour bien affronter le froid on y mangera une poutine, plat typique du Québec, qui consiste à faire une montagne de frites grasses et à y ajouter à peu près tout ce que vous voulez. J’opte pour bacon, champignon, poivron, fromage et j’y ajoute un supplément guacamole. Bon pour l’aspect on repassera, pour la diététique aussi, mais on est pas là pour ça heureusement.
13h : Un quart de mon assiette plus tard je cale déjà. Je règle l’addition en notant qu’il faudrait que je me fasse à cette histoire de taxe et de tips. Ici, au canada, la quasitotalité des prix affichés ne comprennent pas les taxes de 15% qu’il faut donc ajouter à son total. Mais ce n’est pas tout. A ça il vous faudra aussi additionner 15% de « tips » (pourboire) supplémentaire, obligatoire et minimum si vous ne voulez pas provoquer une esclandre. Vous pouvez donner plus, sur certains tickets il appairait même vos exemples de prix totaux en fonction du pourcentage que vous choisirez. Histoire de perdre encore plus mes repères il faut convertir ces dollars canadiens en euros qui correspondent finalement aux deux tiers du prix.
13h15 : On prend la route, bidons bien remplis et arpentons les rues du plateau. Le plateau correspond au quartier français, selon Adrianne les architectures sont différentes mais j’avoue que je n’y vois pas grande différence. Peut être un peu plus colorée ? Dans la grande rue principale j’entre pour tenter d’acheter des lunettes de soleils (les miennes sont tombée dans la voiture le jour de mon départ, et le blanc de la neige est si éblouissant qu’elles me manquent déjà). Pour avoir le droit d’entrer de grands chaussons sont prévus à l’emploi de recouvrir nos boots. Pas moins de 70$ pour espérer une paire polarisée, tant pis, j’essaierais ailleurs.
14h : Nouveau concept ! La rafale glaciale. Prenez une plaque de verglas, une Thaïs encore plus gauche que d’habitude dans son grand manteau et soufflez sur le tout à plus de 60km/h. Vous obtiendrez de belles cascades. Notre prochaine destination c’est la bibliothèque central, située dans le « village » qui lui, correspond au quartier LGBT. Ensuite on se dirigera vers le quartier latin avant de rentrer.
14h30 : Les détours, le verglas et le vent se sont alliés pour nous mettre en difficulté. Aujourd’hui il fait -15° ressenti -23° et j’ai froid, mais le jeu en valait la chandelle. Je n’ai jamais vu autant de livre au même endroit de toute ma vie. J’y passerais des heures et me perdrais des les rayons régulièrement si j’habitais ici. 3 livres m’attendent déjà à la maison, je reste raisonnable et on rentre après ça. Le temps est trop dur et le froid à éteint nos téléphones respectifs, donc plus de GPS et plus de pass vaccinal. Certains iPhones se mettent en sécurité quand il fait trop chaud, et bien je viens d’apprendre que les batteries, tout comme nos doigts, n’aiment pas le froid et se vident d’une traite en cas de températures extrêmes. Je crois qu’on peut dire qu’on est dans l’extrême.
19h30 : Il faut braver le froid à nouveau pour notre destination de ce soir. Le températures chutent encore un peu plus dans la nuit, mais ne nous empêcheront pas d’aller manger des sushis comme convenu. Sushi vegan, vous connaissiez ? Sur le papier, ça m’a pas vendu du rêve à moi non plus, mais je vous promet que ça vaut le détour !
J 8
8h30 : Premier réveil forcé depuis mon arrivée mais je souris déjà en pensant au programme de la journée.
11h45 : « Parc Oméga » est inscrit en grosses lettres devant moi. Situé à 1h30 de Montréal c’est un parc animalier de plus de 700 hectares au sein duquel plusieurs espèces d’animaux sauvages cohabitent en semi liberté. Après avoir massacré une bonne partie des tubes des années 2000 durant le voyage on commence la journée par un bon burger moutarde au sirop d’érable. Une fois bien rassasiés le début des festivités peut commencer. Je m’arme d’un bon gros paquet de carotte et Adrianne engage la voiture dans le parcours prévu à cet effet. Il nous est scrupuleusement demandé de ne pas sortir à certains endroits, par simple logique de danger face à ces animaux sauvages qui pourraient avoir envie de manger autre chose que des carottes. Un bon petit quatre heure pour les ours en sommes.
12h45 : Certains sont plus sauvages que d’autre. Les wapitis s’engouffrent par les fenêtres de la voiture, avares de carottes. Les bois de certains représentent un danger pour notre pauvre petite voiture de location mais le moment est trop unique pour s’en priver. A eux s’ajoutent des sangliers, moins commodes mais tout aussi gourmands. La route continue et dans un endroit où la présence humaine est permise je ne réussi par à résister, sors dans ce -8° en pull pour m’approcher des daims et des cerfs. Je vis quelque chose que je ne pensais pas avoir la chance de découvrir un jour. Dans ce décors irréel la neige et la glace ont cristallisés tout le paysage qui m’entoure. Une épaisse couche de froid recouvre le sol à plusieurs kilomètres à la ronde, sur des plaines jonchés d’arbres figé, pris au piège dans ce gel d’hiver, qui fait scintiller chacune de leurs branches. Cette image idyllique donne l’impression que tout a été recouvert d’argent, et brille à travers les rayons du soleil qui accompagne cette journée parfaite. Les loups arctiques, renards argentés, les caribous et écureuils nous offrent leurs plus beaux spectacles, mais aussi les wapitis, les coyotes et les ratons laveurs. Seuls les ours manquent à l’appel. Je présume qu’il fait trop froid pour eux, et qu’à cette période de l’année ils doivent hiberner mais j’espère avoir la chance en jour d’en croiser un. Pas trop près quand même.
14h : Un petit tour à pieds dans le sentier pédestre, mais le chemin du retour est vite engagé, pour cause, la glace qui a rendu le chemin impraticable et trop dangereux aux piétons.
14h30 : Je découvre une nouvelle spécialité et miam… Les « queues de castor » resteront ma découverte favorite. Il s’agit d’une pâte cuite, recouverte de sucre et de cannelle. Mais ce genre de délice sucré, accompagné d’un bon chocolat chaud, au coeur d’une yourte chauffée par un foyer central, et pendant une journée aussi belle, ça n’a pas de prix.
15h30 : C’est déjà la fin de ma journée préférée. Encore quelques musiques abimées par nos talents de chanteuses, pas mal de kilomètres, et nous voilà rentrées.
J 10
14h : Une bonne balade dans la neige pour dégourdir les pattes de tout le monde. Oïkia manque d’espace et de défoulement ça se sent. J’ai hâte qu’elle puisse courir à en perdre haleine dans l’immense campagne canadienne de l’Ontario. En attendant elle me fait comprendre que ça ne lui plait pas, et qu’elle a de l’énergie à revendre. Elle tire, elle aboie, et fini par manger la neige à chaque fois qu’elle désobéit. Je compte bien ne rien laisser passer de cette crise d’adolescence et me faire comprendre comme je l’entends. Pas question d’être face à ce comportement en arrivant au coeur de ma nouvelle famille dans quelques jours. Spike, le chien d’Adrianne a l’air d’un ange à coté de ma pile électrique, mais mon amie me rassure, elle aussi est passée par là il y a quelques années.
15h30 : Après avoir ramené les fauves on devait aller acheter des leggings fourrés (rien de mieux pour ces températures) mais le magasin est fermé et nous oblige à changer nos plans pour « Juliette et Chocolat ». Quel dommage, on va devoir se goinfrer. En lisant la carte je salive déjà, impossible de faire un choix cohérent dans cette listes étendues de plusieurs pages de guimauves, chocolats, gâteaux et sucreries en tous genres. J’opte pour une crêpe au sirop d’érable léchée de crème fouettée et d’un chocolat chaud surmontée d’une guimauve fondue trempée dans le chocolat. N’emmenez jamais un diabétique dans cette boutique, le coma serait assuré.
17h30 : Le soleil va bientôt aller se coucher. C’est parfait pour la suite de notre programme : « Montréal en lumière ». Situé sur la place des arts, un évènements organisé par la ville rassemble un beau petit paquet de monde autour d’un principe simple. Quantité d’animations artistiques et culturelles sont mises en lumières pour le plus grand plaisir de nos yeux. La neige rend le tout encore plus beau, ce petit bout de Montréal devient magique, une fois de plus. Je m’amuse d’observer les habitants de cette ville, tous venus accompagnés de leurs patins, du plus vieux au plus jeune. Les touts petits sont emmitouflés d’épais manteaux, desquels ils font apparaitre leurs joues rougies par le froid, tellement craquant.
J 11
16h : Pour ce dernier jour de vacances (Adrianne commence un nouveau travail demain elle aussi), nous nous rendons au cinéma. Le pire m’a été épargné, nous allons voir Uncherted en français. La journée est calme et mon départ approche, je profite une dernière fois de cette belle ville qui m’a accueillie pendant 10 jours, peut être que je la reverrais un jour, qui sait ?
J 12
11h : Adrianne attend le matériel qui doit lui être livré d’un instant à l’autre pour pouvoir se mettre à travailler. Pour patienter rien de mieux qu’un « Monopoly des tricheurs », auquel mon amie se révélera meilleure que moi, pourtant dans ce domaine, je me défend plutôt bien.
13h : Il me reste un peu de temps pour aller faire quelques emplettes avant de prendre la route. Je me dirige seule vers le plus grand Carrefour que je n’aurais jamais vu. Fact fun, ici il existe des endroits dédiés aux familles, et en particulier des pour l’allaitement. Je trouve que l’idée est bonne et l’intention est louable mais je m’interroge tout de même. Est ce que c’est une façon d’offrir un peu d’intimité à celles qui le souhaitent, ou une façon de les mettre à l’écart ? Si c’est pour leur confort, c’est admirable, mais je pense qu’il n’y a qu’en banalisant cet acte aussi vieux que le monde que les mentalités finiront par changer. Aussi, j’avais été scandalisée d’apprendre à l’époque qu’à Montpellier même, une mère s’était fait mettre dehors par la sécurité d’une boutique des Transport de l’Agglomération de Montpellier, en plein été, lorsqu’il ne faisait pas moins de 35°, par ce que « son allaitement pouvait déranger des clients ». Je crois que si j’avais été à la place de cette malheureuse, l’homme qui se serait permis de me dire une chose pareille se serait reçu un jais de lait maternel dans la tronche.
14h : Après avoir passé mon chemin je trouve ce pourquoi je suis venue jusqu’ici. Adrianne m’a vendu les mérites d’une boutique nommée Just Cosy, qui vend des merveilles de leggings fourrés. A 15$ l’article je me lâche plus que prévu et ne repars pas seulement avec 2 pantalons prévus mais avec, en plus, une paire de chausson et une de gants. Vous connaissez la fameuse matière qui donne envie de se pelotonner dans son canapé instantanément avec un chocolat chaud… Si vous aviez pu touché ces moumoutes vous aussi vous auriez craqué !
15h : J’ai prévu un peu de marge pour avoir le temps de rentrer à la maison et d’être à l’heure à notre rendez-vous de covoiturage, même en cas d’imprévu. J’ai réussi à prévoir l’imprévisible puisque le métro a 25 minutes de retard., pile à l’heure pour boucler mes valises et dire au revoir à mes hôtes Montréalais.
16h30 : Les bagages peinent à rentrer dans l’Uber, j’espère qu’il n’y aura pas de problème pour caser tout ça avec 6 covoitureurs. Pour parer au problème j’ai réservé deux places, et j’ai payé pour ça bien sur, mais c’est le jeu. 180$ de Poparise (Blablacar français), et 30$ de taxi pour rejoindre Castleton qui m’accueillera pendant les quatre prochaines semaines.
17h : C’est rentré à un poil de cul. La grande caisse de voyage de la louve, ma grosse valise, et mon sac de trek bien casés dans le coffre, Oïkia et moi on se faufile à l’arrière de la voiture et ne bougeons pas, ou presque, jusqu’à destination. La tête posée contre la vitre, j’ai de la musique dans les oreilles et des étoiles dans les yeux. Une nouvelle fois je réalise à quel point je suis heureuse, et chanceuse d’avoir cette vie. Je crois que j’arrête pas de rêver. Mieux : j’arrête pas de réaliser mes rêves. J’ai encore un milliard de projets dans la tête, mais je me sens portée par celui vers lequel je roule. Je suis entrain de faire la chose la plus risquée de ma vie, et j’adore ça. Partir élever des poules au fin fond du canada, dans une famille inconnue qui ne parle pas ma langue ? I do it. Le petit démon sur mon épaule me chuchote « Méfie toi, autant ils ne t’aimeront pas, ou en auront marre d’avoir du mal à te comprendre. Et s’ils sont méchants ? T’aura l’air bien bête ! C’est quoi ton plan de secours ? Nada. Va s’y continue à foncer tête baissée, bécasse. » Je le fait taire. A quoi bon l’écouter, maintenant que j’en suis là pas question de faire machine arrière. « Oui, mais souviens toi des tes angoisses, de ces crises qui te prennent et te paralysent quand tu arrives dans un nouvel endroit ». Ta gueule ! On n’a pas de pire ennemi que soit même, alors j’ai décidé de me faire mon alliée depuis quelques temps. J’ignore si c’est l’âge, mais j’ai cette impression galvanisante que depuis quelques temps le monde est à porté de main. J’aimerais apprendre l’anglais, l’espagnols, des dialectes d’Afriques, apprendre à écouter les autres et leurs besoins, aider et être à la bonne place pour ça, voyager et découvrir les dizaines de dizaines de civilisations différentes, leurs cultures et leur coutumes. J’aimerais m’épanouir en explorant le monde et les autres, grandir en faisant s’élever mes égaux qui sont tous si différents. J’aimerais être sage-femme, pompier, journaliste, guérisseuse, psychologue, assistance sociale, justicière, écrivain, cuisinière. Le monde à l'air si proche et pourtant tellement grand, qu’il parait impossible d’envisager même de réussir à concevoir espérer toucher du doigts les prémices de toutes les merveilles dont il regorge. Je rêve en grand, mais j’ai toute une vie pour essayer. « C’est le voyage qui compte, par la destination" paraît-il. Alors voyageons.
