Mercredi 2 janvier 2019

J -1

 

21h31 : Première étape. Les portes se ferment sur notre dernier enlacement. Comme forcée d’arrêter de l’embrasser, ma valise encore dans la main, mon sac à dos me paraît plus lourd que jamais. Elle ne pleure pas, moi je m’effondre. Je reste pourtant là, debout, incapable de bouger. Tant qu’elle n’a pas disparu, ça n’est pas terminé. Le train démarre et emporte probablement nos derniers instants. On pourrait se retrouver à mon retour, après tout 5 mois ça n’est pas si long. Je m’accroche à cette idée même si j’entends la raison dans un coin de ma tête, je la fais taire. Je n’ai pas le coeur à être raisonnable ce soir. Je vais m’assoir et les passagers autours de moi doivent me regarder, je dois faire peine à voir mais ça m’est égal. Les minutes défilent et je suis toujours assise là, sanglotante. On pourrait croire que ce choix ne vient pas de moi mais si, c’est ça le pire. Le voyage ne fait que commencer, le train m’emmène vers Paris avec 1h30 de retard. À mesure que les kilomètres défilent, mes joues sèchent et les écouteurs bien enfoncés dans mes oreilles m’aident un peu. Sans savoir pourquoi je me lève et je vais me maquiller dans les toilettes avant d’arriver. 

1h : Il est 1h passé quand les portes du train s’ouvrent sur Paris. Mes jambes me portent sans réfléchir et je me dirige tout en haut de la gare Charles de Gaulle, sur les instructions de Raphaël qui m’attend dans la voiture. Je me colle un sourire sur le visage et je sors dans le froid parisien. Après quelques secondes de recherche je tombe enfin sur mon ami qui m’accueille par un baiser. Notre histoire n’a jamais été simple, mais nos aux revoirs de ce soir sont prévus depuis longtemps et nos vies s’entrelacent depuis plus de 5 ans. Je l’embrasse en retour sans grande conviction et essaie de ne plus penser à Élise et aux messages échangés sur la route. Au milieu de tout ça j’ai aussi des nouvelles de mon vol de demain : mon voyage Paris - Cayenne sera bien effectué, mais par une autre compagnie. J’espère que le retard de mon train n’annonçait pas d’autres inattendus et que tout se passera bien. Une fois là-bas personne ne pourra plus me sauver la mise si j’ai un problème, je ne connais personne. 

 

J 0 

 

8h30 : Mon vol est à 13h et Raphaël habite à quelques centaines de mètres de l’aéroport, pourtant on se lève tôt. On ne parle pas, il respecte mon silence et appui son soutien par quelques gestes affectifs. Aucun artifice aujourd’hui, ni petit déjeuner. Je m’habille chaudement et on part avec plus de deux heures d’avance, quand Raphaël me demande de quel terminal mon avion décolle. 

  • Du terminal S. 
  • Il n’y a pas de terminal S. 
  • Mais si regarde, c’est marqué sur mon billet. 
  • On va bien à l’aéroport de Roissy ? 
  • Non, je décolle d’Orly ! 

J’ai l’impression d’être assommée par notre bêtise, la panique m’envahit mais lui reste calme. Après une rapide manipulation de son téléphone il m’annonce de sa voix la plus douce qu’Orly est à l’autre bout de Paris, et qu’en pleine heure de pointe on a plus d’une heure de route. L’embarquement pour ce genre de vol longue durée ferme 1h30 avant le décollage je n’y serais jamais à temps. 

  • T’inquiète pas, je te promets qu’on y sera. Cet avion tu vas le prendre. 

Je ferme les yeux et souffle un coup, le billet m’a couté la moitié de mes économies et je commence mes gardes dans 2 jours. Mon ami accélère et slalome entre les voitures comme s’il faisait ça tous les jours. Je serre les fesses plusieurs fois et m’abstiens de tout commentaire sur sa conduite. 

11h30 : J’entre dans l’aéroport avec une dizaine de minutes à peine pour enregistrer mes bagages, je suis la dernière des passagères et je sais déjà que je vais devoir courir. L’hôtesse m’annonce la porte de mon embarquement à plus d’un quart d’heure de marche, sans compter les contrôles de la douane. C’est compris : je cours. Raphaël m’enlace une dernière fois, pose un dernier baiser sur mes lèvres et me lâche la main en me regardant partir. Mon sac à dos retombe lourdement sur mes épaules à chaque foulée et avec un bagage dans chaque main les valises suivent ma course folle en restant miraculeusement sur leurs roues. J’arrive à bout de souffle à la porte indiquée quand je comprends que l’embarquement n’a pas commencé. Coupée nette dans mon élan, à défaut de fauteuil libre je m’écroule par terre. Assise à même le sol j’appelle ma mère pour la rassurer. Je ne lui avais volontairement pas donné de nouvelles sur les aventures de ce matin, elle est encore plus stressée que moi. 

- C’est bon maman, je suis devant la porte d’embarquement, et tu ne devineras jamais ce que j’ai fais. Ahahah… 

19h (Heure locale - 5h) : Bien arrivée à Cayenne, à peine sortie de l’avion j’enlève pull et blouson, et regrette mon pantalon qui me colle déjà aux jambes. Il fait 26° et l’humidité est suffocante quand on n’est pas habitué. 
Je récupère mes bagages, et rejoins mon contact devant l’aéroport. Ce soir je dors sur place à Cayenne, chez Issa, qui a un appartement en Rb&b. Elle est venue me récupérer contre une vingtaine d’euros à l’aéroport et là : tout est vert ! Sauf qu’il est 19h et qu’il fait déjà nuit noire. Sans tendre l’oreille on entend tout à côté les bruits de l’Amazonie, j’écoute la mélodie naturelle et fais connaissance avec mon hôte. Elle est la gentillesse incarnée. Maman d’origine africaine, elle a une fille de mon âge qui vit en métropole et qui a tenté le concours médecine. Elle me rassure tout de suite et me dis qu’ici les gens sont « tranquilles » que tout va bien se passer, que je vais me régaler ! En vraie petite maman, je suis accueillie comme une princesse. Elle a pensé à tout et à même pris contact avec mon covoiturage de demain pour lui expliquer où il doit me récupérer. J’ai 4h de décalage horaire dans les pattes, mais un peu dévariée je ne suis pas fatiguée, j’essaie de pas me coucher trop tôt pour me mettre directement dans le rythme local. J’envoie une bonne dizaine de messages avant de m’abandonner au sommeil. 

 

J 1

 

7h30 : Après avoir été réveillée, un peu perdue, par le décalage horaire et la pluie pendant la nuit, j'ouvre les yeux à 7h30, il est 11h30 en métropole. 
Issa me fait un thé, et hurle tout à coup. Elle a vu un lézard dans le placard : c'est moi, la métropolitaine, qui m'y colle et qui cherche le squatteur. Comme quoi les Guyanais non plus n'aiment pas les petites bêtes. 

9h : Le covoiturage passe me prendre : ce sont deux collègues métropolitains qui travaillent dans le monde de l'audio-visuel. Le conducteur est passionné par tout ce qui l'entoure et il en connaît un paquet. Je bois ses paroles mais malgré la concentration j'ai dû retenir 10% de tout ce qu'il me dit. J'ai le droit à la liste des communautés, langues, fruits, viandes, poissons, animaux, quartiers et villes : du chinois ! Tous ont un nom plus bizarre les uns que les autres. La route de Cayenne (la capitale) à Saint-Laurent-Du-Maroni compte au moins 3h30 et on s’arrête sur la route pour manger un bout. La ville qui accueille notre repas s’appelle Iracubo. Une fois les sandwichs engloutis on en profite pour visiter une église classée au patrimoine historique : celle-ci a été peinte du sol au plafond par un bagnard autodidacte. 

12h : Je relis sur la route tous les messages de départ, les aux-revoirs et les hommages à la fin de ma vie étudiante. Je repense aux dernières fêtes, à notre dernière soirée, aux derniers moments passés à deux. Ma vie aura tellement changé quand je rentrerais. 

13h : Arrivée à destination ils me font faire un tour de la ville en voiture avant de me déposer au lieu de rendez-vous convenu avec le Rb&b. Ce lieu c’est le restaurant chic du village "la goélette”, fait sur un carbet, un habitat typique fabriqué en bois. Je bois un coup et lis un peu en attendant d’avoir des nouvelles de la dame. 

14h : Au bout d'une heure sans réponse je commence à peine à m’inquiéter quand je me rends compte qu'elle travaille en cuisine. Elle m'emmène chez elle pour que je m'installe. C'est aussi une maman : Adrianne est brésilienne, avec Filip, son mari, ils ont deux enfants partis pour la métropole. Je découvre une grande maison avec du monde : la cousine dans la chambre d'en face, mais aussi 2 autres personnes qui louent la mezzanine de la maison. En sortant de la maison un petit carbet donne directement sur le fleuve nommé “Maroni” dans lequel je pourrais me baigner dès que j’en aurais le temps. Il est marron à cause de la terre rouge qu'il y a partout ici.

16h : C'est reparti. Je rejoins Pierre, un métropolitain arrivé il y a deux semaines qui travaille au CHOG (Centre Hospitalier Ouest Guyanais) en tant qu'infirmier. Il cherche comme moi un appartement et s'est proposé de me faire visiter. Le Rb&n se trouve au village de Balaté, un quartier exclusivement amérindien. Evidement c'est à l'opposé de la ville et après seulement un tiers du chemin : horreur, des ampoules partout ! Tant pis on marche jusqu'à la ville et je m'achète une autre paire (la moins moche possible, et qui me fera d'autres ampoules j’en suis sûre). On passe par le super U, l'office de tourisme, on visite le centre, la place du marché, et pour se féliciter on boit un jus au bord du fleuve. J’opte pour une spécialité d’ici, le maracuja. Ce n’est rien d’autre qu’un fruit de la passion, mais il n’y a pas à dire, cela n’a rien à voir avec ce que j’ai connu jusqu’ici. 

18h : La route du retour est entamée quand la nuit tombe subitement. On est obligés de finir notre périple à la torche du téléphone. Ici non seulement les rues ne sont pas éclairées mais en plus elles ne sont pas référencées. Impossible d'utiliser notre bon vieux GPS. Evidemment je me perd. Impossible de retrouver la maison, après 3 retours sur nos pas, les pieds en feu, une grenouille qui m'a sautée en plein visage, de nombreuses courses par des chiens errants, une dame nous a gentiment indiqué le chemin, et ouf... 

19h30 : Enfin rentrée. La journée a été bien remplie, je me douche et au dodo. 

 

J 2 

 

8h30 : Réveillée d'abord à 5h30 par les nombreux coqs du quartier j'ouvre les yeux à 8h30 (12h30 en métropole) je traîne au lit une bonne heure en savourant le gazouillis des oiseaux de l'Amazonie. La maison est silencieuse, c'est tellement paisible. Elle se réveille petit à petit accueillant les bruits de la vie quotidienne et les baragouinages espagnols.

9h30 : Je me décide à me lever et à me civiliser un peu. Je savoure un jus de Goyave, et Filip me propose d’y ajouter un peu de citron d'ici. Ceux-ci font 4 fois la taille de ceux que j'ai l'habitude de voir et sont beaucoup moins acides, c'est un délice. Les deux autres locataires du Rb&b déjeunent à la même table que Filip et je me joins à eux. En discutant, rapidement, je comprends qu'elles sont kinés. L’une, Maëlle, doit avoir environ 65 ans et l’autre, Lou, en parait 30 (elle en a en fait 42). Lou est espagnole et c'est un vrai petit rayon de soleil. La discussion est facile avec les deux voyageuses et rapidement le repas s'éternise. On parle de tout, de rien, du monde, de la Guyane, de nos métiers, c'est fou ce mélange de générations n'est pas du tout un problème au contraire. Je voulais aller au marché en fin de matinée et ça tombe bien elles aussi : c'est convenu, elles m'emmènent !

12h : On part pour le marché. Maëlle m’interroge "t'as mis de la crème ?" Bon. Je fais demi-tour pour aller en mettre. On arrive dans le centre sous un soleil de plomb (32°) et on se perd vite au milieu des étales plus colorées les unes que les autres. Ici, c'est pas tout bien aligné comme chez nous. Chacun arrive comme il l'entend, il y en a dans tous les sens, je ne sais plus ou donner de la tête. Il y a des fruits et des légumes plus bizarres les uns que les autres, je n’en connais pas plus de la moitié. Sur les conseils de Filip, j'achète de l'huile de coco. Il m'a dit ce matin que je devais en acheter pour protéger ma peau, pour servir de répulsif et d'apaisant. On peut même en mettre dans les cheveux ! J'achète aussi de quoi manger demain matin. Une mangue et des bananes feront très bien l'affaire. Ici les bananes sont minuscules, elles sont très sucrées et du coup succulentes, ça se mange comme des bonbons. Maëlle part se balader et Lou et moi, on se décide à manger sur place. Toujours sur les conseils de Filip, je goûte à la spécialité du marché : une soupe Mong (communauté Laotienne), avec du boeuf, ça change de mes habitudes alimentaire et ça n’est pas pour me déplaire. La discussion continue encore et toujours, j'écoute les aventures de Lou, les péripéties de son arrivée en Guyane, mais aussi ses voyages en Afrique. Elle est passionnante ! On se balade sur la rive et à 15h30, on est rentrées. Les deux kinés chargent leurs bagages, elles partent déjà, c'est dommage. 

16h : Je me prélasse sur le hamac avec un petit verre, de la musique et un bon livre. Que demander de plus ? Ensuite, je passe la soirée au calme entre film et repos, avec de bons nems du marché en guise de repas ce soir. 

 

J 3 

 

9h : Levée 9h, j'entends encore plus de baragouinages espagnols que d'habitude. Je pointe le bout de mon nez dehors et là, je découvre une bonne dizaine de personnes. Adrianne et Filip ont accueilli des amis qui viennent d'un peu partout : Venezuela, Réunion, Mexique, mais aussi Chili, une vraie réunion de culture ! Ils m'invitent à me joindre à eux, et me proposent de manger un bout. Je dévore une tortilla succulente dans un bout de pain et je me laisse aller dans les discussions vivantes et rocambolesques. 

16h : J'ai rendez vous avec Mehdi, le sage-femme qui me prête sa chambre pendant un mois. Il rentre en Tunisie et j'habiterais chez lui avec une infirmière jusqu'en février. Comme je n'ai pas de moyen de locomotion, il vient me chercher, et là : une moto ! Je m’apprête à monter quand il me demande "tu es déjà montée sur une moto ?”. Je lui explique rapidement que j'ai mon permis, il rit et me dit que si je veux m'en servir pendant son absence, je peux. J’acquiesce flattée de sa confiance, mais je sais déjà que je n’oserais pas. Ici il pleut beaucoup, et la plupart des chemins sont en terre. Pas très prudent pour une jeune conductrice. Une fois arrivés chez lui, il me fait visiter, tout est parfait. Je rencontre Gabrielle, qui est arrivée en même temps que moi, et Wassim un prof de lettre qui partira dans quelques jours. Mehdi me ramène. Ce soir, le moral est difficile, je réalise que je viens de sauter dans le vide sans aucune sécurité et je suis tétanisée par l’angoisse. Je ne connais personne, je ne connais pas l’endroit, je ne connais pas l’hôpital et je ne connais même pas encore mon métier de sage-femme puisque je suis là pour l’apprendre. Je m’accroche à mon téléphone qui m’offre le peu de réconfort que je puisse avoir. Élise est là, solide. Elle m’aide un peu et me redonne le sourire, par moment. Elle veille tard pour me remonter le moral, mais je la rappelle à l’ordre : ses partiels arrivent bientôt et c’est ça la priorité. Je lui fais le plus beau sourire que je puisse afin de lui permettre de raccrocher. Puis je m’effondre, éplorée sur mon oreiller. Je suis ici pour me prouver des choses à moi-même, je vais y arriver. Je veux y arriver. De toute façon je n’ai plus le choix, la marche arrière n’est plus possible, et c’est bien ce qui me terrorise.

 

J 4 


6h30 : Réveillée à 6h30, impossible de me rendormir. Le moral n'est toujours pas au rendez-vous, mais ça finira par passer, ça fait partie du jeu. Je reste au fond de mon lit, tourne et retourne en regardant passer le temps. Je sais que ça finira par aller mieux, il le faut. Si les sages-femmes pouvaient juste être gentilles, ça serait déjà un grand changement en comparaison à ce que j’ai connu jusqu’ici. Je frissonne en songeant à tous mes stages, toutes les réflexions, les boules au ventre en arrivant, les larmes en repartant. Les carnets remplis à la hâte après de longues minutes d’attente, les regards désapprobateurs et l’angoisse. L’angoisse constante. Bref, ça n’est certainement pas à l’hôpital que je vais me faire des copines. Mais comment alors ? Je tourne en rond sans trouver de solution et m’accroche à mon téléphone, à ma métropole. 

10h : Adrianne part à la capitale et s'est proposé de me déposer à l'hôpital en passant. J’accepte, ça m'évitera de marcher 1h. Je me colle le plus beau sourire que je trouve en stock et vais rencontrer la cadre de la maternité. L’angoisse ne me quitte pas depuis hier, et me prend à la gorge une fois arrivée devant la porte de son bureau. Je patiente quelques instants en attendant qu’elle finisse un rendez-vous précédent et je fais les 100 pas. Je respire, je souffle, aller, ça va passer. La porte s’ouvre et je la salue poliment avant de m’installer sur une chaise face à elle. Une fois les premières formules de politesse échangées Charlotte, la cadre, me laisse déjà une bonne impression. Elle me semble douce et compatissante, alors quand elle me demande : “Comment tu te sens depuis ton arrivée ?”, j’ouvre la bouche, mais ce sont de gros sanglots qui parlent en premier. La barrière que j’ai tenté de mettre en place, cède dans un fracas et me submerge totalement, me laissant terrassée. Je peine à rassembler mes esprits et me confonds en excuse avant de reprendre plus calmement, toujours dans les larmes. La première impression était la bonne, et elle me rassure avec toute la bienveillance qu’on puisse avoir. J’ai honte de mon manque de professionnalisme, mais après quelques minutes, on réussit à discuter du planning et elle me fait visiter en me présentant à l’équipe. C’est bien la première fois que je suis accueillie d’une telle manière. Je suis habituée à la bonne rengaine de l’étudiante qu’on met dans un coin et qui débarque le premier jour sans que personne ne soit au courant. Habituée aux “c’est toi la nouvelle étudiante?” lancés après plusieurs minutes d’ignorance. Je commencerais donc par 3 mois dans le service de la salle d'accouchement, puis un mois de consultations, et enfin un mois de suites de couches. Dans sa gentillesse, Charlotte appelle même l’une des sages-femmes pour que celle-ci m'emmène en voiture demain soir lors de ma première garde. 
Cette fois-ci, je n'y échappe pas et je rentre à pied, je marche sous la cagne une bonne heure. En marchant, je pense à quelque chose : et si je rencontrais du monde comme je l’ai fait avant ? L’application Tinder doit encore être installée sur mon téléphone et j’ai déjà fait des connaissances grâce à ça. Si les choses sont claires dès le départ ça devrait le faire, et je ne dois pas être la seule dans ma situation. J’avance avec un peu de baume au cœur décide de m’en occuper dès mon arrivée, je ne vais pas me laisser dépérir. Prendre les choses en main, voilà ce que je vais faire. En arrivant, j’en profite et je saute dans le lac pour me rafraîchir. À la maison, il n'y a plus d’eau, la pompe a lâché, donc on fait avec les moyens du bord. Adrianne est partie à Cayenne pour changer le moteur du puit d'eau et a demandé à Carmen, sa soeur, de mesurer la profondeur de celui-ci. Nous voilà donc à deux bécasses, l'une et l'autre parlant à peine la même langue, pour tenter de mesurer avec un ruban de 3 mètres, un bout de bouteille, un bâton et une ancienne rallonge électrique, le tout dans un trou à peine plus grand que mon poing. Très compliqué, mais vu de l'extérieur ça doit être très drôle.
Cet après-midi je n’ai rien d’autre de prévu. Ma vie métropolitaine était bien plus remplie, ici je n’aurais plus à gérer autant de choses et ça va me faire tout drôle. J'ai hâte d’être débordée ! Ce soir on a le droit à une immense bassine d'eau empruntée au voisin pour pouvoir servir à la chasse d'eau et aux besoins primaires, concernant la douche ça ne sera pas pour cette nuit.

Une fois couchée, je m’occupe de mon idée du jour. J’installe Tinder et commence les recherches. Après de rapides recherches, je me rends compte que le nombre des utilisateurs est plus que limités. Ici personne ne doit connaître cette application et je suis un peu déçue. Je regarderais régulièrement, après tout ça ne coûte rien. Je me couche et comme un rituel, j’appelle Elise. Elle me manque, nos conversations téléphoniques sont longues et nécessaires. Comment est-ce que j’ai pu tomber amoureuse si vite ? Je m’étais protégée pourtant, je l’avais prévenue, repoussée, lui avais résisté, et même tenté de la dégoûter. J’ai fini par céder, et comme punition son absence est une difficulté supplémentaire à mon départ. Mon amoureuse n’est pas ravie de l’idée de génie et se méfie du retour de Tinder sur mon téléphone. Elle a peut-être raison, mais je dois quand même essayer. Je réussis à l’apaiser avec des mots doux, de toute façon les autres ça m’est égal, c’est avec elle que je veux être, avec elle que je serais si je n’étais pas partie. On n’est plus ensemble, mais est-ce que c’est nécessaire ? Pour moi, les choses sont claires, les autres ça ne changera rien, personne n’est comme elle. 

 

J 5 

 

6h30 : Mes yeux s'ouvrent à 6h30. Première pensée pour Elise. C’est trop tôt, je suis de garde cette nuit en salle d'accouchement et j'ai intérêt à assurer. J'ai mal au ventre, tiens ça faisait longtemps... Vive le retour des gardes ! Je tourne, retourne, j'angoisse et fini par me rendormir de 8h à 10h : bon, c'est déjà ça. Je me lève, me force à prendre l'air et à manger un bout sur la terrasse. Cet après-midi, je change de logement. Filip s'est proposé de nous emmener mes bagages et moi. J'attends patiemment son retour du travail, je remballe toutes mes affaires et à 16h, on décolle. J'ai rendez vous à 16h30 avec Anaïs, une sage-femme, qui a proposé de me prêter son vélo pour quelque temps. Ici, c’est une denrée rare et un vélo d’occasion vaut 200 euros, donc j'ai sauté sur l'occasion. Évidemment, je me perds à nouveau et je peine à indiquer le chemin à Filip. Ici, les gens ne sont pas pressés, je jette nerveusement un coup d'œil au compteur qui n'affiche la plupart du temps pas plus de 25 km/h. Ô joie, par chance l'adresse est référencée et on s'y retrouve avec le GPS. Je jette mes bagages dans le nouvel appartement, salut rapidement mon nouveau colocataire que j'avais rencontré la dernière fois et remercie chaudement Filip pour leur accueil pendant ces quelques jours. Je me presse et retrouve Anaïs juste à temps, elle est venue me chercher pour m'amener chez elle afin que je récupère son vélo. En discutant un peu on se rend compte qu'elle est de garde cette nuit elle aussi. Pas de chance ça ne sera pas dans le même service. Une fois le vélo récupéré, je pédale rapidement vers l'appartement, j'ai chaud, la route n’est pas ombragé, je n'ai pas beaucoup mangé et évidemment, c'est en montée. Je rentre, me douche en 3 minutes chrono, me prépare, mange un bout, je fais un dernier check-up pour mon matériel (crocs ok, calot ok, garrot ok) de stage et range à peine. Me voilà déjà repartie : Maéva, une autre sage-femme, passe me prendre sur sa route pour m'amener. Une fois à l'hôpital je suis bien contente d'être avec elle pour ne pas me perdre, il faut vraiment que je travaille ce sens de l'orientation, c'est une catastrophe.

Boule au ventre, je me change fébrilement et prie pour que ça se passe bien. Je souffle un coup : aller Thaïs, ça va bien se passer, tout le monde te l'a dit, ici tout le monde est gentil. De toute façon t'as pas le choix ! C'est parti. Je me présente dans le bureau des sages-femmes et au milieu des présentations tout le monde me dis "Ouah 5 mois ! Ah oui, d’accord". Les stages qui durent si longtemps n'existent pas forcément dans les autres écoles de France et tout le monde semble surpris que j'ai eu le culot de venir 5 mois ici, seule. 

18h40 : La relève commence. 

 

N 5 

 

18h40 : Le changement d’équipe débute. Les sages-femmes de jour transmettent les informations à l’oral à celles de la nuit. La relève commence par "Madame X G12 P6 ..." (qui signifie qu'elle a obtenu 12 grossesses et mené à l'accouchement 6 d'entre elles). Je bloque déjà. Ici, c'est donc courant ce genre dossier, c'est tellement rare en métropole. Je choisi mes patientes et prend en charge une jeune femme de 17 ans : grossesse de déroulement normal, comme c’est un premier bébé ça devrait aller doucement. Et une deuxième dont l'accouchement est déclenché par Cytotec*. Le Cytotec* est un médicament qui a été retiré du marché par ce que certains établissements s'en servait pour les déclenchements justement ! Je reste bouche bée, mais ne dis rien. Marine, sage-femme, m'encadrera cette nuit. On va se présenter aux patientes ensemble. La première parle français -ça semble rare ici- et la seconde parle Taki Taki (un patois du Suriname qui semble être un mélange entre l'africain et l'anglais, je n'y comprend rien) : on va utiliser le langage du corps ! 
J'examine la patiente de 17 ans. Normalement chez les dames enceinte d'un premier bébé, on compte 1 cm par heure, la dernière fois, elle était à 3 cm, et là, surprise : on est à 7 cm ! J'en réfère à la sage-femme et la transfert en salle d'accouchement. Le temps d'ouvrir un set d’accouchement, je vois que ma p'tite dame change de tête : le bébé est bientôt là ! Course contre la montre, un coup de gel désinfectant, j'enfile les gants tant bien que mal et retiens la tête dans la foulée. Le bébé naît. Je comprend rapidement que plusieurs choses font contraste avec mes habitudes métropolitaines : des patientes très souvent mineures (une de 12 ans pas plus tard qu'il y a quelques jours), les péridurales sont rares (13 % contre 80 % en métropole), aucune plainte n'émane des futures mamans : les papas ne sont jamais présents, ce sont les tatas ou les mamans qui accompagnent et qui veillent à ce qu'elles ne mouftent pas. Si elles montrent un signe de faiblesse, elles se font réprimander ! Mais le plus marquant, c'est la rapidité du travail. Elles nous accouchent toutes "entre les mains" sans qu'on ai le temps d'enfiler des gants parfois. Le problème, c'est qu'ici le VIH et les hépatites sont très répandues, je dois donc déjà prendre le réflexe d'avoir une paire de gants toujours sur moi. Je suture ma dame, fait l'examen clinique du nouveau-né, les soins cliniques, la surveillance de l'accouchée... Je n'oublie pas mon autre patiente : monitoring, gestion de la douleur, examens du col... Ainsi que les papiers : partogramme, prescriptions, déclarations ... Dans la foulée on m'appelle "Thaïs, va en 2 !”. J’arrive 30 secondes après Marine qui est déjà en train de faire l'accouchement d'une inconnue. Une autre sage-femme à coté d'elle lui fait un résumé du dossier à voix haute. Je mets des gants et reprends la main. L'accouchement se déroule avec brio quand soudain le bébé respire mal, il pâlit. Aller, c'est partit pour une réanimation ! Je prends le nouveau-né et l'emmène dans la salle de réanimation néonatale. Je le stimule, aspire les voies aériennes, le scope (mesure du taux d'oxygénation), et je prie pour que ça suffise. À cause de l'accouchement rapide il "a plongé" et “a bu la tasse”. Il a donc inhalé du liquide amniotique, mais il récupère, on est tiré d'affaire. À ce moment là une AP (auxiliaire puéricultrice) à l'air de vouloir me mettre en difficulté "Fais ça”, “T'aurais du faire ça”, “Fait gaffe ça on va te le reprocher. Tu vas voir les sages-femmes et les médecins ne te feront pas de cadeaux. J’en vois souvent des étudiantes pleurer, ils sont méchants, ils ne te laisseront rien passer". Je me sens dépassée, mais ne baisse pas les bras, j'espère que ce qu'elle dit est faux, c'est la première fois qu'on me dit que les sages-femmes ne sont pas gentilles ici, je n'ai entendu que de bonnes critiques. Je laisse l'enfant à l'AP et je cours dans le service pour tout faire en même temps. Là, Marine me donne un dossier et me dit "tiens, elle vient d'arriver, si tu veux, c'est ta patiente, c'est toi qui la gères". Alors oui, j'adore la confiance, mais là, tu m'en demandes beaucoup ! Je ne dis rien, et j'accepte avec fierté cette confiance rapide. Elle me propose de voir le dossier ensemble : ouf, par ce qu'avec tous ses papiers, je ne sais pas ou chercher. Ici très peu de dossiers informatiques. J'ai donc une patiente avec une ancienne grossesse marquée par de la tension, mise sous traitement pour celle-ci, un antécédent d'accouchement avec une épisiotomie (coupure de la vulve lors de la naissance) et une hémorragie de la délivrance : on va bien se marrer tiens ! Je cours dans le service et là, j'entends "Thaïs, va en 3!”. Je rejoins ma nouvelle patiente qui est déjà en train d’accoucher. Marine m'a devancée et est déjà en place. Aller, une naissance en plus ! Ici encore le bébé ne va pas au mieux. Cette fois elle l'emmène et je reste pour surveiller la délivrance (la sortie du placenta), et comme un malheur n'arrive jamais seul, elle se met à saigner. Je suis maudite ! Aller, je souffle, je me dis que de toute façon, je suis bientôt sage femme et qu'il faut que je me débrouille. Je masse, je masse, je masse (l’utérus) et finalement tout rentre dans l’ordre. Je lui administre des médicaments pour éviter les saignements et c'est reparti pour la tournée : surveillance, papier, courir, aider. C'est la nuit infernale. Les papiers s'accumulent, et la nuit se termine à 8h30 au lieu de 6h40. Je rentre à pied. Maéva devait me ramener, mais elle partie il y a 1h30. Je suis épuisée, effrayée et à plus d’une demi-heure de marche de chez moi. En marchant, j'apprécie la pluie qui vient de tomber. Je respire un grand coup, au moins ici la formation sera meilleure même si ça ne va pas être facile. 

9h15 : Après avoir sauté sur mon téléphone pour tout raconter à Elise je m'endors péniblement, éreintée mais encore sous adrénaline.

 

J 6

 

14h30 : Eh oh, c'est pas l'heure de se réveiller ! J'enchaîne avec une autre garde la nuit prochaine, il faut que je dorme. Mais non, mon cycle circadien en a décidé autrement et me voilà levée. J'en profite pour ranger mes affaires. Il faut aussi que je témoigne : suite à une enquête au niveau national 7 étudiantes sages-femmes sur 10 présentent des symptômes dépressifs pendant leurs études. L'école de Montpellier est énormément concernée et j'ai été appelée à témoigner. J'ai tellement de choses à dénoncer et à raconter que ça me prend une bonne heure, je suis pourtant sûre que j'ai oublié plein de choses. Niveau moral, c’est toujours pas facile mais je me dis que ça va aller de mieux en mieux au fil des jours. Je vais m’occuper avec le travail et ça ira. 

16h30 : Nous voilà partis mes colocataires et moi, faire les courses au super U en famille. Chacun fait ses emplettes, je fais mes courses les écouteurs enfoncés dans les oreilles en conversation téléphonique avec Elise, et on se rejoint à la caisse. Ici, les prix grimpent vite si on ne mange pas local. J’essaie de faire avec les moyens du bord et théoriquement le but est de faire le maximum de ses courses au marché du mercredi et samedi et de compléter avec le supermarché.

17h45 : On est rentré, on range, je me prépare et je décolle. Maéva passe me prendre à nouveau, c'est reparti !

 

N 6 

 

18h40 : Un peu plus détendue qu'hier soir, je me présente. Ce soir, c'est Cloé et Cécile qui sont de garde. Ici, en Guyane, les métropolitains sont pour 90 % soit dans le secteur du soin, soit miliaire, soit enseignant. On m'a déjà répété plusieurs fois que si je voulais être embauchée après mon stage, je pourrais le faire sans difficulté. Les prochains mois nous dirons si ça m'intéresse. La demande est si importante que le CHOG va jusqu'à payer les billets d'avion aux jeunes sages-femmes pour les faire venir travailler ici. Un voyage à mille euros ça ne se refuse pas ! Je reprends la patiente que je connais qui est déclenchée, je prends en charge une patiente en travail, et une qui vient d'arriver. C'est reparti pour la course : examen, papier, prise en charge de la douleur, perfusion en urgence, accouchement en urgence, examen clinique, surveillance de l'accouchée, du nouveau né, administration de médicament, enregistrement cardiaque foetal... 

2h : Un gros ralentissement se fait sur un rythme fœtal. On s'active et on frôle la césarienne en urgence. La conduite à tenir du médecin est claire : expectative (attente). 

