J 45
8h : Debout ! Ce matin je prépare une armée de pancakes pour la maison endormie et passe le reste de la matinée à taper sur mon clavier.
8h30 : Jimmy, l’un des mes deux voisins de palier, est québécois. Je crois que je comprends plus quand il parle anglais que quand il s’essaye à parler français avec un accent canadien à couper au couteau. Il est souriant et discute un petit peu avec moi dans la cuisine avant de me dire « quel boucan t’as fais ce matin ! » Gênée je m’excuse, j’ai pourtant fait attention, et je trouve ça un peu sévère quand on sait le niveau sonore avec lequel résonnait la musique dans la maison jusque tard dans la nuit. Quelque chose cloche entre ce qu’il vient de me dire et le sourire qu’il affiche : après quelques minutes embarrassées je fini par comprendre : j’ai « emboucané » la maison avec l’odeur des pancakes. Ce n’est donc pas un reproche mais un compliment qu’il a cherché à me faire. On en rit tout les deux, ça a l’air d’être un sacré personnage. Un féru de musique, qui semble tout faire à l’arrache, avec sa moustache et son corps qui donne l’impression d’être désarticulé. L’archétype du musicien un peu trop accro à sa dose de cannabis quotidienne qui se laisse guider par la vie. Il n’en a pas l’air pour le moins attachant.
9h : Mon nouvel ami s’adresse soudainement à moi en baissant la voie, je m’approche pour entendre ce qu’il ne veut pas que le reste de la maison entende : il souhaite que je sois pas surprise : l’un des occupants de la maison consomme des choses pour le moins illégales. J’apprécie l’intention, même si je ne cherche pas à en savoir plus.
17h : Il est temps d’aller prendre l’air. Oïkia enfile son harnais, je saute dans mes baskets et nous voilà parties explorer les environs au pas de course. Si elle tire sur la laisse de canicross au début, c’est plutôt l’inverse après une petite vingtaine de minute. Comme elle me ressemble en tout point elle n’a jamais été bonne en course à pattes, et passés les premiers émois de liberté elle se lasse vite de cette activité physique qui pourrait pourtant lui faire du bien. Passer de la vie de campagne à une maison de ville ne doit pas être très drôle pour elle, il va falloir que m’applique à jouer avec elle régulièrement.
19h30 : Le propriétaire se manifeste soudainement pour avoir son loyer et ne semble pas disposé à attendre les quelques jours de latence nécessaires à ma banque française pour faire les versements sur un compte étranger. Bryan me sauve et paye à ma place en échange de liquide qu’il m’emmène retirer. Je sens qu’il culpabilise d’être malade et qu’il s’inquiète que je ne rencontre personne avec qui échanger. Je le rassure : j’ai plusieurs rendez-vous pour faire du volontariat et les choses arriveront bien assez vites.
20h : Cloué au lit et cantonné aux quatre murs de sa chambre depuis plusieurs jours il profite de l’aubaine pour me faire visiter les environs en voiture.
J 46
8h30 : Ce matin j’opte pour des cookies. Une petite balade dans la ruelle de derrière fini de m’ouvrir les yeux à la fraîcheur matinale, ensuite je profite du paisible de la maison pour remplir l’air silencieux d’odeurs chocolatées. J’aime ces moments où le moins bruit risque de briser la quiétude du moment.
13h : J’ai encore passé la matinée sur mon clavier mais j’ai des projets pour cet après-midi. Une promenade pour la louve, quelques courses pour moi : je suis surprise de constater que même le dimanche, tout semble ouvert.
13h30 : Bon, je savais que j’étais dans un quartier défavorisé mais comment réagir quand un périmètre de sécurité vous empêche de sortir par la porte de devant ? J’aurais vécu le rêve américain jusqu’aux banderoles jaunes et noires et aux voitures de polices qui bouclent le périmètre de mon quartier. Qu’est ce qui s’est passé cette nuit ? J’ai bien entendu frappé à la porte hier soir, n’attendant personne je n’ai pas été répondre malgré l’insistance des plusieurs coups de sonnettes et tambourinage à la porte : qu’est ce que j’aurais pu répondre ? Je ne connais presque personne dans la maison et aurait forcément eu beaucoup de mal à l’exprimer. J’espère qu’il n’est rien arrivé à cette personne et que ça n’a rien à voir. Au moins je fais rire mes amis avec mes aventures « Thaïs dans la crackhouse » selon leurs dires. Ne vous inquiétez pas, la maison est fermée, je ne sors que la journée, et me tiens bien loin de tout ça.
15h : J’ai convenu un appel avec mon ancienne cadre de Guyane qui doit me faire un lettre de recommandation pour Médecins Sans Frontières afin de discuter de plusieurs points. Toujours aussi gentille, elle me pose différentes questions, qui me seront bientôt posées si on m’accorde un entretien d’embauche. Elle souligne les points que je dois travailler pour tenter d’être le plus à l’aise possible en mission. Quand la fin de l’appel est marqué je trépigne d’impatience : je touche presque à mon but. Je n’ai plus qu’à attendre sa lettre et je pourrais enfin postuler. Au milieu d’autres informations j’apprends que 50% des personnes qui partent pour une première mission ne repartiront jamais pour une deuxième. Trop marqués, trop abîmés, trop perturbés. Je sais bien que c’est une possibilité, et je l’accepte. Je n’aurais aucun regrets, j’aurais tout fait pour arriver à mon but, et je n’aurais aucun pincement au coeur dans quelques années en me disant « j’aurais voulu ». J’aurais au moins essayé.
16h30 : La louve s’est bien dégourdie les pattes, j’avais prévu quelque chose d’un peu plus grand que la boutique du coin de la rue mais je préfère réserver ce programme pour demain. A la place je me dirige vers l’enseigne appelée « Dolarama » qui vend de tout et de rien à quelques dollars. J’en profite pour acheter de quoi améliorer l’ambiance de junkie que revêtit si bien ma chambre et reviens les bras chargés de quoi me faire un petit nid pour trois fois rien. Même pour une durée limitée j’ai pu constater l’importance d’une bulle confortable et personnelle quand on se trouve loin de chez soit.



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