J 12
17h : C’est rentré à un poil de cul. La grande caisse de voyage de la louve, ma grosse valise, et mon sac de trek bien casés dans le coffre, Oïkia et moi on se faufile à l’arrière de la voiture et ne bougeons pas, ou presque, jusqu’à destination. La tête posée contre la vitre, j’ai de la musique dans les oreilles et des étoiles dans les yeux. Une nouvelle fois je réalise à quel point je suis heureuse, et chanceuse d’avoir cette vie. Je crois que j’arrête pas de rêver. Mieux : j’arrête pas de réaliser mes rêves. J’ai encore un milliard de projets dans la tête, mais je me sens portée par celui vers lequel je roule. Je suis entrain de faire la chose la plus risquée de ma vie, et j’adore ça. Partir élever des poules au fin fond du canada, dans une famille inconnue qui ne parle pas ma langue ? I do it. Le petit démon sur mon épaule me chuchote « Méfie toi, autant ils ne t’aimeront pas, ou en auront marre d’avoir du mal à te comprendre. Et s’ils sont méchants ? T’aura l’air bien bête ! C’est quoi ton plan de secours ? Nada. Va s’y continue à foncer tête baissée, bécasse. » Je le fait taire. A quoi bon l’écouter, maintenant que j’en suis là pas question de faire machine arrière. « Oui, mais souviens toi des tes angoisses, de ces crises qui te prennent et te paralysent quand tu arrives dans un nouvel endroit ». Ta gueule ! On n’a pas de pire ennemi que soit même, alors j’ai décidé de me faire mon alliée depuis quelques temps. J’ignore si c’est l’âge, mais j’ai cette impression galvanisante que depuis quelques temps le monde est à porté de main. J’aimerais apprendre l’anglais, l’espagnols, des dialectes d’Afriques, apprendre à écouter les autres et leurs besoins, aider et être à la bonne place pour ça, voyager et découvrir les dizaines de dizaines de civilisations différentes, leurs cultures et leur coutumes. J’aimerais m’épanouir en explorant le monde et les autres, grandir en faisant s’élever mes égaux qui sont tous si différents. J’aimerais être sage-femme, pompier, journaliste, guérisseuse, psychologue, assistance sociale, justicière, écrivain, cuisinière. Le monde à l'air si proche et pourtant tellement grand, qu’il parait impossible d’envisager même de réussir à concevoir espérer toucher du doigts les prémices de toutes les merveilles dont il regorge. Je rêve en grand, mais j’ai toute une vie pour essayer. « C’est le voyage qui compte, par la destination" paraît-il. Alors voyageons. J’espère quand même que Carrie sera là pour m’accueillir, par ce que je risquerais pas d’accomplir grand chose si on m’abandonnait ici, en pleine nuit, par -20°.
21h45 : Heureusement elle a eu la gentillesse de ne pas me laisser, et de venir me chercher à Cobourg, la gare la plus proche. Au premier abord on hésite toutes les deux. Hug ? Dans cette partie du monde (partout ailleurs qu'en France d’ailleurs) on ne s’embrasse pas pour se saluer. On fini par une accolade chaleureuse, le dialogue s’engage tout seul. Je la remercie une nouvelle fois d'être venue me chercher, et de m’accueillir au sein de sa famille. Au détour de la conversation elle m’avoue qu'en hiver c’est plus compliqué d’avoir du travail à partager, mais que c’est un bon compromis pour tout le monde. Son mari, John, travaille beaucoup et avoir une aide extérieur pour l’aider avec les travaux de la ferme la soulage. En plus de ça, elle semble tenir à ce que ses enfants soient ouverts d’esprits, et portée par l’envie de s’enrichir de tout ce que les rencontres peuvent lui apporter. Durant ce court voyage je peux déjà constater la bienveillance de Carrie à l’égard de ma louve, cette personne à l’air profondément gentille.
22h15 : La première ville n’est pas à moins de 25 minutes de cette nouvelle maison. C’est costaud pour aller acheter du pain. Nous sommes accueillies par John, et Oyli, et Bobo, les deux chiens de la maison. Le premier est un mastodonte d’au moins 3 fois le poids d’Oïkia heureusement il semble aussi gros que gentil. Le second paraît plus vieux, plus sur son territoire, mais c’est un vieux pépère, je n’ai aucun doute sur leur future amitié à tous les trois. Je rencontre aussi Emma, fille du premier mariage de Carrie. Le fils de cette dernière, Bryan, viendra remplir encore un peu plus cette maison posée au milieu de nulle part, chaque week-end, puisqu’il travaille sur Toronto.
22h30 : A peine ai-je franchi le seuil de la porte qu’un bol de soupe et deux scones sont posés dans mes mains. Je présume qu’ici, le risque de mourir de faim est égal à zéro, pas de soucis à te faire mamie. Une fois les présentations d’usages effectuées je peux clouer le bec de cette idiote petite voie dans ma tête, une bonne fois pour toute. Je ne peux qu’être bien ici. Un « waow » s’est échappé spontanément de ma bouche en découvrant cette maison familiale à l’atmosphère rassurante, haute de plafond, et spacieuse par ses grandes baies vitrées. Un joyeux bordel vit ici, quelques bouquets de lavandes pendent au plafond, des plantes courent sur les murs, le plan de travail est recouvert de nourriture, une grande table laisse deviner les repas d’une famille nombreuse, un salon ouvert offre un endroit un peu à part qui semble parfait pour s’y blottir avec un bon livre et un autre coin proche de la fenêtre, lui, semble idéal pour tricoter. On s’y sent tout de suite à l’aise.
23h : Carrie me fait découvrir ses ouvrages : elle m’apprendra bientôt à tisser la laine de ses propres moutons. Une bonne cinquantaine d’heure pour un seul pull (bien chaud certe) qu’elle vend la somme dérisoire de 45$. « It doesn’t matter », me dit elle, c’est symbolique.
23h30 : Il est tard pour tout le monde. Un grand lit, moelleux à souhaits, semble me tendre les bras. Le mieux ? Oïkia peut dormir avec moi, c’est tata Carrie qui l’a dit.
J 13
7h10 : J’avais prévu un réveil mais j’ai plutôt mal dormi, j’ouvre les yeux sans en avoir eu besoin. Un câlin à ma meilleure amie avant de sauter dans mon nouveau legging, puis de me diriger vers la cuisine. Je bois un café pendant que John s'apprête à partir au travail, Carrie semble beaucoup s’inquiéter de la crise actuelle et lui demande de ne pas partir trop loin. Elle m’a déjà fait part de ses inquiétudes hier à propos de cette guerre qui dort, et de ces pauvres Ukrainiens, qui n’ont rien demandés à personne. Je pense à cette femme qui, voulant se protéger des bombes, a donné naissance dans le métro il y a quelques jours. J’aimerais pouvoir faire quelque chose. Mais je crois qu’après tout c’est déjà ce que je suis entrain de faire. La seule raison de ma présence ici, ou du moins la principale, c’est d’apprendre l’anglais pour pouvoir m’engager chez médecin sans frontière, et enfin pouvoir être réellement utile.
8h15 : -15°, et alors ? Il ne neige pas c’est déjà ça. C’est vrai que les moutons sont couverts d’une laine épaisse mais je reste étonnée de leurs résistances à ces températures extrêmes. En cas de neige abondante, de vents violent, et pendant la nuit, toutes ces bêtes sont mises à l’abris, certes, mais tout de même. Les trois chiens sortent avec nous, pouvant profiter des grands alentours pour s’adonner à leurs jeux. Pour nous c’est mission nourriture : d’abord les poules (une bonne dizaine), puis les quatre moutons. Un peu d’eau, de foin, de graine pour chacun, et vient notre tour de déjeuner.
9h : Emma est végétarienne depuis ses 10 ans, Carrie l’est presque elle aussi, mais John continue de manger leurs poules. Ce matin c’est spicy eggs avec bagle. Vraiment bon pour commencer la journée.
9h30 : John a construit une dépendance qui peut accueillir des visiteurs dans le jardin. Grâce à AirB&b ils peuvent louer ce petit chalet, hors du temps et de l’espace. Une nouvelle réservation pour les prochains jours a été faite ce matin. On s’affaire donc à nettoyer ce nid douillet, puis celui des poules. Rien à voir, mais tout le monde a le droit à la propreté. Je prie pour qu’Oïkia ne fasse pas des siennes avec les poulettes en voulant jouer. Fort heureusement je réussis à la tenir à l’écart et les poules coopèrent, sans tenter de sortir. Enlever le foin souillé, l’enterrer pour en faire de l’engrais, recouvrir le tout de neige, étaler de la paille propre, récupérer les oeufs, tout ça me plait, et même s’il fait froid les tâches nous réchauffent. Nous couperons du bois demain, la tronçonneuse (vous voulez vraiment me mettre ça entre les mains?) fait des siennes et ne se laisse pas démarrer.
12h : La matinée est passée à une vitesse folle. J’ai encore les oeufs et le bagle sur l’estomac mais reste polie et mange ce qu’elles ont gentiment préparé. Un peu de lecture, beaucoup d’écriture, après quoi j’espère avoir le temps de plancher un peu sur mon van. Va pas se construire tout seul celui là.
17h : Il faudrait aussi que je bosse mon anglais. La fin de la journée n’est même pas là que je baille déjà a m’en décrocher la mâchoire. On m’avait pourtant prévenu, c’est épuisant d’être en immersion. Mon cerveau (si, si, j’en ai un) tourne à plein régime depuis ce matin. Etre constamment entre réflexion et traduction c’est beaucoup d’effort, mais à ce rythme pas de doute, dans quelques semaines mon niveau n’aura rien à voir avec mes connaissances de bases.
18h : Carrie me propose de manger, à cette heure je suis surprise mais j’acquiesce avec politesse.
19h30 : John rentre d’une journée bien remplie. Après son travail il a retrouvé quelques amis pour faire de l’ice fishing, cette pêche à travers la glace, et m’a proposé de venir avec lui un de ces jours. Évidement j’ai accepté. Cette homme a l’air d’être constamment de bonne humeur, et même s’il a un fort accent Canadien j’aimerais pouvoir discuter avec lui, cette famille à décidément l’air profondément gentille.
20h30 : Un peu de lecture, puis il est temps de dire bonne nuit sinon je risque de m’endormir la bouche grande ouverte au beau milieu du salon.
21h15 : Plus de Thaïs.
J 14
7h15 : Difficile de commencer la journée en connectant mes neurones encore endormis pour aligner plus de quatre mots d’affilés. Un peu dans le brouillard c’est encore plus difficile de comprendre ce canadiens aux origines indigènes qui déjeune face à moi. J’espère qu’il ne m’en tiendra pas rigueur pour ça, mais je ne pense pas.
8h : Café, p’tit dèj des poules, repas des moutons, puis le notre. Il me semble que c’est plutôt agréable de s’adapter à ce genre de rituel.
9h : Carrie semble très préoccupée à propos de l’Ukraine. Je pense qu’elle n’est pas inquiète à propos des conséquences que la guerre pourrait avoir sur sa famille, mais plutôt qu’elle s’identifie à toutes ces mères Ukrainienne et Russes voyant leurs fils et leurs maris partir se battre pour des convictions qui ne sont pas les-leurs. Elle me montre les larmes aux yeux cette vidéo qu’elle a vu ce matin, d’un garçon apprenant par téléphone à sa maman qu’il est prisonnier, il pleur, et il a l’âge de son fils. Carrie a l’air d’une immense compassion, elle doit être un sacré personnage, mais profondément quelqu’un de bien. Elle fait partie de ce genre de personnes qui dégage quelque chose de sain, cette aura qui vous fait vous sentir serein auprès d’elle. Elle semble avoir un profond gout pour le partage, je crois que c’est l’une des personnes les plus gentilles que j’ai jamais rencontré et c’est fou de se dire qu’elle peut laisser transparaitre ce genre d’émotion alors qu’on ne parle même pas la même langue. Malgré tout j’ai toujours cette petit voix dans ma tête, qui essaye de me faire flipper, qui me dis que c’est peut être le début, que les choses peuvent changer. J’espère réussir à me prouver le contraire.
10h : Mission du jour : Couper du bois. Au prochain mec qui me dira que « j’ai besoin d’un homme dans ma vie » je lui répondrais d’aller se faire voir. Qui a déjà coupé du bois à la hache par -15° ? Qui a dit qu’on avait BESOIN de testostérone ? On peut en avoir envie, certes, mais c’est bien différent. Je me remémore cette conversation que j’ai eu il n’y a pas si longtemps avec mon paternel qui me soutenait de son regard bien veillant que certains travaux étaient plus faits pour les hommes, et que, par compensation certains étaient effectués par les femmes. Je m’étendrais pas plus là dessus, mais vous avez compris mon point de vu. Trop féministe pour vous ? Désolée je m’égare, mais j’ai du mal à entendre ce genre de discours et je crois que ma génération à une place importante dans toutes ces remises en questions. Il me semble qu’avant, on avait peut être moins le temps de se questionner sur ce genre de sujet, mais maintenant qu’on peut le faire, pourquoi pas ?
12h : Revenons à nos moutons. Ça réchauffe tout ça évidement, et ça creuse l’estomac. Malheureusement je ne suis pas la seule à qui ça a donné faim visiblement puisqu’Oïkia s’est goinfrée de caca de poule et vient de tout revomir sur mon lit. La honte. J’essaye de tout nettoyer discrètement, mais c’est peine perdue, ma chambre empeste la merde de chicken et une belle flaque de cette délicieuse odeur a traversé les 4 couches de mes draps. Super.
14h : Nouvelles activités pour cette après-midi, production de shampoing et nettoyage de la maison au fur et à mesure qu’Oïkia la repeint avec le contenu de son estomac, beaucoup moins solide. Carrie m’apprend les différentes étapes de la recette (du shampoing bien sur) que je m’applique à exécuter. Huile de castor, huile d’argan, huile essentielle de lavande fait maison, cire des abeilles du voisin, graisses animales, tout est mélangé, porté à 120° puis remixé avec un peu de produit chimique qui assurera le rôle de détergent. On met tout ça dans de jolis moules et tadaaa, on peut attendre encore quelques jours pour voir le résultat.