3h : Vient le moment de l'accouchement de l'une des patientes, on s'installe, je dégage la tête et là... Catastrophe. Le genre de chose qu'on apprend à l'école en nous disant "Vous ne verrez ça qu'une fois dans votre carrière, et quand ça vous arrivera vous prierez". Je prie. Une fois la tête dégagée les épaules se sont coincées dans le bassin et il se produit ce qu'on appelle une dystocie des épaules. Cloé reprends la main, je cours dans le couloir et crie "DYSTOCIE !!“. 2 sages-femmes arrivent en renfort en courant, je dis à l'une d'appeler le gynéco, j'appelle le pédiatre. Entre temps, on fait des manœuvre d'extraction et Cloé tente la manœuvre extrême (appelée manœuvre de Jacquemier). Victoire ! L'enfant se dégage. Il ne va pas bien. On coupe le cordon et elles partent en réa. Je reste m'occuper de la délivrance tout en rassurant la mère sans trop en dire, après tout je n'en sais rien. L'une de mes collègues revient et annonce "il va bien". Aller, on respire enfin. 
En discutant avec les sages-femmes au cours de la nuit elles me font part de leur inquiétude en arrivant ici, me disent que moi aussi, c’est normal que je m'inquiète, mais que j'ai fait un très bon choix. Elles m’avouent aussi qu'en travaillant ici, je pourrais travailler n'importe où après. Cécile me confie même que son premier mois elle s'était dit "mais qu'est ce que je fais là, qu'est ce que j'ai fait en venant ici ?”. Cloé revient d'ailleurs plusieurs fois pour s'assurer que je vais bien, et qu'elle ne m'a pas bousculée pendant l'urgence, qu'elle s'excuse si c'était le cas. Du jamais-vu chez mes encadrantes, je n’en reviens pas, quelle gentillesse. 

6h40 : La nuit se termine, pendant la relève je ne tiens plus debout et m'assois au sol tellement que j'ai mal partout. J'envie mon lit. Maéva me ramène, Elise est occupée et on doit se contenter de s’envoyer des textos. Je m'endors en 3 minutes chrono.

 

J 7 

 

13h30 : Je suis tirée du sommeil par ce que Wassim parle fort avec quelqu’un. C’est certainement ce qu’on appelle “les joies de la colocation”. Je me lève et passe une tête dehors pour dire bonjour. Je reconnais Yann, le voisin, et les salue tous les deux. 

J'avais rencontré Yann quand Mehdi m'avais fait visiter l'appartement : un Breton en couple avec un homme, qui a adopté deux enfant Guyanais. L'un a 17 ans et passe son bac, et l'autre a 1 an et demi : Paulin. Je suis tombée nez à nez avec lui l'autre jour, sa culotte à la main, haut comme trois pommes, magnifique petit bébé black qui voulait absolument jouer avec le balai. Je m'étais d'ailleurs proposée pour le garder de temps en temps si besoin. 

Je grignote et retourne au lit pour écrire les 2 journaux de bord que j'ai de retard avant de me rendormir

17h30 : Je me lève, traîne un peu. Ce soir, je reste tranquille. J’appelle Elise pendant une bonne heure en Facetime. Parfois c’est facile d’oublier qu’on est loin, je l’appelle et l’instant d’après sa petite bouille est sur l’écran de mon téléphone, dans mon lit, comme si elle était à coté de moi. Le décollage horaire nous force à ne pas passer notre temps sur le téléphone. Le matin pour elle je finis ma nuit, le soir pour moi elle commence la sienne. Et je m'endors épuisée, à 23h.

 

J 8

 

7h30 : Encore du bruit qui me réveille, j'entends Gabrielle s'activer pour aller au travail et Wassim pester. Je tourne, me retourne et parviens à me rendormir une heure plus tard, en espérant récupérer un peu de toutes ces heures de sommeil agitées. 

12h : J'ouvre les yeux. Cette fois-ci personne pour m'embêter, je me lève doucement, mange un bout et écris encore. 

14h30 : J'ai rendez-vous avec Marine pour aller au Suriname. Je la rejoins au pas de sa porte, à deux rues de chez moi et on y va à pied. Je lui raconte mes prouesses de la veille quand elle me coupe tout à coup et me dis rapidement "T'inquiète pas, c'est normal”. J'acquiesce sans comprendre et en tournant la tête, j'aperçois deux jeunes hommes qui sprintent sur 50 mètres dans notre direction. Ils s'arrêtent face à nous et se battent comme deux petits garçons en s'apostrophant de "C'est moi le premier", "Non c'est moi, t'as vu madame ?". Ce sont des racoleurs piroguiers. Marine prend les choses en main et affirme d'une voix autoritaire que nous ne payerons que 2,5 € et qu'on veut partir tout de suite. On monte donc dans la pirogue la plus pleine et nous voilà en route vers Albina qui se trouve de l'autre coté de la rive du fleuve. Je m'émerveille du paysage et me laisse porter par les vagues quand j'aperçois un enfant assis face à moi, de 6 ou 7 ans à peine, sac à dos bien enfoncé sur les épaules, qui s'endort bercé par les remous. Certains petits traversent le fleuve tous les jours pour aller à l'école. La pirogue fait partie de leur quotidien et remplace le bus. Arrivées à bon port, on se balade et Marine ne trouve pas la pièce de voiture qu'elle est venue chercher. Ici les produits sont moins chers, les magasins font penser à nos “Chinois” et regorgent d’articles à bas prix. Idem pour les textiles qu’on peut acheter avec quelques dollars surinamiens ou quelques euros. On rentre doucement, la traversée ne prend qu'une dizaine de minutes et on se dirige vers l'office de tourisme où se trouve ponctuellement un petit shop de vêtements africains. Je discute un peu avec les vendeuses et les regarde coudre pendant que Marine se prend au jeu et essaie des parures de toutes les couleurs. 

17h30 : J'enfourche mon vélo pour me rendre dans le quartier des lacs bleus à l'autre bout de la ville, j'ai rendez-vous pour une potentielle future colocation. Je pensais qu'il s'agissait de deux garçons, mais à l'arrivée : surprise ! C'est en fait deux professeures de sport. Elles sont très gentilles, on fait le tour, on discute un peu. Le problème, c'est que l'appartement en question est à une bonne heure à pied de l'hôpital et pas moins de la moitié à vélo. Je pars et on en conclut qu'on se tient au courant. Elles ont 5 ou 6 autres personnes sur le coup, mais il faut aussi que je réfléchisse de mon côté : les jours où mes gardes finiront tard, je rentrerais facilement vers 21h dans un quartier "malfamé", c'est moyen. 

18h30 : J'appelle Elise et traîne un petit peu avant de rejoindre mes colocataires qui m'ont proposés d'aller boire un verre et manger un bout en ville.

20h : Je les rejoins au Ti'Pic Créole. Gabrielle et Wassim sont accompagnés d'un copain de Wassim et de Kylian, le petit ami d'une infirmière arrivée il y a quelques jours elle aussi. On mange sur place et je me laisse tenter par la découverte. Kylian, plus courageux que les autres, m'accompagne et on commande des plats de gibiers aux noms inconnus. Parmi eux, on peut manger du tatou, du pac, du cochon bwa et d'autres dont le nom m'échappe déjà. Je commande du Pac et Kylian du Cochon bwa : c'est convenu, on se partagera les plats pour goûter un peu à tout. Je commande en accompagnement du couac (poudre de magnoc) avec des haricots rouges. C'est pas mauvais ! Si on fait abstraction des poils, et du plombs que j'ai trouvé dans mon plat, c'est assez similaire à ce que je connais. 

23h : On rejoint 2 infirmières chez elles -elles viennent de finir leurs services- et on convient qu'ils finiront tous la soirée à la maison, au bord de la piscine. 

00h : On rentre et je me couche, je reste sage. Après tout, demain je suis de garde.

 

J 9 

 

5h50 : Le réveil sonne. Aller, c'est reparti. Adèle, une sage-femme, s'est proposée de faire un détour pour passer me prendre avant sa garde. Je monte dans la voiture et je rencontre Dalia, sa colocataire, et Aurélie qui commence aujourd'hui. On s'est déjà contactée par Facebook, et je tente de la rassurer tout en sachant qu'à sa place, je n'en mènerais pas large non plus. Les filles sont drôles et détendues, je me laisse aller à rire et j'ai vite l'impression d'être l'une des leurs. 

6h40 : La garde commence à peine, on échange 3 mots avec l'équipe de nuit quand on entend crier dans le couloir : accouchement en urgence. C'est parti ! 

Je mets mes gants, me présente rapidement, j'accouche, et Dalia, qui tourne avec moi, part avec le bébé. Une hémorragie de la délivrance fait rage dans la salle d'à côté depuis notre arrivée et l'équipe subit déjà le branle-bas de combat. 

Je me retrouve seule. Ça saigne. Ça saigne beaucoup. Le flot arrive et je comprends rapidement que ce n'est pas normal. Aller Thaïs respire, t'es bientôt grande. Je masse, je masse, je masse. Les flots ne s'arrêtent pas. Je me dégante et passe une tête dans le couloir en ponctuant Dalia d'un "Viens, ça saigne !". Elle me rejoint, on s'active, on prévient l'équipe. L'avantage, c'est que tout le monde est déjà sur place. Arrivent une autre sage-femme, l'aide-soignante, l'anesthésiste, l'interne, le médecin. Ça fait beaucoup de monde ! Je me mets dans un coin, aide comme je peux et j'observe un maximum : c'est ma première hémorragie de la délivrance. Enfin la première vraie, je veux dire, ma petite dame saigne 1,3 L de sang au total. Proche de la transfusion, on y échappe finalement et tout rentre dans l'ordre. 

Dalia est à bout de nerfs, le médecin l'a énervée à nous aboyer des ordres successifs, je croise les doigts et espère que ça ne me retombera pas dessus. 

En discutant dans le bureau des sages-femmes, je me rends compte rapidement qu'au contraire, elle me considère dans son camp, qu'elle est jeune diplômée et ne veut pas représenter une menace pour moi. Elle a aussi mal vécu beaucoup de stage et m'assure plusieurs fois que je peux être en confiance avec elle. Qu'elle "n'en connaît pas beaucoup plus que moi". Elle conclut même en me disant "Justement, moi elles m'ont tellement fait chier ces connes que si je t'emmerde, je veux que tu me le dises ! Je veux pas être comme elles". Il y a un monde entre ce que j'ai connu avant et la façon dont un m'accueille ici. Je me laisse guidée avec confiance et mène ma garde avec toute la ferveur qu'il est possible d'avoir. 

Je fais deux autres accouchements, et j'accompagne la prise en charge d'une mort fœtale. L'ambivalence de notre métier est parfois prenante, je sors de la salle A avec un grand sourire après un moment de bonheur pur, pour rentrer dans la salle B avec compassion et réserve pour respecter la mort qui a remplacé la vie. 

18h30 : La relève commence à arriver, on va bientôt pouvoir faire nos transmissions. Mais la nature en a décidé autrement et la patiente que j'ai suivi toute la journée ressent l'envie de pousser. Aller, on s'installe pour accueillir ce bout de chou ! Le périnée est très musclé et je fais part de mon inquiétude à Dalia. Elle reste à côté et me dis qu'elle mettra ses gants si je lui demande. Le bébé ralentit son rythme cardiaque une première fois. Il récupère. Après un autre effort expulsif, un deuxième ralentissement se fait entendre et je m'inquiète, cet enfant n'a pas beaucoup de réserve et il est encore haut. Je tente de crocheter le menton afin d'accélérer la procédure, mais j'échoue et je demande à Dalia de prendre la main pour qu'elle me fasse part de son impression clinique. Les ralentissements l'inquiètent aussi, elle tente une fois, deux fois, trois fois. On encourage la future maman avec entrain et on lui fait comprendre que son bébé est à l'étroit, qu'il ne peut plus attendre et qu'elle doit tout donner. Dalia crochète, crochète et fini par réussir. Il naît. Il va bien ! Ouf. Par contre le périnée, c'est moyen. On constate vite qu'une déchirure du second degré s'est faite et je me propose pour suturer, en faisant comprendre à ma sage-femme discrètement que des comme ça, je n'en ai jamais fait. Elle me guide et mes mains font les gestes. Satisfaite du résultat, mes collègues m'avoueront le lendemain qu'elle a attendu que je sorte du bureau pour dire "Thaïs elle a fait un suture niquel !”.

20h : On commence les transmissions avec une heure de retard. On blague et on donne un coup de pouce à l'équipe de nuit qui n'est constituée que de deux sages-femmes contre 3 le jour, pour s'occuper d'un service plein. 

Tout à coup, l'une décroche le téléphone et nous dit dans la précipitation "accouchement aux urgences !" Aller, on recommence. On sort toutes de l'office en courant, l'une dit "Je prend le synto" l'autre demande "Quelqu'un à pris un set d'accouchement ?", ou encore "Elle est dans quelle salle ?". On court. La salle en question se retrouve vite remplie et la patiente se retrouve avec 5 sages-femmes pour le prix d'une. On transfère la dame rapidement dans une salle adaptée et on la réexamine. Conclusion : fausse alerte, la dilatation n'est pas complète, elle n'en est qu'à 6 ou 7 cm. On souffle toutes un coup, riant de bon cœur en tournant les talons. Je vois la dame changer de tête et lui demander “You wany poussou ?" (Tu veux pousser?). On se regardent toutes et ma collègue commence à renfiler des gants. L'enfant est déjà là. Ascenseur émotionnel ! Le gant à moitié mit, elle maintient la tête et la maman est mère pour la huitième fois. 

21h : On quitte enfin le service, le sourire aux lèvres et la force nous manquant aux jambes. 

21h30 : Je rejoins Marine chez elle, on mange une tartine de rillettes, un Kinder et on rejoint Paul et ses copains de la gendarmerie au Ti'Pic. Je parle avec Paul depuis quelques jours sur Tinder. Il à l’air gentil et n’a pas semblé gêné par ma franchise quand je l’ai informé qu’il ne se passerait rien, que je cherchais à connaître du monde. À notre arrivée je lève la tête et fait comme s’il n’existait pas une once de timidité chez moi, finalement, après les présentations on est très bien accueillis et on passe une très bonne soirée. Les blagues n’arrêtent pas et la conversation ressemble à celle d'amis de longue date. 

00h : Je rentre dans mon lit, il faut aussi que je sois raisonnable. Marine suit les garçons pour l'after et les accompagne dans l'escadron pour terminer la soirée.

 

J 10 

 

5h45 : Je me lève rapidement pour avoir le temps d'engloutir quelque chose avant d’attaquer la journée. Adèle vient aussi me chercher ce matin, elle est de garde en salle d’accouchement et passe me prendre devant l'église à côté de la maison, on file prendre la relève ensemble. On salue nos collègues et une fois de plus semble-nous attendre ce qu'on appelle une garde noire (ou tableau noir, quand le service est rempli). Avant de pouvoir commencer la sonnette sonne et je me propose à y aller pour que mes collègues puissent se transmettre les informations. 

J'entre dans la chambre de la patiente et celle-ci m'accueille d'un "Madame examine moi". Je lui réponds doucement que nous sommes en train de changer les équipes et que je reviens dans un instant pour aller voir son dossier. Celle-ci me retient alors par un "mais ça pousse". Ah. J'enfile mes gants et l'examine. Je cherche alors sa dilatation et il me semble qu'elle est à dilatation complète (qu'il n'y a plus de col de l’utérus et que l’accouchement est imminent). Je lui demande alors où est ce qu'elle en était la dernière fois qu'on l'a examinée et elle me répond que la dernière fois son col était fermé. Je cherche, je cherche : si je dis à mes collègues qu'elle est à dilatation complète et qu'elle ne l'est pas, je vais avoir l'air bête ! Et parfois on se fait avoir. Je doute de moi, et soudain décide de me faire confiance et d'enlever mes gants pour aller en faire part à l'équipe qui se trouve dans le bureau, en face du couloir. Quand tout à coup, je sens que la présentation (le bébé) avance, et que ma patiente commence déjà à pousser. Je ne sais même pas de quoi il s’agit. Un déclenchement ? Une grossesse pathologique ? Je cours pour frapper à la fenêtre du bureau et tout le monde se retourne vers moi avec un drôle d'air en me voyant alarmée. Une demie seconde plus tard tout le monde comprend et toute l'équipe déboule dans la chambre. L'enfant est déjà là. Heureusement que j'ai appelé l'équipe, il se trouve que l'accouchement allait être déclenché pour grossesse pathologique, avec une prématurité importante (7 mois de grossesse) et un bébé estimé à 1,6 kg. La petite crevette sort à la première poussée et on part en réa. Je l'aspire, on le stimule, le scope. Il va bien, il a crié tout de suite et son tonus est bon. Le pédiatre arrive et on l'hospitalise dans le service de réanimation néonatale. En discutant avec la pédiatre celle-ci comprend que je ne suis qu'étudiante et me félicite d'un "Quel sang-froid pour une étudiante ! C'est très bien. Même pour une sage-femme." Flattée, je rejoins les autres dans le bureau et me présente à Adrien, un sage-femme cadre qui est de garde avec moi aujourd'hui. Il s'excuse en rigolant puisque ça fait deux fois qu'il fait naître un enfant à ma place dans l'urgence. 

Ce matin, je décide de prendre en charge une patiente dont le bébé présente des altérations du rythme cardiaque, et que l'on doit surveiller pour savoir si on part en césarienne ou pas. 

Adrien me prend sous son aile et me dit "Tu es en dernière année, si tu es d'accord ce dossier (il me pose le dossier dans les mains) est à toi. C'est ta patiente, c'est toi qui gères. Je suis là évidemment pour vérifier que tout se passe bien." Ouah, quelle confiance ! Je m'affaire vite à étudier le dossier : Mme X, premier bébé, a eu une grossesse marquée pas une hypertension artérielle traitée et un diabète gestationnel (de grossesse) sous régime. On la déclenche pour tout ça aujourd'hui, et c'est donc moi qui les suivrais aujourd'hui. C'est également moi qui trace tout dans son dossier et qui décide des conduites à tenir en accord avec les médecins. 

En milieu de journée, un autre dossier particulier nous est présenté : une patiente enceinte de son huitième enfant arrive à dilatation complète, mais avec un bébé qui se présente par les fesses ("en siège"). Ce petit bout à même décidé de faire les choses différemment et est en fait comme assis en tailleur dans le ventre de sa mère (= siège complet). Ce qui fait que quand j'examine la maman, je sens ses petits orteils remuer contre mes doigts. L'enfant semble pressé et avant qu'on ai pu gérer nous-même la situation la poche des eaux se rompt et le bébé commence à naître. L'équipe arrive rapidement et on est obligés de faire des manœuvres de grandes extractions pour différentes raisons obstétricales. Finalement : périnée intact, même pas de déchirure. Décidément, les femmes d'ici n'ont vraiment pas le même périnée que les blanches. 

Pour finir la journée, on s'installe pour faire naître le bébé qui présentait des altérations de rythme et qui ne semble pas supporter l'épreuve du travail. Ici encore, on est obligées de faire appel à l'équipe des médecins. Résultat : épisiotomie (coupure de la vulve), ventouse et forceps (instruments visant à accélérer la naissance). Dommage pour la maman. Mais elle le prend tout de même avec le sourire et nous avoue qu'aujourd'hui, c'est son anniversaire à elle aussi, qu'elle est ravie d'avoir ce merveilleux cadeau malgré le prix à payer. A postériori, je discute un peu avec le petit couple et ceux-ci, haïtiens, me souhaite la bienvenue et me remercient chaudement de mon accompagnement. Des patientes comme ça, j'en veux tous les jours ! 

17h30 : Moment calme de la journée, tout est cadré de mon côté et je propose à mes collègues de leur avancer leurs papiers, ou de donner un coup de pouce s'ils en ont besoin. Adrien me demande mon carnet de stage et le rempli avant de me demander de fermer la porte derrière moi. Sans comprendre, je m'exécute et il m'invite à m'asseoir face à lui et à Adèle qui m'a aussi encadrée aujourd'hui. À cet instant, j'ai le droit à de très jolis compliments : Adrien m'avoue qu'il ne m'a pas considérée comme une étudiante aujourd'hui, que je suis pour lui déjà l'une des leurs. Qu'il faut que je continue comme ça et qu'à la fin de mon stage, il veut mon CV ! Qu'il me veut dans son équipe, et que je peux être fière de moi. Venant du cadre, le compliment est très flatteur. On conclut sur le fait que j'ai encore 4 mois pour réfléchir, et que je ne prendrais pas de décision hâtive. 

17h40 : Il me libère plus tôt pour compenser les nombreuses heures supplémentaires que j'ai déjà faites : du jamais-vu. En stage, on me retient souvent jusqu’à la dernière minute et souvent après. Je profite de l'aubaine et passe deux bonnes heures au téléphone avec Elise pour lui raconter mes exploits. 

21h : Ko, je décide de rester au calme et je m'endors, épuisée.

 

J 11 

 

9h : Enfin la grasse matinée ! Ah, visiblement c'est pas encore tout à fait ça pour le décalage horaire, et je suis déjà réveillée à 9h. Je traîne au lit et me prélasse deux bonnes heures. Je mange un bout et j'écris encore. Je me plais à vous écrire et les lignes s'accumulent avec facilité, sans même que j'ai à réfléchir. J'appelle ma petite maman et mon petit papa, j'envoi quelques messages et potasse rapidement mes cours. En milieu d'après-midi Gabrielle est rentrée du travail. On lézarde au bord de la piscine et je prends des couleurs en quelques minutes. J'appelle Elise dans ma chambre pour un peu de tranquillité et j'entends que nous avons des invités. Je reconnais la voix d’Andréa, une infirmière, et de son copain Kylian. Gabrielle les a invités à venir profiter de la piscine en after-work. J'apporte mon enceinte et on profite de la baignade et des derniers rayons de soleil. Un apéritif s'improvise et on boit un verre de cidre, j’apprends au détour des conversations qu’Andréa est Bretonne elle aussi ! Je ne suis pas plus surprise que ça, nos mentalités semblent similaires et on a tout de suite accroché toutes les deux. Après une ou deux parties de cartes, je les quitte pour rejoindre Marine qui a des ennuis avec son colocataire, et qui a peur de l'affronter seule. Je m’en vais lui prêter main forte au cas où il serait violent, et garde en tête qu’au moindre problème les gendarmes rencontrés il y a quelques jours ne sont pas loin. J’appelle Elise sur la route et l’embrasse en arrivant à destination. Finalement pas de colocataire en vu : on rejoint donc Paul et les autres gars de son escadron au Tipic. La soirée est plus calme que la dernière fois. On mange tous ensemble dans la bonne humeur, avant qu’ils ne rentrent les uns après les autres et qu’on ne se retrouve plus qu’à quatre à papoter de tous les sujets possibles et imaginables. On passe du don d'ovocyte aux gilets jaunes, et de la déchirure d'un périnée à leurs missions rocambolesques en orpaillage. Leur travail pendant cette mission en Guyane consiste à débusquer les pilleurs d'or de la forêt amazonienne sur le territoire français. Ils les délogent et leurs laissent à peine de quoi manger et boire afin qu’il puisse rentrer. On les écoute nous réciter leurs aventures Guyanaises, leurs nuits en forêt dans les hamacs, leurs rencontres avec les singes et même leur tête à tête avec un jaguar qui traversait innocemment le fleuve, avant de rentrer à pied dans l’humidité des nuits d’ici.

 

J 12 

 

9h : Encore une fois je profite de ma matinée au calme et traîne au lit, m'abrutissant devant une série jusqu'à midi. J'émerge ensuite pour manger un bout et j'écris encore. Et je bosse encore. Aujourd'hui, j'aurais voulu profiter de la piscine, mais la météo en a décidé autrement. Il pleut à grosses gouttes malgré la température qui avoisine les 30°. Je reste donc abritée sur la terrasse pour travailler au rythme de la musique au moment où j'aperçois un visage connu dans l’entrebâillement de la porte mais que je ne réussis pas à le re-situer, avant de comprendre ce qui est vraiment entrain de se passer quand j'entends les voix qui viennent de la chambre de Wassim. Je ris de la situation et mets mes écouteurs au cas où.

17h : En fin d'après-midi Paul s'ennuie et me demande s'il peut passer à la maison. J'accepte et on boit quelques bières en papotant de tout et de rien. Je crois qu'il plaît bien à Marine et j'essaie de lui en toucher un mot. J’échoue lamentablement, tant pis.

19h : Wassim, tout sourire, puis Gabrielle se joignent à nous et je repars pour le Tipic en début de soirée. Hier, on a convenu qu'on mangeait là-bas avec Andréa, Kylian, Charline (une sage-femme) et Marion (une infirmière). Décidément, je vais passer mon temps là-bas si ça continu ! Je les rejoins et Mathilde, une autre infirmière, se joint à nous. Puis Wassim, puis Qaïs qui travaille au laboratoire, et enfin une autre collègue d'Andréa. On mange dans la convivialité et je me laisse tenter par un filet de "jamais goûté”, un poisson rare d’ici. C’est délicieux. 

23h : On rentre et au dodo !

 

J 13 

 

9h : Aujourd’hui Gabrielle est en congé et Wassim fini à 10h. On l'attend et on part faire le marché en famille. Au détour des étales multicolores on discute de la fête qu'il est prévu qu'on organise samedi et des courses qu'il faut prévoir. J'achète un peu de nourriture chinoise dans un des nombreux foodtruck et je croise Adèle qui fait ses emplettes. Celle-ci me conseille de goûter le jus de cupuacu (la fève de cacao) et de manger des coxinhas : spécialité d'ici c'est une farce enveloppée de purée, frite ensuite. Il en existe au jambon fromage ou au poulet. Très bon aussi. On discute et j'apprécie le soleil et la chaleur, c’est agréable de vivre ici. 

11h : Gabrielle en a assez de se faire piquer par les moustiques et achète sur mes conseils de l'huile de coco et de Carapa. On flâne et on rencontre un marchand assis à même le sol. On se penche sur son travail et Gabrielle décide d'acheter un collier. Tout en discutant, il s'affaire à lui ajuster le tour de cou. Il est en fait Italien, et voyage avec sa chérie en vivant grâce aux bijoux qu'il vend sur les marchés. En apprenant que je suis sage-femme (enfin presque) il me fait un grand sourire et me dis que sa petite femme est enceinte. Qu'ils attendent le bébé avec impatience et qu'ils vont probablement voyager encore un peu en Amérique latine. On se remercie chaudement de cette rencontre et nos routes se séparent. 

12h30 : On passe enfin au Super U pour prévoir la soirée de Samedi. Une quinzaine de personnes sont attendues et on est déjà obligés de se limiter (le voisinage pourrait râler). 

14h : En début d'après-midi nous voilà partis pour Javouhey, le village d’à coté, Wassim connaît un endroit là-bas où l’on pourra se baigner dans la forêt. L'endroit se trouve à une petite demi-heure de route ; Andréa, Marion et Kylian nous rejoignent chez nous et on part avec la musique à fond. Arrivée là-bas j'écarquille les yeux et profite du paysage, c'est un petit coin de paradis et de sérénité. Kylian et moi (les plus courageux) nous laissons tenter par la douceur de l'eau et sautons du ponton. Pas très rassurés, on se rend vite compte qu'on a tendance à revenir très vite vers celui-ci : ici c'est profond, l’eau marron nous empêche de voir nos pieds, et on sait qu'ils pourraient rôder quelques caïmans dans les parages. Les filles finissent pas nous rejoindre et on barbotent tous ensemble une bonne heure. Avant de partir, on caresse le perroquet qui semble surveiller son domaine et on discute un petit peu avec le propriétaire des lieux. On apprend alors que le perroquet s'appelle coco et qu'en plus de dire "ça va ?" en français, il parle Mong. Il a même imité le rire de Marion ! Le propriétaire revient quelques instants après pour nous offrir des bagues qu'il a tressé lui-même. On adore. Il nous donne également une carte : il organise des randonnées et des nuits en carbet. Gabrielle et moi tombons d'accord sans hésitation : le week-end prochain, on fera ça.

18h : Retour à la maison, je mange mon doggy-bag de la veille et une papaye pour le dessert. J'écris encore un peu et me couche tôt. Après avoir téléphoné à Elise et lui avoir dit à quel point elle me manquait je me laisse aller dans mon lit quand le sommeil arrive. les deux prochains jours promettent d'être fatiguant : c'est déjà reparti pour deux gardes de jour !

 

J 14 

 

5h40 : Le réveil sonne. Fort. Je me réveille en sursaut et le cœur palpitant. Après quelques minutes, je comprends vite que l'angoisse du réveil ne me quittera pas aujourd'hui, ma nuit à été agitée et je suis stressée. 

6h15 : L'heure de partir au travail, j'enfourche mon vélo et j'apprécie la "fraîcheur" du matin. Il est à peine 6h, je suis en short / t-shirt et je commence déjà à avoir chaud. 

6h40 : On prend la relève. L'équipe d'aujourd'hui est constituée de sage-femme un peu plus "vielles" que d'habitude et j'ai vite l'impression qu'elles n'ont pas plus envie que ça que je sois dans les parages. Tant pis, j'ai l'habitude. Je me fais petite et je fais en sorte qu'on ne me reproche rien. L'avantage, c'est que ça me force à être très minutieuse et je progresse encore plus vite. 

Je choisis de prendre en charge une patiente déclenchée pour anomalie du rythme cardiaque (du bébé), et une patiente en travail. Cette dernière en est à son 4ème enfant, le premier à seulement 4 ans. À mon avis, c'est plus elle qui aurait des choses à m'apprendre que l’inverse. Je la rejoins dans la salle d'accouchement et l'aide à gérer la douleur. Je l'accompagne tant bien que mal et je reste avec elle. Celle-ci à peur que je parte et s'agrippe à ma main. Elle me confie qu'elle a peur, qu'elle a mal. Je la rassure et lui promet que je resterais près d’elle, le service n'est pas plein aujourd'hui, je peux me le permettre. Pas de péridurale et pas une once d'hésitation de sa part, quel courage ! La poche des eaux ne s'est pas encore rompue et avant qu'on ai pu la rompre nous-même celle-ci explose dans une vague de liquide clair juste au moment où Maud, la sage-femme, passe devant. Elle évite de justesse ce petit raz-de-marée qui va jusqu'à toucher le mur ! Je souris et m'installe sommairement : je sais qu'il n'y en a plus pour longtemps. Je mets mes gants, et j'attends que ma patiente pousse d'elle-même. Elle pousse, je dégage la tête. Une petite fille née. Bon anniversaire à Mlle X, tu es venue au monde le même jour que Victoire l'une de mes meilleures amies. Cette petite puce va bien, la maman aussi, je les réinstalle et souhaite que tous les accouchements soient si simples. 

14h : Malheureusement la vie en a décidé autrement et une patiente se présente à nous avec des douleurs qui semblent constantes. Je rejoins Maud dans la salle et celle-ci comprend rapidement qu'il y a un problème. Le cœur du bébé ne bat pas beaucoup plus que 100 battements par minute, et on ne sait pas depuis combien de temps. Les choses doivent aller vite. On suspecte un HRP (hématome rétro placentaire) et l'équipe est appelée en urgence. On se retrouve vite à une petite dizaine dans la salle et je m'occupe de la perfuser pendant que Maud la sonde, Mélaine appelle le gynéco, et que Cindy habille la patiente. 

On la transfère sur un brancard et on court vers le bloc : à notre arrivée même rituel : on la porte d'un brancard à un autre et ils courent ! Anesthésie générale à 14h35, naissance du petit garçon à 14h36. Ce petit bout ne pèse même pas 1,5 Kg et on l'accueille avec la pédiatre : stimulation, scope, aspiration, ventilation, et zou en réanimation néonatale ! 

Le reste de la journée est calme, je peux faire le point sur les protocoles et prendre des notes au calme tout en cadrant 2 autres patientes. On souffle un coup. 

18h40 : à notre tour de faire les transmissions. Une belle équipe toute fraîche arrive pour prendre notre relai. 

19h40 : De retour à la maison sous une chaleur étouffante, une petite douche et c'est reparti ! J’appelle Elise sur le chemin et je retrouve Marine et Billy, un prof avec qui j’ai parlé sur Tinder, au Tipic pour clôturer cette journée en douceur. La conversation se fait toute seule, on reste sage et Billy est aussi drôle qu’extravagant. Il parle beaucoup et semble passionné par ce qu’il fait. J’en apprend un peu plus sur le système scolaire d’ici et la journée touche déjà à sa fin. 

 

J 15

 

5h45 : Debout ! Beaucoup trop tôt pour avoir faim, j'enfourche mon vélo le ventre vide. Il fait nuit quand je pars et jour quand j'arrive. Je m'enfile deux verres d'eau cul-sec et je rejoins l'équipe en salle de garde. L'équipe m'a l’air, une fois encore, peu disposée à encadrer une étudiante et j'improvise : je dois faire quelques gardes dans les services des UGO (Urgences Gynéco-Obstétrique) donc je change de plan et j'y vais. 

6h40 : J’entre dans la pièce et je suis accueillie par un "Ah trop bien, tu fais ta garde avec nous ?" J'adore cet accueil ! Je souris et me félicite ce changement. 

Quelques patientes sont déjà installées dans les salles, mais ça a l'air assez calme. Aujourd'hui, je tournerais donc avec Cécile et Ambre une sage-femme que j'avais déjà croisée dans les couloirs et qui m'avait l'air adorable. La théorie se confirme : c'est vraiment un ange. Jeune diplômée elle est toute émue d'encadrer une étudiante pour la première fois. 