16h : Oïkia a vomit un peu partout, mais semble aller bien. A part être morte de honte, je ne m’inquiète pas plus que ça, elle est comme sa mère et vomit facilement. Au moins elle ne recommencera pas de si tôt.
17h : Il neige beaucoup dehors, ça me donne l’impression d’être au milieu de nulle part, protégée du blizzard, bien au chaud dans une maison agréable.
18h : Je n’ai toujours pas eu le temps de me pencher sur les plans du van. Tant pis ça sera pour demain, en attendant je continue à vous écrire, et à corriger, et à organiser ce joyeux bordel.
19h : John cuisine les poissons qu’il a ramené victorieusement hier. Pour accompagner tout ça Carrie me fait découvrir une courge nommée « spaghettis squash » qu’elle cuira au four une bonne heure à 350 Fahrenheit (180° celsius pour les curieux) avec une bonne dose de beurre, et un peu d’ail. Ça risque d’être délicieux.
19h30 : Nous mangeons en famille, loin de la mienne, mais comme si je faisais partie de la maison.
J 15
7h20 : J’évite de traîner au lit par ce que ce matin j’ai prévu de faire des crêpes pour le petit dej. Un café m’accompagne pendant que je me met au fourneau, la poêle est trop vielle pour me permettre des les faire sauter mais je vais faire avec les moyens du bord. D’ordinaire c’est une corvée (oui, même pour la bretonne que je suis) mais à voir leurs grands sourires et les compliments qui fusent je ne peux que le faire de bon coeur. « Amazing ! Sooo good ! Incredible… » Leurs mines réjouies sont les meilleures raisons de me donner un peu de mal. Carrie insiste pour les manger comme chez moi alors je leurs demande de gouter d’abord sans les « berries » qu’ils veulent absolument ajouter. Juste comme ça, avec un peu de beurre (salé obviously), et beaucoup de sucre. J’ajoute un peu de citron ou de chocolat pour les plus gourmands, et la journée commence dans la bonne humeur de cette maison chaleureuse.
8h30 : Carrie a rendez-vous avec son studio (elle chante !) ce matin alors c’est moi qui me chargerais de la ferme. Je crois que je prends un peu trop la confiance puisqu’il m’est venu l’idée de sortir sans bonnet, sans gants, sans écharpe. Plus jamais sans gants. J’étale le foin, lance les graines, dit bonjour aux poules, donne de l’eau à tout le monde puis sort les quatre moutons. La neige a recouvert le chemin d’une bonne trentaine de centimètres dans la nuit et je manque de me casser la figure à plusieurs reprises. J’espère que personne ne me regarde de la maison, je dois avoir l’air bien gauche.
10h : Je vais enfin pouvoir me pencher un peu sur le van. Je profite d’être seule à la maison pour cuisiner encore un peu, j’improvise un cheesecake oréo/framboise, laisse mijoter un peu de riz noir avec beaucoup de légumes et note que le régime végétarien n’est pas si facile à contenter. Par principe je sais que j’y viendrais tôt ou tard (d’ailleurs plus tôt que tard) mais je repousse la tâche par logique d’accommodation. Mon style de vie légèrement mouvementé demande une certaine capacité d’adaptation, et je ne voudrais surtout pas imposer quoi que ce soit à mes hôtes potentiels. Je fais l’autruche en quelques sorte puisqu’il y a une quantité d’informations que je ne veux pas étudier tout de suite, je sais qu’une fois chose faite je suis trop sensible pour pouvoir faire machine arrière. Pour commencer il y a le livre « Le jour où j’ai arrêté de manger des animaux » d’Hugo Clément, qui habite gentiment ma bibliothèque en me lorgnant régulièrement. Il y a aussi quelques documentaires bien connus et beaucoup trop parlant pour les petites âmes sensibles comme la mienne. Chaque chose en son temps, réfléchir, ne pas précipiter les choses, et les faire pour de bonnes raisons, pour être une bonne personne, avec de bonnes convictions.
18h : Les heures passent dans une sérénité confortable. J’ai un peu de mal à savoir par quel bout commencer la montagne de travail qui m’attend pour ma future maison. Il faut aussi que je bosse mon anglais, fasse ma lettre de motivation, gère le site, continue à écrire, et que je trouve un peu de temps pour lire au milieu de tout ça.
19h : Un mal de dos comme j’ai rarement eu m’oblige à aller m’allonger. Douleur constante, mais heureusement musculaire, d’une intensité vive qui m’affuble de décharge électrique pendant plusieurs heures. Ça m’embête de me plaindre alors je prends sur moi mais Carrie devine. Elle m’offre tout de suite une solution bien à eux : la crème au THC faite maison. Pourquoi pas. Au passage elle m’explique la recette et demande à Emma sa bouillotte, je crois que la bouillotte fait du bien, la crème par contre… Ça ne peut pas faire de mal, et même si je suis convaincue de ses vertus je ne penses pas que ça m’ai été d’une grande aide.
20h30 : Je m’excuse et fini la soirée dans ma lit. La position latérale m’est insupportable, je vais devoir dormir à plat dos comme une momie.
J 16
7h : Quand on se couche à 22h forcément c’est plus facile de se lever tôt. J’aime bien ce rythme, c’est marrant quand on pense à mon besoin incommensurable de sommeil parfois.
8h30 : Nourrir les poules, récupérer les oeufs, sortir les moutons, aller chercher de l’eau (le seau gèle toutes les nuits).
10h : Emma est totalement flippée depuis 3 jours : elle passe aujourd’hui un entretien d’embauche qu’elle tient absolument à réussir. Il y a quelques jours, quand Carrie m’a parlé de son « interview » j’ai pensé comme une idiote qu’elle était journaliste.
11h : La mission du jour sera toute autre pour nous. Carrie souhaite faire des courses et me lance les clés en me confiant qu’elle tenait absolument à ce sentiment de liberté que cela procure quand on voyage et qu’on a le loisir de conduire une voiture. J’accepte, flattée de sa confiance, même si je flippe un peu de devoir conduire sur la neige. L’exercice n’est pas si simple puisque les limites de vitesses ne sont pas les mêmes qu’à la maison, et que certaines règles de bases sont différentes. Ici par de priorité à droite, premier arrivé premier servi ; très peu de ronds points mais beaucoup de stop type grands carrefours ; et surtout signalétique différente : les feux sont en face, comme aux états unis et non pas sur le coté. De cette manière on peut tourner à droite, même au feu rouge (excepté si l’inverse est indiqué) et uniquement si toutes les voitures de gauches sont passées. Carrie tente de m’indiquer la route en français, de cette façon et par ce qu’elle confond encore les mots « droite » et « gauche » on se marre plus d’une fois.
11h45 : Premier arrêt pâtisserie. Vous connaissez tous le cliché des donuts multicolores ? Ça me donne l’impression d’être dans un film.
12h : Après ça direction le « store ». Encore une fois j’y trouve des choses bizarres. Même le fromage est bizarre. Ici il est présenté par barres, et le lait se trouve en sac (oui oui, dans un sac plastique souple). Je cherche quelques ingrédients simples pour effectuer la petite liste de plats français que j’ai pu trouver ce matin. Aviez vous remarqué que la cuisine française était si non-végétarienne ? Je trouve de la viande à la base de tous nos plats phares. Cassoulet, pot-au-feu, blanquette, poulet basquaise, boeuf bourguignon, il y en a même dans la quiche lorraine. Je suppose que je vais pouvoir faire une moitié de quiche lorraine sans lardon, mais je ne trouve même pas ces derniers. Impossible de trouver du reblochon pour une tartiflette (bon ça je m’y attendais un peu…). J’abandonne quand je ne réussi pas même à trouver une simple pâte à tarte. Je la ferais.
13h30 : Carrie parle de tout, de rien, elle se confie sans tabou et aborde tout type de sujet avec intérêt, sa compagnie doit être agréable pour tout le monde. Le voyage se fait en musique, avec ses chansons, de son album.
15h : Cette après midi nous préparons l’arrivée des invités qui ne devraient pas tarder à se présenter. Sans raison particulière nous attendons Matthew, le fils de John, son amie et quelques autres copains, à ça s’ajoutera une autre famille, amie de la hutte de Morganston.
18h30 : Un beau petit monde rempli le salon. La table est recouverte de nourriture en libre service autour de laquelle plusieurs petits groupes se forment. Matthew se moque gentiment de mon prénom imprononçable et rit franchement en apprenant celui d’Oïkia. La signification du nom et la beauté de cette dernière arrache un certain nombre de « sooo cut » à tous les invités. Je prends quelques secondes pour apprécier ce moment, entourée d’inconnus, à l’autre bout du monde, et pourtant dans un décors de rêve et une ambiance chaleureuse. Je ne voudrais être nulle part ailleurs.
20h : Une vague de motivation générale emporte la maisonnée vers l’extérieur. Parés de nos plus épais effets nous nous lançons dans la neige à grands coups de luge. La prairie derrière la maison offre une pente parfaite pour s’adonner au sport national : à un, à deux, sur un grande, une petit, en poussant, sans pousser, en tournant, sans tourner, chacun dévale à grande vitesse et profite pour laisser s’échapper son âme d’enfant. Des cris de bonheur et de sensations fortes, des gouttes de sueurs et de pente à remonter, des étoiles plein le ciel et un ciel dégagé. C’est un moment parfait.
21h30 : Les conversations sont de plus en plus difficiles à suivre pour moi. J’ai pris part à plusieurs d’entre elles à mon niveau, et même si je suis plutôt contente de moi je suis profondément fatiguée d’avoir un cerveau qui tourne à plein régime depuis quelques heures. Je salue poliment tout le monde après avoir insisté pour ranger un peu et m’être faite houspillée par Carrie pour « faire ça plus tard ».
J 17
10h : Carrie insiste pour que je ne travaille pas aujourd’hui. J’essaye tout de même d’aider comme je peux avec quelques tâches ménagères tout en potassant sur mon ordi.
18h30 : Dan, l’homme du couple qui dort dans le AirB&b, vient donner un coup de pouce à la préparation du repas. Carrie souhaite faire des hamburgers ce soir. J’apporte mon enceinte, commence à faire DJ puis coupe les oignons et les tomates avant de faire des frites. Chacun s’active dans une ambiance joyeuse de partage multilingue et multiculturel, comme des vieux amis qui cuisineraient ensemble alors que nos routes ne se sont croisées il y a seulement quelques jours.
19h30 : L’ambiance est trop bonne pour que chacun mange de son coté. Dan et Milie se joignent à notre table ainsi que, ce que je pense être le voisin. Ce monsieur était déjà là hier soir. Au cours des conversations trop rapides pour moi j’ai cru comprendre qu’il était d’origine indigène lui aussi, il me semble qu’il parle en ce moment de ses ancêtres et de leurs cultures. De sa mère, de médecine parallèle, des traditions et des savoirs ancestraux qui se perdent. L’accent est trop important et la vitesse trop prononcée pour que j’arrive réellement à suivre. J’écoute poliment en essayant d’habituer pour oreille à saisir le plus d’infirmation possible.
J 18
9h : Je propose de faire des pancakes du dimanche à John qui me gratifie d’un sourire en coin accompagné d’un « on dit jamais non à des pancakes ». Je refuse la pâte toute prête pour en faire une maison, puis refais une deuxième tournée pour pouvoir inviter le couple d’hier soir à se joindre à nous avant leur départ. Framboises, fraises, mures, bananes, yaourt, sirop d’érable, un vrai cliché délicieux pour commencer la journée.
11h30 : Un peu d’aide à Carrie pour nettoyer la dépendance après le départ des visiteurs puis je passe toute la journée à bosser sur le van sans grande satisfaction. Tout est compliqué, rien n’est simple. La moindre petit question me prend des heures de recherche sur le net pour trouver une réponse ou une solution. Il faut dire que le serveur qui me situe au canada n’aide pas les choses je suppose.
20h30 : Je lâche l’affaire, il est temps d’aller dormir frustrée.
J 19
6h45 : Déjà réveillée. Un p’tit café et je me met à l’écriture pendant que la maison se réveille en douceur. Le vent d’hier combiné à la brusque remontée des températures à changé le paysage. La neige a fondu vitesse grand v et les alentours ressemblent d’avantage à une ferme dorénavant. Je recoupe du bois ce matin, mais cette fois en petites allumettes, celles qui bruleront rapidement. Le travail est un peu plus minutieux et un peu plus chiant. La position est inconfortable accroupie dehors, mes genoux me font mal, et mon dos aussi. Mes gants me gênent alors je travaille sans, mais hors de question de me plaindre, il faut le faire. Faisons-le.
11h : On tente une sortie des poules ce matin. J’espère de tout mon coeur qu’Oïkia ne fera pas de bêtises alors je veille au grain. Elle veut jouer, je la reprend à chaque fois qu’elle commence à courir après l’une d’elle. J’espère que dans quelques jours leurs présence lui seront indifférente.
J 20
10h : Ce matin j’apprends à tisser la laine. A l’aide d’une grande machine que j’actionne dans un mouvement de pédale avec mes pieds la laine s’enroule sur une bobine après être passée entre mes doigts. La difficulté du geste réside dans la coordination puisque mes deux mains font quelque chose de différent, ainsi que mes pieds.
11h : Après cet exercice méticuleux vient le deuxième : tricoter. J’ai appris il y a plusieurs années mais j’ai tout oublié depuis. Je préfère les explications visuelles aux explications en anglais. Les termes sont un peu techniques pour moi, même si j’essaye de noter les principaux. Les gestes me reviennent vite, peut être par souvenir, peut être par habilités de mes mains stimulées par mon travail, peut être un peu des deux. C’est assez satisfaisant.
15h15 : Ode, le « gentle giant » pour les intimes ne mange pas beaucoup depuis quelques jours. Un peu apathique, Carrie s’inquiète et a pris un rendez-vous chez le vétérinaire cet après midi. 340 $ plus tard nous ressortons sans grandes réponses à nos questions. 300$ de plus ont été évités pour un simple test sanguin « au cas où ».
19h30 : J’ai fais le plus beau gâteau de ma vie. En l’honneur des femmes (la journée de la lutte pour les droits de la femme en fait…) la petite famille à voulu faire un gâteau. Mon premier carotte-cake est plutôt réussi, à en voir leurs mines réjouies c’est même un succès.
J 21
8h30 : Nouveau défis pour moi : les abeilles. En venant dans une ferme de lavande je me doutais que je ne pourrais pas y couper. Ceux qui me connaissent savent quel exploit cet effort représente pour moi. Je n’ai pas peur de grand chose, je n’apprécie pas les insectes mais m’en accommode et ai côtoyé un certains nombre d’entre eux lors de mes périples en Guyane, Mayotte, et autres séjours vacanciers. Les serpents ne m’effraient pas plus que ça et je me suis déjà baignée avec des caïmans. Mais mettez moi à coté d’une abeille et la crise de panique est assurée. Je suffoque, panique, pleurs, supplie, une vraie mauviette. Les abeilles de Carrie sont à quelques centaines de mètres, les chiens de la maison sont du voyage mais je décide de ne pas prendre la louve, j’ai assez de moi à gérer.
8h35 : Quelle idée de ne pas me couvrir plus que ça, j’ai pris uniquement mes gants et mon manteau, maintenant je me les cailles.
8h45 : Elles sont toutes mortes… L’hiver elles restent collées les unes aux autres, au chaud dans leur ruche mais visiblement une erreur de parcours a terrassé toute la maisonnée. Je ne sais pas comment Carrie fait pour les toucher ainsi, sans gant. Même mortes, je me tiens à un bon mètre cinquante de distance. Elle semble très déçue et en colère contre elle même, je me fais oublier, ça fait un sacré nombre de mauvaises nouvelles ces derniers temps.
9h30 : Aujourd’hui c’est menuiserie : on s’occupe de certaines finitions de la maison, notamment les montants de portes et plaintes de la salle de bain. Je mesure, coupe (le bois, pas mes doigts), ajuste, porte, clou, visse, dévisse, et j’adore ça. Si seulement tout pouvait être aussi simple. Les plans de mon van sont un vrai casse tête, même si je suis sure que le résultat en vaudra la peine, je passe un nombre incalculable d’heure à mettre en place mon projet, j’avoue avoir un peu de mal à décrocher parfois.
19h : J'ai cuisiné une quiche lorraine pour ce soir. Rien de plus simple, pourtant ils sont ravis. Pourquoi s'embêter à faire de la grande cuisine ?
J 22
19h30 : S’il y a bien une chose universelle ce sont les Disney. Comme une vraie famille tout le monde s’installe dans un petit coin de salon, les uns contres les autres, chiens, chats, et humains pour retomber tous en enfance. John ris aux éclats, Emma connait les dialogues par coeur, et moi je me sens comme à la maison.
J 23
18h : Carrie chante ce soir. Le bar n’a pas l’air très fun, donc Emma et moi avons décidé de rester à la maison. Je découvre un peu plus ma colocataire, puisque les conversations sont forcément différents en présence d’une figure parentale. C’est drôle cette impression que j’ai parfois : un jour j’ai l’impression de faire des progrès, d’être plutôt à l’aise, et le lendemain la sensation de ne rien savoir faire comprendre ni exprimer. C’est tellement frustrant parfois.
20h : Un pot de glace, du beurre de cacahuète et un film de nana, y a que ça de vrai.
J 24
12h : Je crois que je fais des progrès. Carrie aussi progresse en français, et j’ai conscience que dans ce sens c’est beaucoup plus dur. La langue française est tellement complexe que je suis bien contente de ne pas avoir à l’apprendre.
20h30 : Je passe une journée de plus le nez dans mes plans. Quelques courses ce matin, quelques donuts engloutis, et le soir est déjà la. Le temps passe vite et je ne sais toujours pas ce que je ferais par la suite. J’ai contacté plusieurs personnes, épluché pas mal de site, me suite inscrite sur différentes plateformes. Je croise les doigts pour trouver une solution dans les prochains jours.
J 25
9h : Direction Toronto ! J’embrasse ma louve un petit pincement au coeur avant de partir pour la capitale.
11h : Toronto a construit la tour la plus haute du monde. Evidement ça n’a duré qu’une période, le temps qu’une pays plus vaniteux s’empresse de battre le record, mais je me trouve tout petite, en dessous de la CN (Canadian Nationale) Tower avant de continuer notre chemin vers l’Art Gallery of Ontario.
13h : Bon, l’art j’ai jamais été fan. Enfin l’art contemporain je veux dire. J’ai beau m’efforcer d’y accorder de l’intérêt c’est comme la politique, ça me passe au dessus de la tête et j’ai l’impression qu’on fait de longues phrases pour ne rien dire, et que tout est interprété comme si tout était calculé : « Constatez la profondeur du noir qui dépeint la clarté avec laquelle l’artiste voit la vie », « A travers ce long bout de bois nous pouvons admirer le long chemin parcouru par le sculpteur », « Nous sommes en guerre ». Oups non pardon je mélange tout. Chaque chose à sa place, et je ne remettrais jamais en cause l’importance de ces deux domaines dans notre vie d’aujourd’hui, mais c’est comme la discipline de l’échographie : ça ne m’intéresse pas vraiment.
14h30 : Restaurant de dumplings pour ce midi. Le meilleur du quartier apparemment, et ça justifie la salle bondée ainsi que la file d’attente. Il neige et la température doit avoisiner les -10°, heureusement on est pas obligés d’attendre dehors. La rapidité du service semble tenir à une chose étonnante : la table est dressée sur une dizaine de nappe en plastique qui se voient emballer l’intégralité de la table à la fin de chaque repas, pour pouvoir y installer le nouveau dressage. On emballe assiette, baguettes, verres et plat dans ce plastique et hop en voilà une propre. Curieux mais efficace comme façon de faire.
15h30 : Le Kensington quarter (à prononcer avec l’accent anglais - américain bien sur-) semble être plongé dans une boule à neige. De gros flocons tombent au ralenti sur la vie mouvementée d’un quartier actif, mélangeant origines et horizons. C’est magique.
J 26
9h : Carrie est à nouveau partie avec Ode (le gentle giant) chez le vétérinaire. En attendant je m’attèle à nettoyer la cage des poules. Je pellete (si, si ça s’écrit comme ça, j’ai vérifié), remplie plusieurs brouettes, creuse la neige, recouvre, bref, tout ça tiens chaud. Me voilà en véritable fermière, boots et débardeur au milieu d’un champ de neige du caca de poule plein les mains.
10h30 : Carrie n’est pas encore rentrée. J’en profite pour avancer le travail en nettoyant le Airb&b puis on commence à nettoyer l’abris des moutons une fois qu’elle est de retour. Thaïs la fermière est de retour aussi, une fourche à la main à piquer le foin. J’ai parfois l’impression d’incarner un personnage de « la petite maison dans la prairie » : faudra que je me fasse des tresses la prochaine fois.
12h30 : Une fois que mes mains sont couvertes de caca de poule ET de moutons on porte une bonne vingtaine de ballots de foins reçus dans la soirée d’hier. Ça doit bien faire 15 kilos ces machins là. En fin de mission je crois avoir de la paille jusqu’où je n’en ai jamais eu.
19h30 : Des bananes vont se perdre ? Pas de panique, Thaïs la malice est dans la place : un peu de rhum, beaucoup de beurre, et j’enflamme la cuisine pour des bananes flambées. Carrie s’extasie, et j’admire un grand sourire sur chacun des visages de la table.
20h : A force de discussions à propos de Mayotte je finis par montrer des photos à mes hôtes. Pour eux ce ne sont que des histoires, un pays lointain, l’autre bout du monde. Pour moi c’était ma vie, pendant une année et c’est trop beau pour être ignoré. Je récite mes aventures à Carrie dans un anglais approximatif, je raconte les paysages, mes patientes, et ces petits êtres que j’ai vu naître ou mourir entre mes mains. Je montre le mont Chungui et les copains, la digue et les dauphins. Elle s’émerveille comme si je parlais d’un rêve, de quelque chose qui lui paraîtrait si lointain qu’il a l’air de ne pas être réel.
J 27
7h30 : J’opte pour un réveil au pain perdu. Et comme il faut utiliser les oeufs qui commencent à s’amonceler je prépare une mousse au chocolat en plus. La recette la plus simple du monde : 6 oeufs, 60g de sucre, une tablette de chocolat, et le tour est joué.
9h : La mission d’aujourd’hui n’est autre que d’enduire de grandes découpes de bois. Je m’applique tout en rangeant ma deuxième main dès que je peux au fond de ma poche. La température est négative, et ma main droite commence à s’engourdir.
11h : Une fois chose fait j’aide à préparer l’arriver des prochains AirB&b : ils ont fait la demande de se servir de la baignoire qui trône devant le petit chalet. J’observe un peu curieuse la façon dont elle réalise ça puis donne un coup de pouce : un petit espace (très petit) permet d’installer juste de quoi démarrer un feu sous la baignoire. On commence aussi un deuxième foyer, quelques mètres plus loin, plus grand, dans la neige, et le spectacle est magnifique : un chalet de bois, 30 cm de neige qui recouvre tout d’une fine couverture, un grand feu et une baignoire fumante. Qui veut venir ?
20h : Je ne pensais pas qu’il était possible de faire autant plaisir avec une recette aussi simple. Visiblement la mousse au chocolat ne court pas les rues pas ici, toute la petite famille semble ravie.
J 28
14h : Un marteau dans la main, des clous dans la poche et une scie circulaire sous le bras, je retourne prendre des mesures pour achever les finitions de notre chantier. C’est satisfaisant tout ça, quand ça rentre au millimètre près, que c’est jolie et que c’est moi qui l’ai fait. Carrie me raconte ses rêves, sa vie, sa maternité, ses inquiétudes, et moi je comprends (presque) tout. Aujourd’hui j’ai l’impression d’avoir fait des progrès, demain peut être que je pressentirais le contraire, mais je crois que c’est normal.
20h : J’ai passé ma journée la tête dans les schémas électriques du van. Pas de doute c’est vraiment la partie la plus compliqué de ce qui m’attend. Panneaux solaires monocristallins, régulateur MPTT, convertisseur de tension, coupleur séparateur, prise P17, normes VASP, blocs fusibles, disjoncteur différentiel, section de câble, GEL ou AGM, ampères, watts et volts : c’est chinois pour vous ? Pour moi aussi ! À 19h je ferme mon ordinateur, j’ai la tête qui va exploser il est temps de faire une pause.
J 29
6h50 : Rêve étrange. J’ai dormi en pointillé et ai ouvert les yeux coupée en plein songe. Un ascenseur, que j’attendais, qui se fermait juste devant moi, qui montait, qui descendait sans s’arrêter, qui se retournait comme bon lui semble, qui servait les appartement 1 à 6 puis 12 à 28 et qui revenait pour aller vers le 44. Impossible d’accéder à mon but par les escaliers pourtant. Une alerte incendie, du feu sans l’ascenseur et pourtant je suis sûre de ma décision : je dois monter dedans. Oïkia est avec moi, elle s’échappe et passe entre les roues d’un camion. Quelqu’un se moque de moi quand j’hurle de frayeur, et pourtant elle va bien. Alors j’attends à nouveau cet ascenseur, cette fois je monte. L’ascenseur se rétrécit, je commence à paniquer, les paroies se rapprochent et j’étouffe juste à l’instant ou elles se stoppent, pile à ma largeur. Un inconnu me sourit, et me dit que c’est normal. Soulagée je tourne la tête un instant et réalise soudain : mais où est Oïkia ?
6h51 : Boum. Retour à la réalité. Je retrouve mes esprits en tenant ma louve contre moi, pas besoin d’analyse, je sais déjà ce que veut dire tout ça. Et ce n’est pas la première fois que je rêve de cet ascenseur capricieux.
21h30 : Aujourd’hui c’est la Saint Patrick. Cette commémoration est beaucoup plus importante de ce coté de la planète que chez les français alors pour continuer de vivre le rêve Canadien comme il se doit on se dirige vers divers pub de la grande ville la plus proche pour y boire de la bière verte.
22h30 : Léana, une ancienne Wwoofeuse de la Hut de Morganston revenue pour l’occasion n’a que 18 ans et visiblement ça pose problème. Au Québec (de la où elle vient) l’âge légal de la consommation d’alcool n’est pas le même qu’ici. Chaque province ayant ses propres lois, en Ontario elle ne peut pas rentrer dans un bar sans avoir 19 ans, carte d’identité à l’appui. Après plusieurs refus et un bar vide nous nous résolvons à admirer le spectacle dans la ville : un groupe de rock réchauffe la large rue en jouant sur une remorque.
J 31
15h : Bonne nouvelle ! Je sais où je dormirais dans 10 jours. Bryan, le fils de Carrie vit dans une grande maison de 6 et l’une des chambres était à pourvoir. J’ai sauté sur l’occasion pour le mois d’Avril en croisant les doigts : Bingo !
17h : Je m’arrache toujours les cheveux avec les schémas électriques du van. Voilà plusieurs jours que je m’y attèle et ne connaissant pas la puissance de l’alternateur du Crafter plusieurs détails devront attendre mon retour pour pouvoir être résolus.
17h30 : Aujourd’hui c’est l’anniversaire de John. Toute la famille proche vient pour l’occasion si bien que nous nous retrouvons rapidement 7 (Emma, Matthew et sa copine, Bryan, Carrie, John et moi) au comptoir de la cuisine. On m’offre de boire du mauvais vin (mais qui reste du bon vin ici) alors je tend mon verre pour j’apprécier.
20h : Ce soir je suis canadienne. Ces inconnus que je rencontraient il y a 3 semaines m’inclus dans leur famille comme l’une des leurs. Ils sont tellement bienveillants que je ne me sens pas de trop à un seul instant. J’offre les macarons que j’avais gardé pour l’occasion… Quelle déception ! Loin d’être un semblant de ces gâteaux légendaires français, ceux là s’apparentent à du plastique coloré sans aucun goût. Même les miens, pourtant difformes et d’une consistance douteuse, son meilleurs.
21h30 : Les familles se disputent dans toutes les langues, pour ne pas déroger à la règle Emma et Bryan se chamaillent sans cesse pour une histoire de gasoil je crois. Ce dernier dois bouder puisqu’il ne prend pas part au jeu de société familial qui suit le repas.