Et là, c'est le cataclysme... Les patientes sonnent, s'enchaînent, s'énerve, crient, appellent, râlent, toquent, souffrent, soufflent, patientent, s'impatientent, accompagnent, s'évanouissent... Les dossiers s'accumulent, ils y en a partout, à tel point qu'on ne les retrouve plus. J'entends qu'on se fait insulter dans la salle d'attente, les femmes s'énervent et quand elles ne le font pas elles se moquent de nous voir courir partout. Une sage-femme se détache de son service pour venir nous aider. Je suis amenée à encadrer moi-même mes patientes et la cadre elle même se joint à nous pour gérer des dossiers. Il y en a dans les couloirs, dans la salle d'attente, devant, dehors, dans toutes les salles, on en met même en salle d'accouchement. Je fais des prises de sang dans la salle du personnel au milieu de la montagne de dossier. On fait sortir les patientes pour nettoyer la salle et pouvoir en examiner une autre pendant que la première attend à nouveau son tour. Jamais vu ça. 

16h : La cadre voit que son équipe fatigue et propose aux sages-femmes d'aller manger 5 minutes "par ce qu'au point où on en est ça changera rien". Elles refusent. Je refuse également. Mais étant étudiante, on ne me laisse pas le choix et on m'impose de "filer manger". J'y vais en courant, me pose 5 minutes pour manger un bout de pain. Je prends une orange, 2 bouts de pain et 2 bouts de beurre et ramène les ravitaillements à mes collègues qui me remercient chaleureusement. 

17h : Elisabeth dans le service de la salle d'accouchement a fait un malaise. On apprend qu'un papa est malade, et une patiente se présente par ce qu'elle n'est pas bien. Le constat est vite fait : une épidémie fait rage, et l'équipe va tomber tour à tour. 

17h30 : Ça commence à aller un peu mieux, on commence à revoir des parcelles de blanc sur le tableau Veleda qui était recouvert des noms de patientes. 

18h40 : La relève arrive, la cadre vient nous alerter : 4 personnes sont en arrêt maladie et ne pourront pas assurer leurs gardes demain. Appel à la réquisition du personnel. Malheureusement, je ne peux même pas dépanner puisqu'il faut que je sois doublée. 

19h45 : Enfin rentrée à la maison, j'appelle la Elise et m'écroule de fatigue.

 

J 16 

 

7h30 : Réveillée à 7h30. Bon, ça serait pas mal de dormir un peu quand même. Je mets une bonne demi-heure à me rendormir et j'émerge à 11h. Je vais faire deux trois courses et m'installe sur la terrasse pour préparer un guacamole improvisé (avocat, thon, fromage frais, ail, sel, poivre, et ça fera l’affaire). Je mets un peu de musique et on papote avec Gabrielle et Wassim. Je mange un peu et ils s'occupent de nettoyer la terrasse ; le frigo est chargé de bières : on est prêt pour ce soir ! 

16h : Les copains commencent à arriver. Jahed est le premier, il travaille au laboratoire et avec lui la conversation se fait toute seule. On parle des fêtes bien connues des médecines et on discute même faluche (la coiffe estudiantine des étudiants français). Aurélie arrive sur ses talons et ça colle tout de suite, j'ai l'impression de la connaître depuis des années ! On est exactement sur la même longueur d'onde, c'est super. Ensuite Kylian, Marion, Qaïs, Maélia, Maxime et enfin Andréa arrivent. Dans tout ça, on a eu tout de même 6 annulations à cause de l'épidémie qu'il fait rage dans le personnel de l’hôpital. Personne ne sait si c'est viral ou pas, mais dans le doute on fait quand même attention, chacun son verre. En cherchant un peu on se rend compte que ça devait venir d'un endroit appelé "point couleur", les glaçons semblent avoir été contaminés et auraient rendus tout le monde méchamment malade. Certaines sages-femmes ont étés hospitalisées en urgence totalement déshydratées. On commence par une bière dans la piscine et on continue la soirée sur la terrasse. Wassim a commandé Haïtien, on s’installe tous autour de la table et mange ce qu'on appelle ici des bananes plantains (bananes frites) accompagnés de poulet et d'un mélange avec des carottes et du piment. 

23h30 : On décide de continuer la soirée au Coumarou, la seule boite de la ville. Ça ressemble plus à une paillote qu'autre chose et je ne tente même pas de danser, j’ai déjà du mal en métropole, mais ici je ne fais pas le poids face aux blacks qui ont le rythme dans la peau. Je me résous à m'asseoir à une table vide, quand débarque soudainement une vague de 3-4 garçons métropolitains qui s'assoient autour de moi. Je rigole, je me suis assise à leur table sans le savoir. Je devine sans mal qu'ils sont gendarmes et la conversation est vite engagée. 

1h : Andréa semble défaillir, elle a bu un verre de trop et je l’emmène aux toilettes pour tenter de lui éclaircir les idées, sans grand succès on retourne s’assoir en attendant que Kylian la ramène pour que je garde un oeil attentif sur elle. 

3h : Gabrielle et moi on rentre. On mange un bout accoudées au comptoir de la cuisine, en se faisant les dernières confidences de la soirée avant d’aller se coucher. Enfin c'est ce que je croyais, j’apprendrais demain matin que la demoiselle s'est relevée une demi-heure plus tard pour aller faire un bain de minuit dans la piscine. À en juger par les textos qu'elle a envoyé et qu'elle nous a montré avec regret, ma chère colocataire était loin de n'avoir bu que de l’eau.

 

J 17 

 

11h45 : Je me lève un peu avant midi et la maison se réveille en même temps que moi. On debrief de la soirée en rigolant et en mangeant un bout sur la terrasse. Encore fatiguée et rien n'étant au programme je retourne dans ma grotte et passe une bonne partie de l'après-midi dans mon lit. 

17h : Aujourd'hui et comme tous les dimanches jusqu'en Février il y a le carnaval en fin d'après-midi. Toute la petite bande se retrouve là-bas. Tous les âges sont présents et défilent devant nous. Les hommes jouent des percussions, les femmes dansent, chantent, les enfants courent ou imites leurs aînés. Une multitudes de couleurs paradent et nous offrent un spectacle hors du commun quand je me surprends à prendre en photo plusieurs enfants, contaminée par leur joie de vivre et leur insouciance. Ils dansent sans aucun calculs et semblent libres de tout jugement, simplement beaux à en couper le souffle. Je suis subjuguée par une petite, à peine âgée de plus de 2 ans, déguisée en fée et belle à vous envouter. Les femmes d’ici semblent toutes jeunes, les quarantenaires n’en paraissent que la moitié, néanmoins elles portent sur elles une maturité sans précédent pour moi. Les gamines d’une dizaine d’année se tiennent comme des dames, poitrines en avant et têtes hautes en menant la danse. 

19h : Je prends un jus de Maracuja et Kylian, Gabrielle et moi on rentre déjà. Kylian prend une bière et on discute informatique (il est ingénieur), voyage, vie, amour et études pour le reste de la journée.

20h : J'appelle Elise qui passe ses partiels demain. Le petit bout est un peu stressé et elle vient seulement de finir ses révisions, il est minuit chez elle. Je l'encourage du mieux que je peux, de toute façon, je sais que ça ne sert à rien, elle va tout déchirer. 

20h45 : Je rejoins Marine chez elle, on a commandé une pizza et on va la manger chez moi. On va la chercher place du marché, là-bas les foodtruck sont très présent et le commerçant tente maladroitement de nous draguer. Ici, les hommes draguent à tout-va et ne savent pas vraiment s'y prendre. Je me fais souvent "chiper" dans la rue, me fait appeler par des bruits de lèvre, ou me fais aborder quand je suis seule. Ça n'est pas méchant, ils tentent leurs chances, mais parfois, au vu du climat actuel en Guyane, on se sent mises à nues, exposées, en danger. 

22h : La fin de soirée est douce, je mange tranquillement et ne me couche pas trop tard, après un week-end mouvementé. Marine part demain pour 2 semaines à Cuba.

 

J 18 

 

7h : J'ouvre un œil et je me précipite pour envoyer un dernier message à ma princesse. Les dernières révisions se passent bien, elle a fait des anales et les résultats sont bons. Ça va le faire. Je traîne au lit ce matin et sort de mon antre pour manger vers midi. 

12h : Wassim vient de finir le travail. Petit rituel : j'écris sur la terrasse avec de la musique en fond. Cette après-midi je vais profiter de la piscine et ce soir on ira manger un bout au Tipic avec Paul. Je crois que je lui plais. Plutôt beau garçon, il est encore plus intéressant une fois qu’on creuse un peu. Il ne parle pas beaucoup, mais du haut de ses 1m90, il semble très sincère et touchant quand il se confie un peu. Je le lui rappelle une dernière fois : il ne se passera rien. Je ne voudrais pas jouer double jeu, et même si Elise et moi ne sommes plus ensemble, je l’aime encore beaucoup. Je traîne un peu, je fais attention au soleil et les nouvelles sont bonnes : partiels réussis pour Elise, je fête ça et on prend une bière sur la terrasse en début de soirée avant d'aller manger un bon magret de canard. La pêche à été mauvaise, pas de poisson ce soir donc je me rabats sur un incontournable ! Après le repas, on décide de prendre un dernier verre à la maison et il fait tellement chaud qu’on décide de profiter de la piscine. Après une brasse, deux brasses, un verre, deux verres… Nos peaux se frôlent, et mes lèvres l’embrassent. 

 

J 19 

 

8h30 : Rebelote, les derniers partiels de la demoiselle sont pour cet après-midi et je lui souhaite bonne chance à peine réveillée. Ensuite impossible de me rendormir… Dommage, je suis de garde cette nuit. Je ne lui ai rien dit pour hier soir, je ne voudrais surtout pas que, par ma faute, elle rate quelque chose. Après tout, il ne s’est rien passé. Quelques baisers mouillés n’ont pas suffi à faire flancher ma raison. Un peu perturbée, je l’ai raccompagné à la porte de la maison. Je me suis pourtant dit que ça faisait longtemps que je n’avais pas partagé mon lit avec un homme. Non sans m’entendre penser que je ne dois rien, que je peux, que j’envie; je me suis accrochée à Elise et l’ai gentiment congédié. 

Je vais faire deux trois courses et les partiels d’Elise sont déjà terminés. Je l’appelle pour en savoir plus, mais sans succès. Je me rabats sur les textos et la félicite des nouvelles que j’apprends : tout s’est bien passé, elle a déjà commencé à faire la fête ! Coupable, et brûlant de lui dire pour ne pas lui mentir un moment de plus je lui écrit entre deux rayons les événements d’hier soir. Le cœur battant à tout rompre, j’attends sa réponse le souffle court. J’attends longtemps, trop longtemps. De retour à la maison je comprends que je n’aurais pas de réponse au message qui a dû lui faire de la peine. Je lui rappelle à quel point je l’aime, à quel point ça n’a rien à voir. Je m’avise de garder mon avis pour moi : peut être que tout ça nous rendrait service, je n’en peux plus d’attendre de ses nouvelles en permanence. De manquer de sa présence à chaque moment, chaque souvenir. De passer des heures au téléphone en se racontant tout et rien, juste pour entendre sa voix, pour se confondre dans l’illusion qu’elle n’est pas loin. Je l’aime ça n’en fait aucun doute, partager mon lit n’y changerait rien. 

15h : Après une journée bien silencieuse et tracassée je réussis à grande peine à me rendormir une heure, c'est toujours ça de pris.

18h15 : Je monte sur mon vélo direction l'hôpital. Je suis de garde cette nuit, j'espère être en forme. La vue sur la route est splendide, je photographie le coucher de soleil qui tutoie les murs de l’hôpital.

18h40 : J'arrive en salle de naissance fatiguée, pas franchement motivée et je découvre un tableau noir, la nuit promet d'être agitée.

N 19 

 

18h40 : On prend la relève de l'équipe qui nous dis avoir eu une journée assez calme. C'est mauvais signe, en général le retour de bâton tombe sur l'équipe qui enchaîne. Et mon intuition est bonne cette nuit, on ne s'ennuie pas. Je prends en charge une patiente dont l'accouchement est déclenché par ce qu'elle est drépanocytaire (une maladie rare du sang, plus fréquente en Guyane que dans le reste de la France). Je me présente à elle et elle me dit qu’elle ne parle que Taki-Taki ou anglais. Je me rabats sur l'anglais et tente de communiquer tant bien que mal. La patiente est toute mignonne et le feeling passe tout de suite. Elle est triste par ce qu'elle est seule et que sa famille est loin, qu’elle en a marre de tout ce temps passé à l'hôpital et qu'elle ne veut qu'une chose : avoir son bébé dans les bras. 
Je m'occupe d'une autre patiente qui devrait bientôt accoucher et je garde sous le coude un autre dossier qui vient de nous être annoncé (une autre patiente en travail). La première m'appelle et on se fait avoir, à peine la porte passée, la patiente pousse déjà. Heureusement, la table d'accouchement est prête, mais je n'ai pas mes gants. La sage-femme tente de retenir la présentation avec le drap le temps que je les enfile, elle failli glisser sur la flaque de liquide amniotique, mais pas le temps ce petit bout est pressé. Tant pis, c'est le jeu : je mets les mains dans le cambouis et croise les doigts pour qu'il n'y ai pas de problème. Après une petite douche au liquide amniotique rempli de selles (de la mère et du bébé, sinon c'est pas drôle) le placenta est pressé aussi et sors d'une telle façon que je me prend une flopée de sang sur ma blouse. Évidemment, je n'avais pas eu le temps de mettre un tablier, je suis bonne pour aller me changer. Je sors de la chambre et me fais charrier par mes collègues. Il y a de quoi, je ressemble à une bouchère comme ça. Je sens mauvais, je me sens sale. Je file me laver les bras comme je peux et changer de tenue. 
La patiente annoncée en travail débarque en salle et on enchaîne sur un autre accouchement, encore une fois, je me fais avoir... Et un deuxième accouchement sans gant ! Cette fois-ci, je fais les choses proprement et je m'en félicite intérieurement. Jusqu'à ce que... En faisant mes prélèvements la compresse tombe et un jai de sang m'éclabousse le pantalon. Je réinstalle ma dame, sors de la chambre et me fais chambrer à nouveau. Je suis bonne pour aller me rechanger. Il est à peine minuit et je rêve déjà d'une douche et de mon lit. 
Au cours de la nuit, je prends en charge une troisième patiente à 7 cm. Ça devrait aller vite. Elle passe à 7 puis 8, puis 9. Dilatation brillante tout se passe à merveille. À ce rythme elle devrait accoucher vers 5h. Mais l'univers en a décidé autrement 9, 9, 9. Ça s'arrête là et ça m'agace ! Je veux le voir ce petit chou et soulager sa maman qui n'en peut plus. Elle a peur, elle a mal. Je reste avec elle. Cette fois-ci, je me prépare et je mets déjà une charlotte et un tablier que je ne quitte plus. Je fais pareil avec mes gants, j'en mets en permanence, tant pis si je ne suis pas en stérile, mais au moins je serais protégée. 

6h30 : Toujours 9 cm. Bon, un peu déçue, je me résigne à ce que l'accouchement se fasse avec l'équipe de jour. Je positionne ma patiente en position gynécologique et me prépare à aller faire mes transmissions. Je mets la main sur la poignée de portes et là ma patiente hurle. C'est le moment. Et évidemment, j'ai enlevé mes gants. 3ème accouchement sans gant, une tonne de papier à faire et du liquide amniotique jusqu'aux pieds j'en ai marre ! 

7h45 : Je quitte enfin le service et apprécie la douceur du retour à vélo, dans la moiteur matinale. Je passe comme tous les jours devant le cimetière de la ville. Ici, il est très coloré ; j'ai appris d'ailleurs que lors de la fête des morts les gens le parsèment de bougies rouges.

 

J 20 

 

12h30 : "Thaïs, Thaïs ! Tu dors ?!”. Oui Wassim, je dormais. Je vais lui ouvrir, on manque de clés dans cette coloc, mais comme réveil il y a plus doux. Stressée, je ne réussis pas à me rendormir. J'ai la tête ailleurs et j'ai besoin de prendre l'air. Je sors de la chambre et vais au bord de la piscine, un pied dans l'eau, avec le soleil et la musique ça devrait m'apaiser. Raté. Impossible de calmer l'angoisse, est là et elle est tenace. Il faut absolument que je dorme pour ce soir, j'étais déjà fatiguée avant la garde d’hier.

15h30 : Victoire ! J'ai réussi à me rendormir.

16h30 : 
- "Thaïs ! Thaïs ! On va à la crique, tu viens avec nous ou tu bosses cette nuit ?
- Je bosse cette nuit.
- Ah d'accord, bonne garde !"
Ne pas s'énerver, ne pas s'énerver. Je reste zen et évidemment impossible de retrouver le sommeil. J'ai le ventre en vrac, je peine à manger quelque chose et je pars péniblement pour ma garde. 

18h40 : Je baille en prenant la relève, je suis épuisée, mais l'équipe à l'air jeune. Aller, avec un peu de chance ça sera calme et elles seront cool.

 

N 20 

 

18h40 : Le tableau est plein une fois de plus. Petite difficulté supplémentaire cette nuit : j’ai pris un si gros coup de soleil sur les fesses que j’ai du mal à m’asseoir. Courir me fait mal, mais visiblement cette nuit, je ne vais pas pouvoir y couper. Ça m’apprendra à aller au bord de la piscine avec la tête ailleurs. J’étais tellement absorbée par mes pensées que je n’ai pas songé une minute au soleil tapant. Je prends en charge deux patientes en travail et un déclenchement : celui d'hier, la patiente qui parle anglais. En me voyant, elle sourit et me dit "You !". Je me détends et me dis qu'au moins quelqu'un sera content de ma présence ce soir. Et puis ça pourrait être pire, Charlie a pris en charge une patiente infecte, qui s'est prise la tête avec toute l'équipe soignante plus d'une fois. Ma petite patiente désespère, les choses n'avancent pas vite, elle est seule, et elle veut son enfant. Je la rassure et lui dis qu'elle n'est pas seule, que nous on est là et que son enfant sera bientôt dans ses bras. Que ce sont les dernières heures et que le jeu en vaut la chandelle. On m'appelle en salle A : j'arrive et la patiente est en train d'accoucher. On s'installe vite, Charlie la sage-femme arrive avant moi et retient la présentation (la tête du bébé) en m'ordonnant : "Mets tes gants !”. La poche des eaux explose, elle glisse dessus. "Vite, vite, mets tes gants !”. Sauf qu'un gant stérile, quand on a les mains humides, s'est compliqué à mettre ! "Bon mets pas tes gants !" Les gants à moitié mis (les doigts pas dans les trous) je fais l'accouchement comme je peux. L'enfant ne va pas très bien et elle le prend pour l'aspirer (afin de dégager les voies aérienne pour l'aider à respirer), sauf que dans la précipitation le clamp du cordon n'a pas tenu et on s'en rend vite compte avec la trainée de sang qui les suis. 

L'enfant va mieux. Ça saigne un peu, je masse, je masse. Et j'ai un doute sur une rétention des membranes (un morceau de la poche des eaux qui reste dans l'utérus et qui l'empêche de se contracter, ce qui peut provoquer une hémorragie). Ça semble se calmer, je vais surveiller ça de près. On m'appelle en Salle B. J'y vais, c'est une nouvelle patiente, la sage-femme des urgences me fait des transmissions et je prépare tout rapidement par ce que ce petit bout de choux a l'air pressé ! La sage-femme quitte la pièce et me dit "tu sonnes si tu as besoin de moi, je dois aller à coté pour une autre patiente". Message reçu. Je confie au père le soin de la sonnette et lui explique que quand je lui dirais, il faudra appuyer. J'attends le dernier moment et quand je sens que ma patiente ne peut plus se retenir de pousser, il sonne. Je commence l'accouchement. Seule. Sans filet. Sans panique. Je sais ce que je fais. L'aide-soignante arrive et me gratifie d'un "Bah t'aurais pu appeler quand même". Elles sont ici, pour la plupart, très désagréables et se plaignent de la moindre tâche de travail. Je ne moufte pas, mais n'en pense pas moins. La sage-femme arrive pendant que l'enfant naît. Je suis presque déçue qu'elle soit là. Encore une fois pendant la délivrance, on doute d'une rétention de membrane, à surveiller également. Bébé va très bien, je suture un petit point et réinstalle ma patiente. Tout ça m'a pris du temps, j'espère que quelqu'un s'est occupé de ma patiente en salle A pour surveiller les saignements. Je cours pour m'en assurer moi-même. Ensuite papier, accompagnement, course, examens, partogramme. On court, on court et on court. Ma petite patiente déclenchée se met enfin en travail et accouche rapidement. Tout se passe bien. Elle est ravie. Le placenta sort sans aucun problème. Je la réinstalle et continue à courir. Elle saigne un peu trop. Sa maladie (la drépanocytose) nous fait être d'autant plus prudentes et quand j'arrive à une quantité de saignements limites, je demande son avis à la sage-femme. On appelle le médecin. Le diagnostic est posé : 600 mL de perdu, elle est en train de faire une hémorragie de la délivrance. L'équipe débarque. Ma dame a peur, elle pense qu'elle va mourir, elle pleure, elle se sent seule, on lui a pris son enfant qui ne peut pas être dans la pièce pendant la prise en charge. Je sers le gynécologue et j'accompagne ma patiente du mieux que je peux. La barrière de la langue me gêne pour les explications, mais pas pour l'empathie. C'est long, mais on y arrive. Elle me demande de prier pour elle. Je lui tiens la main, ne la lâche que quand j’y suis forcée, et tente de la rassurer en faisant mon travail du mieux que je peux. Parfois je me demande quel est mon rôle le plus important. Celui qu’on nous accorde en tant que soignant, ou celui de soutien dont à besoin une patiente dans un moment de détresse. Une fois les choses cadrées, on s'accorde une petite pause pour manger, il est 4 heures du matin et ce qu’il y a à manger est tellement mauvais que je me rabats sur le pain. Aller, encore 3h.

6h30 : A 10 minutes de la relève, j'accueille une nouvelle patiente. Un accouchement sur la relève, ça commence à devenir une tradition. Celle-ci se fiche bien de quelle équipe s’occupera d’elle, elle pousse déjà. Heureusement, tout se passe bien. 

7h30 : Épuisées, on fait la relève et je vais dire au revoir à ma patiente préférée. Les larmes aux yeux, elle me demande quand est ce que je reviens. Elle me remercie et me dit qu'elle n'était pas seule, que sa famille n'étais pas là, mais que j'avais été sa famille. Pour un petit moment. On ne parle pas la même langue, et pourtant on s'est beaucoup apportées mutuellement, je garderais le souvenir de cette rencontre pendant longtemps. 

7h45 : Paul m’attend devant la porte, croissants à la main, et certainement une idée derrière la tête. Je le fais entrer et ce qui devait arriver arriva. 

9h : Je m’endors éreintée mais satisfaite. Je fais le plus beau métier du monde.

 

J 21 

 

17h : Je dors en pointillé toute la journée et jette un coup d’œil nerveux à mon téléphone chaque fois que je me réveille. Aucune nouvelle d’Elise. Je chasse mon envi de m’enterrer pour pleurer et me fait violence quand j’entends un bruit de fond : les copains sont là. Je me lève avec du baume au coeur et me joins à eux. Wassim a invité Aurélie, Mathilde, et Marion que je connais déjà ; mais aussi Lina, Isa et Icha (3 assistantes de langues) et 3 autres personnes dont je ne me souviens plus du nom. On commence la journée par une bière autour de la piscine. Ils partent assez tôt, ce soir Wassim a autre chose de prévu et tout le monde travaille demain, sauf moi. 

21h30 : Mes yeux se ferment déjà.

 

J 22 

 

6h30 : Réveil en sursaut. J'ai encore cauchemardé d'un accident de la route, et ça m'arrive constamment ces temps-ci. Je m'interroge et cherche même la signification de mon rêve sur le net. J’y trouve toutes les significations possibles et imaginables, mais quelques-unes, récurrentes, retiennent mon attention. Selon certains psychologues, ces rêves peuvent révéler un profond trouble moral ou affectif. Pour Freud, il s’agit d’une violente passion pour une personne. Pour d’autres, ils traduisent les angoisses du rêveur pour son bien-être et sa réticence à assumer ses responsabilités ou bien son subconscient qui voudrait lui montrer qu’il peut surmonter l’adversité. Apparemment, je crains que poursuivre mes objectifs ne nuirait à d’autres personnes. Tous décrivent la traduction d’un sentiment de culpabilité, d’une prise de risque. Effectivement, venir ici, c’est pile dans le thème. 

Je peine à me rendormir et enfin la victoire : je me réveille à 11h30. 

13 h : Après hier matin, Paul a insisté pour m’inviter à déjeuner. Ce midi nous irons donc à la Goélette, le restaurant tenu par Adrianne est Filip qui m'ont accueilli lors de mes premiers jours ici. Le restaurant est monté sur un carbet qui surplombe le fleuve du Maroni, comme si on était sur un bateau. Je commande un risotto de la mer et c'est vraiment délicieux. Ici, c'est le meilleur restaurant de Saint-Laurent et mon plat est servi avec des fruits de mer, mais aussi du poisson et des noix de saint-jaques. Je déguste ça avec un verre de blanc moelleux et apprécie la vue. Après un agréable repas Paul me ramène à la maison avant d’aller travailler. Cet après-midi, je reste au calme, j'écris un peu et le soir arrive rapidement. 

20 h : On a rendez-vous chez Jahed ce soir. Rencontré samedi dernier lors de la fête à la coloc' il m'a invitée pour sa crémaillère. Toute la petite bande s'y retrouve et les conversations vont bon train. Je commence la soirée avec Aurélie, et Mathilde. Le chéri d'Aurélie arrive ce soir et elle est toute énervée, c'est trop chou. Je découvre un peu plus les filles et me dis que ça serait bien d'aller vers d'autres personnes. Je prends ma bière et me joins à une autre conversation ; je papote avec une jeune femme dont je ne connais pas le nom. Je m'intéresse à ce qu'elle a autour du cou : c'est une calebasse. Un fruit dont en enlève la pulpe -qui est un poison- et qui sert de petite boite ou petit sac, celui-ci est gravé. Elle a rangé sa Marijuana dedans et nous propose de fumer avec elle. Je refuse poliment en disant que je ne fume pas, elle répond alors "Ah, c'est bien ça, comme ma fille". C'est une femme très intéressante : pas si jeune que nous, elle a en fait 52 ans. 5 enfants, éparpillés aux quatre coins du monde. Les uns artistes, les autres informaticiens ou encore secrétaires dans un bureau d'avocat. Elle est très ouverte et on dévie rapidement à parler philosophie de vie. Elle me dit qu'elle n'a jamais utilisé de péridurale, qu'il faut connaître son corps et apprendre à travailler dessus. Qu'elle veut voyager, qu'elle se laisse porter par le vent et fait des rencontres au fil du temps. Elle a d'ailleurs accouché de sa dernière fille seule dans sa baignoire, un moment magnifique et sans souffrance pour elle. Sa fille arrive bientôt en Guyane et je lui propose volontiers de nous la présenter pour qu'elle puisse connaître des gens de son âge. Elle accepte, ravie. Je change de conversation et discute avec l'hôtesse de la soirée. Puis je change encore et rencontre Mélyne, prof d'EPS. C'est elle qui quitte la colocation que j'ai visité dans le quartier des lacs bleus. Elle est là depuis 2 ans et me parle des enfants de l'école. Attachants et un peu perdus pour la plupart, elle adore son métier. Elle est souriante et dynamique, c'est une très belle rencontre. 

2h30 : On rentre doucement, après une bonne soirée. Je fais un bain de minuit avant d'aller me coucher : rien de mieux pour prendre un peu l'air avant d'aller dormir !

 

J 23

 

11h : Grasse matinée, qu'est ce que c'est bien de n'avoir à gérer que les gardes ! Pas de boulot, pas de cours, pas de partiels, pas d'association. C'est reposant, mais du coup j’ai le temps de penser. Je pense à Elise. Elle me manque. Je prend sur moi et me dis que son silence est un choix, que je dois le respecter et que finalement ça nous permettra peut être d’avancer et de ne pas nous morfondre en attendant mon retour. De toute façon je sais ce que je veux, et c’est elle. Aujourd’hui je pense rester tranquille pour être en forme pour le festival Funky de ce soir. Mais les copains proposent d'aller à la crique où ils sont allés la dernière fois. Faible, je me laisse tentée et je les suis. On visite la maison qu'Andréa et Kylian ont trouvés vers le village de Terre Rouge, juste à côté. On part pour la crique et je ne regrette pas un seul instant d'être venue. Le cadre est à couper le souffle. Les enfants jouent dans les arbres, l'insouciance de leur jeunesse ne peut pas être capturée par les photos, mais le moment est subjuguant. Une mama se baigne, dans son grand paréo de couleur, et moi, j'observe, je savoure ce petit moment de bonheur simple. Il y a une corde qui pend d'un arbre et on joue à y grimper. J'épate les autres avec mes petits bras et je suis la seule à réussir à me hisser. On filme la deuxième fois, mais cette fois-ci, j'échoue. Je ne resterais pas sur un échec la prochaine fois, je réussirais à nouveau ! Je pianote un peu sur mon téléphone, visiblement les nouveaux gendarmes mobiles sont arrivés et j’ai déjà sympathisé avec l’un d’entre eux sur mon application : Alex à l’air sympa. Ancien légionnaire, il revient en Guyane en tant que gendarme cette fois-ci. Il a passé plusieurs années ici et semble connaître son sujet. La conversation se fait facilement et je suis rapidement claire avec la situation. Pas de problème pour lui visiblement. On immortalise le coucher de soleil et on part pour la soirée Funk. Ça se déroule à Apatou à trois-quarts d'heure de route et il y a même des gens de Cayenne qui y vont ! Apparement la soirée commence tard, on mange dans un food truck et on rejoint des amis pour un before. La maison est superbe. On connaît quasiment toutes les têtes, et on retrouve même Lucy, l'Écossaise et deux copines à elles, qui sont néerlandaises. Les autres partent pour la soirée, je décide de rester avec les filles (Lucy et ses copines) pour boire une bière. Elles parlent anglais et je réponds en français, on rigole bien, on parle de garçons, de voyage, de la vie. Arrivée sur place, je regrette de ne plus avoir de batterie pour pouvoir prendre des photos. Ça vaut le détour, les gens sont plus colorés les uns que les autres, l'alcool coule à flots : à 2 euros le planteur forcément ça fait des ravages. Les artistes improvisent, ne se prennent pas la tête, dansent avec nous, les choses sont simples et les gens s'amusent. J'observe des battles de danse improvisés et j'éclate de rire en voyant un blanc ridiculiser une black, c'est le monde à l'envers. 

3h : On décide qu'on va rentrer bientôt. Sauf que Wassim veut conduire alors qu'il est saoul. Je me débrouille pour trouver une autre solution et je rentre avec les sages-femmes. Adèle, l'une d'entre elle m'a reconnu et m'a présentée à toute l'équipe. Je rencontre de cette manière les deux garçons sage-femmes. L'un travesti avec une robe à paillettes rouge très courte, une perruque rose et de grandes lunettes à plumes bleues ; l'autre avec une combinaison intégrale moulante orange, une banane et une perruque blonde. Tout le monde se marre en se disant que dans quelques jours, ils seront peut-être amenés à m'encadrer, moi l’étudiante et qu’ils n’auront certainement plus aucune crédibilité. 

4h15 : Arrivée à la maison. Je n'ai pas les clés et plus de batterie, tout est dans la voiture de Wassim. Mais Gabrielle dort et elle devrait m'ouvrir. Je toque doucement, une fois, deux fois, trois fois. Je panique et me rends compte qu'elle n'a pas dormi ici. Résignée, je m'endors en boule sur le canapé de la terrasse, heureusement qu'on a oublié de ranger les coussins.

6h : Wassim arrive. Saoul. Agressif. J'évite la confrontation et vais me coucher dans ma chambre.

 

J 24 

 

12h : Réveil à midi. Pas trop dur, je suis restée sage hier soir. Elise hante mes pensées. Je mets un pied hors de mon lit et me nourris du doggy-bag de la goélette. Celui-ci m'a déjà fait 3 repas, et il m'en reste au moins autant. Wassim me sort par les yeux, son comportement d'hier soir n'a pas ménagé mon énervement à son égard et à présent tout de lui m'énerve. Les joies de la colocation. Je prends sur moi et souris poliment, tant qu'il ne m'embête pas directement, je laisse couler ça ne sert à rien de discuter avec lui, ça n'apporterait rien de bon. Je souffle un coup et tente de cohabiter. Je vois Gabrielle lever les yeux au ciel quand il parle et je me marre intérieurement. Estomac bien rempli, je passe l'après-midi au calme pour reprendre des forces : à partir de demain m'attendent 3 jours de gardes. Il fait gris, mais la température est de 30°, cette fois-ci, je me méfie et ne m'expose pas trop au soleil, ça serait jouer avec le feu, et ma dernière exposition m’a valu la moitié d’un pot de biafine. Je n’ai pas pu m’asseoir pendant deux jours, j’ai retenu la leçon. J’appelle ma petite maman et fait un gâteau au chocolat, sans aucun mérite, oui, j'ai honte maman, j'ai acheté un "gâteau de fainéante". Je somme mes colocataires de m'en laisser, sinon je connais les lascars et n’en aurais même pas pour le p'tit dej de demain.