J 32
10h : Ce matin Carrie chante pour l’usine de production de sirop d’érable de la ville d’à coté. Bryan m’emmène et comme à son habitude il ne tient pas en place. Plutôt en opposition avec mon tempérament calme, ce genre de personne à tendance à me mettre un peu mal à l’aise. Il a pourtant l’air gentil même s’il semble difficile à canaliser. En bon canadien il mâche ses mots, et même s’il a l’air de faire des efforts je peine à saisir tout ce qu’il me dit. J’aurais bien le temps de trouver le décodeur pendant le mois d’avril.
10h30 : L’endroit est charmant. On boit un cidre chaud au milieu du cliché américain : la plupart des voitures garées dehors sont des pick-up, les gens portent presque tous des santiags (quelle idée de mettre des chaussures blanches Thaïs ?) et une forêt de hauts érables nous entourent. Carrie chante sur une scène au milieu de ce décor et les enfants, qui ne connaissent pas encore cette idée débile que les adultes appellent la pudeur, dansent.
11h : La fabrique de sirop d’érable organise cet événement tous les samedis pour faire fonctionner un peu plus leur commerce. Ils proposent l’accès au public aux divers procédés de production ainsi que les explications qui vont avec. Un petit retour dans le temps nous montre aussi comment était faite cette délicieuse bombe de sucre avant l’industrialisation : avec de grandes marmites, au dessus d’un feu de camp.
11h15 : La pile électrique veut déjà rentrer, il me dépose à la ferme Morganston et repart aussitôt.
J 33
10h : La journée commence par un nettoyage approfondi de la bergerie. Comme il n’y a presque plus de neige la brouette est remplacée par un mini tracteur avec sa petite benne. Je fourche le tout avant d’embarquer tout ça plus loin sur mon quatre roue de bergère.
11h : Tout plaquer pour partir tondre des moutons au Canada ? I did it ! Les quatre moutons sont « tondus » une fois par an, et comme la température remonte c’est le moment de s’y mettre. En réalité ici ils ne sont pas tondus à proprement parler puisqu’on emploie deux paires de ciseaux et 1h30 de patience par mouton. Le but étant de couper la laine au plus proche de la peau de notre bête maintenue à l’effort de nos corps, sans pincer celle-ci. Jake, le mâle, ne se laisse pas faire. Seulement attaché par le cou, il a tout le loisir de se débattre dès que nous baissons notre attention. Plusieurs orteils en moins, il a la gentillesse de ne pas me donner de coups de tête ni de me mordre c’est déjà ça. Par contre je m’occupe de l’arrière train et me fait baptiser à plusieurs reprises par son mécontentement. Bienvenue à la ferme !
14h30 : 2 moutons plus tard j’ai cru que c’était fini. Non, non, non. Il faut nettoyer la laine d’abord. Bon ok, mais je vais manger d’abord.
J 34
11h : Let’s go ! La température a brusquement rechutée et on a dû attendre qu’il fasse un peu plus chaud pour enlever ces gros manteaux à nos protégés. C’est reparti pour les deux derniers moutons. Même si la première, blanche comme la neige est plutôt docile ce n’est pas la cas de Coco, marron comme chocolat, qui est bien connue pour ne pas apprécier du tout cette étape obligatoire. Debout et penchées au dessus du mouton, il nous faut une certaine forme physique pour prendre des positions aussi improbables qu’inconfortables afin de tondre et de maintenir en même temps. La musique classique qui berce la bergerie jour et nuit nous accompagne, parfois Carrie chante, moi j’écoute en réalisant la chance que j’ai.
J 35
9h : Vous pensiez que le plus dur était passé ? Moi aussi ! Mais après cette première étape, la deuxième est encore plus longue et fastidieuse : il faut nettoyer la laine de tout ce qui a été accumulé au cours de l’année. Croyez moi la laine ça accroche tout. Il faut séparer les fils de laine au dessus d’une grille pour en faire tomber la majorité de son contenant de saleté. Après ce premier processus vient le premier lavage, à l’eau chaude et au savon, puis au rinçage, autant de fois que nécéssaire, à l’eau claire cette fois ci. Pour la suite on verra, honnêtement on en est encore très loin.
13h : L’heure de manger, l’heure d’arrêter. La laine de chaque mouton est traitée séparément et nous n’avons même pas terminé le premier. Les prochains jours risquent d’être longs. Patience et minutie sont au programme.
J 37
19h : J’ai beau essayer, la conversation est plus que difficile à tenir pour moi ce soir. Avec Emma en tête à tête au restaurant avant d’aller admirer Carrie sur scène le moment est un peu long. Certaines personnes savent vous mettre à l’aise tout de suite, je crois qu’Emma et moi on pourrait être copines si on parlait à peu près la même langue, mais les échanges sont particulièrement durs depuis le début de la soirée. Je ne trouve pas mes mots, les phrases se mélangent, les conjugaisons ne suivent pas, j’ai honte. Certains jours j’ai l’impression d’être une vrai calamité, de n’avoir rien appris, de perdre mon temps.
20h30 : Heureusement Carrie chante fort et la salle ne s’entend pas parler. L’ambiance est à son comble, les gens chantent, dansent, et notre chanteuse brille. Au premier rang on l’encourage joyeusement à la fin de chacune de ses prouesses, et la fin de la soirée touche vite à sa fin.
23h : Un peu découragée ce soir, j’ai parfois l’impression que mes progrès sont inexistants, c’est parfois tellement frustrant… Le lendemain tout revient comme si tout avait toujours été facile.
J 39
13h : De potentiels clients viennent discuter boulot avec John accompagnés de leurs deux magnifiques petites filles de 4 et 6 ans. Un peu timides au début, celles-ci se dévoilent très bavardes une fois que je réussi à gagner leurs confiances. Un petit cheveux sur la langue, la petite dernière se moque bien de mes phrases mal organisées. La candeur et l’impartialité qui en résulte, réservée aux enfants est parfois si précieuse. Oïkia est un ange et redouble de douceur avec chacune d’entre elles, j’apprécie particulièrement sa capacité à adapter son comportement à la vulnérabilité de la personne qui se trouve en face d’elle. Parfois je pense qu’on aurait beaucoup à apprendre de nos enfants et de nos amis les bêtes.
J 43
9h : J’ai passé les derniers jours les doigts dans le caca de mouton. Plusieurs heures d’affilées à nettoyer minutieusement la laine de ses plus grosses particules. Les plus fines tomberont lors de la première étape de nettoyage, et les dernières seront éliminées lors de la dernière, avant le tissage, qui consiste à séparer chaque poil avec deux grandes brosses spéciales à tiges fines.
9h30 : Les laines de seulement deux moutons sur quatre ont été triées mais Carrie souhaite changer de programme pour la journée : cette fois nous planterons de la lavande. Après un mois passé au frigo les minuscules graines sont prêtes à être mises en terre. Elles sont si petite que j’ai du mal à les voir, et pour les saisir n’en parlons pas. J’opte pour une pince à épiler et m’attèle à la tâche pour planter ces 216 futurs plans de lavande.
J 44
8h30 : Matin de départ. Mes affaires sont prêtes, la pâte à crêpes aussi. J’ai promis à Carrie de lui apprendre à en faire avant de partir. Je lui ai laissé la recette et j’aime beaucoup l’idée qu’un petit bout de moi restera avec eux, par ce que c’est sûr, je n’oublierais jamais cette famille. Carrie est sans aucun doute la personne la plus emphatique et gentille que j’ai jamais rencontrée.
9h : D’une main je commence les crêpes, de l’autre le pain perdu. J’enseigne à mon apprenti qui est tout ouïe et qui pour être honnête ne se débrouille pas trop mal pour une première. La poêle une une catastrophe, impossible de les faire sauter c’est dommage.
9h30 : Petit déjeuner engloutis et avec une demi heure de retard sur le planning nous prenons la route tous ensemble pour rejoindre ma prochaine étape : Toronto. J’avais réservé un poparise pour la trajet en covoiturage mais Carrie a insisté pour m’emmener et toute la famille s’est finalement décidée à venir. Hier soir Bryan, avec qui je vais vivre le prochain mois, nous a appris qu’il avait contracté le Covid, ça m’arrange bien de l’avoir déjà eu en plus de mes 3 doses de vaccins, grâce à ça mes plans ne s’en trouvent pas changés et je pourrais lui rendre service le temps qu’il se remette.
12h : Mes affaires et la louves sont déposés rapidement dans ma chambre, nous on va manger au St Laurent Market, un grand marché couvert de la ville.
12h15 : Des étales en tous genres s’étendent de couleurs devant moi. Fromages, poissons, viandes, fruits et légumes se vendent au milieu d’attrapes touriste et bars à jus. Je reviendrais c’est sur ! Rien que pour le fromage. Concernant la viande un petit changement d’opinion personnel va certainement modifier mes prochaines courses alimentaires. Je fermais les yeux depuis quelques temps sur un sujet qui me tiens pourtant à coeur mais que j’estimais trop compliqué à combiner avec ma vie de saltimbanque : après un mois passé dans une famille quasi végétarienne je me suis décidée à ouvrir les yeux et me renseigner sur le sujet. J’encourage tout un chacun à visionner le documentaire « earthling » qui existe en français et je mets au défis chacune de ces personnes de le regarder jusqu’au bout sans verser une larme ou remettre sérieusement en question l’humanité et son régime. M’être renseignée m’a aussi permis de faire les points sur ce que je voulais et ne voulais pas : entendez moi bien, je n’ai pas décidé d’arrêter de manger de la viande, je choisis juste d’arrêter d’encourager l’élevage de masse et ses atrocités. Trop engagée pour vous ? J’entends, mais allez voir si c’est ce que vous pensez ! Je choisi simplement d’essayer pendant quelque temps de ne plus acheter de viande lors de mes courses ménagères, bien que je ne serais pas contre manger de la viande élevée, traitée et tuée dans de bonnes conditions. Je n’ai pas la prétention de vouloir changer de régime alimentaire du jour au lendemain, et même si cette réflexion ne date pas d’hier je préfère opérer avec de petits changements au fur et à mesure.
13h30 : Petit virée dans le quartier de Kensington qui a toujours autant de charme sous la neige. Emma profite d’un retour à la ville pour faire les boutiques et je lui emboite le pas en tant qu’assistance personnelle d’achats. Second changement que je constate : j’ai pris la décision sans réellement m’en rendre compte, d’arrêter d’acheter des vêtements neufs et de me tourner à présent vers la seconde main. Prenons une minute pour y réfléchir : chaque année un nombre incalculable de tonnes de vêtements sont jetés, brulés, parfois invendus et détruits engendrant un impact non négligeable sur notre environnement. Si ce seul argument ne suffit pas à vous faire sourciller, prenez le second qui me tiens encore plus à coeur : l’exploitation de tout être vivant pour ses matières premières ou ses compétences de couturier. Honnêtement même si mes vêtements me lassent, pourquoi ne pas échanger avec des vêtements déjà existants plutôt que d’en créer de nouveau ? En plus mes vêtements pourront toujours servir aux associations qui reversent tout mes biens aux personnes qui en ont réellement besoin.
15h : C’était la minute engagée, revenons à nos moutons. Après une balade dans les environs pour explorer les rues adjacentes j’enfourche mon sac à dos et par en quête de denrées alimentaires. La ville est belle, les rues sont larges, les maisons sont charmantes, je crois que je vais aimer vivre ici.
16h : 157$ et un sac de course plus tard j’emprunte le chemin retour. En vrai petite française j’ai craqué pour du fromage à 8$ et une baguette de pain (3$50 !) qui se promène fièrement accrochée sur le coté de mon sac.
17h : Les garçons s’activent depuis mon arrivée pour ranger la maison c’est mignon. Et quelle maison ! On m’avait annoncé 6 garçons en plus de moi. Finalement ils sont 8 et moi qui débarque avec ma grosse valise et mon chien. En entrant je suis amusée de constater qu’on dirait la maison des Weasley : portée sur 4 étages la cuisine semble être la seule pièce à partager, les couloirs sont tout en long et encombrés de vélo, chaque étage à sa salle de bain, et une petite cours à l’arrière permettra à Oïkia de sortir se dégourdir les pattes facilement.
18h : J’ai rencontré un peu plus de la moitié de cette maison surpeuplée, j’ai oublié la moitié des prénoms mais chacun semble craquer sur mon atout fatal : ma meilleure amie. Si elle a plein de tontons bienveillants alors c’est parfait ! Ça plus une cuisine, et je suis comblée.
19h : J’ai honte de manger une soupe. « La fille » qui débarque et mange des trucs sains au milieu des cadavres de canettes de bières, ça dénote. Mais bon merde après tout non ?
22h : Déjà ko, je m’endors.
23h30 : Musique à fond, je m’en doutais. C’était le prix à payer pour venir ici. Pour être honnête la musique est bonne et si j’étais pas à moitié endormie je les aurais rejoins volontiers. J’ose pas trop non plus, débarquer au milieu de la pièce comme un cheveux sur la soupe, à moitié endormie et comprendre la moitié de ce qu’on me dit.
J45
8h : Debout ! Ce matin je prépare une armée de pancakes pour la maison endormie et passe le reste de la matinée à taper sur mon clavier.
8h30 : Jimmy, l’un des mes deux voisins de palier, est québécois. Je crois que je comprends plus quand il parle anglais que quand il s’essaye à parler français avec un accent canadien à couper au couteau. Il est souriant et discute un petit peu avec moi dans la cuisine avant de me dire « quel boucan t’as fais ce matin ! » Gênée je m’excuse, j’ai pourtant fait attention, et je trouve ça un peu sévère quand on sait le niveau sonore avec lequel résonnait la musique dans la maison jusque tard dans la nuit. Quelque chose cloche entre ce qu’il vient de me dire et le sourire qu’il affiche : après quelques minutes embarrassées je fini par comprendre : j’ai « emboucané » la maison avec l’odeur des pancakes. Ce n’est donc pas un reproche mais un compliment qu’il a cherché à me faire. On en rit tout les deux, ça a l’air d’être un sacré personnage. Un féru de musique, qui semble tout faire à l’arrache, avec sa moustache et son corps qui donne l’impression d’être désarticulé. L’archétype du musicien un peu trop accro à sa dose de cannabis quotidienne qui se laisse guider par la vie. Il n’en a pas l’air pour le moins attachant.
9h : Mon nouvel ami s’adresse soudainement à moi en baissant la voie, je m’approche pour entendre ce qu’il ne veut pas que le reste de la maison entende : il souhaite que je sois pas surprise : l’un des occupants de la maison consomme des choses pour le moins illégales. J’apprécie l’intention, même si je ne cherche pas à en savoir plus.
17h : Il est temps d’aller prendre l’air. Oïkia enfile son harnais, je saute dans mes baskets et nous voilà parties explorer les environs au pas de course. Si elle tire sur la laisse de canicross au début, c’est plutôt l’inverse après une petite vingtaine de minute. Comme elle me ressemble en tout point elle n’a jamais été bonne en course à pattes, et passés les premiers émois de liberté elle se lasse vite de cette activité physique qui pourrait pourtant lui faire du bien. Passer de la vie de campagne à une maison de ville ne doit pas être très drôle pour elle, il va falloir que m’applique à jouer avec elle régulièrement.
19h30 : Le propriétaire se manifeste soudainement pour avoir son loyer et ne semble pas disposé à attendre les quelques jours de latence nécessaires à ma banque française pour faire les versements sur un compte étranger. Bryan me sauve et paye à ma place en échange de liquide qu’il m’emmène retirer. Je sens qu’il culpabilise d’être malade et qu’il s’inquiète que je ne rencontre personne avec qui échanger. Je le rassure : j’ai plusieurs rendez-vous pour faire du volontariat et les choses arriveront bien assez vites.
20h : Cloué au lit et cantonné aux quatre murs de sa chambre depuis plusieurs jours il profite de l’aubaine pour me faire visiter les environs en voiture.
J 46
8h30 : Ce matin j’opte pour des cookies. Une petite balade dans la ruelle de derrière fini de m’ouvrir les yeux à la fraîcheur matinale, ensuite je profite du paisible de la maison pour remplir l’air silencieux d’odeurs chocolatées. J’aime ces moments où le moins bruit risque de briser la quiétude du moment.
13h : J’ai encore passé la matinée sur mon clavier mais j’ai des projets pour cet après-midi. Une promenade pour la louve, quelques courses pour moi : je suis surprise de constater que même le dimanche, tout semble ouvert.
13h30 : Bon, je savais que j’étais dans un quartier défavorisé mais comment réagir quand un périmètre de sécurité vous empêche de sortir par la porte de devant ? J’aurais vécu le rêve américain jusqu’aux banderoles jaunes et noires et aux voitures de polices qui bouclent le périmètre de mon quartier. Qu’est ce qui s’est passé cette nuit ? J’ai bien entendu frappé à la porte hier soir, n’attendant personne je n’ai pas été répondre malgré l’insistance des plusieurs coups de sonnettes et tambourinage à la porte : qu’est ce que j’aurais pu répondre ? Je ne connais presque personne dans la maison et aurait forcément eu beaucoup de mal à l’exprimer. J’espère qu’il n’est rien arrivé à cette personne et que ça n’a rien à voir. Au moins je fais rire mes amis avec mes aventures « Thaïs dans la crackhouse » selon leurs dires. Ne vous inquiétez pas, la maison est fermée, je ne sors que la journée, et me tiens bien loin de tout ça.
15h : J’ai convenu un appel avec mon ancienne cadre de Guyane qui doit me faire un lettre de recommandation pour Médecins Sans Frontières afin de discuter de plusieurs points. Toujours aussi gentille, elle me pose différentes questions, qui me seront bientôt posées si on m’accorde un entretien d’embauche. Elle souligne les points que je dois travailler pour tenter d’être le plus à l’aise possible en mission. Quand la fin de l’appel est marqué je trépigne d’impatience : je touche presque à mon but. Je n’ai plus qu’à attendre sa lettre et je pourrais enfin postuler. Au milieu d’autres informations j’apprends que 50% des personnes qui partent pour une première mission ne repartiront jamais pour une deuxième. Trop marqués, trop abîmés, trop perturbés. Je sais bien que c’est une possibilité, et je l’accepte. Je n’aurais aucun regrets, j’aurais tout fait pour arriver à mon but, et je n’aurais aucun pincement au coeur dans quelques années en me disant « j’aurais voulu ». J’aurais au moins essayé.
16h30 : La louve s’est bien dégourdie les pattes, j’avais prévu quelque chose d’un peu plus grand que la boutique du coin de la rue mais je préfère réserver ce programme pour demain. A la place je me dirige vers l’enseigne appelée « Dolarama » qui vend de tout et de rien à quelques dollars. J’en profite pour acheter de quoi améliorer l’ambiance de junkie que revêtit si bien ma chambre et reviens les bras chargés de quoi me faire un petit nid pour trois fois rien. Même pour une durée limitée j’ai pu constater l’importance d’une bulle confortable et personnelle quand on se trouve loin de chez soit.
J 47
8h30 : Will que je croise pour la deuxième fois sur le pas de ma chambre à l’air aimable comme une porte de prison. Un « morning » marmonné plus tard je me demande si j’ai fais quelque chose qui lui a déplu. Sa chambre est collée à la mienne et même si ce garçon a l’air très charmant au premier regard, il a du en oublier d’apprendre à sourire. Revenue dans la cuisine après quelques pas dans la rue, il me propose un café que j’accepte, peut être que je me suis trompée ? J’acquiesce et lui indique que je reviens dans quelques secondes. Mon café est déposé sur la table, lui, en a deux autres dans les mains et remonte dans sa chambre dès mon arrivée dans la cuisine. Bon j’ai compris, il n’est pas seul, le message est plutôt clair ! Loins de moi l’idée de le charmer vous me connaissez, non ?
10h : Missions explorations aujourd’hui. J’ai porté mon dévolu sur le grand Riverdale Park à une petite demi heure de marche. J’en profite pour découvrir les autres espaces verts sur mon chemin pour repérer ceux dans lesquels Oïkia pourrait se défouler un peu sans laisse.
12h : Une demi douzaine d’arrières trains reniflés, au moins autant de maîtres rencontrés, une dizaine d’écureuils coursés, une belle chute sur les fesses pour moi, et une sacré balade pour Oïkia plus tard, je rentre aussi fatiguée qu’elle.
14h : C’est reparti pour un tour ! En solitaire cette fois. Ce matin j’ai repéré une piscine dans laquelle je compte bien aller un de ces 4 et je me suis repérée dans la ville comme j’ai pu. Cette-fois je me dirige vers l’opposé, à l’Eaton Center, l’un des plus grands centres commerciaux de cette grande mégalopole. J’y achète du thé et m’excuse après avoir fait répéter la vendeuse : elle me rassure tout de suite « votre anglais n’est pas mauvais, j’ai tout compris de ce que vous m’avez dit ». Boutique suivante, je demande si la librairie contient une section française (le tout en anglais évidement). A ça la nouvelle vendeuse me questionne « des livres écrits en français, ou des livres qui parlent de la France ? » Avant que j’ai pu ouvrir la bouche pour répondre, celle-ci enchaine en m’affublant d’un dédaigneux « Vu votre accent, je connais déjà la réponse ». Bitch. Si j’avais eu de la répartie et un meilleur niveau je lui aurait mis sous le nez qu’elle ne se débrouillerait peut être pas aussi bien dans ma langue. Quatre livres se battent en duels, je n’achèterais rien ici. J’ai pourtant terminé les cinq livres qui chargeaient déraisonnablement ma valise, j’irais à la bibliothèque demain, pour une autre aventure.
J 48
7h30 : Une petite truffe humide cherche des câlins. Je sens une grosse boule de poil se blottir contre moi et me tirer de mes rêves. J’occuperais ma matinée à faire de la cuisine ; la maison est endormie, et semble le rester jusqu’à 11h. Je sauve mon pain rassis avec du pain perdue et mes épinards avec une tarte chèvre-miel. Tout est fait maison, et quand on a pas de rouleau à pâtisserie on a toujours un verre sous la main pas vrai ? Que seraient mes aventures sans système D ?
11h : Will semble toujours aussi aimable, je sens qu’on va s’amuser tous les deux ! J’ai passé la matinée dans la cuisine et n’ai croisé personne hormis une apparition furtive de quelques secondes. Jimmy est revenu de Montréal visiblement, et visiblement ce n’est pas ici que je pratiquerais mon anglais puisque chacun semble cantonné à sa chambre et sa propre vie, dans une maison abritant tant de monde finalement personne ne vis avec personne. Il va falloir aller chercher ailleurs ! Ça tombe bien j’ai rendez-vous demain pour le bénévolat et accompagnée ou pas je compte bien visiter la ville.
13h : Quelques courses au St Laurent Market, puis je me dirige vers la bibliothèque du quartier : ici pas de livre français non plus, la personne de l’accueil m’oriente vers une autre bibliothèque, un peu plus loin.
14h30 : Repassée à la maison pour une pause repas je repars aussi vite en quête de lecture. Le troisième essai est un échec : je vais devoir me diriger vers la bibliothèque centrale de la ville. Ça fait une petite trotte à pied, mais je suis bien avec moi même. Je marche, j’écoute, je découvre, et j’admire cette ville qui grouille de vie. J’ai l’impression d’être un rat de Paris en Amérique et ça m’amuse, j’observe, me perds volontairement, me laisse guider, entre, ressort, tourne, contourne, ce n’est pas ça la meilleure façon de découvrir ? Je réfléchit aussi, ça tourne à plein régime là dedans. Qu’est ce que tu veux ? Quand ? Pourquoi ? Comment ? Quels sont tes moyens ? Donne toi les moyens ! Tu vas pas y arriver. Tu vas y arriver. Tu rates. Oui, et alors ? Et je marche, et je pense, et je vis, et j’avance.
17h : Aussi grande était-elle, la bibliothèque n’était pas très riche dans sa section française. Que de vieux classiques, et même si je n’ai rien contre Baudelaire et ses fleurs du mal ou Victor Hugo et ses Misérables j’avoue que je pencherais bien pour quelque chose de plus léger.
18h : J’ai crapahuté toute la journée, je suis épuisée. Encore un tour pour Oïkia et mon lit me tend déjà les bras.
J 49
9h10 : J’ai 20 minutes d’avance. Le lieu de rendez-vous se trouvait à une bonne demi heure de marche de la maison dans un quartier que je n’avais pas encore exploré. Arrivée vers destination je vérifie 2 fois sur mon téléphone : est ce que je suis au bon endroit ? 155 Broadview Av. C’est bien ça mais ça sens bizarre : au sens propre, une quantité d’encens embaument jusque sur le trottoir, j’en ai les narines agressées de bon matin. Je me retrouve les bras ballants devant une large porte, de ce qui semble être une église et tout à coup je ne sais plus quoi dire : je viens voir qui déjà ? J’ai oublié son nom. « Je suis Thaïs », oui Thaïs bien, mais tout le monde s’en fou de ça, personne te connait ça sert à rien. Articule… Articule ! Volunteering faut dire que c’est pas le mot le plus facile qu’on ai utilisé hein. Finalement, parmi les personnes qui me regarde un peu bizarrement, l’une d’elles se réveille brusquement : Sister Paul, oui, c’est ça ! Sister je-sais-plus mais c’était une sister ! Comment j’ai pu ne pas penser à une organisation religieuse avec un indice aussi criant ?
9h20 : On me propose un siège, parmi ceux disposés en cercle, en attendant le « tea time », c’est un secte ou quoi ? Un drôle de monsieur vient soudain s’assoir à coté de moi l’air maladroit dans son corps mais profondément gentil dans les yeux. Il n’est pas très grand et se perd dans une veste de deux fois sa taille. Il a plus de sa barbe fouillis que de cheveux au milieu du crâne, et s’adresse à moi avec une direction déconcertante. Je répond et m’intéresse à mon tour, assez mal à l’aise d’être ainsi questionnée par un inconnu qui se tient si près. Peut être une de ces pauvres personnes pour qui l’on cuisine ? Par ce qu’avant de prendre le thé, c’est quand même la raison de ma présence ici : faire du volontariat pour aider à préparer des repas dans le but de les mettre à dispositions de personnes dans le besoin.
9h45 : Finalement le monsieur de tout à l’heure n’est autre que « frère Louis », en plein dans le mille Thaïs. Une fois les présentations faites tout le monde se voit assigner une tâche. Certains à la peinture, d’autres au nettoyage, pendant que quelques personnes s’occupent des légumes pour la soupe. Moi, je suis assignée en cuisine qui baragouine déjà espagnole : je rejoins une équipe de trois, composée elle même de deux espagnols et d’une mexicaine. Je suis de corvée poivrons et ça m’occupe un bon moment. Une cagette de lamelles plus tard, chacun s’active à sa tâche. On mélange, on goute, on fait cuire, on me demande d’improviser une sauce alors j’improvise : tomates pelées, lauriers, un peu de miel, une pointe d’ail et c’est repartis. La matinée est déjà passée, chacun est convié à manger une soupe, bénévole ou non. Avant ça on rompt le pain, et après on fait la prière. Quand je dis « on », le « je » n’en fait pas partie. N’ayant aucune connaissance religieuse je m’informe respectueusement mais ne tiens pas spécialement à participer, j’aurais une légère impression d’hypocrisie. Bien que je n’ai aucun problème et un profond respect pour toutes religions, je me trouve souvent aux opposés dans bien des domaines. Mon attrait pour les femmes est un premier point à soulever, et s’il y a bien une chose que je n’aime pas faire c’est avoir à cacher des choses. Deuxième point essentiel : mon gout pour la sciences. Beaucoup trop cartésienne pour tout remettre aux mains d’une puissance supérieure me semble difficile (ou trop facile peut être?), bien que salvateur dans bien des situations. J’ai pu en constater les bienfaits face à l’affrontement d’épreuves difficile comme le deuil, ou la maladie : bien plus aisément acceptés dans le cadre d’une foi religieuse ou spirituelle. J’avoue que ma sexualité ouverte et sans tabou complète un peu plus mon tableau athéiste.
13h : Au court de cette journée je rencontre une québécoise, qui repart déjà cette semaine, et d’Anna, la mexicaine en cuisine avec moi, que je reverrais mercredi prochain. Elle a 29 ans et est arrivée au canada en 2018. Son fort accent espagnol mélangé à son américain ne m’aide pas beaucoup mais elle semble être passée par les mêmes étapes que moi.