 

J 25 

 

5h45 : Quand le réveil sonne il est 5h45. Je suis de garde ce matin. Et rien à faire, c'est à chaque fois beaucoup trop tôt pour que je puisse avaler quelque chose. J'emmène un petit casse-croûte et je pédale en direction de l'hôpital en saluant le lever du soleil. 

6h40 : La relève est plutôt sympa avec nous et chaque sage-femme récupère une dame. Je prends en charge une patiente avec Ludovic un des deux hommes sages-femmes que j'ai croisé à la funky (celui qui avait la robe rouge), je m'abstiens de tout commentaire et on fait comme si de rien n'était, je ne suis même pas sûre qu'il s'en souvienne. Il a l'air fatigué et à deux à l'heure, la nuance est drôle. On fait le point sur les dossiers et la journée commence en douceur par un petit accouchement tout doux. Bébé va bien. Maman aussi. C'est agréable aussi de faire les choses en prenant son temps. La garde est plutôt calme, ça sera mon seul accouchement de la journée. C'est la première fois que je n'en fais qu'un. J'apprécie d'être constamment occupée sans courir littéralement partout. Mes pensées sont occupées et grâce à ça je souffle un coup. Au cours de la matinée, on confirme la rumeur que j'ai entendue il y a deux jours : samedi, il y a eu un meurtre dans le quartier de la charbonnière. Une guerre des gangs qui a mal tournée. C'est malheureux de voir que ce genre d'événement est quotidien ici, et que ça ne fait rien de plus qu'une rumeur, un scoop du jour. 

16h : Plus tard dans l'après-midi la suite de l'histoire arrive : la guerre ne s'arrête pas là, et ils sont venus régler leurs comptes devant l'hôpital. Une fusillade fait rage pas plus loin qu'à une centaine de mètres de nous. On croise les doigts pour qu'aucune patiente enceinte ne nous soit amenée sur un brancard, touchée par une balle perdue. 

19h10 : La journée s'achève. Demain, je suis de garde également. 

21h : Paul vient à la maison après avoir fait “quelques” courses et je le retrouve au pas de ma porte, bras chargés, sourire aux lèvre : planche charcuterie-fromage au menu, et qu'est-ce que c'est bon ! Ce soir on se dit au revoir. Au petit matin, il partira et on ne se reverra pas. Les rencontres éphémères semblent quotidiennes ici. S’attacher, se détacher, peut parfois être difficile, mais ça semble faire la beauté du jeu. Je l’aime bien, je crois que lui m’aime beaucoup. Il essaie de me le faire comprendre et je fais la sourde oreille. Il connaît mon histoire avec Elise, mon cœur est pris ailleurs et on ne se connaît que depuis une semaine. 

 

J 26 

 

5h45 : C’est presque une routine. 5h45 le réveil sonne. 6h15 je pédale. 6h40 j'écoute attentivement la relève en prenant des notes. Aujourd'hui, je tournerais avec Maggie et Adrien le cadre, je suis contente ! Je sais qu'avec Adrien je progresse. Il a compris qu'il peut me faire confiance et me laisse prendre les rennes. Je prends en charge une patiente que j'ai suivi hier, déclenchée pour hypertension. C'était calme en arrivant, mais tout s'enchaîne tout à coup. Je prends en charge une patiente qui arrive à 4 cm, je la gère plus ou moins seule avec Maggie. Je comprends vite que ma patiente n'attendra pas longtemps avant de se mettre à pousser. Je reste dans les parages, si la poche des eaux rompt, l'enfant naîtra dans la foulée. On m'appelle pour un sondage en urgence, sauf qu'au même moment, je vois la tête de ma petite patiente qui change : c'est le moment. Je réponds rapidement que non, je ne pourrais pas par ce qu'on s'installe ici en salle A, et qu'il faut prévenir la sage-femme. Vite. Elle pousse déjà et je ne touche à rien puisque la poche des eaux n'est toujours pas rompue, je la vois. En une poussée la mère donne une nouvelle fois la vie, et tout le monde va bien. Je m'installe pour recoudre et je constate que la sortie précipitée de cet enfant, comme je le redoutais, a fait de beaux dégâts. C'est même Maggie qui fini le travail, à peine plus expérimentée que moi on met 1h30 à tout suturer. Pendant ce temps, elle m'apprend qu'à coté une patiente enceinte de jumeaux est partie au bloc en urgence par ce qu'un pied de l'un de ses bébés et un des deux cordons commençait à sortir (pied dans le vagin et providence pour les connaisseurs). Un peu déçue d'avoir raté l'occasion de voir quelque chose de pareille, je me résigne, c'est comme ça. La journée continue sans accouchement, encore une fois, je commence à me dire que je ne vais en faire qu'un aujourd’hui. J'ai été mal habituée à force. 

15h : Dans l'après-midi Adrien me glisse au milieu de la conversation, dans le bureau des sages-femmes "Au fait, je suis vraiment désolée mais ma langue a fourché, j'ai déjà parlé de toi à la cadre supérieure !". Je réponds alors que "Je prend ça comme une compliment". Et celui-ci rétorque alors : "Tu peux.". Il passe le reste de la journée à me faire la cour pour que je vienne travailler ici après avoir obtenu mon diplôme. Ça en devient presque un jeu et il finit par me faire la révérence en ponctuant de "Si à cause de moi tu ne viens pas, ça serait une perte pour nous, je me ferais taper sur les doigts". Que de compliments !

18h30 : La relève arrive bientôt, et une fois de plus la nature en a décidé autrement. Le déclenchement passe de 6 cm à 10 en une heure et on s'installe. L'enfant ne va pas bien. Je pars faire la réanimation : stimulation, aspiration, ventilation (Apgar 5/10/10). Ensuite, on retourne voir maman : délivrance, anesthésie, suture, expression. 

19h30 : La fin de la garde arrive enfin. Je suis épuisée et demain soir, j'y retourne.

 

J 27 

 

11h : Je dors jusqu'à 11h et je me recouche à 15h30 pour refaire la sieste jusqu'à mon départ. 

17h : Je me réveille et je téléphone à Sophie avant de partir pour l'hôpital. Après nos deux ans de vie commune on a décidé cet été que notre histoire était terminée, avant de se dire au revoir sans larmes ni drame. Ça fait longtemps qu'on a pas discuté et je suis contente d'avoir de ses nouvelles. Il y a pire comme réveil que celui-ci, téléphone à l’oreille, au bord de la piscine. 

18h15 : C'est reparti.

 

N 27 

 

18h40 : Je décide d'aller du coté du service des urgences gynécologiques et obstétriques. C'est calme dans les deux services. Ça a été la courses aujourd'hui et forcément "après la pluie le beau temps”. J’apprécie que le tableau soit vide et je croise les doigts pour que ça reste comme ça. On a quand même quelques patientes mais rien de bien méchant. 
Une patiente arrive et comme c'est calme je dis à Maggie que c'est moi qui la gère, que je lui réfère tout et que si j'ai la moindre question je n'hésiterais pas, mais que c'est ma patiente et que c'est moi qui m'en occupe. Chose faite je cadre tout, l'accueil, le dossier, l'examen, la conduite à tenir. J'appel le médecin par ce qu'elle saigne et que je veux une échographie. RAS. Je fini par la passer en salle de naissance. C'est appréciable de pouvoir prendre le temps de gérer les choses moi même ! Dans la nuit deux autres patientes. Je fais la même chose. Et je fais ma relève aux deux sages-femmes quand l'heure arrive. Bientôt je ne serais plus étudiante et je veux être prête. Être douée dans ce que je fais.
7h20 : Je rentre doucement, mais sous la pluie. Il fait déjà 27°, tant pis je serais mouillée ce n'est pas bien grave.

 

J 28 

 

14h : Je me repose de ma nuit et me réveille vers 14h. Annonce au réveil : les résultats de mes partiels sont arrivés. Ça devrait le faire, j'ai beaucoup, beaucoup travaillé. Je repousse un peu le moment fatidique et fini par regarder. Déception. J'ai invalidé deux matières et me retrouve avec deux repêches : Santé Publique (comme la plupart de ma promotion), bon ça c'est pas très grave, c’est embêtant mais c'est une petite matière. Sauf que j'ai aussi Sémiologie. La matière qui évalue notre capacité clinique. Que j'avais pourtant réussie. La note est sans appel : 7,6. Je ne comprend pas. Profondément déçue je passe le reste de la journée à ruminer. Résultats des courses je rentre le 10 juin à la fin de mon stage ; l’arrêt des notes se fait le 20 et entre temps je vais devoir passer une épreuve clinique, un oral, ma soutenance de mémoire, et deux rattrapages. Rien que ça. J'en ai assez de cette école. Les notes ne sont jamais justifiées par un barème et même après la demande de ma copie on me répond clairement que je ne l'aurais pas avant mon retour en juin. 
Après 4 ans de harcèlement on a décidé de faire notre révolution et on en entrain de les faire chier donc elles se vengent ! On apprend aussi dans la foulée que le jury qui déterminera si on a notre diplôme se déroulera le jour de la remise des diplômes. Tout ça pour saccager notre cérémonie et nous empêcher de faire venir nos familles. C'est un coup bas, mais on encaissera, c'est triste mais on fini par s’habituer.

Alex, à qui je parle depuis quelques jours, demande à ce qu’on se voie et je me dis que c’est l’occasion de me changer les idées. J’accepte et par manque d’option, on se replie sur la piscine de la résidence. A Saint-Laurent du Maroni il n’y a pas grand chose à faire. Pas de boutiques, de centre commercial ni encore moins de cinéma. On se donne rendez-vous chez moi et je l’attends devant pour l’accueillir. 

15h : Il est mignon. Un grand sourire franc et une carrure d’athlète, tout ce qui me plaît ! Visiblement, Elise veut passer à autre chose, je ne devrais peut-être pas me gêner. On va se baigner et la conversation n’en fini plus, il a la tchatche et on discute comme si on se connaissait depuis longtemps, c’est agréable. On fait trempette et quelques baisers mouillés plus tard, on décide de boire une bière sur la terrasse. J’oublie vite mes idées noires, quand tout à coup mon téléphone se met à sonner. C’est Elle. 
Elise m’appelle. Au courant de la nouvelle elle veut s'assurer que tout va bien. On a traversé l'épreuve des partiels ensemble et se sent concernée visiblement. Je suis troublée par sa voie. Elle est tremblante et mal assurée, moi, je suis blessée. Son silence m’a fait du mal. Je suis distante, mais ne raccroche pas le téléphone, même dans les moments difficiles, je dois être là pour elle quoi qu’il arrive. Elle a l’air vraiment bouleversée et se confie vite à moi. “C’est pas toi que j’ai au téléphone, cette Thaïs je la connais pas” : mon ton froid ne lui plaît pas. Je prends sur moi et jette un œil nerveux à Alex à quelques mètres de moi. Le pauvre patiente depuis plusieurs minutes et doit commencer à s’impatienter. Je m’écarte un peu après lui avoir rapidement expliqué la situation et essaye de temporiser les choses avec Elise. “Tu me manques”. Toi aussi, tu me manques. “Tu m’as blessée”. Toi aussi. “J’ai voulu t’appeler”. Moi aussi. Comme une grande bouffée d’oxygène, je me sens beaucoup mieux en quelques minutes. Elle ne m’avait pas oublié. 

On fini par raccrocher, et je rejoins mon invité qui patiente depuis une vingtaine de minutes. La conversation devient plus difficile, j’ai la tête ailleurs et je lutte pour ne pas me ruer sur mon téléphone et envoyer des messages à Elise. Conscient de la tempête qui fait rage dans ma tête, il finit par partir et je passe la soirée au calme.

 

J 29 

 

6h30 : Réveillée à 6h30, je suis inquiète pour une histoire de bourse. J'en discute un peu avec ma petite maman, et comme avec les nuits et le décalages horaires ça fait quelques jours que je ne peux pas m'en occuper elle a appelé à ma place. Les choses sont réglées, plus de peur que de mal. Financièrement c'est moins la fête qu'en métropole puisque je n'ai plus mon job étudiant, mais je m'en sors. J'avais mis suffisamment de coté pour ne pas m’en inquiéter. Je me rendors pour une grasse matinée. 

11h : Aujourd'hui rien d'extraordinaire au programme, je traine. Je mange un bout, j'appelle Elise, et j'aurais voulu aller traîner au bord de la piscine mais la grisaille en a décidé autrement. Il fait 27° mais il pleut toutes les demi heures. 

Les résultats d'hier m'ont un peu minées et je n'ai pas la moindre envie de travailler. J'ai même du mal à écrire. Je me force, ça fait un moment et je vais oublier tout ce que j'ai à vous raconter. 

18h : Ce soir on va à la goélette avec les copains. Je décide de me faire jolie, ça fait du bien parfois. Je me maquille, et je les rejoins avec le sourire, j'ai l'impression que ça fait des semaines que je les ai pas vu ! Kylian et Andréa passent me prendre, on retrouve Jahed, Marion, Qaïs, Charline, Maélia, et Constance, une sage-femme qui vient d'arriver en ville. On passe une très bonne soirée : 1 Daïkiri, 2 Daïkiri. 

Constance m’avoue qu’elle a déjà entendu parler de moi. Elle sort avec un gendarme du même escadron qu’Alex et visiblement il leur en a touché un mot.

On reste sages et je rentre tôt, raccompagnée par Kylian et Andréa (qui bosse demain matin). Je profite du calme de la piscine et de la douceur de la lune, les étoiles sont belles et le bruit de l'eau est mélodique.

 

J 30 

 

7h30 : Trop tôt ! Et pourtant je ne me rendors pas. J’ai les idées brouillées par Elise, Alex, Paul. Où est ce que ça mène tout ça ? C’est bien Elise que je veux, et même si Alex me plaît bien je n’ai envi d’être avec personne d’autre pour l’instant. Ça serait dommage de ne plus avoir de contact avec lui quand même. C’est un ami de Mathis, le copain de Constance, et je vais forcément le recroiser. Peut être qu’en lui expliquant les choses il comprendra et voudra bien qu’on en reste là. Après avoir tourné dans mon lit je me décide à aller au marché. J'achète des nems aux crevettes, et un sandwich au boeuf avec de la sauce au piment. Ici la cuisine est très pimentée, moi qui suis une petite nature c'est pas toujours facile. Je goute un jus de Pitaya (appelé fruit du dragon), rose, c'est tout doux et très bon. Agréable pour le matin. Je m'offre aussi un "Pangi" c'est une étoffe de tissu type Africain dont les dames se servent pour se couvrir, comme un paréo mais en tissu plus épais. Je rentre à la maison et je me rendors au milieu de la journée. J'ai l'impression d'être en vacances en ce moment... Mais il va falloir que je m'organise pour faire les choses dont j'ai envi : Guitare, natation, yoga, théâtre. Je me suis remise à l'écriture mais ce n'est pas suffisant, j'ai l'impression d'être inutile quand je ne prévois rien. Il faudrait aussi que je travaille mon mémoire mais les résultats des partiels m'ont donnés tout sauf envi de potasser. 
17h : Andréa et Kylian envoient un message pour savoir s'ils peuvent passer. Elle est bretonne aussi et est bien décidée à fêter la chandeleur. Ils préparent la pâte en arrivant et je me colle aux fourneaux pour faire sauter les crêpes. On se régale, on boit un coup, et Charline nous rejoins après sa garde. Se joins aussi à nous Anne, une collègue de Gabrielle qu'on ne connait pas. On fait connaissance et on accroche tout de suite. Elle a 32 ans, et elle se sépare de son mari, donc elle a envi de sortir et de faire la fête ! Ça n'est pas tombé dans l'oreille d'une sourde, ce soir on décide d'aller à la soirée Salsa pas loin de la maison. Je ne viens qu'à la condition de ne pas danser ; ils sont déjà tous au courant je danse très mal ! On est partis et finalement mauvaise information, la soirée salsa c'est au Coumarou (la seule boite du coin) c'est un peu plus loin mais on se décide à y aller quand même. arrivées sur place l'entrée est payante. On commence à faire demi tour, sauf que trois filles de perdues ça les embête, le videur nous arrête et nous invite à entrer sans payer. On bois un verre, et les filles profite d'avoir un coup dans le nez pour être curieuses : comment ça se passe avec une fille ? On glousse comme des gamines et on parle de nos histoires de coeur. On se rend compte alors que ces histoires là c'est toujours la même chose, qu'on ai 22, 32, ou 37 ans c'est jamais facile. 
Les filles dansent, moi j'observe sagement. La soirée commence, après tout on est samedi soir. Gabrielle commence à enchainer les verres et je comprends vite que je ne suis pas prête de rentrer. Heureusement des amis d'amis proposent de me déposer en rentrant. 
1h30 : Je profite de la piscine et de son calme avant d'aller me coucher.

 

J 31 

 

11h : Aujourd'hui c'est grand ménage ! Mehdi le propriétaire rentre demain et il faut que tout soit niquel. Il est un peu (beaucoup !) maniaque sur les bords. Wassim part enfin. Il libère sa chambre vraiment à la dernière minute et ça m'embête pas ce que je ne peux pas déménager mes affaires. Chose faite on s'attaque au reste de la maison et on va se rafraîchir au bord de la piscine ensuite. 
Aujourd'hui on devait aller à la crique de terre rouge mais le temps n'est pas au mieux et les plans changent. Certains décident d'aller au carnaval, moi je reste au calme et on décide qu'ils me rejoignent à la maison avant d'aller à la goélette. Là-bas tous les dimanches soir c'est soirée tapas avec un groupe de musique.  
C'est Andréa qui me tire de mon sommeil, elle est toute mignonne et elle vient me faire un bisous pour que je me lève. Je me tire de mon lit doucement quand Gabrielle passe la tête par la porte. Enervée elle me dit qu'elle en a marre qu'il y ai constamment du monde à la maison. Un peu agacée par ce genre de réveil je ne dis rien et conçoit que ça puisse l'agacer même si c'est la première fois que c'est moi qui les invite. Je rejoins les autres sur la terrasse et j'apprends qu'elle les a envoyé chier dès leur arrivée. Soit. On sait qu'elle est lunatique et on se dit que ça va lui passer. On se fait discrets et on reste sur la terrasse calmement. Elle claque la porte. Bon. 
19h30 : Je vais prendre mes affaires dans ma chambre pour y aller, Gabrielle m'attendait dans le couloir pour me passer un savon. Elle me crie dessus et j'ai l'impression de retomber en enfance. Une enfant qui se fait disputer. Je ne dis rien au début, puis agacée de toujours prendre sur moi je fini par répliquer et ça monte vite dans les tours. Evidement les copains ont tout entendus, ici les murs sont en papiers, et je sors très mal alaise. Personne ne comprend son changement brutal de comportement. Tous me rassurent et on choisit d'aller en ville pour manger un bout avant la soirée. On fini dans le quartier de la charbonnière à manger un poulet - frite - sauce pimentée chez Eunice. 
21h30 : Arrivée à la goélette, il y a du monde ! Je croise plein de sages-femmes et je les saluts un peu mal à l'aise. Maéva me gratifie d'un "Wouah, ça change ! Je t'avais pas reconnue". Forcément, sans la blouse de bloc et les crocs c'est quand même plus sexy... 
1h30 : On passe une très bonne soirée et je rentre avec Baris, taxi clandestin dont le pot d'échappement frotte sur la route. C'est local.
Gabrielle est levée quand j'arrive. L'accueil est glacial et elle ne décroche pas un mot. Ça va être joyeux la coloc. Si elle veut faire sa tête de con je suis très douée pour ça aussi.

 

J 32 

 

7h : Vengeance pas la non-discrétion tôt ce matin. Aujourd'hui rien d'extraordinaire au programme. Je reste au calme afin d’être en forme pour ma garde de ce soir. On a décidé hier soir qu'on irait à l'hôpital ensemble avec Aurélie qui a eu plusieurs mauvaises aventures depuis son arrivée. Elle s'est d'abord fait courser par des chiens errants, ensuite elle s'est fait harceler en sortant de l'hôpital à vélo, et hier soir avant la goélette, elle s'est fait voler ses pizzas par des enfants ! On a beaucoup rit de la situation, mais elle beaucoup moins. Je lui ai donc proposé de faire la route aller-retour avec elle. En plus, elle n'a pas le moral : elle est arrivée en même temps que moi en Guyane et elle a laissé son chéri en métropole (tiens, tiens). Il est venu la voir une semaine et il est parti hier. La pauvre est toute déboussolée.

18h10 : On se rejoins au cimetière et on roule en direction de l’hôpital en papotant. Pour une fois, je n’ai pas mes écouteurs et je me rends compte à quel point on se fait klaxonner ! 1 fois, 2 fois, 3 fois... peut être une dizaine en à peine quelques minutes, c’est à se demander si on a pas fait quelque chose de travers : un t-shirt qui remonte ? Non, même pas ! On se sépare devant les vestiaires et on convient que je l’appellerai si j’ai une patiente à transférer dans son service.

 

N 32 

 

18h40 : Pour mon planning de Février la cadre m’a mis beaucoup sur le planning d’une « vielle » sage femme. Ici, les plus anciennes n’ont que quelques années à leur compteur, mais je me retrouve donc avec Cloé qui suivra ma progression pendant presque un mois. Cela lui permettra de me faire confiance et de connaître mes capacités et mes limites, à moi, de prendre les devants et de lui faire confiance en retour si j’ai besoin de quelque chose, ou qu’un acte dépasse ma compétence. 
Ce soir on est donc aux Urgences Gynéco-Obstétriques. (UGO). Les deux services sont calmes, pourtant, les sages-femmes qui nous transmettent la relève en ont chié aujourd’hui, elles n’ont pas eu le temps de manger et elles ont couru partout. Tout s’est calmé d’un coup et on cadre seulement 3 patientes. 
Quand j’arrive, Cloé saute de joie en me gratifiant d’un « trop cool ! » avec un sourire. Quel accueil ! Ça fait chaud au cœur. 
Une patiente se présente à nous pour saignements. Je m’en occupe. Je la cadre et je suis plutôt fière de ma prise en charge. 
Je cadre une autre personne en compagnie de Cloé : elle se présente pour une MFIU (mort fœtale in utéro) à 18 semaines d’aménorrhées (4 mois de grossesses). Difficile à gérer quand on ne parle pas la même langue. Les investigations sont longues et nombreuses et je dois faire beaucoup de prélèvements pour déterminer l’origine de ce malheur. 
Ici, les mamans n’ont pas le même rapport avec leurs enfants qu’en métropole. À la naissance par exemple, la plupart refusent de les prendre contre elles. Les bébés doivent d’abord être lavés, et les rites sont nombreux une fois qu’ils rentrent à la maison (bains aux plantes pour raffermir les tissus, consolider les os, etc.). La mort et la vie ne sont pas appréhendées de la même manière, et la gestion d’un événement pareil en est influencée. Cloé non plus ne semble pas à l’aise. 
La nuit est calme et du coup elle est longue. Les heures semblent passer lentement, et même si c’est agréable de ne pas courir partout, j’ai envie de dormir. Je lutte pour que mes yeux ne se ferment pas : une étudiante qui dort, c’est mal vu. Je me force à potasser les protocoles, même si je suis trop fatiguée pour retenir quoi que ce soit.
2h, 3h, 4h... C’est long. 
Mais à 4h la métropole se réveille et je peux papoter avec elle par messages. 
6h : C’est toujours au petit matin que les patientes finissent pas arriver. Ça m’occupe jusqu’à la révèle et j’attends patiemment Aurélie, qui tarde, pour rentrer en sa compagnie. 
7h30 : Au retour c’est le même manège, les Klaxons n’arrêtent pas et on se fraye un chemin entre les voitures et les nombreux piétons. 
9h : Je me couche enfin après avoir grignoté un petit bout. Le sommeil ne se fait pas attendre. 

 

J 33 

 

13h : Je me réveille et j’envoie un message à Kylian. Je leur ai demandé hier, à lui et à Andréa, s’ils pouvaient me rendre service et m’emmener voir une moto. Andréa ayant le dos en miette, c’est Kylian qui s’y colle, donc j’attends de ses nouvelles pour partir. J’ai convenu avec la personne que ça serait en début d’après-midi et j’ai dormi seulement 4 h du coup. Tant pis, je me recoucherais après pour ma garde de ce soir ! 

14h30 : je retourne dans ma chambre après une longue discussion avec Mehdi, le propriétaire qui est rentré hier soir. Visiblement, Gabrielle s’est permis de cracher son venin et Mehdi a l’air inquiet. Je suis mal à l’aise de cette situation et j’en veux à ma colocataire. Pour autant, je ne dis rien et tiens ma langue, je ne vais pas répliquer et essayer de la descendre ça n’est pas mon genre. 
Je me rend quand même compte qu’elle lui a parlé de leurs disputes (à elle et a Wassim) avec le voisinage. On en parle et je me rends compte un peu tard qu’elle n’a pas tout dit et qu’elle s’était bien gardé de dire qu’elle aussi avait eu des échanges assez houleux avec la voisine d’en face. Tant pis pour elle, c’était même pas volontaire, et moi je n’ai jamais eu ce genre de problème. Contrairement à ce qu’elle a dépeint de moi, je sais être discrète. Les voisins ont pas mal râlé auprès de Mehdi, et il insiste bien sur le fait qu’ici à Saint-Laurent tout se sait et tout le monde juge. Tout ce que j’aime ! 

15h : Je pars avec Kylian, contrariée de toute cette histoire. J’espère que la moto me plaira, je ne me sois pas levée pour rien. On peine à trouver et on fini par arriver. 
Après m’être pris un petit coup de croc du chien de la maison, je monte sur la moto et je négocie. Le jeune qui la vend est présent, mais je constate vite que c’est sa mère qui a la main et que c’est à elle que j’aurais à faire. Il a aussi une guitare qui m’intéresse. Ici, c’est l’occasion ou jamais de m’y remettre et Kylian a fait le conservatoire, il s’est d’ailleurs déjà proposé pour me donner des cours gratuits. Je n’ai pas accepté, j’ai l’impression qu’Andréa est jalouse et je ne voudrais pas créer de problèmes. 
La moto, une Suzuki 125 BR SM n'est pas en très bon état, mais ici tout est très cher et je n'aurais jamais les moyens pour une voiture. La 125, me permettra de me faire la main. Je réussis à faire baisser le tout de plus de 400 euros, affaire conclue, on repart et Kylian me dépose chez Aurélie. On mange un plat de pâte et je rencontre Sean leur colocataire. Les filles m'avaient prévenue qu'il était un peu particulier et légèrement mythomane sur les bords. Il leur a d'abord dit avoir 33 ans et être célibataire. Finalement, elles ont appris qu'il en avait 45, qu’il avait une femme et des enfants. On va chez moi pour profiter de la piscine et l'heure de partir arrive rapidement. La nuit n'a pas commencé et je suis déjà épuisée. Une fois à l’hôpital, on part chacune de notre côté et on se donne rendez vous au petit matin.

 

N 33

 

18h40 : Cette nuit je tourne avec Adèle et Dalia. Les patientes ne sont pas beaucoup plus nombreuses qu'hier soir et je dis à Dalia qu'il faut qu'elle me laisse prendre les décisions. Je m'occupe d'un déclenchement, ce bébé n'a pas l'air pressée et malgré plusieurs mises en œuvre la dilatation ne se fait pas. 2, 2, 2, 2. Bon. On part manger. Soudainement, ma patiente sonne et j'y vais. 7 cm. Ici quand ça bouge, ça bouge ! Je tente de soulager ma protégée et je prépare tout pour l'accueil du bout d'chou. Je retourne rapidement à table et je me doute que si ça sonne, il faudra me dépêcher. Dalia est prévenue et comme prévu elle re-sonne quelques instants plus tard. Aller, c'est parti, je pars devant et elle me rejoint. Elle m'interpelle et me dit "Bon, de toute façon, je mets pas de gant hein". Ici depuis mon premier jour je fais presque tout en solo, c'est agréable de l'entendre le dire tout de même. Bébé naît, périnée intact et à part quelques problèmes de tension la suite des évènements est physiologique. Je transfert ma patiente 2h plus tard dans le service des suites de couches. Une autre patiente arrive pour nous et Adèle me demande si elle peut s'en occuper. Elle ne sera plus en salle d'accouchement pendant longtemps et elle aimerait se faire un petit accouchement pour la route. J'accepte, je comprends. Après une demi-heure d'inactivité, je commence à trouver le temps long et je m'endors. Dalia me propose d'aller m'allonger dans une salle de pré travail. Je refuse, et fini par revenir sur ma décision : après tout autant en profiter, je sais qu'avec elles, je ne risque pas de me faire juger et je n'ai strictement rien à faire. Impossible de dormir pourtant. Quand je suis en garde tous mes sens sont en alerte constante, et même si je suis fatiguée mon corps ne semble pas compatissant. Après une heure, je finis par réussir à somnoler et me lève quand on m’appelle. Fausse alerte. Bon, je reste levée. Vers 6h une autre patiente se présente à nous et on pose une péridurale, je sers l'anesthésiste et il est déjà l'heure de partir. 

7h : Je fais mes transmissions à l'équipe de jour et j'attends Aurélie une bonne demi-heure. Un peu fatiguée et donc de mauvais poil je ne lui montre pas que l'attente m'a un peu agacée. 

8h30 : Je tombe de fatigue.

 

J 34 

 

15h : Je me réveille vers 15h, aujourd'hui, on devait aller à Awala avec Aurélie et Maélia, mais finalement je suis bloquée par la visite d'une colocation. Un peu déçue mais pleine d'espoir, je pars vers 17h pour un rendez-vous à 17h30. Je suis accueilli par Patrick, Estelle et Sonia, je visite, on discute colocation, je leur fais les yeux doux : la coloc est vraiment sympa. 2 chambres en bas, deux chambres en haut, des toilettes/salles de bain sur chaque étage et un espace commun dehors. J'espère que je leur plairais ! Ici, quand on visite quelque chose, on a l'impression de passer un entretien d'embauche. Il y a tellement de demandes qu'ils n'ont qu'à se baisser pour prendre la personne qui les intéresse le plus. 

19h : Appel au Tipic ! Les filles proposent de se retrouver autour d'un verre : j'accepte sans hésiter, j'ai l'impression que ça fait longtemps qu'on n'a pas fait ça. Je repasse par la maison, et je m'allonge un peu : mauvaise idée. Très fatiguée, j'hésite à dormir un peu avant d'y aller, puis je me fais violence et me dis que si je commence comme ça, je n'irais pas. 

20h : J'arrive sur place, tout le monde vient d'arriver. On commande un verre et des acras, puis deux verres et d'autres Accra. 
En discutant j'apprendre pourquoi Marion n'a plus de téléphone : elle s'est fait agresser sur la route de l'hôpital. Un garçon a vélo a voulu lui tirer son sac qu'elle avait mis en bandoulière, ils sont tombés tous les deux. Marion l'a insulté de tous les noms et lui a même collé une baigne. Malheureusement le type est quand même parti avec son téléphone en se tenant le nez. J'espère qu'elle le lui a cassé, ça lui apprendra. Continuant dans ses malheurs elle nous apprend aussi qu'elles (avec Charline) se sont fait tirer leurs vélos pendant qu'elles étaient au cirque. Elles sont dépitées, les vélos ici coûtent très cher (150-200 € d'occasion). Maélia travaille demain, et Marion est fatiguée. On commence à envisager de rentrer et finalement Constance et Mathis proposent de rapprocher les tables avec les gendarmes qui sont sur une autre table de la terrasse. Et c'est reparti. Un verre de plus ; personnellement, je bois de la bière ce soir, mais les filles ont commandé des Caïpirinha et commencent à beaucoup parler. C'est drôle de les voir comme ça ! Charline se lâche et on ne la reconnaît plus. On la charrie un peu, je parle moto avec les gendarmes et on passe une très bonne soirée. Je raccompagne Charline, et on fini par se faire mettre à la porte du Tipic pour qu'ils puissent enfin fermer.

1h : Je m'endors.

 

J 35 

 

7h30 : Tirée du sommeil par mon réveil je me lève tranquillement pour aller visiter un autre appartement. Le tour est rapidement fait et le constat n'est pas très plaisant : la propriétaire vit sur les lieux avec un locataire et je serais potentiellement la troisième et dernière personne. La maison est assez miteuse, la terrasse quasi-inexistante, le seul endroit ou presque qui m'appartiendra sera ma chambre et je n'ai le droit à aucune visite. Pas très emballée je repars un peu sceptique, peut être que je n'aurais pas le choix mais je croise les doigts pour que la colocation que j'ai déjà visitée me donne une réponse positive. Après ça je repasse rapidement par la maison et je vais chez le médecin pour une ordonnance. La salle d'attente est bondée et évidement ici on ne prend pas de rendez-vous, on prend son mal en patience et on attend. La salle d'attente est constituée uniquement de banc en bois et les enfants s'impatientent. On appelle mon nom et j'entre dans le bureau du médecin. Son collègue rentre pendant la consultation et demande un avis pour la dame d'à coté. Vive le secret professionnel ! Ils ne sont décidément pas très bon. J'espère ne pas devenir aussi mauvaise sage-femme qu'ils sont mauvais médecins. Je passe le reste de ma matinée à me balader dans la ville et je rentre pour le repas de midi. 
Cet après midi je fais la sieste, je suis encore de garde cette nuit. 

16h30 : Je me réveille après avoir dormi 3h. Je suis en forme ça devrait le faire. Je mange à nouveau et pars pour ma garde. Arrivée vers l'entrée des urgences, sur le point m’engager sur le parking de l’hôpital je me rends compte que quelqu'un me suit depuis quelques minutes sans que je ne m'en soit rendue compte. L'homme fait demi tour quand il voit le poste de sécurité à proximité et repart aussi sec. J'ai un sac-à-dos anti-vol et mon téléphone se trouve grâce à ça contre mon dos. Il n'a rien pu me voler et devait être entrain de chercher une faille, sauf qu'avec mes écouteurs j'étais dans mon monde comme d'habitude. 

18h40 : Pas trop perturbée je monte prendre ma garde.

 

N 35 

 

Cette nuit, je tourne avec Marielle et Jeny. J'accroche bien avec la façon de faire de Marielle et ça tombe bien par ce que c'est aussi sur son planning que j'ai été greffée. Avec Jeny beaucoup moins, elle me demande sans arrêt si j'ai fait ci, ou si j'ai fait ça. C'est la première fois qu'elle encadre une étudiante et malgré sa gentillesse apparente elle me prend vite pour un larbin. Les patientes aujourd’hui sont agaçantes, aucun respect, aucune participation, aucune politesse et encore moins de patience. 

2h : il est temps d'aller manger et tant mieux ça va me remettre de bonne humeur, sinon je vais en prendre une pour taper l’autre, alors que je dois rester souriante à toute épreuve. 

2h30 : On a pu prendre notre temps grâce à Qasim qui a gardé nos patientes. A peine assises le téléphone sonne, appel des urgences : une femme va accoucher en bas. On ne réfléchit pas, attrape un sac de secours, et entame une course folle. L’une prend un set d'accouchement l’autre une paire de gants et on sprinte dans les couloirs. Les stylos volent, les carnets tombent, nos poches se vident sur notre passage mais pas de temps à perdre on ramassera tout ça au retour. Arrivées en bas bébé est encore bien au chaud dans le ventre de sa mère. On a tout juste le temps de monter. L’ascenseur peut paraître tellement lent dans ces cas là. On fait rapidement le point sur le dossier et tout le monde s'affaire à tout préparer : Jeny perfuse, je transfère la patiente sur la table d'accouchement et prépare le matériel, Marielle fait le point médical et transmet tout oralement, Qasim fait l'accouchement. Beau travail d'équipe, et rien de tel que tout ça pour me remettre de bonne humeur. 
6h40 : Je n'arrête pas de la nuit et je les entends dire au petit matin que "ça a été calme". Je fais mes transmissions à l'équipe de jour et je file me coucher.

 

J 36 

 

17h30 : Je finis par me réveiller, complètement décalée. Il faut que je me dépêche si je veux avoir le temps de tout faire : en discutant avec les copains, j'ai eu le malheur de dire que j'aimais faire de la pâtisserie. On m'a donc expressément demandé une tarte tatin. Je file faire quelques courses et me met au travail en rentrant. J'épluche, je coupe, je caramélise. Je fais mijoter mes pommes dans la poêle avec du beurre, ça glougloute et ça embaume la maison : Gabrielle me dit que ça a l'air bien bon avec des petites étoiles dans les yeux. Elle tente de faire un jus de gingembre maison et moi, je m'affaire à mon gâteau. 

20h : Kylian et Andréa passent me prendre après s'être douchés dans la coloc des filles : ils ont un problème avec l'eau et n'en ont plus depuis quelques jours. On s'entasse à 6 dans la voiture et s'est parti pour leur crémaillère ! L'avantage ici, c'est que les forces de l'ordre ne se soucient pas de ce genre de détail : alcool au volant, herbe, scooter sans casque et j'en passe, ils sont accaparés par d'autres priorités comme les orpaillages, les courses-poursuites et les guerres de gang. 
Arrivés à la soirée j'aide en cuisine et je prépare une salade sous les ordres d'Andréa. Je vire Kylian du Barbecue qui n'a pas l'air de savoir comment s'y prendre : c'est parti pour les saucisses, brochettes et côtes de porc. 
On mange un bout et boit un verre autour de la table du salon avec un peu de musique. Je finis par faire DJ et je me lance dans un blindtest avec des musiques des années 2000. 

1h30 : On rentre sagement, toujours à 6.

 

J 37 

 

4h : Je me réveille comme si j'avais fini ma nuit. Je tourne, tourne encore et je maudis ces horaires de nuit. Je ne me rendors qu'à 9h30 après avoir passé une bonne partie de la nuit sur mon téléphone. L'avantage, c'est qu’Elise est réveillée. Les choses sont revenues comme si sa semaine de silence n’avait jamais eu lieu, et mes sentiments pour elle ne tarissent pas. D’une façon un peu idyllique, je me dis qu’à ce rythme, on pourrait bien se retrouver à mon retour. Je n’écoute pas la petite voix dans ma tête qui me dis que nous n’avons pas d’avenir. Mes projets de repartir 6 mois en Guyane, puis 1 an et Mayotte, et les missions humanitaires n’affaiblissent pas mes espoirs. 

16h30 : Je finis à peine ma nuit. Ça va être difficile de se remettre dans un rythme socialement normal. Aujourd’hui Billy organise une grosse fête chez lui sur le thème de la kermesse. Pourtant, je n'ose pas y aller par ce qu'à part lui, je ne connais personne et que ça risque d'être long. La colocation en question permet à tout le monde d’amener d’autres invités dans la limite du raisonnable : Mathilde et deux gendarmes (Florent et Alex) se motivent à venir avec moi et après avoir fait deux trois courses, on y va en début de soirée avec le taxi clandestin de Baris. Ici, les adresses ne sont pas référencées sur les GPS et c'est la vraie galère. Heureusement Baris connaît Saint-Laurent comme sa poche et nous dépose au bout de la rue. On paie 7 euros pour 4 personnes. On cherche dans la pénombre et on se trompe de maison, nous voilà quasiment rentrés dans une maison familiale quand on entend des enfants rigoler : ah non… Ça ne doit pas être ici. On retente plus loin et on fini par trouver. Une bonne vingtaine de personnes sont déjà présentes et Billy nous présente les jeux : fléchettes, pêche aux canards, chamboule-tout, ping-pong etc. Tout y est ! On passe un bon moment, je croise même Qasim le sage-femme présent lors de ma dernière garde.

22h30 : Les gendarmes profitent de la patrouille de leurs collègues pour rentrer puisqu'ils travaillent tôt demain. Avec Mathilde, on change donc de soirée et on rejoint les autres chez Andréa et Kylian pour leur deuxième crémaillère du week-end. Certains n'étaient pas disponibles le vendredi ou le samedi donc pour faire plaisir à tout le monde, ils ont décidé de faire les deux. Rebelote, on papote et Constance qui est avec son copain gendarme nous demande de la rejoindre au Coumarou. Je motive les filles et on y va ! Arrivées à l'entrée le videur nous demande 10 euros par personne. On commence donc à faire demi-tour : ça fait trop cher pour un dernier verre. Je négocie et finalement, j'obtiens qu'on ne paie que 2 entrées sur les 5. On retrouve Constance et les gendarmes sur place, mais aussi Fares (un garçon d'ici, colocataire de Jahed et Lison), et 2 sages-femmes qui me reconnaissent tout de suite. Jeny, qui m'avait agacée à la dernière garde, ne se comporte pas du tout de la même manière et a l'air contente de me voir. Les filles dansent, moi toujours pas, et je parle avec Fares. On rigole par ce qu'il me dit qu'à son âge (25 ans peut-être) quand il dit qu'il n'a pas encore de femme(s) on lui répond "Tu as un problème ? Tu veux que je t'en trouve une ?". Ici c'est pareil pour moi. Quand mes patientes apprennent que j'ai 22 ans elles me disent qu'il serait peut-être temps de commencer à faire des enfants. L'un des gendarmes me demande des nouvelles de mon achat de moto. Je crois que je lui plais et il n'a pas l'air d'apprécier que Fares me parle. Après une vanne un peu raciste de sa part, je les réconcilie et on discute un peu tous les trois. 

3h : La boite ferme et Jeny propose d'aller finir la soirée chez Unice. J'hésite, mais Elisabeth et Fares me motivent, on embarque l'un des gendarmes et sur le point de partir, on voit les autres hésiter. Finalement Jeny se défile et nous dit "qu'elle rentre avec Pablo”, un des gendarmes. Je souris et la félicite en rigolant, il est mignon et bon… On n'a pas vraiment besoin d'un dessin. Elle part toute fière et se lamentant de "l'image que ça renvoie à la petite étudiante". 
La soirée se termine chez Unice, je mange un poulet frite et on fini par rentrer vers 4h30.

 

J 38 

 

Aujourd'hui, je reste tranquille et comate toute la journée. Depuis quelques jours, je suis retombée en enfance et je regarde "Ma famille d’abord" pour la centième fois. Je m'enterre dans ma chambre et ne sors à peu près que pour me nourrir. 

21h : Je sors chasser mon dîner. Ici il y a beaucoup de foodtruk, et les chinois se trouvent à chaque coin de rue. J'en profite pour téléphoner à Elise, et je me rends vite compte que ce n'était pas très prudent de ma part de sortir seule à une heure pareille. Aux nombres de klaxons et de personnes qui m'abordent dans la rue, je me sens vite seule et je ne traîne pas. J'achète un "Beck", une sorte de pain frit, agrémenté de sauce, avec du piment bien sûr, et de la viande hachée. Je rentre à la maison et on se met tous à table en même temps. Gabrielle n'est pas bien et elle nous avoue rapidement que la compagne de l'homme qu'elle fréquente depuis un mois a fini par tout découvrir. La femme en question est une des personnes qui travaille avec moi au CHOG, et elle connaît aussi Mehdi. Apparemment, elle vient avec son conjoint devant chez nous pour qu'ils s'expliquent tous les trois. C'est Dalas cette histoire ! Après ça Gabrielle semble encore plus triste, elle s'était attachée, commence à se rendre compte qu'il a joué double jeu et n'a pas été honnête sur ses sentiments. En sachant que c'est peine perdue, on tente de lui remonter le moral : sans succès. Mehdi en profite pour faire le curieux et me pose des questions sur mes amours. Je lui avoue mes sentiments pour Elise, et lui parle d’Alex qui me plaît malgré tout. Je lui confie que de toute façon rien ne sera possible entre nous sauf, peut être, quelques écarts sans attaches. Tout le monde fini par aller se coucher et moi, j'écris sur la terrasse. Il fait 23° et il fait tellement lourd depuis quelques jours que j'ai été obligée d'allumer la clim dans ma chambre.

 

J 39 

 

8h : J'entend frapper à la porte de ma chambre. C'est Mehdi qui part au travail et qui veut que je ferme derrière lui. On a seulement deux clés pour trois personnes et c'est de l'organisation. Je ferme derrière lui et je me rendors un peu. Je vais faire un petit tour en ville et je rentre me rafraîchir dans la piscine. Je range mes affaires et constate que les pantalons servent de décoration dans mon armoire, je n'en ai pas mis un seul depuis le 3 janvier. J'appelle ma petite maman et je mange un petit bout avant d'aller faire deux trois courses avant de me mettre aux fourneaux. Mes prouesses en cuisine on rapidement faire le tour et la prochaine commande de pâtisserie est déjà faite : un tiramisu pour Alex, et une autre tarte tatin pour Gabrielle. Toujours à la recherche d'un appartement, Mehdi aborde le sujet avec moi pour en savoir plus. Je sens qu'il commence à regretter d'avoir donné la priorité à Gabrielle et me fais comprendre que finalement, je pourrais peut-être rester jusqu'en juin. On décide d'attendre la réponse de l'autre colocation qui devrait arriver dans la semaine et en fonction, on avisera.
19h : Ce soir, on devait aller boire un verre dans la colocation de Maélia, Aurélie et Marion, mais à part moi personne n'a l'air disponible, on remet nos projets à plus tard et je passe une soirée au calme pour être en forme demain.

22h : Je ferme déjà les yeux.

 

J 40 

 

2h30 : J'ai l'impression d'avoir déjà fini ma nuit. Je me réveille comme une fleur et impossible de me rendormir malgré les tours et les détours. Après 46 positions et un pacte avec le diable je finis par réussir de 5h à 5h30. Super ! La journée commence au top. Je suis ronchon et je n'ai pas envie d'aller au travail. De toute façon pas le choix, je me fait une raison et me bouge le popotin. 

6h40 : Je prend la relève et l'équipe est cool, c'est déjà ça. Ça a été le bordel cette nuit, et j'ai bien l'impression que ça va continuer aujourd'hui. Je commence par m'occuper d'une patiente avec Juliette, une jeune sage-femme. Cette petite dame a mené à terme 9 grossesses et va accoucher pour la 9ème fois. Au vu du nombre de ses accouchements et de sa rapidité (passée de 6 cm à dilatation complète en quelques instants), je me méfie du risque d'hémorragie de la délivrance. Jackpot : avant d'avoir délivré (d'avoir sorti le placenta) elle saigne en un seul coup 350 ml de sang. J'alerte tout de suite Juliette qui est présente et on appelle les médecins. On m'interpelle dans le coin de la porte à travers le brouhaha des deux anesthésistes, de l'interne, de la gynéco, de la sage-femme, de l'aide-soignante, du papa et des aides extérieures : "Thaïs, tu as enfermé ton colocataire chez lui" Merde. Mehdi. Je vais me faire tuer. 
En partant ce matin puisque tout le monde dormait, et que Gabrielle avait gardé les clés de d'habitude dans sa chambre j'ai pris celle du trousseau de Mehdi et pensant bien à lui laisser les clés de sa moto et à lui envoyer un message. Sauf que Gabrielle est partie sans réfléchir et que Mehdi n'a pas regardé son téléphone. Je m'éclipse rapidement et m'excusant mille fois, je file déposer les clés aux UGO pour qu'il puisse les récupérer. 
Je cours dans les couloirs pour reprendre en charge ma patiente et gérer les à-cotés. Ma pauvre petite dame, qui d’ailleurs travaille dans le service en tant qu’aide-soigante, et qui était retissante à être prise en charge par une étudiante, fini par nous déverser un flot de compliments pour nous remercier de l'avoir aider. 

11h : La journée continue sur sa lancée : monitoring, surveillance de travail et d'accouchées, papiers, enregistrements, interprétations des rythmes cardiaques fœtaux, prélèvement et j'en passe : on ne s'arrête pas. Une Mort Foetale In Utéro se présente à nous : cette patiente a appris sa grossesse il y a deux jours et comme elle n'en souhaitait pas elle est allée acheter des médicaments pour avorter illégalement. Dans ce but, elle a pris des comprimés de cytotec (qui ont une visée abortive pour le premier trimestre de grossesse) à plus de 4 mois de grossesse ! Le foetus est décédé, après son expulsion la sage-femme constate qu’il était déjà malformé. Un mal pour un bien peut-être. Dans ce genre de situation, on doit faire un tas de prélèvements pour déceler d'où vient la malformation, mais aussi des photos, des empreintes, etc... Je donne un petit coup de pouce juste avant d’aller déjeuner, rien de tel pour se mettre en appétit. 

14h30 : On m'ordonne d'aller manger, et après 15 minutes de pause plus ou moins continues et bien méritées la journée reprend son cours. Papier, monito, douleurs, ERCF... Une de mes patientes a l'air algique (douloureuse) et je l'examine. Elle est à 7 cm et c'est un 7ème donc ça va aller vite. J'entends dans les couloirs qu'une patiente enceinte de jumeaux est arrivée et va accoucher de prématurés : c'est le branle-bas-de-combat. L'équipe des pédiatres se surajoute à l'équipe déjà bien complète de ce matin. Je comprends vite que ma patiente n'attendra pas que je puisse m'occuper de la gémellaire, ni que je puisse attendre mes collègues pour avoir de l'aide. Je décide de prendre les choses en main et j'informe Juliette dans un coin de porte. Comme prévue, elle accouche ! L'anticipation a réussi, Exacyl, Cytotec et Syntcinon (médicaments qui préviennent les saignements) sont lancés rapidement et sans encombre, pas d’hémorragie cette fois. Ensuite je décide de décharger mes collègues qui ont le nez dans les papiers et qui n'arrivent pas à avancer. Je prends en charge les deux ruptures, les deux surveillances du post-partum, et les sonnettes. 

19h10 : On me vire de la salle et me dit de rentrer chez moi. Que je ferais bien assez d'heures sup' une fois diplômée. J'apprécie l'aubaine et je rentre savourer une bonne douche fraîche. Ce soir Mehdi nous cuisine un couscous, et après, je compte bien m'écrouler dans mon lit.

20h : Une fois rentrée à la maison je m'aperçois que le réseau est coupé, en discutant un peu avec mes colocataires je me rends compte que c'est général et Mehdi nous raconte qu'il y a quelques temps les lignes de réseau avaient été coupées, que toute la ville avait été privée de téléphone et d'internet pendant 3 jours. Pas très rassurant dans une ville comme celle-ci. Je croise les doigts pour que ça ne dure pas trop longtemps et que personne ne s'inquiète.

 

J 41 

 

2h : Je me réveille. Ah non ! Ça suffit faut dormir maintenant ! Je jette un œil à mon téléphone, toujours pas de réseau. Et heureusement je réussis à me rendormir sans trop de difficultés. 

5h45 : Debout là-dedans, on va faire naître des bébés ! 

6h40 : L'équipe du jour arrive à mes côtés et on n'a même pas le temps de faire la relève que la patiente de la salle X sonne. On court à l'autre bout du couloir. De bon matin ça réveille. Fausse alerte, toujours à 6 cm, la patiente souffre et ne comprend pas que même en poussant ça ne fera pas avancer les choses et qu'elle abîmera son corps. On tente de l'en informer mais elle semble ne pas écouter nos mise en garde, elle veut accoucher. Soit. 
On essaie de regagner le bureau, et là encore une autre patiente sonne, puis une autre. Personne ne réussit à être dans le bureau plus de quelques secondes et les transmissions n'ont pas été faites. On prend les informations comme on peut et on court partout dès le début de la journée. 
Je tourne aujourd'hui avec Emma, une néo-diplômée qui encadre une étudiante pour la première fois. On prend en charge la patiente de la salle X et je suis bien vite obligée de rester avec elle pour gérer la douleur. La patiente ne tient plus, elle ne souhaite pas de péridurale, mais pleure, supplie, se tord dans tous les sens et est difficile à gérer. A force de pousser elle a mis des selles partout (attention âmes sensibles s'abstenir pour la lecture de cette garde). Elle s'accroche a moi, s'assoit, marche, se lève tout à coup, s'allonge par terre, se met à quatre pattes. Et moi, je bouge avec elle, il faut absolument que j'enregistre le cœur de son bébé, mais quand elle bouge comme ça, il faut que je le tienne en permanence. Il y a des selles partout, probablement sur moi. Bon, de toute façon c'est pas vraiment comme si j'avais le choix, il me faut ce rythme. Je suis même obligée de la disputer par ce qu'elle me fait mal, elle me pince sans réfléchir. Dans ce métier on nous apprend rapidement qu'il ne faut pas laisser faire ce genre de chose par ce que même si elles ne se rendent pas compte, elles peuvent nous blesser. Morsures, pincement, pétage de doigt, j’ai déjà plus d’un bobo à mon actif. 

10h03 : Elle accouche enfin. Le jour et la nuit : au moment où je lui ai dit qu'elle avait le droit de pousser pour faire naître son bébé, elle s'est calmée tout à coup (là où d'autre patientes perdent pied) et a poussé comme une chef ! La tête est dehors, super.... Mais je sens que quelque chose retient, je tente de dégager les épaules sans succès. Ça résiste. Emma ne sait pas quoi faire, je n'arrive plus à communiquer, je suis trop concentrée. Elle me donne des ordres et des conseils, mais rien n'y fait. C'est une dystocie dans les parties molles, les épaules sont engagées dans le bassin, mais retenues par le périnée. J'ordonne les manœuvres : ”Je veux un Mac Roberts et un poing sus-pubien !" Et je tire, et je tire, et je prie pour ne pas lui casser le bras. L'enfant naît. Il va bien. Même pas de réanimation. Tremblante, l'adrénaline est encore là et je suis chancelante. Je respire un grand coup et je ne me laisse pas submerger par l'émotion, le travail n'est pas fini, il reste le placenta. Marguerite, l'aide-soignante, me félicite. Il est à peine 10h30 et j'ai déjà l'impression d'avoir fait mes 12h, la journée va être longue. 

11h : Ce rythme endiablé continu et tout à coup on cri "UNE SAGE FEMME !!" Et on court à nouveau ! On s'inquiète de ce qui se passe en salle Y et on comprend que c'est une dystocie des épaules aussi. C'est censé être rare, c'est le thème de la journée ou quoi ? Sauf que le bébé est vraiment coincé et qu'une à deux minutes s'écoulent sans qu'on ne puisse le dégager. La mère hurle, elle n'a pas de péridurale. Pas le temps de gérer sa douleur, la vie de son enfant est entre les mains de notre équipe. Emma et moi, on se rue sur la table de réanimation, on appelle le pédiatre et on attend l'enfant. Ils sont déjà une dizaine de personnes dans la chambre de naissance. L'enfant arrive, il ne va pas bien. Cloé, la sage-femme qui faisait l'accouchement, tient l'enfant, alors que ses propres jambes ont du mal à la porter, j'aperçois des larmes qui coulent sur ses joues. Rien d’autre n’y paraît, elle commence la réanimation. On s'affaire et le pédiatre arrive quelques instants plus tard, elle lui laisse la main et s'écarte. Elle s'écroule dans le couloir. L'équipe entière compatit, moi la première. Ma gorge se serre. Ça pourrait nous arriver à tous sans qu'on y soit pour quelque chose. Parfois je me dis qu'on est maso de faire ce métier. L'enfant va mieux. Apgar 3/7/10. Et on continu. C’est une chance, dans certains cas des lésions irréversibles, si ce n’est létal peuvent en être le résultat. On entend à nouveau hurler "Une sage-femme dans les toilettes !" de l'autre coté du service. Sprint. Une patiente qui a accouché ce matin a fait une hémorragie dans les toilettes et s'est écroulée. Aller, on rappelle les médecins et c'est reparti pour l'urgence. L'équipe débarque, médecin, interne, anesthésistes, sages-femmes et j'en passe. On court encore, et pourtant, on devait aussi gérer des déclenchements. Dans toute cette occupation c'est impossible, malheureusement elles devront attendre. Nous n'avons plus de salles de libre, et plus de place en service de suites de couches. 3 patientes attendent déjà en salle de déambulation, et il y a aussi ma patiente qui attend dans sa chambre. 
Je m'occupe d'une patiente déclenchée quand celle-ci se met soudainement à pousser à cause de la douleur ; son effort l'a fait uriner et malgré ma magnifique manœuvre d'évitement, je m’en suis faite asperger les jambes. Emma rigole jusqu'à ce que la patiente se mette à lui vomir dessus. Du vomi vert, il ne manquait plus que ça au tableau. 

16h : Après une césarienne code rouge pour des anomalies de rythme, qui s'est ajoutée au reste on mange enfin. J'ai faim. Les journées commencent tôt et mon estomac est vide depuis un moment. On se force à prendre une pause d'un quart d'heure. Ma patiente en a décidé autrement et sonne. Je laisse mon dessert en plan après avoir englouti sans mâcher la moitié de mon plat. On va enfin faire quelque chose de beau aujourd'hui ; de physiologique. Enfin plus ou moins, ça reste un déclenchement, mais bon. La naissance se passe très bien. On se méfie par ce que c'est un bébé qui n'a pas beaucoup de réserve (Petit Poids pour l'Age Gestationnel ou PAG pour les intimes avec des Anomalies du Rythme Cardiaque Foetal-ARCF). Il est tout rose, et à peine posé sur sa mère, il ouvre les yeux et me regarde sans pleurer. C'est rare, mais il ne pleure pas et il va bien. L'instant est beau. Ça nous donne du baume au cœur pendant cette garde de malheur. J'attends le placenta. J’attends. On a jusqu'à une demi-heure avant de s'inquiéter et d'appeler les médecins, et devinez qui on a fini par appeler ? Je suis dépitée. Parfois, j'ai envie de jeter mes gants et de partir. La maman fait une rétention du placenta et l'interne va devoir aller le chercher à la main. Je vois l'équipe débarquer une fois de plus. Anesthésie générale pour la maman qui n'a pas de péridural, super ! Le verdict tombe : ce n'est pas une simple rétention placentaire, mais une suspicion de placenta acreta (très rare, c'est une adhérence à travers l'utérus et la paroi abdominale qui peut provoquer de graves saignements internes). Décision prise, on part au bloc, la patiente est intubée sur place. 

18h : La fin de la journée arrive. Je rentre avec Aurélie et on décide de manger ensemble avec Alex. On convient de se retrouver à la maison pour un plateau charchut', fromage, vin et bière. 

19h45 : J'arrive au Super U pour acheter le vin, les portes se ferment devant moi. Journée de merde ! Je me fais une raison et rentre attendre les autres, une bonne douche et ça va déjà mieux. 

20h30 : On passe un très bon moment et on papote un peu avec Mehdi qui se joint à nous. 

22h30 : On rejoint d'autres gendarmes qui sont au Tipic en ce moment : Noé, Valérien, et deux autres. Il y a aussi Pablo juste derrière qui semble sortir avec Jeny. On les laisse tranquille et on passe une bonne fin de soirée.

 

J 42 

 

11h30 : Je suis cassée de partout. J'ai l'impression qu'un camion m'a roulé dessus. J'ai rendez vous à 14h, mais je me rends vite compte que même si j'ai anticipé hier soir Mehdi a compris la moitié de ce que je lui ai dit, il est parti avec les clés et une fois de plus je me retrouve contrainte à annuler. Une fois qu'il est rentré, je vais faire un tour en ville pour aller m'acheter une bombe lacrymogène, avec tous les événements récents je me dis que ça sera pas de trop. Malheureusement, arrivée devant l’armurerie, la seule et l’unique, elle est fermée jusqu'à nouvel ordre. Tant pis, mais c'est dommage. 

19h : Alex me rejoint quand je rentre, il a oublié son chargeur et son maillot de bain hier, on papote un peu et il me propose d'en acheter une pour moi pendant son prochain voyage à Cayenne. J’accepte, c'est gentil de sa part. Ensuite, on se dirige ensemble vers le super U pour qu'il prenne la navette des gendarmes et que moi, je fasse 2-3 courses. Une fois rentrée à la maison, je commence à faire la popote, je cuisine un cheesecake pour Florent, et ils le mangeront tous demain soir pour l'anniversaire de Mattéo, l'un des leurs.

 

J 43

 

5h30 : Je me lève plus tôt pour finir le cheesecake. L'anniversaire, c'est ce soir et comme ça, ils pourront venir le récupérer dans la journée ou après leur patrouille. 

6h40 : Je vais aux UGO et je tourne avec Marielle. Elle me laisse tout gérer seule. Elle me demande à chaque fois "C'est quoi ? Fais-moi un résumé”, puis "Qu'est ce que tu ferais ?" Ensuite je fais. De cette façon je gère mes patientes de A à Z. Entre autres, une patiente se présente en me tendant un papier. Je l'ouvre et je constate que c'est une échographie fait il y a 7 jours : en cherchant un peu, je comprends que c'est la seule chose que la patiente ai fait pour cette grossesse. Elle ne parle que Taki Taki. Elle a prétendu avoir des contractions pour venir et qu'on fasse tous les examens avant qu'elle ne se mette vraiment en travail. On me l'avait encore jamais fait celle-là ! Je tente de faire l'interrogatoire, mais elle me répond à chaque fois sans chercher à comprendre mon baragouinage "solo taki", l'air de dire "je comprends pas, et j'ai pas envi de comprendre". Je me rend aussi vite compte que savoir poser des questions en Taki c'est bien beau, mais sans comprendre les réponses c'est pas très utile. Se surajoute à tout ça deux patientes qui viennent "par ce qu'elles ont mal". En fait, l'équipe me fait rapidement comprendre que c'est le genre de patiente qui veut juste avoir un test de grossesse ainsi que les premiers examens sans avoir à les payer. 

14h30 : Je file manger, et en passant devant la salle de naissance Dalia m'interpelle et me propose d'accoucher un siège avec elle. J’accepte ! C'est un beau cadeau de sa part. Je vais me présenter à la patiente, c'est son dixième enfant et elle gère comme une championne. Je conviens avec Dalia qu'elle m'appelle quand c'est le moment. 

Quand tout à coup le téléphone sonne de l'autre coté, je comprends et me mets à courir en direction de la salle : je ne veux pas rater ça ! On s'était mises d'accord, on se plante devant et on empêche les médecins, qui sont présents, d'y mettre les mains. Sinon ils vont faire des manœuvres qu'on pourrait éviter. Dalia m'affirme qu'il n'y a plus de poches des eaux et je me mets en plein devant. Erreur : il restait une poche et avec la force d'une contraction elle m'a littéralement explosé au visage. Fort heureusement, j'ai fermé les yeux, mais je suis trempée et exceptionnellement, je n'ai pas mis de chaussettes. Dans mes crocs ça couine. Finalement, le dos de l'enfant tourne sur le côté et avant que j'ai pu m'y "opposer" l'interne a déjà commencé les manœuvres sous les ordres du gynécologue. Je tente de mettre mes mains sur les siennes, mais je saisi clairement que je ne suis pas la bienvenue. Je m'écarte déçue. L'enfant né et ne va pas bien. Je l'emmène pour une réanimation, j'ordonne qu'on lance le chrono d'apgar, j'aspire, je stimule, et je finis même pas le ventiler. Fière de ma réanimation, déçue d'avoir été obligée de le faire, j'aide Dalia à réinstaller la dame. Tout à coup, le gynécologue rentre et sans un mot ni un regard pour la patiente lève le drap, lui écarte les jambes et lui appui sur le ventre. Dalia et moi, on se regarde, on se comprend tout de suite : on appelle ça une violence obstétricale et c’est honteux. 
Après toutes ces aventures, je vais me doucher, je suis trempée de liquide amniotique de la tête au pied et on m'apprend qu'il y a une douche dans l'un des vestiaires. Une fois propre, je rejoins le service des UGO et je continue ma garde. 

20h30 : Ce soir on va au tipic, on ne change pas une équipe qui gagne : tout le monde est là. 

22h : Les gendarmes arrivent et une fois de plus les deux groupes fusionnent. J'apprends dans les ragots que Jeny a déjà balancé Pablo et tenté sa chance avec un autre gendarme. Amusée, je ne dis rien, ça ne sont pas mes oignons. 

23h30 : On décide de continuer la soirée au Coumarou, enfin plus exactement je me fais embarquer, et je choisi de faire Sam par ce que la conductrice n'a pas l'air au clair. Une fois là bas Noé tente sa chance avec Aurélie sans succès. Il insiste, il insiste et elle fini par me demander de la ramener, elle a trop bu et elle en a assez de lui. Je la ramène en sécurité et je reviens. On papote avec les garçons et j'attends Jeny et Elisabeth jusqu'à la fermeture. 

3h : Je les ramène chez moi, ensuite ils vont chez Unice juste à côté. Moi j'ai pirogue demain !

 

J 44 

 

7h30 : Aïe, je n'ai pas dormi beaucoup. J'attends d'avoir des nouvelles d'Aurélie avant de m'activer par ce qu'à tous les coups elle ne réussira pas à se lever. 

8h : Message reçu, elle est levée et motivée, je me prépare, j'anticipe la cagne et les coups de soleil et c'est parti : ce matin, on va visiter un village bushiningé. C'est l'une des communautés d'ici, et le village se trouve sur les côtes surinamaises, on y va en pirogue. Aurélie me présente Théo qu'elle a rencontré la semaine dernière, c'est un informaticien à son compte vraiment très gentil. Il a pas mal voyagé et avec lui la conversation est facile, j'ai l'impression de le connaître déjà. L'homme qui nous fait la visite s'est marié à une femme d'ici et est en Guyane depuis 30 ans, il parle beaucoup et on apprend plein de choses. Le soleil tape, heureusement l'eau du Maroni est à portée de main. On fait 45 minutes de pirogue, on apprend les coutumes d'ici, les arbres, les fruits, les animaux, la façon de faire les pirogues et de cuisiner le magnoc. Il nous montre aussi l'un des colorants naturels orange, une petite graine que l'on casse entre les doigts : on dirait de la peinture ! Il nous en faut peu pour s'amuser, en quelques secondes Aurélie, Théo et moi, on s'en est déjà barbouillé partout façon indien. Notre laissé-passer pour l'entrée du village n'est rien d'autre qu'un gros sac de pain et de fromage, et en marchant, on se rend compte du monde qu'il y a entre notre vie habituelle et la leur. Ils vivent dans des habitats précaires, à même le sol, l'eau provient d'un puit commun et les installations d'électricités sont très récentes. On croise deux petits garçons à peine plus hauts que 2 pommes. Timides mais pas farouches, ils s'approchent et finissent par venir avec nous. J'essaie d'entendre le son de leur voix, sans grand succès. Je suis déçue, je n'ai rien à leur donner. J’ai tout de même la satisfaction de réussir à capturer le sourire de l'un des deux qui pose pour la photo. On passe devant l'île de la quarantaine, aussi appelée “île aux lépreux”. Autrefois on y jetait à manger aux malades mis à l’écart à partir du bord de la plage. On passe aussi juste à coté de l’épave d'un bateau commerçant de la flotte britannique qui s'est craqué en deux et sur lequel s'est développé tout un petit bout de forêt. 