17h45 : Le reste de la journée a été long, mais je tenais à rester jusqu’au bout pour voir l’organisation générale. Après la soupe, encore une prière, puis quelques activités artistiques, et encore un prière. Le repas du « soir » approche mais je décline : j’ai tout ce qu’il faut à la maison, contrairement aux personnes qui viennent chercher réconfort ici je ne suis pas dans le besoin et j’aurais l’impression de manger leur repas. On voit tout type de profil ici : jeunes, moins jeunes, pauvres ou aisés, handicaps légers, lourds, canadiens ou pas, femmes, hommes, religieux, non religieux. Tout semble se mélanger dans un brouhaha de respect et de partage.
18h15 : Je rêverais de me mettre directement au lit mais Oïkia ne doit pas être de cet avis. Je l’emmène se promener pour me faire pardonner de cette absence prolongée. Je joue avec elle, et la laisse se défouler avec d’autres congénères.
J 51
12h : Aujourd’hui nous allons rencontrer « la maison des 11 », un contact que j’ai obtenu grâce au site de Work Away, qui permet de mettre en relation des particuliers qui souhaitent un échange de bon procédés. Un peu comme le Wwoof que j’ai fais le mois dernier, mais pas seulement à la ferme. Oïkia et moi sommes invitées à manger et la maison se trouve à 1h15 de marche à pied. De quoi bien dégourdir les pattes de la louve. J’ai encore deux trois tours dans ma manche concernant Toronto et ma pratique linguistique mais je croise vraiment les doigts pour que ça puisse coller. Même si la maison des garçons n’a rien de repoussante c’est un peu frustrant de ne pas connaitre mes colocataires et de ne pas discuter avec eux. Le seul qui se montre un peu plus loquace c’est Jimmy, qui, manque de bol, est le seul qui parle français (ou à peu près).
13h15 : Je suis venue avec un peu d’avance pour donner un coup de pouce à la préparation du repas. A mon arrivée je rencontre Stephen avec qui j’ai discuté via le site. Il est visiblement le maître des lieux et semble avoir le double de l’âge des habitants de la maison qui n’abrite pas moins de 11 personnes. Je m’attendais à quelque chose de bordélique, au moins désordonné si ce n’est un peu sale. C’est souvent le prix à payer pour la vie en communauté, mais ici visiblement c’est loin d’être le cas. Une grande pièce à vivre accueil les visiteurs directement au sein du foyer. Une cuisine américaine promet de grands repas conviviaux et justement je rencontre une première personne qui semble avoir été désignée pour le repas d’aujourd’hui. On fait les présentation, puis Stephen me présente une deuxième personne, Maëlle, française cette fois-ci. Venue au canada pour un PVT de 2 ans, elle a eu la chance d’avoir été tirée au sort et d’avoir obtenu un visa de travail, elle.
13h45 : Dans cette maison, tout semble être prévu et organisé : un texto pour sonner le gong et nous sommes tout à coup une bonne dizaine dans la pièce pour partager un repas sur une table à rallonge. Chacun vient d’un horizon différent, tous parle anglais, et mise à part une ou deux exceptions, la moyenne d’âge est d’environ 25-30 ans. Tous différents, un point commun : le végétarisme. Et pour les novices chaque végétarien créé ses propres règles, je vous raconte pas la galère pour contenter tout le monde. Certains sont véganes, d’autres sont végétaliens, lacto-ovo-végétarien ou encore pescétarien. La seule chose qui les accorde de ce point de vu là c’est de ne pas manger de viande, je serais curieuse de discuter avec chacun pour connaître leurs motivations. Une fois de plus je suis surprise d’apprécier la facilité avec laquelle je me retrouve intégrée au groupe sans même les connaître à peine. Une grande famille semble s’être créée ici, chacun vacant joyeusement à ses occupations et interagissant avec les autres quand il juge le moment opportun. Je crois comprendre que Stephen accueille des personnes dans son foyer depuis une vingtaine d’année maintenant. Bien que tout le monde semble emballé à l’idée que je puisse venir remplir un peu plus la maisonnée, la place manque pour l’instant. J’accepte une visite néanmoins pour comprendre comment tout ce petit monde peu vivre dans une seule maison. A partir de cette grande pièce, le noyau du foyer, un escalier monte, un autre descend, et dans chaque recoins une chambre semble avoir été accueillie là, entre deux murs et deux étages. En comptant les roof-top je crois compter 3 étages plus le sous-sol et le rez-de-chaussée. A la fin de la visite, Soula est restée et me propose de me joindre à eux demain soir pour « la danse » pour le départ de Maëlle, qui approche. J’accepte enthousiaste, même s’il n’y a pas de place dans cette grande maison, je serais ravie de passer un peu de temps en leur compagnie. J’avoue aussi que malgré la bienveillance affichée par tout le monde ici, j’aurais peur de devoir marcher sur des oeufs en permanence si j’investissait les lieux : un torchon pour la vaisselle, un pour les mains, « non, ça c’est la lingette pour les plaques, avec ce produit, pas un autre ». Tout ce qui permet de vivre dans une si bonne harmonie impose forcément une quantité de règles effrayante, et même si l’expérience aurait été interessante, peut être que ça aurait été difficile aussi.
18h30 : Voilà une semaine que je suis là et les choses n’ont pas franchement avancées. Le bénévolat me prendra moins de temps que prévu, la deuxième association ne m’a plus répondu, la maison des 11 n’est pas disponible, et je ne parle pas plus avec mes colocataires qu’avec le peu de connaissance que j’ai ici, je suis curieuse de voir comment les choses vont évoluer maintenant.
J 52
9h : Quelques rapides courses matinales et je passe une bonne partie de ma journée aux fourneaux : cookies en tous genres pour ce soir, tarte au pomme pour l’anniversaire de Ben, et ratatouille géante. Juste de quoi parfumer la maison sur ses quatre étages.
16h15 : Je ne sais pas vraiment à quoi m’attendre pour ce soir. Ils ont parlé de danse, et ceux qui me connaissent savent que je ne suis pas championne toute catégorie dans cette discipline. Est ce qu’ils voulaient dire « soirée » ? J’en suis pas franchement sure. J’ai aussi été conviée à rester dormir, mais je pense changer mes plans et finir la soirée dans mon lit, au cas où une deuxième soirée se profilerais dans ma coloc actuelle, puis bon, on est jamais mieux que dans son lit.
18h15 : J’ai un peu de retard sur mon heure de rendez-vous mais finalement j’attends. J’ai marché vite, et un peu trop visiblement par ce que mes chaussettes sont tachées de sang sans que je ne m’en soit rendue compte. J’ai comptabilisé 4h30 de marche depuis hier, alors forcément ça commence à faire beaucoup si je mets les mauvaises chaussures.
19h : Finalement, comme je m’en doutais un peu, c’est quelque chose pour le moins non conventionnel qui m’attend ce soir. Je suppose que ça s’apparente à une forme de méditation : une heure de danse, sans parler, en commençant par une position de base en yoga, à plat dos sur les sol, yeux fermés, et membres relâchés.
20h30 : Alors, je confirme c’est pas mon truc. Mais je dois admettre que l’expérience était interessante. Je ne me serais jamais crue capable d’une telle chose, danser devant des inconnus, dans des gestes totalement dépourvus de bon sens, et ce, sans consommation de quelques sorte qu’elle soit. S’en suit une séance d’échange, en tailleur, en cercle, sur nos ressentis. Un peu trop « nos problemos » (pour ceux qui n’ont pas la référence, allez voir la bande annonce sur internet vous comprendrez) pour moi, mais pas moins interessant je dois le dire.
23h : Le temps est passé sans qu’on s’en soit rendus compte. Dans leur bienveillance, ils s’obstinent un peu trop pour m’indiquer coute que coute le chemin du retour. J’ai beau insister, j’ai l’habitude quand même… pas moyen de me retrouver hors de la maison avant d’avoir mon itinéraire.
J 53
18h30 : Ce soir j’ai un rendez-vous. Par pure curiosité linguistique bien sûr ! Comme lieu de rencontre j’ai proposé le sommet de la tour la plus haute du monde (jusqu’en 2009). La CN Tower ne fait pas moins de 553 mètres de hauteur, son premier étage, accessible après une bonne quarantaine de dollars déboursés, se situe à 356 mètres du sol et donne une vue panoramique sur la ville. Ajoutez à ça un coucher de soleil et vous aurez un endroit idéal pour un premier date. Un peu inquiète à l’idée de devoir tenir une conversation toute la soirée sans discontinué, et sans porte de sortie, je suis rassurée de faire la rencontre d’un canadien réellement charmant. Il travaille dans un Startup de Google et a fait ses études dans une école française (de Toronto). Il a donc parlé français il y a de ça une bonne dizaine d’année (34 ans, puisque vous voulez tout savoir), pratique en cas d’oubli de vocabulaire. J’aurais pensé qu’il souhaiterait pratiquer un peu son français, mais il m’avoue être gêné de son piètre niveau par rapport au mien, en anglais. Il essaye de me charmer, maintenant c’est sûr ! On passe la soirée à parler de tout, de rien, à marcher, à contempler la ville qui s’endort, puis on opte pour un dernier verre (dans un bar… Vous m’avez prise pour qui ?). La conversation se fait toute seule, et en plus d’être vraiment intéressant il est très mignon. Charmant, et gentil : toujours au moment de partir qu’on croise ce genre de spécimen.
23h30 : La soirée est passée à une vitesse folle. Je rentre chez moi le sourire au lèvre, comme une ado. Ça fait plusieurs mois que j’ai décidé d’être seule, je n’ai regretté mon choix à aucun moment, mais un peu de charme n’a jamais fait de mal.
J 54
9h30 : Cette fois nous ne sommes que deux en cuisine pour ma matinée bénévolat (contre 4 la dernière fois). Je ne sais pas si ça tient à mes origines ou pas mais ma place semble être dédiée à la cuisine et ça me va bien. Les autres peignent, épluchent, ou réalisent des activités artistiques, moi je suis là pour mettre la main à la pâte. On s’active sans vraiment avoir besoin de se parler, les choses avancent bien. Je prend d’office la place du commis de cuisine et on se débrouille pour communiquer sur l’essentiel.
13h : La fin de la matinée arrive vite, la soupe est mangée tous ensemble avant de souhaiter son anniversaire à l’une des habituées. Petit cadeau, bougies, gâteau, tout est fait comme si nous étions en famille. C’est amusant quand on jette un coup d’œil circulaire et qu’on peut constater toutes les différences présentes : jeunes, vieux, valides, non valides, handicapés ou pas, riche, pauvre, blanc, noir, vert, bleu, jaune, vert. Bref, ce que j’ai pu constater c’est que l’humain trouve toujours un point de rassemblement. Une raison pour partager, et même si par nature on est tous un peu égoïste, en réfléchissant un peu, on a tous besoin des autres.
J 55
14h : C’est le moment idéal pour aller faire les boutiques. Je me suis donné pour mission de trouver une chemise canadienne (vous savez, typique, rouge, à carreaux) à ma petite maman. Pour ça Rebecca m’accompagne et nous marchons une bonne heure avant d’arriver au quartier du Kensington Market. Un grand ciel bleu avec des températures douces pourraient nous faire penser au printemps français. Rebecca a 30 ans, fini bientôt ses études de masseuse et à l’air pour le moins… Complètement paumée. C’est difficile de trouver les mots et les arguments en anglais mais j’essaye quand même. Après tout le plus important dans tout ça c’est pas de chercher ce qui nous rend heureux ? C’est facile de l’oublier, mais c’est pourtant le but du jeu je crois. Être en accord avec ses principes, rendre heureux et être heureux. Si votre bonheur passe par 80h de travail hebdomadaire soit, ou peut être qu’il résidera dans votre paresse, ou dans vos rêves, vos idéaux. Je crois que personnellement le mien se perd au milieu de tout ça.
15h30 : Quelques boutiques plus tard je repars avec ma trouvaille sous le bras. J’espère qu’elle lui plaira. Malheureusement mes valises étaient déjà bien pleines à l’allée, à part quelques échantillons de sirop d’érable je ne vais pas pouvoir ramener autant de souvenir que j’aurais voulu.
J 56
8h : Aujourd’hui je vais faire la touriste, la vraie. Je pars pour une journée en groupe voir les chutes du Niagara. Les fameuses ! Une chose en moins sur ma bucket list d’ici ce soir.
9h45 : La route vers les chutes depuis Toronto dure environ 2 heures. Mais avant on fait une halte dans la ville de Niagara-On-The-Lake pendant une petite heure pour faire des emplettes. Pour être honnête les guides touristiques font tout un foin de cette petite ville, qui est cette très charmante et s’apparente furieusement à Wisteria Lane, mais ne vaut pas sa grande réputation si vous voulez mon avis. Elle n’en reste pas moins une ville charmante. J’y achète du thé au sirop d’érable, histoire d’agrandir ma panoplie diversifiée en la matière.
13h30 : Après divers arrêts le long de la route qui borde la côte de la rivière, nous voilà enfin devant ce lieu connu de tout le monde. Il faut dire qu’elles sont belles et puissantes, c’est vrai. Mais au risque de paraître blasée une fois de plus… ce ne sont que des chutes ! Une fois passé l’attrait de la nouveauté on peut vite s’en lasser.
J’ai quand même opté pour l’une des attractions touristiques : la tour ! Le bateau n’étant pas en service pendant cette saison, celle-ci m’offre une jolie vue panoramique (avec un vent à décorner les bœufs) sur les chutes américaines et canadiennes. Eh oui, n’y a pas « qu’une chute » du Niagara. Il y a la plus petite, et la plus dangereuse à cause de ses rochers, du territoire américains ; et la plus grande, moins périlleuse et offrant une plus jolie vue, du côté canadien. Avant que cela ne soit interdit plusieurs casses-cou ont tentés au péril de leur vie, le paris de les affronter. Certains en sont mort…
16h30 : La météo était moins magnanime que prévue : pluie, vent, froid. Bref je m’approche quelques minutes pour contempler ces chutes mondialement connues, puis rentre les admirer de l’intérieur bien au chaud. Je passe le reste de mon temps le nez collé à la vitre, comme décors c’est pas trop mal.