12h30 : Après 4h d'excursion on se donne rendez vous à 14h devant le super U pour la prochaine destination : Les chutes Voltaires ! Mathilde, qui se joint à nous, a loué un 4x4 ce matin et on part jusqu'à demain soir. 
14h : J'attend Gabrielle qui s'est encore barrée avec les clés et je décolle, sac à dos en place et baskets bien accrochées : ce soir on dort en hamac avec le bruit des chutes et auprès d'un petit feu ça va être génial ! 

14h20 : Je reçois un message de Mathilde, elle ne réussit pas à démarrer le 4x4…

14h45 : Je les rejoins, elle, Aurélie et Théo. 

15h : Juste avant que j'arrive ils ont réussi ! Quand on arrivera la nuit sera en train de tomber, mais bon tant pis, on profitera demain et on se dit que tout ça, ça fait partie de l'aventure ! Rama, le chiot de Mathilde vient avec nous, il est trop mignon. 

15h10 : Il fait beaucoup de bruit le 4x4 quand même... Et on ne va pas très vite. 20 km/h, c'est normal ? On insiste un peu et on se résout à rappeler l'agence de location, censée être fermée à cette heure. Heureusement, ils répondent et ils viennent voir. Panne confirmée, week-end annulé. On est tous très déçus. Histoire de se consoler, on reste ensemble et on va passer le reste de l'après-midi autour de la piscine. Mathilde finit par rentrer, moi je m'endors plus ou moins et les deux zouzous proposent d'aller manger à la goélette ce soir. J'accepte et ils appellent pour réserver. C'est complet. Bon, décidément, le week-end tombe à l’eau. Je reste à la maison.

 

J 45 

 

9h : Je me réveille à 9h. Ce matin, on part pour le marché de Javouhey à 10h. Je déjeune, me réveillant doucement sur la terrasse avec croissants et chocolat chaud. 

10h30 : Andréa et Kylian viennent nous chercher (Aurélie, Théo et moi). On file à Javouhey dans la bonne humeur et on fait nos petites emplettes. On découvre chaque fois de nouvelles saveurs, de nouveaux fruits. On a pu observer des couteaux Monhg, et goûter du riz cuit dans une feuille de bananier. Après ça, on mange sur place, la spécialité du marché : une soupe. On se régale et finalement même si le week-end n’est pas celui qui était prévu, on s'en est plutôt bien sortis. On dépose Aurélie au boulot en rentrant et on passe l'après-midi au bord de la piscine. Barbottage, bronzette avec un peu de musique et Gabrielle -éméchée- se joint à nous. L'ambiance de la résidence commence à être pesante, les voisins viennent râler pour la musique. Un dimanche après midi, au bord de la piscine et pas trop fort on s'était quand même dit qu'on pouvait se le permettre, mais visiblement non. Bon. 

17h : Gabrielle se retire et reviens quelques instant plus tard, l’air penaude : elle a claqué la porte en sortant de la maison et on est coincés dehors. Son téléphone est à l'intérieur et le mien (que j'ai retrouvé poqué à la fin de l'après-midi par ce qu’elle a marché dessus...) n'a plus de batterie. L'accumulation des mauvaises aventures de cette fin de journée m’agace, il est temps qu'on parte observer le carnaval en ville. On attend que Mehdi rentre pour nous ouvrir et je repars en ville pour la grande parade de Saint-Laurent. 

20h : Ce soir, les autres vont à la goélette. Moi, je reste tranquille, je suis fatiguée de mon week-end et je suis de garde demain.

 

J 46 

 

5h45 : Le réveil sonne et je me motive pour deux jours de garde. 

6h40 : Aujourd'hui la relève est plutôt sympa pour nous. On commence la journée en douceur et je m'occupe d'une dame qui vient d'accoucher. Les services de suites de couches sont pleins à ras bord, et même si la surveillance des 2h post-accouchement se passe bien, on est forcées de garder nos patientes en salle de naissance. En attendant, on les laisse en salle de "déambulation" avec des lits d'appoints, 3 dames attendent de cette façon dans l'espoir d'avoir un lit plus ou moins rapidement.

9h : Une patiente se présente et grâce au calme du service je peux me permettre de ne me concentrer que sur elle. C'est agréable de prendre le temps et je le prends. Je l'accompagne et la guide comme je peux. L'accouchement se passe très bien, mais c'est un 4ème et malgré mon anticipation du risque d'hémorragie de la délivrance avec différents médicaments, ça ne rate pas et elle saigne plus que la normale. L'hémorragie n'est pas cataclysmique et grâce à ça, on peut aussi prendre le temps qu'il faut pour lui expliquer la prise en charge et faire les choses en douceur, sans précipitation. Cloé me demande "qu'est ce que tu dois faire ?". Alors je dis, puis je fais. Perfusion, bilan, remplissage, scope, appel de l'équipe, massage, vidange vésicale, révision utérine, antibiothérapie, examen sous valve. On s'arrête là. Ça rentre dans l'ordre avec "seulement" cela et c'est tant mieux. J'ai même pu faire la révision utérine (on passe une main dans l'utérus). Juste avant ça une patiente est arrivée pour accoucher, le temps que je m'occupe de l'hémorragie ce bébé ne m'a pas attendu et il est né avec Marilou. Tant pis pour moi, c'est le jeu ! Je croise les doigts, peux être que d'ici la fin de la journée, je pourrais en faire un autre. Jackpot : Une autre patiente se présente et je la prends à nouveau en charge. Tout se passe très bien, et cette fois-ci pas d'hémorragie. Je m'occupe d'appeler le service pour faire mes transmissions et quand l'équipe arrive, je transmets les informations des patientes encore présentes. Je me rends compte en le faisant que je gère presque toutes les patientes du service. La cadre, Charlotte est présente et elle me félicite. On discute et elle me fait part de ses impressions, tout est plutôt flatteur, je suis comblée. 

19h30 : Je rentre à la maison, direction dodo ! Je n'ai rien de particulier de prévu ce soir et j'en profite pour me coucher tôt. 

21h30 : Je dors déjà.

 

J 47 

 

5h45 : Debout !

6h05 : Partie ! 

6h40 : Rebelote ! On fait la relève et pendant les transmissions, on mange un bout du gâteau que Cindy a amené. Et tout à coup, il fait chaud, je trouve. Et tout à coup, je manque de force. Et puis... Bon bah aller, on se met les jambes en l'air pour commencer la journée, rien de mieux qu'un petit malaise en début de garde. Aller haut les cœurs, ça m'arrive de temps en temps et l'avantage, c'est que je vois venir les choses. J'ai eu le temps de m'allonger pour éviter les dégâts. On commence en douceur et aujourd'hui, je tournerais avec Marilou qui m'a déjà suivi en partie hier. Je m'occupe d'une accouchée, mais aussi d'une dame qui va accoucher et qui a un gros problème de prolapsus (descente d'organe) du col utérin. On voit le col qui sort de 3 bons centimètres de la vulve, c'est assez impressionnant. En voyant que la dilatation n'avance pas (malgré la peine que ça représente pour l'examiner) on demande un avis médecin. Eux même ne savent pas trop quoi en penser et le chef demande l'avis d'un autre médecin. Verdict : on passe en césarienne pour obstacle à la voie basse. Dans la journée, j'accoucherais deux dames de façon physiologique (sans particularités), pour lesquelles tout va bien dans le meilleur des mondes malgré leurs grossesses non suivi. Ici, c'est très courant et l'une des deux a à peine 18 ans, c'est déjà son 3ème bébé. Même course que d'habitude : rythmes, examens, constantes, douleurs, dossiers, cliniques, surveillances d'accouchées, médications, accompagnements et j'en passe. Parmi tout ça une VME (Version par Manœuvre Externe) est prise en charge en salle de naissance : en clair, le bébé n'a pas la tête en bas et on manipule la maman pour faire en sorte qu'il se tourne. J'accompagne la patiente et son accompagnante m'interpelle : "Madame, tu me reconnais ?". Effectivement, son visage me dit quelque chose, mais... "Tu as fais naître mon bébé il y a un mois. C'était toi la sage-femme de mon accouchement". Oui, ça me revient ! Ravie de la revoir et flattée qu'elle m'ai reconnue elle me montre des photos de son bout-de-chou qui se porte à merveille. Je lui dis de lui faire tout plein de bisous pour moi et je continue ma garde. Dans tout ça, je ne peux m'arrêter qu'à 16h pour manger. Et j'ai faim. Un petit quart d'heure de pause et c'est reparti pour la tournée infernale. Au milieu de toute cette agitation je réussi à prendre quelques minutes pour faire mon planning avec Charlotte la cadre, et c'est génial par ce que je ne fais aucun week-end. En tant qu'étudiante ça n'a pas beaucoup d'intérêt. 

18h40 : La relève arrive et entre temps on a déjà accueilli 3 patientes supplémentaires qui sont sur le point d'accoucher. Marilou signe mon carnet et j'aperçois dans les commentaires "Thaïs a été aujourd'hui la 4ème sage-femme de l’équipe".

20h : Je vous écris tout ça en luttant pour ne pas dormir. Sauf que ma maman m'a toujours dit qu'il faut "prendre le sommeil quand il est là". Donc je vous laisse. Et je vous embrasse. Vous me manquez tous beaucoup.

 

J 48 

 

8h : J'entend Gabrielle parler à côté et demander tout fort "Mais elle est là Thaïs ?" Oui, maintenant, je suis là. Pas besoin de dormir plus, je me suis couchée tôt hier et je ne suis pas fatiguée. Je vais profiter de ma matinée pour travailler un peu, il est temps. 
Je vais faire quelques courses, je grignote un bout de pain et je me mets à plancher sur mon mémoire. J'apporte des modifications grâce au retour de correction de ma tutrice et je fais suivre à ma maître de mémoire. J'ai déjà fait le plus dur et je m'attaquerais demain à la discussion et à la conclusion. Ensuite, il ne me restera que quelques broutilles comme l'orthographe, la syntaxe et la pagination. 

11h15 : Je file chez l'esthéticienne : ici, on est toujours en short et en maillot donc tout le monde fait attention. 

11h30 : La souffrance commence et... 11h35 : Et un deuxième malaise ! Au bord du vomissement, j'en informe l'esthéticienne qui va chercher du sucre pendant que je tente de reprendre mes esprits. Heureusement, j'arrive à contenir mon estomac et on continu en douceur après quelques secondes de répit. Pas question de repartir au milieu de la séance sinon je reviendrais jamais. On papote un peu et j’apprend que Kenia, la jeune femme qui s’occupe de ma torture est dominicaine. Tête brulée, mais très gentille, elle me parle de son copain, de son ex sénégalais, et de sa vie d'ici qui ne lui plaît pas trop. 

12h : Je rentre, je mange un petit bout et je fais la popote : cette fois-ci, je cuisine un tiramisu pour Alex. C'est la première fois que j'en fais un, et je n'aime pas trop ça alors je me rend pas bien compte, j'espère que ça sera bon. Une fois tout ça bien rangé au frais, je fais un bon p'tit coup de ménage et fignole deux trois détails de mon mémoire. 

16h : Dans l’après-midi Alex passe prendre le Tiramisu. Il est en repos et on va profiter un peu de la piscine. Je l’accueille dans l’entrée et lui montre son dessert. Il me remercie par un doigt dans les côtes et commence à me torturer par les chatouilles. On chamaille dans la cuisine, et face à ses gros bras rien à faire, je me retrouve par terre en quelques secondes. Je file dans ma chambre chercher quelques affaires et il me suit. Le temps s’arrête, et tout à coup, il est tout près. Je sens sa présence dans mon dos, et quand je me relève, sans trop savoir pourquoi je me retrouve dans ses bras. L’initiative vient de moi, mais ça n’a pas l’air de le déranger. Comme si tout était normal, nos lèvres se trouvent et s’expriment sans toute la retenue qui était de rigueur depuis que l’on s’est rencontrés. On se laisse aller, et c’est dans un naturel perturbant que les choses dérapent. 

18h : J'attend des nouvelles d'Andréa pour qu'on puisse filer au Yoga, c'est son anniversaire aujourd’hui. Après on va tous au restau pour fêter ça. J'en ai profité ce matin pour lui payer une manucure des pieds, j'espère que ça lui fera plaisir. 

18h10 : Je reçois un message de la miss, elle c'était endormie. Bon, ça sera pour la semaine prochaine alors ! 
19h : Alex finit par partir et les choses sont claires. Bien que très perturbée par sa présence, j’éprouve encore beaucoup trop de sentiments envers Elise pour me lancer dans quoi que ce soit. On ne restera qu’amis, avec peu être un petit plus de temps en temps. Il semble comprendre, moi, j’essaie de me convaincre. 

20h : Ce soir c'est à l’Acoustic Lounge qu’on dinera, j'ai vu avec Kylian et il a déjà prévenu le restaurant. Madame se verra offrir une coupe de champagne et Kylian a prévu les bougies ça va être super. On passe une très bonne soirée, malgré un petit coup de chaud à nouveau pour moi en début de soirée. Je mange un plat libanais et je bois une Caïpirinia au Maracuja, le repas se déroule à merveille et Andréa a l'air aux anges.

23h45 : Au lit !

 

 

J 49 

 

7h30 : Gabrielle toque sans aucun scrupule et lance "Thaïs, tu fermes derrière moi ?". Oui, j'arrive. Je me lève et Mlle n'est pas prête. Je patiente, je ferme derrière elle et évidemment le sommeil est parti. Je n'ai rien de prévu ce matin et je vais essayer de me rendormir un peu.

11h30 : En fidèle petite marmotte j'ai réussi bien sûr et je viens de me lever. J'appelle ma maman au bord de la piscine et je mange un plat un peu plus consistant que l'habituel bout de pain. J'en ai marre de me sentir mal, et les copains, inquiets, m'ont même conseillés de profiter d'être à l'hôpital demain pour faire une prise de sang. 
En début d'après-midi, je me renseigne sur les assurances moto, je fais mes comptes et je potasse mon mémoire après avoir traîné un peu au bord de la piscine. Une demi-heure suffit, je me méfie du soleil. 
Aujourd'hui je vais chercher ma moto ! La carte grise est prête et on s'est donné rendez-vous à 18h ; Kylian et Andréa doivent m'emmener une fois qu'Andréa aura fini son service. J'attends de leur nouvelle et je sens que ça va être compliqué.

17h15 : Mon instinct était bon ; Andréa voulait aller profiter du soleil et visiblement on s'est mal entendu, je cherche dans mon répertoire et j'appelle Baris le taxi clandestin dont les gendarmes m'avaient donné le numéro. 

17h45 : L'un des taximan de Baris vient me chercher près de chez moi, on passe chercher deux autres personnes, il me dépose pour retirer de l'argent afin que je puisse le payer et on file vers Javouhey où se trouve la moto. La route est longue, bien longue. Je ris parce qu'il met des musiques de beurettes et qu'il chante avec toute la masculinité qu'il est possible d'avoir. Mais j'ai l'impression qu'il va trop loin. Il m'assure qu'il voit où c'est. Bon. 
Arrivés à Javouhey il se rend compte que finalement c'est pas là où il pensait que ça serait. Tiens donc ! On tourne, on retourne, et sans GPS c'est compliqué. Les "rues" sont des chemins non référencés, et on tourne pendant une bonne demi-heure. Une fois la maison trouvée, je le paie 15 euros, et je règle les détails avec la dame. Papiers signés, règlement mis en place, je monte sur la moto et... Tiens elle ne démarre pas ! En discutant un peu elle m'avoue qu'elle a essayé de la démarrer aujourd'hui et qu'elle a certainement vidé la batterie sans le vouloir puisqu'elle ne sait pas faire. Bon, je récupère mon chèque et elle me ramène. Un peu déçues, elle m'assure qu'elle appelle un mécanicien dès demain et qu'elle fera le nécessaire s'il faut changer quelque chose. Le coté positif de l'histoire, c'est que j'ai pu ramener la guitare que je n'aurais pas pu embarquer à moto. 

20h30 : Je fais un crochet par la maison et je file au Tipic : Jeny m'a invitée et on va boire un verre avec une dizaine de sages-femmes. Une fois sur place, je me sens intégrée et c'est agréable de ne pas se sentir comme "la petite étudiante". On rigole, on papote et j'apprends à connaître mes probables futures, collègues.

22h30 : Je décide de rester sage puisque je travaille demain. Les filles ne veulent pas me laisser rentrer seule et me ramènent ; je sens qu'elles ne vont pas jouer la prudence et vont sortir en boite. Mauvaise idée !

 

J 50 

 

5h45 : Le réveil sonne, j’ai bien dormi mais une fois de plus je suis angoissée sans raison. Je souffle un coup, ça va aller. J’emballe un bout de gâteau, 3 dattes ramenées de Tunisie par Mehdi et j’enfourche mon vélo. 

6h15 : On s’est données rendez-vous avez Aurélie et on roule ensemble vers l'hôpital en papotant dans la fraîcheur du matin. 

6h40 : Stupeur ! Le tableau est blanc. Aucune dame dans les salles. On s'occupe bien pourtant et on fait les salles de fond en comble : péremptions, caisses des situations d'urgence, vérifications et ouvertures des salles, réorganisation du bureau : la totale ! Je m'occupe d'une petite patiente dans la matinée ; elle vient pour une VME (Version par Manoeuvre Externe), son bébé est en siège et on veut essayer de le faire tourner pour qu'il ai la tête en bas. Échec. Ça arrive que les manœuvres ne réussissent pas. 

13h : En début d'après-midi on m'amène une patiente en travail et je peux l'encadrer de A à Z. C'est dommage par ce qu'elle parle anglais et qu'elle est très fermée à la discussion. Cloé, qui l'a accueillie aux UGO, l’a un petit peu houspillée par ce qu'elle a fait suivre sa grossesse au Suriname et que la patiente lui a assuré qu'elle venait "par hasard" par ce qu'elle s'était subitement mise à contracter une fois sur Saint Laurent. En réalité, cette patiente voulait simplement avoir accès aux soins français et à fait des Washis (rituels pratiqués afin de déclencher l'accouchement) juste avant de venir. 

Tout en accompagnant ma patiente, je propose mon aide aux UGO, et les filles semblent ravies d'avoir deux petites mains de plus. Je pose une perf’, j'envoie un bilan, je rassure, j'informe et pose des rythmes tout en jonglant avec la salle d'accouchement. 

18h00 : C'est évidement au moment où la relève approche que ma patiente commence à faire des siennes ; son bébé ralentit son rythme cardiaque et je m'en vais rompre la poche des eaux pour la faire accoucher. Les choses ne se passent pas aussi rapidement qu'on le pensait et malgré les efforts de poussée l'enfant fatigue. On appelle le médecin, et le bébé ralenti encore, un peu trop... La gynécologue rentre dans la pièce et semble s'agacer de la situation, verdict : Ventouse ! On s'active et les choses s'accélèrent, je cours vers la salle de réanimation, je prépare une table et je m'apprête à recevoir le bébé. Bébé en main, je cours vers la réa et on commence nos manœuvres : aspirations, stimulation, ventilation... Il atterrit assez vite et tout le monde est content, plus de peur que de mal, mais je suis très déçue de finir la journée sur cette fausse note alors que tout allait parfaitement bien jusqu'à ce qu'on s'installe. 

20h : Je passe chez Marine pour récupérer le hamac qu'elle me prête pour le week-end et je choisis une soirée tranquille à la maison afin d’être en forme pour la randonnée de demain. 

 

J 51 

 

8h : Réveillée tôt j'en profite pour faire deux trois courses avant de partir, je prépare mon sac et j'attends qu'on vienne me chercher. Andréa et Kylian passent me prendre et on file chez Mathilde. On rejoint les autres au point de rendez-vous et une fois que tout le monde est là, on part pour Kourou à 2 h de voiture. On fait une halte à Iracoubo pour que les autres achètent à manger et on continu notre chemin. Tout à coup, la voiture freine, endormie à l'arrière, je me relève rapidement, mais trop tard : ils ont manqué d'écraser un singe et je ne l'ai même pas vu. Déçue (de ne pas avoir vu le singe, pas d'avoir manqué de l'écraser) je me rendors. Arrivés à Kourou, on se rend au rendez-vous que Maélia a pris avec un particulier pour l'achat potentiel d'une voiture. Les choses trainent en longueur et pendant qu'elle l'essaie et qu'elle règle les papiers, on papote, on en profite pour faire une séance crème solaire et pour manger un bout. 

15h30 : Maélia a enfin tout réglé et on se retrouve avec une voiture supplémentaire. Par contre la randonnée était annoncée d'une durée de 3 h et on a peur de se faire surprendre par la nuit. Agnès envisage d'aller à la plage, mais on réussit tous à se remotiver et on part quand même faire la randonnée de "la montagne des singes". J'espère qu'on en verra ! Baskets aux pieds, sac et dos et bouteille bien en place on s'aventure dans la forêt sur un chemin à peine dessiné. On se retrouve rapidement au cœur de l'Amazonie et c'est magnifique. Ça grimpe pas mal et on s'essouffle, parfois on s'arrête même, ce n'est pas une randonnée pour débutant et ça se sent. Le paysage est subjuguant et on se méfie de ce qui nous entoure, on peux tomber sur un serpent à tout moment alors on regarde où on met les mains et les pieds. Tout à coup Kylian Hurle ! C'était une branche. Je me moque gentiment de lui et on continu. De la partie, il y a Andréa, Kylian, Maélia, Mathilde, Agnès, Charline, et moi. Andréa manque de tomber dans un trou et on rigole à nouveau. On foule un chemin plat qui nous accorde un peu de répit quand on entend hurler plus loin. Un hurlement de douleur. Mon cœur tape, je pense tout de suite à un serpent qui aurait mordu une randonneuse et je me mets à courir pour la rejoindre (après tout, on est ce qui se rapproche le plus d'un médecin dans les alentours.). Arrivée sur place, je constate que les personnes devant nous sont tombées dans un nid de "bourdons" selon eux. Sauf qu'un bourdon ça ne pique pas, il s'agit en fait d'abeilles tueuses qu'on peut trouver dans les forêts Amazoniennes. Tétanisée, je bats en retraite et les copains constatent vite ma phobie. Je leur explique au bord des larmes que j'ai une peur panique de ces bêtes-là et que je ne pourrais pas traverser, j'en suis physiquement incapable. On attend tous un peu que chacun se calme, et j'essaie de me raisonner. On a marché une heure et demi, je ne vais pas faire faire demi-tour à tout le monde, pour moi. On essaie d'envisager les solutions et on trouve un compromis : si je ne les vois et que je ne les entends pas ça devrait le faire. Charline me fait donc enfiler son K-way à manches longues, et un bandeau que je mets sur les yeux. Je mets aussi la capuche. Elle se met devant moi et Maélia derrière et elles me guident en contournant le sentier pour ne pas passer par le nid. J'essaie de respirer, de ne pas faire de crise d'angoisse et c'est une sacrée épreuve. J'entends une dame a coté dire "vous allez voir on entend grouiller" et Charline répondre sèchement "oui bon, on va peut être arrêter de dire ce genre de chose". Détour réussi, je me dis à moi-même que la Guyane m'aura fait faire face à bien des épreuves. Juste avant d'arriver en haut on aperçoit très loin un singe. Sauf que je n'ai pas mes lunettes et que pour moi c'est pas flagrant... Dommage ! Arrivés au sommet, on admire la vue et je lis une pancarte qui parle d'une sorte d'araignée non-mortelle, mais dont le venin est très douloureux. Je lève les yeux tout à coup et je demande "Personne n'est phobique des araignées ?”. Heureusement non : Il y en a une vingtaine de la taille de ma main qui habite le carbet dans lequel on se trouve actuellement. On se pose 20 minutes, on boit et mange un coup et c'est reparti ! Le plus dur est fait maintenant il ne reste que de la descente. Comme on a bien profité des bruits de l'Amazonie, on met un peu de musique sur mon enceinte et on descend quand il se met soudainement à pleuvoir. Une pluie d'ici, chaude et à grosse goutte. La nuit commence à tomber aussi. On en rigole et on fini la randonnée mouillés. Arrivés sur la fin, on a pu apercevoir un agouti (une sorte de petit rat) en train de manger au milieu du sentier. 

18h : On a mis 2 h pour la randonnée et on décide d'aller à la plage avant d'aller au carbet pour passer la nuit. On repart, vers le centre et on se baigne dans la mer, peu salée, mais aussi marron que les fleuves d'ici. L'eau est chaude, très chaude, il fait froid quand on sort, et déjà que je n'ai pas de maillot, j'ai encore moins de serviette. Je prends sur moi et m’essuie à l'air libre. Une minute après me voilà sèche. On profite du coucher de soleil et une fois la nuit bien tombée, on rentre. 

19h30 : Arrivée au carbet. Les copains nous attendent. En fait, on rejoint Constance, son copain Mathis et toute la bande de gendarme habituelle. Ils nous accueillent avec une bière et Ô joie le carbet est un peu luxueux puisqu'il est grand : il y a une douche ! Froide mais bon, faut pas rêver non plus. Je me douche, on boit une bière et on commence à installer les hamacs. Les garçons nous aident à établir le campement et à faire les nœuds. Pablo m'aide pour le mien, et la soirée commence. On rigole bien, on joue aux cartes, on met de la musique à fond, l’avantage, c'est qu'il n'y a pas de voisin. J'aide pour le barbecue et je comprends vite que j'ai blessé leur instinct de mâle (les hommes au barbecue...), je les charrie par ce qu'ils ne savent pas s'y prendre et comme ils s'en rendent bien compte, ils finissent pas me demander de l'aide. 

2h30 : Un peu Ko je me couche avant les autres et je grimpe dans mon hamac, j'écoute de la musique et m'endors rapidement.

 

J 52 

 

7h : Je me réveille au bruit de la pluie. C'est agréable, tout est silencieux. Je me rendors avec les bruits de la nature. 

10h : Vessie remplie, je me faufile en dehors du hamac le plus discrètement possible. Je crois que tout le monde attendait le top départ puisque tout à coup, tout le monde se lève. On déjeune tous ensemble et je fais des œufs brouillés pour un régiment (cette fois-ci, littéralement). On reste un peu au calme à profiter du soleil et des hamacs avant de quitter le carbet. 

14h : C'est parti pour le défilé de Kourou. Les gendarmes partent séparément de nous et on se retrouve sur place par hasard donc on décide de rester ensemble. On attend que ça commence pendant une bonne heure au soleil. Le défilé démarre et on en prend plein les yeux. 

17h30 : On est tous fatigués et le défilé est sympa mais un peu long donc on décide de rentrer. Je monte dans la voiture avec Kylian et Andréa et c'est parti. La route est longue, trop longue. Kylian conduit brusquement et je me retrouve a devoir me concentrer pour ne pas être trop malade. 

20h30 : Enfin arrivés, je souffle un coup pour ne pas rendre et on décide de s'arrêter tous les trois pour commander des madras (hamburger d’ici) dans une roulotte. Finalement, on retrouve les filles sur place par hasard aussi, et à peine quelques minutes plus tard les gendarmes également. Tout le monde a eu la même idée et on décide de manger tous ensemble pour clôturer ce week-end en beauté. 

22h : Complètement Ko, je m'endors en 2 minutes chrono.

 

J 53 

 

5h45 : Je me lève et c'est parti pour une grosse semaine. 
6h40 : On fait la relève et aujourd'hui Charline fait partie des sages-femmes. Comme c'est la première fois qu'elle travaille en salle ici elle sera "doublée". Une autre sage-femme va lui montrer tous les papiers, etc. C'est marrant de travailler avec elle alors que ce week-end on a fait la fête ensemble. Aujourd'hui, on sera 5 “sage-femmes”, et la dernière fois que c'est arrivé, on a couru partout, j'espère que ça sera plus calme ! Charlotte, la cadre, m'a dit il y a quelques jours qu'à mon niveau ça serait intéressant de tourner avec plusieurs personnes afin de me mettre en difficulté et de m'obliger à m'organiser d'avantage. J'écoute ses conseils et je prends en charge 3 patientes avec 3 sages-femmes différentes. C'est toute une gymnastique d'esprit, mais c'est plutôt formateur. Je m'occupe d'un déclenchement pour terme, d'une dame en travail, c'est son 7 ème enfant alors je me méfie ça peut aller vite, et d'une petite primi (primipare = premier bébé) toute mignonne. Je gère mes trois patientes de front et je finis par renvoyer chez elle la dame qui a déjà 6 enfants. C'était, semble-t-il, un faux début de travail et elle sera mieux chez elle qu'entre nos murs. Certaines situations sont parfois trompeuses par ce que son col est dilatable à deux doigts larges, mais notre ressentie clinique est biaisé au vu du nombre d'enfants qu'elle a déjà eu. Le problème, c'est que si elle se met vraiment à contracter il y a toujours un risque qu'elle n'ai pas le temps d'arriver à l'hôpital. 
14h30 : Les choses se calment plus ou moins et j'en profite pour aller manger un bout, on ne sait jamais ce qui nous attend après et il faut mieux manger quand on peut encore ! Juste après manger, en sortant d'une salle, je vois les sages-femmes courir partout : une patiente à 9 cm s'est présentée aux UGO et on l'accueille dans le service en croisant les doigts pour qu'elle n'accouche pas dans le couloir. Je m'apprête à aller aider quand Jeny, l'autre sage-femme des UGO, m'amène une autre patiente à 7 cm. Bon, toutes les sages-femmes sont occupées avec l'autre dame, je m'occupe de celle-ci avec Charlotte et Jeny. L'une la perfuse, l'autre ouvre sont dossier, je vais chercher les sangles, pose le monito, parle à la patiente et je l'installe quand je vois Jeny ouvrir son dossier : grossesse gémellaire. Jeny louche et me dit : "Oh putain. C'est des jumeaux". Branle-bas-de-combat : on appel l'anesthésiste, l'interne, le médecin et tout le monde débarque dans la salle. Une de mes collègues la réexamine et... Erreur. Elle n'est qu'à 1 cm. Dans la précipitation, certainement, ma collègue a dû se tromper, ça peut arriver à tout le monde et on relativise en se disant qu'il vaut mieux que ça se passe dans ce sens là que dans l'autre. Bon tout le monde se calme, et je tente de discuter avec la patiente. Tout le monde lui a sauté dessus et elle semble s'être braquée. Les filles ont déjà appelé l'anesthésiste pour la pose de péridurale (très recommandée lors d’un accouchement de jumeaux) et je me permets de demander : quelqu'un lui a demandé son consentement ? Ah non. Visiblement, personne ne lui a demandé son avis à cette petite dame. Et quand on tente de lui proposer c'est un non catégorique. Ici, les femmes accouchent dans la douleur et c'est comme ça. On tente de négocier et d'insister sur le bien-être de ses bébés et elle finie par accepter. Durant la pose de péridurale elle semble se détendre avec moi et je réussis à amorcer le contact ; c'est important qu'elle fasse confiance aux blouses blanches si on veut lui donner la meilleure prise en charge possible. 
Je n'oublie pas mes patientes à coté et la course continue. Je passe mon temps à essayer de capter les rythmes des jumeaux et la mère semble s'en amuser. A chaque fois que je sors de la pièce elle s'assoit alors qu'elle a bien compris que c'est à cause de ça que je ne capte plus et que je reviens systématiquement. Au bout d'une bonne quinzaine d'aller-retour, au bord des larmes d'énervement, je suis forcée de souffler un bon coup avant de rentrer dans la pièce et d'être désagréable avec la patiente. Et ça la fait rire. Certaines patientes sont si agaçantes parfois que je conçois que quelques-unes de mes collègues puissent perdre patience. 
Au milieu de tout se raffut j'entends une deuxième fois mes collègues courir : une dame accouche aux UGO. Bon, trop tard pour qu'on la passe, j'arrive dans la chambre et elle a déjà accouché. J'embarque le bébé, l'examine vite fait bien fait et j'enchaîne. Ma petit primi se porte bien et son col s'ouvre comme il faut, cependant, elle commence à avoir de la tension. Après avis médecin, je la mets sous Eupressyl et je garde un œil ouvert. Après quelques ralentissements, je la mets sur le côté, le bébé semble récupérer. De toute façon, je pense qu'elle va bientôt accoucher donc il ne va pas ralentir longtemps. Je me dirigeais vers une autre chambre quand je m'aperçois qu'il ralentit encore un peu, il doit certainement être en train de s'engager (descendre dans le bassin), je passe une tête rapidement avant et... Ma patiente est seule, tournée dans le sens inverse de tout à l'heure, elle ne répond pas. Je suis vite marquée par ses yeux révulsés et je vois que le drap au niveau de son visage est mouillé. "Madame, madame, tu m'entends ?!" Aucune réponse. J'appelle à l'aide, et le cauchemar commence. Anna vient m'aider et confirme le diagnostic que je n'osais pas prononcer à voix haute "Elle éclampse." "Aide moi à la mettre de l'autre coté et donne moi la canule de guedel. Très bien. Maintenant : CRIE". Je fonce dans le couloir et m'en donne à cœur joie : "ECLAMPSIIIIE" Je retourne l'aider et après de longues secondes elle me prie de recommencer. Cette fois j'hurle encore plus fort "ECLAMPSIE EN SALLE B" Moins de 5 secondes plus tard tout le monde est avec nous. Les choses vont vite, j'appelle l'anesthésiste et sans rien préciser d'autre, je résume "éclampsie en salle B" 30 secondes après il est présent dans la salle. Le gynécologue examine ma patiente et la trouve à dilatation complète. Il décide d'essayer de faire naître l'enfant par voie basse quand même et de tenter une ventouse. Il tire, il tire et nous fait part d'une chose qui me marque "elle pousse quand même". Ma patiente est inconsciente, son pronostic vital est engagé et pourtant elle trouve l'instinct de pousser pour son enfant. Les secondes me semblent interminables, la ventouse ne réussit pas et on décide de passer en césarienne code rouge. On transporte la patiente inconsciente tant bien que mal d'un brancard à un autre. Il y a du sang partout. Tout le monde court, chacun est affolé, mais concentré à sa tâche. Une fois ma patiente amenée au bloc en catastrophe, je retourne dans la chambre, elle est vide. Il y a du sang. J’ai l'impression d'avoir assisté à un carnage et l'image de son visage baigné de bave me reste en tête. Et si j'étais venue quelques secondes après ? Je me cache dans le couloir sans pouvoir retenir mes larmes plus longtemps. Je me reprends, ce n'est pas le moment, tu as d'autres patientes et tu dois rester professionnelle. Je respire et c'est reparti. Après une dizaine de minutes et trois aller-retours dans le bureau une collègue pose la main sur mon épaule et me demande : ”Ca va ?". Mauvaise idée, les larmes débordent et je m'en vais. Anna me suit, les larmes aux yeux elle m'avoue qu'elle aussi a du mal à se contenir et que je n'aurais rien pu faire d'autre. Que j'ai réagi comme il le fallait et qu'on lui a certainement sauvé la vie. On respire un bon coup, j'informe le papa avec Anna, tout le monde semble l'avoir oublié, et lui, il semble nous en vouloir. Il ne comprend pas comment une chose pareille a pu arriver, comment on n'a pas pu le prévoir. Malheureusement on ne peut pas prévoir ce genre de chose, mais je réussis à me dire que c'est plus facile de nous en vouloir, qu'il faut bien qu'il trouve des coupables. On retourne dans le bureau et toute l'équipe a l'air un peu sonnée. Ici elles en voient quelques unes des éclampsies et elle sont choquées à chaque fois ; pour moi c'était la première. Et c'était ma patiente. On débriefe, et dans ce genre de situation, c'est très important. Je me réfugie dans la salle des bébés avant de partir et je prends un shoot de douceur : le bébé de l'accouchée des UGO est encore là et c'est 4 kilos d'amour qui ne demande que des câlins. Je me mets à son contact et je m'apaise rapidement, je relativise : ce métier, on ne le fait pas pour rien. Un autre bébé vient de naître et on l'amène à coté de moi : il a une plaie bizarre à l'œil, comme si de la chair en sortait. Écoeurées, on appel rapidement le pédiatre : c'est en fait une dame qui vient de se présenter et qui a accouché très rapidement d'une grossesse non suivie. Une seule échographie et aucune consultation. Le pédiatre arrive et ne semble pas être aussi perturbé que nous, il appuie dessus et ça rerentre. D’écœurement, on a du mal à regarder, il regarde l'autre œil, touche un peu et ça ressort : c'est une malformation, l'enfant à les paupières qui se retournent. Charline demande "mais il a des yeux au moins ?" Difficile à dire, c'est tellement gonflé. Je reste avec mon bébé une seconde de plus et je rentre me coucher. 
20h : La garde à été difficile, l'image de ma patiente me hante et je ne vais pas bien. Je franchis la porte de la maison et après un furtif "bonsoir", je m'enferme dans ma chambre pour écrire un peu. J’envoie un message de détresse à Elise. J’aimerais qu’elle soit là, j’ai besoin d’elle. Son silence depuis quelques jours me pèse, mais je l’ai compris puisqu’elle était occupée à remplir son rôle de monitrice dans une colonie de vacances. J’envoie un appel à l’aide, et elle ne semble pas plus concernée que ça. Un peu vexée de sa distance, je prends sur moi et tente de lui faire comprendre que j’ai besoin d’elle, sans succès. Ensuite, je m'endors péniblement. C’est peut-être le début de la fin, mais je lui en veux de ne pas être présente. 