21h : Une petite sieste et c’est reparti pour un tour. Ce soir Emma me rejoint de Castleton après son travail pour sortir dans le quartier Churchill (LGBT). A nous, se joignent 4 de la maison des 11, pour un début de soirée à la maison, dont Maëlle et Shiloh qui resteront avec nous toute la soirée.
23h30 : Before bien entamé, il est temps de continuer la soirée au Cruz & tangos pour admirer un show de drag queen. L’ambiance est à son comble et on est pas les dernières à enflammer la piste. Emma est déchaînée ce soir, on se découvre l’une l’autre sous un nouveau jour. Après avoir bavé sur le barman super sexy et s’être fait draguées par la nana accoudée au comptoir on fini par en déduire qu’on a les même goûts en matière de partenaires. Maëlle, elle, bien qu’intéressée par l’expérience semble aussi à l’aise qu’un poisson hors de l’eau. Si vous aviez vu sa tête, prise en sandwich entre Emma et un garçon vraisemblablement gai ! Voilà quelques années que je fréquente des femmes, pourtant c’est ma première fois dans un bar gai et y a pas à dire : j’adore ! Comme c’est agréable de se sentir en sécurité, sans compétitivité, libre d’être soit même sans avoir à y réfléchir.
2h30 : On monte dans un Uber pour continuer la soirée ailleurs. Bryan nous a invité chez un copain à deux pas d’ici. Après quelques secondes de flottement, une fois tous assis dans la voiture, chacun se regarde sans savoir quoi dire : visiblement on s’est trompé de voiture. On repart aussi vite qu’arrivés, des éclats de rires montant dans la nuit agitée du quartier.
4h30 : C’est la fin d’une belle soirée, et d’un futur beau souvenir.
J 57
9h30 : Le réveil est moins difficile que prévu. Malgré les apparences je suis restée raisonnable hier soir et à part un manque de quelques heures de sommeil ma journée ne devrait pas être trop marquée de la veille.
11h : Direction Castleton pour retrouver ma famille canadienne préférée. J’ai été invitée pour les fêtes de Pâques et malgré mon refus poli « pour qu’ils restent en famille » je me suis vue répondre que je faisais partie de la famille.
13h : Ils m’ont manqué ! Je suis ravie de les retrouver. Carrie me serre dans ses bras et me présente à tout le beau monde présent pour l’occasion. Toute la famille semble s’être réunie comme à noël. Tante, oncle, cousin, cousine, frère, sœur, bref tout le monde est là pour un vrai repas de fête. Plusieurs tartes sont déjà sur la table qui se remplie au fur et à mesure de denrées alimentaires diverses. C’est un peu perturbant pour moi puisque le repas sera celui du « soir » ici, donc vers 17h30. D’ici là on jouera aux jeux de sociétés, on discutera et on peindra de beaux œufs des poules de la ferme.
17h30 : Tout le monde s’amoncèlent sans chichi pour s’assoir autour de la table, on doit être une bonne quinzaine parlant joyeusement aux uns et aux autres à travers la pièce. J’avoue qu’il m’arrive de décrocher. Les conversations de groupe sont loin d’être les plus faciles et je suis fatiguée. Il m’est déjà difficile de définir le sujet de la conversation quand je la prend en cours de route… aujourd’hui c’est encore plus dur.
21h : Emma et Bryan me proposent de me joindre à eux pour aller chez des amis. Je refuse épuisée, et encore plus fatiguée à l’idée de devoir faire l’effort de traduction toute la soirée.
21h30 : Mon grand lit me tend les bras, et il ne se fera pas prier bien longtemps.
J 58
8h : Ce bon lit moelleux m’avait manqué. Oïkia s’impatiente et vient me réveiller à trois reprise pour aller jouer avec ses copains. Je finis pas céder et me laisser emporter hors de mon trou.
9h30 : Petit déjeuner canadien en famille puis nous prenons la route. Tous autour du comptoir de la cuisine, comme une vraie famille, je me sens comme chez moi. Chacun bois son café, discute de ses rêves de la nuit, de son programme de la journée. J’apprécie ce moment tout simple en réalisant que c’est le dernier. Que ma belle aventure touche à sa fin, et quelle aventure ! Je suis fière de ce que j’ai pu accomplir. Fière d’avoir bravé mes peurs. Fière d’avoir appris, d’avoir partagé, d’avoir voyagé, d’avoir grandit. Fière d’avoir eu le courage de rentrer plus tôt aussi. J’y aurais vu avant une sorte d’échec : j’y vois maintenant une décision raisonnable. S’écouter, pour ne pas aller au bout coûte que coûte sans réel intérêt « juste pour me prouver les choses ». Je ne rentre pas par peur, ni à cause du mal du pays. Je rentre par ce que je n’ai pas de travail, et pas d’occupation assez importante pour échanger suffisamment et payer un loyer. J’ai atteint mes objectifs en langue et c’était le but de ma présence ici après tout. J’y ai appris une quantité de chose au passage : du traitement de la laine au souhait de vouloir, un jour je l’espère, accueillir quelqu’un à mon tour avec la gentillesse et la bienveillance desquelles Carrie et sa famille ont fait preuve.
13h37 : Go Blue Jays go ! Pour ma dernière journée en territoire canadien je vais soutenir l’équipe de baseball de la ville. Mondialement connus, ce sport et cette équipe sont typiquement canadienne. Le stade est remplie d’un soutien impressionnant : tout le monde porte les couleurs de l’équipe. T-shirt, casquettes, et accessoires en tout genre, les quelques 50 000 supporters dans le stade le recouvre de bleu. Je rêve de m’acheter un maillot pour m’en faire un pyjama ! Mais une fois dans la boutique c’est la douche froide : 180$ pour le fameux maillot. Bon bah on va opter pour une casquette hein.
14h : Le stade s’enflamme aux rythmes des musiques fortes, la mascotte danse, l’écran géant choisit des personnes dans le stade qui nous font coucou, ravis d’apparaître sur le grand écran. Je me surprends à connaître plutôt bien les règles du jeu, que j’explique à Maëlle, venue avec moi. Le frère de Claire, de la maison des 11, travaille pour le stade. Il nous a donc gracieusement obtenu 4 places, très bien placées en plus.
16h30 : On a gagné !
J 59
14h : 4h d’avance sont nécessaires quand on voyage en international avec son chien. J’embrasse ma louve qui semble de plus en plus à l’aise avec l’aéroport puis vais attendre de mon côté.
17h30 : Toronto me salut en vêtissant devant moi son plus beau manteau blanc en guise d’au revoir.
18h : La neige est épaisse et capricieuse. Aussi incongru que cela puisse paraître dans un endroit pareil, elle va nous retarder. Heureusement j’ai prévu un peu de marge pour mon escale à Montréal.
J 60
3h : Avec 7h30 de retard sur l’heure initiale d’arrivée, ma correspondance pour Paris est partie depuis longtemps. Montréal est endormie quand mon appareil survole ses maisons, je n’ai pas encore fermé l’oeil, mais l’idée d’un bon lit à l’arrivée me réconforte.
3h30 : Une fois la louve récupérée je me dirige vers le comptoir indiqué pour réclamer l’hébergement qui m’est dû. Dans un premier mensonge on m’affirme que comme les conditions météo sont à l’origine de notre retard, aucune compensation ne pourra être prise en charge. Erreur ! Je suis dans mon droit et je le sais. J’affirme connaître les droits des passagers et que l’information donnée est fausse : sachez qu’en cas de conditions météorologiques exceptionnelles, certes vous ne pourrez pas être indemnisés de votre billet d’avion, mais la compagnie a tout de même le devoir de prendre en charge votre hébergement et votre nourriture jusqu’au prochain vol. En plus de ça, je sais que les compagnies se cachent souvent derrière les conditions météo pour justifier un retard sans avoir à payer de compensation.
- En quoi la neige à Toronto serait-elle « une condition exceptionnelle » ?
- Contrairement à ce qu’on m’affirme, la plus importante partie de notre retard est due à un frein défectueux. Si on était partis à l’instant où la météo nous l’a permis, j’aurais pu avoir ma correspondance, mais à ce moment là les vérifications ont soulevé un problème mécanique.
Je proteste et me retrouve fasse à une réponse simple « je ne peux rien faire ». Il va falloir attendre ou aller à l’hôtel par mes propres moyens. Entendons nous bien : trouver un hôtel à 4h du matin avec un chien, et devoir prendre deux nuits sans quoi on me demanderais de partir dans quelques heures, en se confrontant à la difficulté de devoir aussi trouver un taxi acceptant les chiens à cette heure, et devoir payer pour tout ça sans avoir la certitude d’être remboursée… ça me laisse peu de choix. Non seulement j’ai raté ma correspondance mais également mon train pour Montpellier. Mon premier jour de travail qui devait commencer dès le lendemain avec la réserve sanitaire en mission dans le centre de la France avec réservation d’autres billets de train, de voiture de location et même d’hôtel. En plus de mettre le bordel dans tout ça je perdrait finalement 2 jours de travail et le salaire (très élevé pour un mission comme celle-ci… pour une fois !) qui va avec.
4h : On pleur beaucoup trop souvent dans les aéroports. Je pleurs par ce que je suis fatiguée, par ce que je rêvais d’un simple lit plutôt que d’attendre un voyage qui durera finalement 48h. Je pleure par ce que je suis fatiguée, et par ce que j’en ai envie. Oïkia n’arrête pas de me faire des câlins, je ne sais pas si c’est à cause de ce long voyage ou de mon petit coup de mou mais elle s’applique à venir dans mes bras pour de puissantes doses anxiolytiques. Quelques instants plus tard je remarque qu’elle a soif : c’est le moment de reprendre les choses en main. Le devoir m’appelle, et on va pas se laisser abattre pour si peu.
5h : En vrai petit bébé, mademoiselle a faim maintenant. Je ne vais pas pouvoir la faire attendre jusqu’à mon retour et n’ai pas prévu de croquettes pour ne pas m’encombrer « inutilement ». Mes bagages dépassaient déjà largement les poids autorisés (certains connaissent ma devise : « si on s’assoit pas sur la valise pour la fermer c’est qu’elle n’est pas pleine! »). Au plus grand bonheur de ma petite truffe préférée je lui achète un wrap au thon qu’elle dévore directement dans mes mains. Pas le temp d’en faire des petits bouts, elle croque dedans pendant que je lui sers. J’adore ces petits moments de simplicité, notre facilité à se comprendre parfois, sans besoin de parler, me redonnent le sourire.
8h40 : J’ai dormi environ 1h30 ou 2h, la main sur mon sac, Oikia accrochée à la taille et mon manteau en guise de couverture. Une des difficultés de la journée c’est que je dois constamment surveiller mes affaires : vous savez tous ce qui arrive aux bagages abandonnés dans les aéroports… pas besoin de pagaille supplémentaire ! Sauf que le simple fait d’aller faire pipi ou de vouloir acheter à manger devient un déplacement général des troupes. Pour ne pas simplifier les choses ma fidèle alliée ne fait ses besoins que sur l’herbe. Autant vous dire qu’aux alentours d’un aéroport… ça n’existe pas ! Je fais des tours et des détours pour lui montrer qu’elle a le droit. Je feinte avec la neige et fini les pieds trempés glacés avant même d’avoir réussi à accomplir ma mission.
13h : Heureusement elle est aussi certainement le chien que je connaisse, qui a le plus la côte. Je passe ma journée à discuter avec des gens qui souhaitent la caresser, même le personnel de l’aéroport se prend d’affection pour elle et menace « d’une taxe sur les chiens aussi mignons ». Une fois de plus elle ne moufte pas, et force mon admiration pour sa patience. Quelle chance j’ai eu de tomber sur une perle pareille !
17h : Mail de la compagnie aérienne : en raison des conditions météorologiques nous ne pouvons être dans la certitude de leurs impacts sur votre vol. Un potentiel retard… » c’est pas possible ce voyage ne terminera jamais ! Si j’ai trop de retard je raterais mon deuxième train que j’ai repayé une fortune à la dernière minute.
J 61
10h : Bon, j’ai quelques minutes de retard mais ça devrait être jouable. Va pas falloir traîner. L’avantage c’est que c’est la routine pour moi, je prends l’avion comme le train ou la voiture maintenant. C’est facile, instinctif, toujours pareil. C’est comme les hôtes paraît-il : les aéroports sont tous les mêmes.
10h45 : J’attends mon bagage avant d’aller chercher mon hors format préféré. C’est amusant, pendant cet étape on a toujours un doute sur sa valise, comme avec son amoureux peut être « quand c’est la bonne : on le sait ». Mais avant ça, on doute, on regarde, on hésite. Pourtant c’est la nôtre et on la connaît ! Ce n’est pourtant pas la première fois qu’on voyage avec elle ! Je m’agace une fois de plus de cette manie qu’on les gens à s’agglutiner devant les tapis des valises. A force de tous vouloir être le premier on y voit plus rien et sommes forcés de se rapprocher nous même, de telle sorte que plus personne n’a de place pour manipuler ces grosses choses lourdes et encombrantes.
11h15 : Ma pepette est une championne. Je la libère rapidement, ajoute les roulettes sous la caisse comme si je faisais ça tous les jours, lui donne à boire, un gros câlin et c’est parti !
12h : Ma place dans le train est voiture 8. Pas de doute on est bien à paris : personne ne m’aide ou ne me le propose. Je demande sans gêne, j’ai l’habitude. Une fois la caisse embarquée : barrage total. Le wagon dans lequel on est monté est minuscule et plusieurs valises sont déjà entassées dans le sas. Ma caisse ne passe nulle part et encore moins dans l’allée pour essayer de rejoindre l’autre wagon. Les personnes derrières moi se retrouvent bloquées et montent à la porte suivante.
12h20 : après un jeu de Tetris grandeur nature un monsieur très gentil vient me proposer son aide. Quand j’explique que la valise ne passent pas entre les sièges il m’avoue qu’il vaut mieux ne pas tenter, qu’il n’y a que des vieux dans la rame et que les esprits s’échauffent. Qu’ils s’échauffent ! Je n’y suis pour rien après tout. Bon retour en France…
17h : J’ai voulu surprendre ma petite maman sans lui annoncer mon retour (comme ça pas de stress pour elle quant au voyage), mais c’est elle qui m’a surprise. Elle m’attend à la gare, mon roc est là, et je suis de retour à la maison. Jusqu’à la prochaine aventure.
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