 

J 54

 

6h40 : Je suis déjà fatiguée. J'ai mal dormi et j'ai fait des cauchemars. Le moral n'est toujours pas au mieux, mais je fais avec. Je me dis que ce n'est pas plus mal si j'y retourne dès aujourd'hui. Il faut vite remonter en selle pour ne pas trop y réfléchir.
 A peine arrivée, Lucile me demande de l'aide pour poser une péridurale. J'accepte avec plaisir et vais m'en occuper. La patiente est difficile à piquer et l'anesthésiste perd patiente par ce qu'elle fait que bouger de sa position. Il s'y reprend à 3 fois et la 3ème tentative est la bonne. Victoire ! Malgré sa mauvaise humeur, l'anesthésiste est très gentil. Vraiment adorable comparé aux autres même, j'espère que je serais amenée à retravailler avec lui. 
Je tourne avec Jeny aujourd’hui, et les filles présentes sont pour la plupart des filles d'hier. Tout le monde me demande sincèrement si ça va, et elles voient bien que je suis encore perturbée. Pour me faire plaisir elles me laissent tout faire et me laisse la physio (physiologie = les patientes sans complications). Je fais donc deux accouchements dans la journée, qui se passent à merveille. ("ANAT en OP DDC, PI" pour les connaisseurs). Pour l'un des deux accouchements, la patiente nous a été transmise à 2 cm de dilatation, je l'ai examinée à 6 cm une heure et demi après et le temps que je sorte de la pièce, je me dis que ça va peut-être plus vite que prévu. Je hèle Jeny dans le couloir et je mets mes gants pour la réexaminer. "Met tes gants,  Mets tes gants ! Je vois les cheveux". Bon trop tard, j'ai mis un demi gant et les mains en plein dedans. La patiente se met soudainement à pleurer juste après. Je cherche à savoir pourquoi, et celle-ci se confond en excuse par ce qu'elle a fait caca pendant l'accouchement. Je la rassure et je la trouve trop mignonne : c'est tout à faire naturel. Je comprends vite que la chute des hormones n'y est pas pour rien et je la laisse tranquille après l'avoir rassuré comme je peux. Ensuite, je me nettoie 15 fois les mains et ça me dégoûte ! Mais tant pis, ça fais partie du métier. 
Je m'occupe également d'un déclenchement pour macrosomie (gros bébé) et je tombe des nues quand je m'intéresse à son dossier : c'est une G15 P14 (15 grossesses, 14 accouchements) et tous vont bien ! En discutant avec elle, j'apprends que sa plus grande fille a 26 ans, qu'elle a elle-même deux enfants, et attend le 3ème. Ma patiente a 42 ans, je suis subjuguée par la force de la nature qu'elle représente. Et son mari, père de ses enfants, est là. 
Au milieu de la course de la journée Perrine part en césarienne code rouge, je donne un coup de main. 
Je suit la patiente qui a eu sa péridurale à mon arrivée toute la journée. Elle stagne sa dilatation, mais comme le rythme de son enfant est bon les médecins décident de ne rien faire. C'est de cette façon que je l'ai récupérée à 3cm en début de garde et que je la "rend" à la même collègue le soir venu, à 4 cm. Comme il y a eu une évolution (même faible) ils ont tout de même voulu attendre. La patiente commence à trouver le temps long et sa tension augmente. Rien à faire, elle enlève son brassard tensiomètre à chaque fois que je sors de la pièce, elle bouge en permanence et me voilà à nouveau à faire 50 aller-retour pour capter le rythme de bébé. En fin de journée je retrouve même les capteurs lancés d'un bout à l'autre de la salle, la patiente s'était débranchée. Zen, zen, restons zen. 
18h40 : La journée touche à sa fin et c'est pas trop tôt ! On fait la relève et on décide d'aller boire une bière à la goélette avec Jeny. 
20h30 : Arrivée là-bas, après s'être posées un peu, on croise Lucile, et une panne de courant fait qu'on se retrouve dans le noir tout à coup. Le TPE (machine à carte) ne fonctionne plus et Lucile se trouve dans la panade. Je la dépanne avec un chèque et on l'invite à continuer la soirée avec nous au Tipic. Alex, Pablo et un autre gendarme nous rejoignent et on discute sans aucune prise de tête, tout naturellement. La soirée est agréable. En fin de soirée je vois que Jeny a trop bu et je sais qu'elle veut passer le reste de la nuit avec Pablo, je donne donc ses clés à celui-ci et lui souhaite une bonne fin de soirée. 

Alex et moi, on la joue discrets. En pleine discussion avec les autres, on s’envoie des messages l’air de rien, et on décide de passer la nuit ensemble. À la fin de la soirée, on part séparément et on se retrouve devant chez moi. 1 heure, plus tard, un peu occupés, mon téléphone se met à sonner. Il est 1h30 et Pablo m'appelle. Ils se sont pris la tête et Jeny veut conduire sa voiture pour rentrer chez elle. Elle ne veut pas qu'il appelle un taxi et la seule chose qu'il a réussi à négocier, c'est de m'appeler moi. Bon. J'y vais, je me rhabille et vais la mettre en sécurité. Mademoiselle semble être un peu trop insistante avec son beau gendarme et je vois qu'il ne sait plus trop comment réagir. 

Dans la nuit, je reçois un autre message : “Hello! Ça va ? Tu as pu te reposer et te changer les idées ? En tout cas tu n'as pas de soucis à te faire. Des étudiantes comme toi ça devient rare et ça fait plaisir d'en retrouver. Ton cahier de remarques devrait en inspirer certaines... Comme j'étais chez Cloé on n'a pas eu le temps d'en reparler avant que tu partes mais du peu que j'ai pu en voir, j'ai trouvé ton relationnel avec la patiente très bon et je me suis même dit qu'ici certains de nos réflexes se perdent, comme lui demander dans quelle position elle aimerait accoucher. J'y repenserai moi-même la prochaine fois. T’as l'air de connaître tes protocoles sur le bout des doigts et de ne pas en oublier ton sens clinique pour autant, ce qui pour moi doit rester la base de notre réflexion et tu verras que ce n'est pas toujours le cas ici dans les différents services. En tout cas merci d'avoir été au taquet niveau réactivité sur la césar et j'ai culpabilisé un peu de ne pas avoir fait gaffe à notre pack d'accouchements, quand tu n'es plus là depuis un moment t'en oublies la moitié des choses ici. Désolé aussi si tu m'as un peu entendu râler en fin de journée. Perrine.”

Son message me va droit au cœur. 

 

J 55 

 

8h30 : Je me réveille assez tôt et encore fatiguée. La propriétaire de ma future moto doit venir me chercher en fin de matinée et finalement, je reçois un message de sa part : c'est sa voiture qui fait des siennes maintenant. Elle me propose de payer le taxi clandestin pour que je vienne quand même. J'appelle Baris et 5 minutes après une voiture passe me prendre près de chez moi. Le conducteur a l'air assez loquace et semble s'intéresser beaucoup à moi. Je dois me concentrer pour comprendre ce qu'il dit, mais je crois comprendre qu’il faisait du foot avant et faisait partie de la sélection espoir Guyane. Rapidement, il me demande si je suis mariée et quand je lui réponds que non, il me répond : "Mais pourquoi?”. Je ris, et je lui dis que j'ai encore plein de temps devant moi, que je ne suis pas pressée. 

11h30 : Une fois arrivée, la moto démarre sans problème et me voilà partie avec. Je rentre sans soucis et j'apprécie la route sur ma bécane. C’est pas l’engin de mes rêves, mais pour me faire la main sur les routes d’ici ça ira très bien. Une fois à la maison, j'enfile un short, un t-shirt pourri, les cheveux en bataille et des lunettes de soleil enfoncées sur mon nez, je m'attaque au nettoyage de ma première possession à l'éponge : un vrai cliché ! Ensuite, je mange un bout. Mehdi a préparé un plat de chez lui et j'en profite par ce qu'il m'a dit de me servir. Je tombe de fatigue et je décide de m'autoriser une sieste, après ça, je vais faire quelques courses et je fais une tarte tatin pour Gabrielle. 

19h : Gabrielle nous a ramené du chinois du coin de la rue. On mange ensemble sur la terrasse et je me mets à faire un petit peu de guitare. 

20h : Toujours Ko je vous écris un peu et je vais dormir. 

21h : Exténuée je m’endors.

 

J 56 

 

6h40 : On prend la relève et après un court répit c'est reparti pour deux jours de garde. 50 heures de garde en 5 jours ça pique. On se retrousse les manches, on y va, et avec le sourire en plus ! La journée démarre par une césarienne code rouge. Le bébé ne va pas bien et la dilatation stagne une fois de plus. De quoi nous mettre en bouche pour la journée. 

10h : Au cours de la journée entre deux patientes j'entends crier : alerte aux UGO. Je crois comprendre qu'un gros ralentissement cardiaque foetal retentit. On court, je sprint et j'entends : ”salle D !”. Je m'y rends : dans ma course les deux internes présentes se joignent à moi en sortant de leur chambre de garde et à peine l'entrebâillement de la porte passée on voit une tête entre les jambes de la patiente. Bon. Au moins il est né. Je cours m'assurer que la table de réa est prête et je reviens proposer mon aide. "Prends le bébé !". Ok chef. J'avais déjà mis des gants et j'embraque le loulou. Je l'amène au chaud et j'en profite pour dépanner ma collègue. Je fais son examen clinique. Un peu plus tard je me rends compte qu'il m'a tartinée de vernix (une sorte de crème qu'ont sur la peau les bébés à la naissance). Je le laisse sous rampe et continu ma tournée infernale. 

13h : Aujourd’hui je prends en charge une gémellaire : cette fois-ci j'espère que je l'accoucherais ! Ma petite patiente est déclenchée par ce que ses petits présentent un PAG (Petit Poids pour l'Âge Gestationnel - c'est-à-dire qu'ils sont petits et n'ont pas beaucoup de réserves, ils peuvent entrer rapidement en état de souffrance foetale). On pose la péridurale et pour une fois on ne court pas partout. C’est assez calme, grâce à ça je peux prendre le temps de tout expliquer au couple. J’anticipe aussi les possibles problèmes que peut présenter l'accouchement et les préviens qu'on emmènera rapidement les bébés à la naissance, qu'il y aura beaucoup de monde, et qu'ils ne prendront pas forcément la peine de se présenter.

16h : Ma petite dame commence à monter sa tension et je n'aime pas ça. Traumatisée de l'éclampsie d’il y a quelques jours je veille au grain. La limite des 16/10 de tension est franchie et je m'apprête à administrer de l'Eupressyl. Juste après l'avoir examinée (6 cm), je mets un bolus de ce médicament dans sa perfusion et commence à lui préparer une dose d'entretien quand je la vois changer de tête. Je vais quand même réexaminer avant de prendre le temps de tout préparer. Je commence son examen et... Je suis vite fixée : le premier bébé est déjà engagé (partie moyenne) dans le bassin. Mon coeur s'emballe et je cours alerter mes collègues : ce genre d'accouchement peut présenter de graves rétentions et nécessite des manoeuvres que je ne serais pas en mesure d'effectuer. Tout le monde débarque et à ma plus grande joie le médecin me laisse la place. Je m'installe et je fais l'accouchement de J1 (premier jumeau). Bel accouchement, tout le monde est là mais silencieux, respectueux du moment. Ce petit bout naît et je l'emmène en réanimation où m'attendent deux collègues accompagnées des pédiatres. Je le dépose et retourne dans la salle. On commence une VMI (Version par Manoeuvre Interne) qui consiste à retourner l'enfant en passant la main dans l'utérus et à tirer sur sa jambe. Le deuxième enfant naît aussi. Il va bien. Tout le monde se porte à merveille et le gynécologue semble pressé, il me fait vite comprendre que je vais me charger de la délivrance du placenta et que lui doit s'en aller. Je fais donc. Et la patiente saigne. Beaucoup. Les grossesses de jumeaux sont plus à risque d'hémorragie donc je ne suis pas surprise et appelle rapidement l'interne. À 450 mL de perte sanguine (la limite étant fixée à 500) Jeny voulait attendre : je m'oppose clairement à sa décision. C'est ma patiente et les saignements sont actifs. Le temps que Katy, l’interne, arrive elle a déjà perdu 100 mL de plus. On appelle le chef et on cadre l'hémorragie. Je prends la tête de la prise en charge et guide les manœuvres en parlant à voix haute : (Attention jargon) "Je perfuse et je fais un bilan. Il faut sortir un gant de RU, les valves, 2 g d'Augmentin (antibiotique), 1g d'Exacyl. On a déjà fait 2 comprimées de Cytotec en sublingual et 10 UI de Synto en IVL". 

On finit sur cette hémorragie et l'heure de la relève arrive rapidement. 

19h10 : Relève terminée je rentre. 

21h30 : Dodo !

 

J 57

 

5h45 : Aller dernier jour avant le week-end !

6h40 : Transmissions, la relève est plutôt sympa avec nous et la journée commence dans le calme. Je prends en charge la seule patiente en travail et c'est Anaïs qui m'encadre. Je vois qu'elle me surveille de loin mais qu'elle tient à me laisser toute mon autonomie. Ça commence mal par ce que le rythme du bébé dégringole déjà en début de journée. Je positionne ma patiente sur le côté et ça semble s'améliorer. Au bout du troisième ralentissement j'appelle l'interne. Elle arrive. On débarque dans la salle et l’interne, peu sympathique avec l'équipe et la patiente, l'examine. 8 cm. La gynécologue à son tour l'examine et confirme. Verdict : on attend l'accouchement qui devrait arriver rapidement. Le rythme continu à me poser problème et je rappelle pour le signaler. J'examine pour voir si ça avance et je ris jaune : nous, sage-femmes, on n’est pas toujours d'accord avec leurs touchés, mais là c'est carrément abusé ! Ma patiente n'est qu'à 5 petits centimètres et son col n'est pas du tout favorable à la dilatation. L'interne a changé et c'est Katy qui me rejoint : elle est d'accord avec moi, 5 cm. On décide de faire des lactates (prélèvements de sang sur la tête du bébé qui visent à mesurer le bien être fœtal) et Katy me laisse faire. Ils sont bons, donc on attend encore. 40 minutes après on en refait : ils sont toujours bons mais la gynécologue débarque dans la salle. Au vu de la situation elle prend la décision d'une césarienne code orange. Je m'en doutais un peu et j'avais déjà préparé le dossier d'anesthésie. On transfère la patiente et quand je reviens dans le bureau Anaïs rigole. Elle s'occupait de sa patiente et n'étais même pas au courant qu'on partait en césarienne : ”Si ça c'est pas de la confiance !" 
L'activité se calme et on va pouvoir déclencher certaines patientes en attente : je m'occupe d'un gros dossier. Une patiente est déclenchée pour allo-immunisation rhésus, diabète gestationnel, saturnisme et anémie ferriprive. C'est du chinois pour vous ? Pour moi aussi ! Le dossier est aussi large qu'épais et je peine à tout saisir. Pour faire simple il s’agit de la mère qui s'est immunisée contre son fœtus et qui a créé des anti-corps contre lui. Une quantité d'examens compliqués ont été effectués. La fin de la journée est calme. On transmet à l'équipe toute fraîche et je rentre à la maison.

20h : Ce soir Charline propose qu'on aille chez elle et Marion. Elles viennent d'emménager toutes les deux et veulent nous montrer leur maison. Je les rejoins à moto et apprécie l'indépendance, c'est agréable de ne pas avoir à embêter les autres pour qu'ils viennent me chercher ! Ensuite on file à l’habituel Tipic et on termine la soirée tranquillement là-bas.

 

J 58 

 

11h : J’ouvre les yeux et je me sens reposée après une semaine fatigante, je traîne un peu et Charline et Maélia passent me prendre vers midi direction Awala. On roule trois quarts d'heure musique à fond et soleil tapant, pour arriver à Mana, dans le restaurant où Charline a réservé. Je commande une fricassée de crevette et je me régale à savourer mon plat. Ventres bien remplis on s'autorise un dessert et je commande une crème brulée parfumée à l'Ylang-Ylang (une fleur). Je mange tout et je n'en peux plus, j'ai bien trop mangé et mon petit estomac n'est pas habitué, j'ai presque envi de vomir. On s'en va péniblement, et on roule vers la plage d'Awala-Yalimapo. En arrivant sur le sable on tombe rapidement sur un tas d'œufs de tortues vides, bientôt ça sera la saison des éclosions et on pourra venir les voir j'ai hâte ! Ici le soleil brûle, on se trouve un petit coin d'ombre sous un arbre sur la plage, on y étend deux serviettes et s'allongent pour piquer un somme. Mon enceinte fait toujours entendre sa musique et je crois rêver : c'est vrai qu'on est bien là. On reste une heure et demie allongées sans avoir besoin de parler. 

18h30 - Les filles me déposent devant chez moi et on décide de se retrouver plus tard : c'est vendredi soir donc on fait le traditionnel Tipic - Coumarou !
Je file faire deux trois courses et je mets la main à la pâte pour faire un gâteau poire chocolat aux gendarmes. Je me motive aussi à leur faire une crème anglaise ils seront contents.

21h15 : Me voilà en route pour le Tipic. J'arrive la première mais rapidement Maélia, puis Charline, puis Constance, les gendarmes et Mathilde s'ajoutent à la liste. Alban, à la tête de la navette des gendarmes, me remercie pour le gâteau au micro de la camionnette. Ça fait rire tout le monde sur la terrasse et j'apprécie l'attention. Alex arrive et on fait comme si de rien n’était. Une bise sur chaque joue, et d’un bout à l’autre de la table, personne ne semble être au courant. On est une petite quinzaine et comme d'habitude on prend la moitié de la place. La soirée se déroule bien, on se laisse tenter par le Coumarou et tout le monde se retrouve là-bas.

Juste avant de partir, Alex m’embête et subtilise mon téléphone sans que je me rende compte pour changer la langue des paramètres. Il finit par me rendre mon téléphone, sans rien avoir fait, l’air mal à l’aise. Sans comprendre je regarde mon téléphone et aperçois un message de Paul : “Tu me manques.”. En jetant un coup d'œil nerveux à Alex je constate qui est en colère. Je l’emmène à part pour quelques explications au calme. Celui-ci explose tout à coup, il me reproche de voir quelqu’un d’autre, de lui avoir menti, et en plus de faire ça avec un de ses collègues. Je le rassure, ce “Paul Gendarme” de mon téléphone n’est pas le même “Paul” que celui de son escadron, c’était avant lui, et je ne lui ai pas menti. Je lui fais aussi remarquer que je ne lui dois rien et que nous ne sommes pas ensemble. En une fraction de seconde, il devient tout penaud de sa confusion et passe à autre chose. Soit, la soirée continue au coumarou.

Une fois sur place, toujours dans notre jeu de discrétion, on ne laisse rien transparaitre jusqu’à ce qu’on décide de rentrer à moto tous les deux. 

2h15 : Je tombe de fatigue et me fais charrier par les gendarmes par ce que mes yeux se ferment tous seuls.

 

J 59 

 

11h : Je me réveille et je suis déjà en retard ! On brunch à l'Acoustik aujourd'hui avec la bande et on avait dit 11h - 11h15. J'envoie un message à Charline : c'est bon, personne n'est encore parti. Je monte sur ma bécane et j'y vais, finalement je suis la première. Ce midi on mange avec Maélia, Charline, Constance, Marion, Qaïs et un copain de Qaïs qui est arrivé il y a 4 jours. On a voulu se mettre dehors mais on regrette rapidement, la chaleur est difficile à supporter. On s'en met plein les papilles, ici, chaque premier dimanche du mois, c'est brunch à volonté : œufs brouillés, foie gras, pastèque, viennoiserie, c'est la folie ! Une fois encore je pourrais rentrer en roulant après le repas. Et ce soir c'est rebelote puisqu'on a prévu de manger un madras. 

15h : Dans l’après midi je m’occupe de paperasse, je tente de faire la carte grise de la moto, de l’assurer, d’écrire un peu et j’envoie ma postulation pour un poste. Cet été j’aimerais travailler à Clémentville pour les mois d’août et de juillet. Candidature envoyée je m'octroies un plouf dans la piscine et file rejoindre les copains.

19h : Rendez-vous madras. Je me laisse tenter par cette nouveauté et ce n'est pas mauvais. C’est une sorte d'hamburger avec un pain plus moelleux, et un œuf. Curieuse j'ai pris une sauce créole appelée aussi "sauce chien". On mange assez tôt par ce qu'Andréa travaille cette nuit. 

20h45 : On se laisse tenter par un verre à la goélette, et évidement on tombe sur les gendarmes à peine arrivés. Je discute avec Alban qui a l'air agréablement surpris que je sois la seule résidente de Guyane à respecter les mesures de sécurité à moto : jean, chaussures fermées, gants, mais aussi casque ! Je reste sage et je rentre assez tôt.

22h30 : Retour à la maison, je suis k.o je me couche, et dodo !

 

J 60 

 

9h30 : J’ouvre les yeux et j'ai l'impression qu'il est bien plus tard. J'ai dormi comme un loir et je me lève rapidement pour finir tous mes papiers. Je finalise le mail de l'assurance, m'occupe de deux trois détails et je reçois un mail : la cadre de Clémentville a bien reçu ma candidature et m'accepte sans plus de procédure ! Je suis enchantée de la nouvelle et flattée de leur confiance, je n'ai même pas à passer d'entretien d’embauche. J'avais raison ça a du bon de placer ses cartes en 4ème année. J’y avais bossé en tant qu'auxiliaire puéricultrice pendant l’été. J'écris pendant plus de deux heures pour rattraper mon retard. Avec les gardes et toutes nos aventures c'est compliqué de trouver du temps pour écrire.

13h : Je n'ai rédigé que deux de mes gardes et je m'octroie un temps de pause pour manger. Hier j'ai profité d'être à la roulotte pour commander un bami (pâtes et fricassée de poulet) pour aujourd'hui. Je me régale et en plus ça me fera bien deux repas. 

13h45 : Gabrielle, accompagnée, rentre à la maison me raconte toutes les péripéties de sa vie. Pour la faire courte elle couche avec un médecin qui sortait déjà avec une gynéco de l'hôpital. Évidement celle-ci à tout découvert et le pauvre monsieur s'est retrouvé entre les deux femmes. Après moultes rebondissements il a fini par quitter la gynéco pour se mettre avec Gabrielle. Sauf que la gynéco n’a pas du tout apprécié et qu'elle m'a retrouvé sur Facebook pour que je parle à ma colocataire. Je n'ai pas répondu, ça ne sont pas mes affaires. Quand le nouveau p’tit couple a voulu partir en week-end, ils sont passés au super U pour faire deux trois emplettes. Évidement ils sont tombés sur l'ex en question, qui a essayé de frapper Gabrielle. C'est parti en cacahuète et elle a pu lui balancer des conserves dans la tronche avant que la sécurité n'intervienne. Rentrés de leur week-end ils ont découvert l'appartement du chirurgien complètement saccagé, les murs tagés d’insultes. J'écoute tout ça comme si je suivais un feuilleton avant qu’ils ne repartent. 

14h30 : J’appelle ma p’tite maman et Jacko au bord de la piscine. Avec le décalage horaire et nos boulots respectifs c'est assez compliqué de se trouver du temps.

15h30 : Aller, je me fais violence et je me mets au boulot, il ne va pas s'écrire tout seul ce mémoire. 

17h : Petite pause, je gratte la guitare et j'ai vite mal au doigt. Je tente d'apprendre "Le lion est mort ce soir" et ça rentre doucement. 

19h : Je peaufine les détails de mon mémoire et je suis contente d'avoir travaillé : discussion et conclusion sont faites il n'y a plus qu'à corriger tout ça avec ma maître de mémoire et revoir l'orthographe avant d'imprimer ces 60 pages de bonheur. Pour la fin de la soirée j'écris encore et je reste au calme.

 

J 61 

 

5h55 : Le réveil est dur, j'ai mal dormi. 3 jours de gardes m'attendent il ne faut pas être fatiguée dès maintenant ! 

6h40 : On ne nous transmet le dossier que d'une seule patiente, dont je m'occupe. Je fais les dernières surveillances et comme c'est calme je m'autorise un petit déjeuner en salle de détente : chocolat chaud et biscotte au beurre salé. Basique mais incontournable. Je m'occupe des papiers et je transmets à mes collègues de suites de couches. Je cadre aussi un déclenchement, puis un autre, et on me propose une dame en travaille. J'accepte mais je me déleste de l'une de mes patientes pour pouvoir tout gérer. La journée se déroule sans beaucoup d'originalité : examens, gestion de la douleur, papiers, appels des médecins, poses de perfusions, enregistrements des rythmes cardiaques et j'en passe. En début d'après midi je prends en charge une nouvelle patiente : G9P3 (qui a fait 5 Interruptions Volontaires de Grossesse). Aujourd'hui Mélissa, une interne de médecine générale, nous fait part de son envie de faire un accouchement, puisqu’elle n'en a encore jamais fais. La patiente dilate brillamment et l'heure de s'installer pour l'accouchement arrive rapidement. On convient qu'on fera donc un accouchement à 4 mains (les accouchements à 4 mains sont faits pour former les étudiantes sage-femmes, les mains de la sage-femme se positionnent sur les mains de l’étudiante et les guident pendant les manœuvres). Ici mes mains sont celles de la sage-femme et l'interne place ses mains en dessous des miennes. L'externe observe et l'aide-soignante est présente. Comme ça fais du beau petit monde dans la salle, la sage-femme décide de ne pas rentrer dans la pièce pendant l'accouchement afin de préserver un peu d'intimité pour la patiente. Me voilà donc encadrant un externe, et un interne tout en travaillant avec mon aide-soignante. Ça me fait tout drôle.
La fin de la journée approche et je cours de nouveau partout pour tout faire à temps avant que la relève n’arrive. La patiente qui vient d'arriver se met à chauffer et atteint 38,5 de température. J'envoie un bilan au milieu de tout ça et essaie de m'organiser comme je peux. 

18h40 : Je transmets mes 3 patientes et je rentre à la maison fatiguée. 

19h30 : Arrivée, je gratte un peu ma guitare et m'attaque maintenant à "Morgane de toi" de Renaud. Après ça je mange sans avoir vraiment faim, j'écris un peu et m'endors après une journée bien remplie.

 

J 62 

 

5h45, 5h54, 6h03 : Bon faut que je me lève. Le réveil est dur même si je me suis couchée à 21h30 hier. Je me lave les dents, j’embarque mon p’tit dèj et 6h15 je pars déjà. 

6h40 : Aujourd’hui, je tourne avec Marielle et elle est aux UGO, donc direction les urgences. 
C’est calme, une seule patiente et elle repart déjà. Une autre dame se présente pour contraction et perte de liquide. Je cadre le dossier et même si elle paraît algique elle ne semble pas se mettre clairement en travail. Ses tensions sont un peu limites, j’en informe l’interne. 

8h30 : Je la passe en salle de pré-travail pour qu’elle puisse recevoir un anti douleur qu’on appelle le Nubain. Avant ça l'interne vient la voir et vérifie ses réflexes. Verdict : réflexes vifs (dues aux problèmes de tension), on la passe donc dans une salle d’accouchement et on va faire en sorte qu'elle accouche dans la journée. 
Entre temps j'ai aussi reçu une patiente qu'on doit déclencher aujourd'hui pour macrosomie (son bébé est trop gros). Je veux la cadrer avant de la transmettre à mes collègues mais une flopée de patientes arrivent toutes en même temps. Une quantité de dames se présentent et on commence à courir dans tous les sens. 

12h30 : On a déjà vu 23 patientes. Et ça ne s'arrête pas là, la sonnette de l'entrée ne fait que retentir. Je commence à m'agacer de ne voir que la moitié des dossiers, de ne pas prendre le temps, de ne pas avoir le temps de réfléchir, de manger ni même d'aller aux toilettes. Je commence à être de mauvais poil et les patientes qui ne font aucun effort n'arrangent rien. Je prends sur moi et je souffle afin de ne pas être désagréable, après tout elles n'ont rien fait. Mais dès que je retourne dans le bureau de soin je peste et Marielle se rend compte que je suis de mauvaise humeur. On en rit, et elle conçoit que ça puisse être encore plus déconcertant pour moi. On a déjà très peu de temps avec les patientes et en perdre d’avantage avec chaque patiente par ce qu'elles ne parlent pas la langue et qu'elles viennent du Suriname ça m'agace un peu. Échographies, conduites à tenir, appels des médecins, enregistrements des rythmes, bandelettes urinaires, cathéters, prises de sang, palpers, interrogatoires, dossiers, dossiers, dossiers. 

15h : On finit par manger relativement tôt. Et je suis dans la salle de repos entrain d'engloutir mon repas quand j'entends l'anesthésiste râler fortement dans le couloir, gueuler serait le bon mot. Elle se présente devant les aides soignantes et moi-même et crache son venin sur les sages-femmes. "Qu'elles ne savent pas piquer, qu'elles prennent les gens pour des cons, qu'elles appellent et qu'elles ne restent même pas dans la pièce pendant qu’elle -dépanne gentiment-" (en fait, c'est ton boulot ma vieille !). Les aides soignantes rigolent de ma présence et l'anesthésiste comprend que je suis dans le camp ennemi. Elle se met à me crier dessus. Holà toi ma cocotte tu vas être reçue. Je lui réponds sèchement que ce n'est pas moi qui l'ai appelée, et que je n'y suis pour rien. Qu'on a vu une trentaine de patientes dans la matinée et qu'on ne va pas l'admirer piquer alors qu'on a 4 autres patientes qui attendent des soins de notre part. Que par ailleurs si une patiente se met à pousser à côté on ne va pas rester avec elle pour lui faire plaisir. Même en salle de pause on me cherche : je retourne travailler.
Après une petite quarantaine de patiente une dame se présente devant moi "bonjour, je viens par ce que j'ai des boutons en bas". "Vous êtes enceinte ?" "Non." Je lui fais gentiment (promis) comprendre qu'elle se trouve dans le service des urgences et que ce n'est pas une urgence. Qu'il fallait qu'elle appelle son médecin pour traiter ça. Ce matin une dizaine de patientes sont venues "pour douleurs pelviennes". C'est en fait pour avoir une prise de sang et une échographie, rien de mieux comme test de grossesse ! Sauf que nos services sont engorgés à cause de ça et que ça nous fait perdre un temps fou. Qu'on retarde la prise en charge de patientes qui pourraient nécessiter des soins bien plus urgents. 

18h30 : Une patiente sonne, elle contracte. On décide de la cadrer à deux pour aller vite avant que la relève n'arrive. Marielle me fait signe discrètement : c'est un enfant polymalformé avec un pronostic vital sombre. La maman a refusé l’IMG (interruption Médicale de Grossesse). C'est joyeux pour finir la garde ! 

18h40 : La relève arrive, on transmet tout et je rentre à la casa. Je joue un peu de guitare et dodo.

J 63 

 

9h30 : Je me lève et je vais faire quelques courses. Ensuite je joue un peu et je me mets à écrire. Il faut que je cherche absolument un appartement. Je suis censée être partie de celui dans lequel je suis d'ici une semaine... Je viens de recevoir un mail de l'hôpital : ma demande de logement n'est pas acceptée. En tant qu'étudiante je n'y ai pas le droit. Super logique ! 
Aujourd'hui rien d'extraordinaire, je n'ai pas le gout de grand chose et je reste tranquille par ce qu'il faut que je dorme pour ma garde de cette nuit.
15h30 : C'est l'heure de la sieste. Je ferme les yeux et me voilà déjà partie dans un autre monde. 
17h30 : C'est le réveil qui me tire de mon sommeil. Je ne suis pas spécialement d'humeur mais c'est comme ça. Comme d'habitude une fois que j'y serais ça ira. Je mange les restes d'un plat du chinois et je file à l'hôpital.

 

N 63 

 

18h40 : On fait la relève et le tableau est chargé. L'une des filles du jour, en me voyant arriver, me gratifie d'un "Les filles vont être contentes que tu sois là cette nuit !”. Je n’en reviendrais jamais du monde qu’il y a entre ce que j’ai connu jusqu’alors et la manière dont on accueille les étudiantes ici.
Elles commencent à nous transmettre leurs patientes et ce soir c'est thème patho. Je m'occuperais d'une drépanocytaire déclenchée. Elle a fait une grave infection pulmonaire pendant sa grossesse, intubée, ventilée, elle a fait une pneumopathie et aujourd'hui il est temps que son bébé vienne au monde. On fait donc en sorte de déclencher le travail et mes futures collègues s'interrogent : ça nous interloque de devoir prendre ce genre de patiente ici, dans un hôpital non équipé pour une réanimation maternelle. Soit. Tout le monde se refile un peu le bébé (littéralement) et chacun croise les doigts pour ne pas avoir à prendre en charge son accouchement.
Je prends aussi en charge une patiente qui présente des anomalies du rythme cardiaque fœtal. Le bébé semble récupérer à chaque fois et on se laisse du temps. Jusqu'au moment où, après lui avoir donné toutes les positions possibles et imaginables afin d'améliorer le rythme, celui-ci ne remonte plus. L'enfant fait une bradycardie. Décision : Je m'installe pour l'accouchement. Céline, la sage-femme, acquiesce et c'est parti. Je lui demande d'appeler les médecins pour les prévenir rapidement que le bébé ne récupère pas. Ils sont sur place rapidement et on décide de faire une ventouse. Je n'ai même pas le temps "d'y mettre les mains" mais le rythme est trop mauvais et on fait une ventouse (instrument posé sur la tête du bébé pour le tirer dans le canal vaginal), alors qu'il n'est même pas engagé. Je me prépare et j'embarque vite le loulou par ce que je me doute qu'il va être sonné. Il va bien, il crie même tout de suite. Je m'occupe quand même de lui à côté puisqu'on a appelé le pédiatre et je reviens une petite dizaine de minutes plus tard. Entre temps Céline en voulant faire la délivrance du placenta s'est retrouvé avec le cordon dans les mains. Il s'est simplement détaché du placenta qui est donc resté à l'intérieur de l'utérus. On se retrouve à poser une rachianesthésie (sorte de péridurale) à ma patiente qui n'avait jusqu'ici pas d'antidouleur. Après ça on (le médecin) va chercher le placenta à la main.
Cette nuit, une fois de plus, c'est la course et je m'occupe aussi d'une patiente sans antécédents particuliers, elle ne souhaitait pas de péridurale mais fini par craquer au cours de la nuit et d'en supplier une. On fait l'accouchement et j'ai l'impression de me retrouver en métropole : ici les patientes poussent deux fois et souvent ça suffit pour que l'enfant soit là. Cette fois-ci notre patiente pousse 25 minutes. L'aide-soignante, qui n’est pas habituée à ce genre d’attente, demande même discrètement : ”Mais c'est normal que ça dure si longtemps ?" Oui, oui, on peut se laisser jusqu'à 30 minutes avant de prévenir les médecins et même 1 h si le rythme est bon ! L'enfant naît et je suis toute émue de la réaction du papa. "Bonjour mon fils, je t'aime, je t'aime déjà.". Ici les papas sont très rarement présents, et ne s'intéressent que peu à leur enfant, ni même à l'accouchement.
Une patiente de plus : les urgences gynécos nous amène une dame qui semble douloureuse. Elle est haïtienne. Ici les Haïtiennes sont connues pour être douillettes (elles accouchent sans péri quand même!) et pour "chanter". Au propre comme au figuré on les entend souvent dans tout le service. Celle-ci est particulièrement bruyante et ça me fait rire. Maéva beaucoup moins, elle s'en charge et elle craque. La patiente crie en permanence à pleins poumons "Mes amis, mes amis, mes amis" C'est en fait de l'haïtien, un appel à Dieu. Maéva fini par hausser la voix par ce qu'elle ne s'entend plus penser et la patiente lui répond avec toute la candeur du monde : ”Mais madame il faut pas te fâcher contre moi". 

4h30 : Faaaaaaim ! On file manger pendant que ça s'est un peu calmé et dans tout ce tourbillon Céline a cadré une autre patiente en salle F. 

4h35 : Une aide-soignante vient nous informer que cette patiente a envi de pousser et Céline rétorque qu'elle en a envi depuis 1 h, et qu’elle ne fait qu’appeler pour ça alors que le travail n’en es qu’à son début. Par acquit de conscience je lui dis que je vais voir si elle veut. Elle me répond que c'est bon, elle y va. Maéva et moi on continue à discuter et j'entends crier. “Ça, c'est une femme qui accouche". On jette tout sur la table et on part en courant pendant que mon café chaud coule de la cafetière.
Arrivées dans la chambre, la tête est déjà là et Céline qui la retenait commence à faire l'accouchement. Je vais chercher le synto (médicament administré à l'accouchement pour éviter les hémorragies) et on essaie de la servir comme on peut dans une salle qui n'est pas adaptée aux accouchements (c'est une salle de pré-travail pour les dilatations). L'enfant va bien mais la maman saigne un peu sinon c'est trop facile. Aller, on la passe en salle et Céline doit faire quelques points de suture pour arrêter les saignements.
Parmi tout ce bazar une autre patiente m'est transmise des urgences. À peine rencontrée la dame me dit 3 fois qu'elle veut une péridurale. J'ai compris madame ! Mais je ne peux pas aller plus vite que la musique, ni plus vite que l'anesthésiste. Il faut qu'on soit sur c'est c'est bien un début de travail et que le col se modifie. Aller, elle m'en reparle bien deux fois de plus après quelques minutes. Une demi-heure après elle re-sonne par ce qu'elle a des difficultés à respirer. Je panique un peu mais tente de ne rien laisser paraître. Je la scope et sa saturation en oxygène est à 100 %. Je tente de savoir si elle va mieux et elle ne me répond pas. Elle se met à trembler/convulser et plus de réponse. Je cours dans le couloir : "J'ai besoin d'aide !" Céline passait par là et vient m'aider. Dès qu'elle hausse la voix la patiente se "réveille" soudainement et semble "aller mieux". On appelle l'anesthésiste qui fait toute une batterie d'examen. Une ou 36 fois de plus elle nous répète qu'elle veut la péridurale et qu'il "faut qu'on fasse vite les examens" par ce que soudainement elle va mieux mais qu'elle veut sa péridurale ! Piquée au vif, je suis excédée par son cinéma. Elle m'a fait une peur bleue pour avoir sa péridurale plus vite et comme l'anesthésiste est sur place elle aura ce qu'elle veut. Il est 5 h du matin et l'éclampsie de la dernière fois m'a drôlement traumatisée. Je rassemble tous mes efforts pour ne pas laisser mes sentiments transparaitre sur la prise en charge.

6h40 : La relève arrive et c'est pas trop tôt. Mon café est froid, je n'ai qu'une seule envie : aller dans mon lit. 

8h : Je ferme les yeux. 

8h01 : Je m'endors.

 

J 64 

 

15h : Le réveil sonne, j'ai rendez-vous dans une demi-heure avec un contact de l'hôpital pour un logement potentiel. Je me lève et commence à me préparer avant de me rendre compte qu'une fois de plus on m'a enfermée à la maison. C'est vraiment barbant cette histoire de clés. Message à Mehdi : pas de réponse. Message à Gabrielle : pas de réponse. 

15h25 : Bon j'appelle Mehdi. On se dépatouille et encore une fois je suis en retard à cause d'eux. 

15h40 : Je me perds une fois de plus dans l'hôpital et je finis par trouver. Je rencontre le fameux Mr Lewis, "chargé" (j'apprendrais par la suite qu'il se prend pour le roi, mais qu'il ne l'est pas) des logements du CHOG (Centre Hospitalier Ouest Guyanais). Il se moque un peu de ma réaction tardive et ponctue son arrogance d’un : "C'est bizarre que votre école ne vous ai pas prévenue". Enfin si vous saviez à quelle point cette école est inutile. Bref. Étant étudiante je suis prioritaire concernant les logements de l'internat. Je vais donc vivre sur le campus de l'hôpital : 30 bungalows simples et doubles dans des préfabriqués indépendants (kitchenette et tout) avec un espace commun sous un grand carbet pour seulement 30 euros par semaine. Ah bah oui du coup ça vaut le coup ! Ravie de toutes ses bonnes nouvelles je m'en trouve plus légère. Il se permet quand même de me préciser : ”Par contre, si vous ramenez quelqu'un à dormir vous êtes virée. J’ai des problèmes avec 3 infirmières en ce moment qui font la tournée des mecs du coup je les mets dehors". Bon, c'était pas dans mes plans mais c'est noté (matcho !). De retour à la maison, je joue un peu de guitare et j'écris. 

21h : "Vendredi tout est permis" ! Et "on change pas une équipe qui gagne”. Nous voilà donc partis avec la petite bande pour un classique Tipic-Coumarou. On voit d'abord Constance, Mathis, Jahed, Fares, puis Agnès, Andréa et les gendarmes ne sont pas loin. On finit par partir au Coumarou à 6 dans la voiture 4 place d'Andréa. Noé et Pablo semblent immenses derrière le tableau de bord. On passe une bonne soirée et tout le monde me tanne pour me voir "enfin" danser. Après 2h de soulage intensif je craque et je vais danser avec eux. 

2h30 : Le Coumarou ferme et comme ils sont infatigables c'est parti pour un After chez Eunice dans le quartier de la Charbonnière.
Arrivés pas loin de la "boîte" on se gare et on commence à marcher. Noé s’inquiète : ”Mais c'est pas juste à côté en fait”. On le charrie de "pauvre gendarme sans défense" au moment où j'entends un bruit sourd. Andréa, qui se trouvait à ses côtés s'est prise une grosse pierre dans la tête. On comprend vite et on fait rapidement demi-tour pour retourner à la voiture. Dans ce quartier, particulièrement, les gendarmes ne sont pas appréciés. Mal visé, c'est Andréa qui se l'est prise dans la tempe. On décide d'aller quand même faire notre soirée mais en se rapprochant davantage en voiture. Les gendarmes sont prévenus et ils sont inquiets. Ils interviendront pendant leur patrouille qui est en cours, si on leur fait signe. Alex est sur le qui-vive, il s’inquiète de ma sécurité et je sens qu’un seul faux mouvement peut mal finir. Pour l'instant il faut mieux jouer la discrétion, ça peut vite partir en cacahuète.
On danse, beaucoup. La musique est bien meilleure et on se prend au jeu. On rigole tellement que j'en ai mal aux joues. À l'instar des femmes, les hommes savent bien danser ici. L'un d'entre eux veut danser avec moi et devant mon refus me demande "même pas à l'horizontal?". Sans façon, grand dragueur. Noé rigole et me dis qu’il se servira de cette punchline la prochaine fois. Parmi les perles de la soirée Andréa nous a aussi beaucoup fait rire avec un très spontané, mais non moins drôle "Noé, c'est quoi ton prénom?". Un autre tente sa chance pour danser avec moi et comme je refuse il danse devant nous. Il nous épate et en discutant un peu il m'avoue qu'il est prof de danse et qu'il a travaillé à Perpignan. Kaci a 6 frères et 6 sœurs et a monté un groupe de danse à peine âgé de 9 ans. Il a monté son association et a fait ses études à Montpellier. 

4h30 : Je rentre et mes yeux se ferment rapidement.

 

J 65 

 

11h : Je me réveille à 11 h par ce que quelqu’un m’appelle, ce midi on va manger en ville et il y a plein de chose organisées à l’occasion de la journée pour la lutte des droits de la femme. Ici on est au cœur du problème et la ville semble très concernés. Ensuite rien d'extraordinaire : Piscine, glande, écriture et repos. 

21h30 : Je m'endors sans m'en rendre compte.

 

J 66

 

10h : Reposée, j'ouvre les yeux. Je traine un peu et je prépare mon pique nique : cet après-midi c'est randonnée Grizzly ! J'écris deux trois lignes et c'est déjà l'heure de partir. 

13h00 : Après s'être donnés un premier rendez-vous on décolle de notre point de rendez-vous à deux sur ma moto et le reste de la troupe dans la voiture. On passe chez Andréa et Kylian chercher un véhicule supplémentaire, et on laisse la moto pour monter dans leur voiture. Je mets la musique, et on papote sur le chemin.
Arrivés sur place je ris : Théo n'a pas été bien renseigné par Aurélie et c'est avec des tongs, un sac congélation et un petit chapeau qu'il s'apprête à entamer la randonnée de plusieurs heures. On montre patte blanche à Grizzly, le propriétaire, et on débute la randonnée. Pas très bien balisée c'est Alex, qui a passé 2 ans dans les forêts Guyanaises durant son service à la légion étrangère, qui prend la tête. On fait deux trois demi-tours tout de même et on papillonne un peu. Systématiquement, lorsque quelqu'un d'autre prend les devants, on se perd. Papillons, mygales, criquets, arbres et tarentules on en prend plein les yeux et on fait attention où on met les pieds et les mains. Ici il y a des échardes partout et surtout sous certaines feuilles. Évidemment je m'en prends dans la main et après 2 h de marches on arrive enfin sur site. 

15h30 : On mange et on a faim ! Sans s'être mis d'accord avant, chacun partage un petit bout : Mathilde a amené des tartines, Andréa et Kylian des cacahuètes, Théo du coca, Agnès des bières, Alex du Kiri et moi du saucisson. On se remplit bien la panse et on va dans l'eau. Pour une fois l'eau est froide et on est obligés de se tenir les uns aux autres si on ne veut pas être emportés par le courant des rapides. Le spot est magnifique. 

Jusqu’ici personne n’est au courant de ce qui se trame entre Alex et moi. On joue le jeu, mais je sens bien qu’il aimerait qu’on se dévoile un peu plus. Hier j’ai mangé avec Kaci, que j’avais rencontré lors de ma soirée de la veille, et Alex n’a pas vraiment apprécié. Tenant à mon indépendance j’y suis tout de même allée. Une fois rentrée je ne pensais qu’à une chose : retrouver Alex. Peut-être que je m’attache plus que prévu à lui. Élise ne quitte pourtant pas mes pensées. Finalement c’est aujourd’hui que mes amis comprennent qu’il y a quelqu’un chose entre nous, les marques dans mon cou et nos sourires coupables n’y sont pas pour rien. 

16h30 : On doit déjà repartir avant d'être surpris par la nuit. Cette fois on ne traine pas et on voit déjà les rayons du soleil pencher à travers les feuilles. Le soleil perd de son altitude et il faut qu'on avance. Le gibier sort la nuit et les balises sont déjà difficiles à repérer en plein jour.

17h35 : Efficacité. On est déjà arrivés à bon port après 1h05 de marche active. La randonnée se trouve sur une propriété privée et le deal c'est d'acheter un petit quelque chose aux propriétaires. On s'arrête même boire un verre pour discuter avec eux. Grizzly et sa femme Françoise sont normand d'origine et on le sent bien dans leur hospitalité. Très bavards ils nous racontent un peu leur vie en Guyane. Arrivés depuis 12 ans, 6 ans ici sur la route d'Apatou à 10 minutes de la première maison aux environs, ils ont tout construit. Poules, chèvres, chiens, lapins, potagers ils sont totalement indépendants. Ils nous racontent comment ils ont tracés eux même la randonnée et on achète des œufs frais avant de partir. 

20h30 : Jamais fatigués on se retrouve tous à la Goélette pour le classique du dimanche soir. 

22h : Je reste sage et après la moitié d'un coca je rentre déjà. Je suis de garde demain et je dois être en forme.

 

J 67 

 

5h55 : J'ai mal dormi. J'ai fait des cauchemars déroutants tant ils semblaient réels. Dans mes rêves, ma petite mamie se blessait par ma faute et personne ne voulait lui venir en aide. 

6h40 : On prend la relève. Elle est clémente avec nous et pour l'instant je ne cadre qu'une patiente avec Lucile. C'est tout de même un gros dossier. Ma patiente a développé une varicelle il y a quelques jours et tout un protocole anti-contamination est mis en place. Pour cette raison, avant de rentrer dans la chambre, on doit mettre une sur-blouse, un masque spécial qui fait mal au nez, et des gants. On se rend rapidement compte que les aller-retours qu'on fait sont nombreux. Pour coroner le tout le bébé fatigue et son rythme devient problématique, les médecins sont prévenus et on attend, on attend. On décide de s'installer sur un gros ralentissement. Les médecins sont présents et je n'ai même pas l'occasion de m'habiller pour faire l'accouchement puisque l'on décide d'emblée de faire une ventouse. Finalement même pas le temps, la patiente pousse tellement bien que son bébé est là après 2 poussées. Et là : surprise ! Ce petit bout a décidé de se faire des colliers et s'est enroulé 3 fois le cordon autour du cou (d'où les anomalies du rythme). J'emmène la princesse et je commence la réanimation. Le pédiatre est présent et une simple stimulation-aspiration suffit. Lucile n'est pas ressortie et je vais la voir. Le gynécologue une fois l'enfant né l'a laissée en plan, jambes dans les étriers, pour finir le travail. Elle est embêtée par ce que la patiente présente des saignements actifs qui ne semblent pas s'amoindrir. Doutant d'une lésion du col de l'utérus, on retéléphone au médecin pour un examen plus approfondi qu'on ne peut pas réaliser. Sur place, le gynéco s'emballe un peu et malgré les saignements physiologiques traite ça comme une hémorragie. Il aboie l'ordre à Lucile d'appeler l'anesthésiste et décide de faire une révision utérine (passer une main à l'intérieur pour vérifier que rien n'est resté). Une fois "l'hémorragie" de 400 mL cadrée, on s'occupe de la surveillance de la patiente et sa tension monte doucement. Manquait plus que ça, elle nous aura tout fait ! 

14h30 : Je mange tôt pour une fois. J'ai du mal à tenir sur mes jambes, aujourd'hui c'est pas la grande forme, et un virus tourne en ce moment. Toute la bande est malade et je suis barbouillée depuis hier soir. Je croise les doigts pour résister et ne pas flancher. Je ne peux pas me permettre de l'être sinon ça va être un calvaire pour récupérer mes gardes. 

Dans l'après-midi, la sage-femme des UGO nous confie une autre patiente. On déclenche celle-ci à cause de son hypertension. On adore ! 

Je reçois un texto dans la journée. Mon rêve, aurait-il été prémonitoire ? Ma petite mamie est tombée et s'est blessée. Elle s'est démis l'épaule et reste hospitalisée je suis inquiète. Pas facile de prendre des nouvelles au milieu de toute cette agitation et avec ce décalage horaire. 

18h40 : La relève arrive, je fais mes transmissions et je rentre tranquillement à la maison. Ce soir, c'est repos et demain aussi. J'écris, j'écris, j'écris pendant bien 2h30 et je finis enfin mon roman. 

22h15 : Je mange un petit bout, et "pipi, les mains, les dents au lit”.

 

J 68 

 

8h30 : Je me réveille tôt et reposée malgré une mauvaise nuit. Je peine à sortir du lit et en bonne petite marmotte, je ne sors de mon antre qu'un peu avant midi pour aller me nourrir. Aujourd'hui, je dois voir Aurélie, mais j'attends encore de ses nouvelles. Je trie les photos du week-end et je joue un peu de guitare. Je ne sens plus le bout des doigts de la main gauche, mais je commence à progresser. Je regarde un film, m'occupe d'un peu de paperasse, j'envoie quelques mails et c'est officiel : je soutiendrais mon mémoire le 18 juin. Je le travaille encore un peu avant de retrouver la miss. 
14h : Finalement la piscine municipale est fermée selon le internet, on décide de se retrouver en fin d'après-midi avant les autres pour discuter un peu sur la terrasse. Mehdi et parti quelques jours et Gabrielle fait sa colocataire fantôme en ce moment. Je continue à gratter la guitare et l'heure arrive assez vite. 
16h30 : Aurélie est déjà là et on discute de tout et de rien à l'abri du soleil. 
18h10 : Théo nous rejoint enfin et on accélère le mouvement par peur d'être en retard. On s'est donnés rendez vous à 18h15 au super U. 
18h18 : Presque pile à l'heure ! Et en plus, on est les premiers. On attend les autres, mais la chaleur dans la voiture est difficilement supportable. L'attente est longue et ils finissent par arriver. Ce soir on est 9 au programme et on a réservé au chinois de Mana pour manger tous ensemble avant d'aller voir la ponte des tortues vertes sur la plage d'Awala. 
18h30, 18h35, 18h40, 18h45.. Bon. On change de plan et comme on doit encore en récupérer certains, on décide de se retrouver à coté du Tipic. 
19h : Mathis, et Constance arrivent dans le calme, pas du tout pressés par le temps. On s'agace un peu de leurs 45 minutes de retard et on comprend vite qu'il y a eu un mal entendu. Charline et Constance ne se sont pas bien comprises et le restaurant à trois quarts d’heure de route n'est réservé que pour 20 heures. Une patrouille de gendarme passe et s'arrête à notre niveau. C'est Alex, et 2 loulous qu'on connaît, ils viennent discuter avec nous. J’ai le droit à un bisou furtif en uniforme et finalement, il est convenu qu'ils nous rejoindront sur place après leur service qui est bientôt fini. 
19h15 : Il manque toujours deux gendarmes. Ils ont dû partir en transfèrement (transfert des incarcérés de Saint-Laurent à la prison de Cayenne) et n'arriveront que dans 20 minutes. Pour attendre, on décide de lier l’utile à agréable et on s’installe pour boire un verre au Tipic. 
20h : Légèrement en retard on décolle avec une troupe de 14 personnes au lieu de 9.
20h45 : Arrivés au restaurant on commande et on se régale, pour ma part ça sera agneau et riz sauce piment, moi qui ne suis habituée au piment que depuis mon arrivée dans ce coin du monde, ça pique beaucoup.
22h30 : La marée était haute à 21h30. C'est là que les tortues sortent le plus pour aller pondre par ce qu'elles ont moins de chemin à parcourir sur le sable. On croise les doigts pour ne pas les avoir ratés et c'est toute une organisation : pantalon et manches longues pour les moustiques, anti-moustiques, lampes à lumières rouges et c'est parti. On les repère à la traînée qu'elles laissent sur le sable mouillé. On suit leurs traces jusqu'au sable sec et des tortues d'au moins un mètre sont là, juste devant nous. La première qu'on a la chance de voir est déjà en train de faire le chemin du retour et disparaît dans l'eau après quelques secondes. On ne l'éclaire avec la lumière rouge, que par derrière, de sorte à la déranger le moins possible. On en voit une autre, puis une autre et encore. Il y en a plein ! Après leur mise au sec, elles déblayent tout ce qu'il y a sur leur passage et nous envoie du sable partout, ensuite elles creusent avec leurs pattes arrières un trou très profond (pendant très longtemps) et après quelques "poussées" de leur part leurs œufs commencent à sortir. Il y en a un paquet. Le moment est vraiment sympa. Tout le monde est respectueux, on apprécie la chance que l'on a d'être à quelques dizaines de centimètres, seuls privilégiés. 
1h : il fait 28 °, on rentre enfin et on est tous exténués.

 

J 69 

 

10h30 : Je me réveille et je décide de me faire un gros dèj : œufs brouillés, pain grillé beurre, chocolat chaud, biscuits et bruschetta. 
11h30 : Après m'être bien rempli la panse je reçois l'appel de Mr Lewis, chargé des logements du CHOG. Il va me mettre dans un appartement en ville dès demain en attendant qu'un logement de l'internat se libère. Ravie de la nouvelle, je m'occupe d'emballer toutes mes affaires en début d'après-midi, puisque je suis de garde cette nuit et celle de demain. 
13h30 : Au dodo ! 
16h30 : Je me réveille tout doucement, je mange un bout et traîne un peu avant ma garde de cette nuit.

 

N 69 

 

17h50 : Je suis encore dans mon lit quand je reçois un message : c'est Alex qui aimerait avoir un avis médical. Il pensait s'être tordu sa cheville fragilisée pendant la randonnée du week-end, mais celle-ci se met à gonfler tout à coup. Il a aussi remarqué une plaie qui fait penser à une morsure ou à une piqûre. Je lui ordonne de se rendre aux urgences. Connaissant le loustic, aussi borné qu’un gendarme puisse l'être, je vais le chercher au cantonnement pour l'emmener moi même avant ma garde sinon il ne va pas y aller. Je reste quelques minutes avec lui et je remonte pour la relève. Ensuite, je redescends régulièrement pour voir comment ça avance, la nuit calme me le permet. Cette nuit, deux accouchements physiologiques se perdent au milieu d'un quotidien pas ordinaire. Papiers, prise en charge de la douleur, premiers pas en tant que parents, communication, renseignements, partage, enregistrement, conduites à tenir. 
La nuit ne passe pas vite et les premières heures du matin se font attendre. J'envie mon lit et c'est l'inconvénient d'avoir une nuit calme. On a le temps de piquer du nez.

 

J 70 

 

14h : Mr Lewis doit m’appeler à 14h. Je me réveille entre deux nuits pour attendre son appel et enfin changer d'appartement. Je serais dans une colocation en ville pendant une quinzaine de jours avant qu'une place se libère pour moi à l'internat. J'ouvre les yeux : 6 appels manqués, j'avais pourtant fait en sorte que mon téléphone me réveille s’il se mettait à sonner mais c'est un échec. Il m'a appelée vers midi et m'a laissé deux messages. En espérant que ce n'est pas trop tard, je tente de rappeler. Juste à temps ! Il passe me prendre dans 5 minutes et m'emmène dans la nouvelle maison qui se trouve au quartier culture. Une fois dans la voiture il me dit une fois de plus que ce n'est vraiment pas l’idéal, et que l'hôpital aimerait bien s'en débarrasser, mais ça fera l'affaire pour quelques jours. Les relations avec le fils du propriétaire qui habite dans l'une partie de la maison sont conflictuelles. Les deux habitats ne sont séparés que par une plaque de placo et ça ne nous laisse apparemment aucune intimité. Il me remet les clés et me fait faire un rapide tour. Je serais pour l'instant avec un infirmier appelé Finn qui n'est pas là. 
14h45 : Je rentre à la maison et je mange avant de me recoucher. 
17h15 : Je me réveille à nouveau et Andréa arrive dans 5 minutes pour déménager mes affaires. On transbahute tout et c'est rapide. Peu de déménagements sont fait si vite : 2 valises, un sac de bouffe, ma guitare et c'est plié nous voilà en route. Je dépose mes sacs et on repart faire deux trois courses. Ensuite, je repasse chercher ma moto et redépose mes affaires dans mon nouveau chez moi. Je laisse un mot à mon nouveau colocataire et c'est déjà l'heure de filer en garde.

 

N 70 

 

18h40 : La relève n'a pas commencée et Ludovic, un sage-femme du jour, est entrain de faire un accouchement. On constate qu'il s'est installé sur des anomalies du rythme et on l'attend patiemment dans la pièce de réanimation néonatal au cas où. Ça ne rate pas et on doit s'y mettre par ce que l'enfant ne va pas bien. La pédiatre est rapidement présente sur place et je laisse ma place pour prendre des notes. Il faut qu'on relève tous les détails de nos gestes "40% de Fi02 à 3 minutes de vie : bébé hypotonique, rose, ne crie pas" etc... Tout devra être retracé plus tard dans nos papiers pour nous protéger médico-légalement. 
Une fois cette agitation passée on s'attaque à la relève. La nuit il n'y a que 2 sages-femmes contre 3 le jour. On prend 3 ou 4 patientes par sage-femme et on sent qu'on ne va pas s'ennuyer ! Je tourne une fois de plus avec Ambre et on récupère le dossier d'une patiente déclenchée pour hyperthyroïdie. Tout se passe bien jusqu'ici. 
Le vent tourne, et après que je l'ai passée en salle de travail parce qu'elle dilatait brillamment, celle-ci n'est plus gérable et on ne réussit plus à enregistrer le coeur de son enfant qui semble décélérer. On fini par appeler le médecin qui tente de la raisonner "à sa manière". Il lui impose de prendre une péridurale mais celle-ci refuse. Il impose donc une césarienne code rouge. C'est parti pour la course le chrono est lancé : on a 15 minutes pour que ce bébé soit né. On sonde, on rase, on déshabille, on brancarde, on appelle, on tente d'expliquer et on la passe rapidement au bloc. La patiente n'a pas tout compris et nos explications sont limitées à cause de la barrière de la langue. Je la laisse en pleur à mes collègues, j'espère que quelqu'un prendra le temps de la rassurer, je n'ai pas la tenue pour pouvoir aller plus loin dans le bloc opératoire. On attend dans la salle de réanimation et on commence à trouver le temps long. On cherche à comprendre et en passant une tête on s'aperçoit qu'ils ont pris le temps de poser une péridurale pour éviter une anesthésie générale. Plutôt contre-productif et évidement le temps se fait long. Un peu dans l'incompréhension on se fait appeler dans l'autre salle de réa : un bébé vient de naître dans les urgences gynécologiques et ne va pas bien du tout. Complètement amorphe on fait une grosse réanimation. J'alerte la pédiatre qui me suit en courant et je me détache dès que je peux pour accueillir le bébé de ma césarienne. Je rejoins Ambre, jeune diplômée, et Léandre une aide-soignante. Ambre et moi on révise la théorie et on croise les doigts pour ne pas en avoir besoin. Cette-fois ci peut être qu'on ne pourra compter que sur nous si le pédiatre est occupé ailleurs. Dans les secondes qui suivent l'enfant nous est transmis. Bleu, sans réaction. Je cours chercher la pédiatre : ”Vous pouvez vous détacher ? On a besoin de vous !" Elle court à nouveau derrière moi dans le couloir. J'arrive avec le stéthoscope et on me dit de vérifier le cœur. Je pose l'engin sur le minuscule petit corps devant moi et c'est silencieux. Le vide. Aucun cœur. Et je m’entends prononcer les mots “J’ai pas de cœur !" J’entends le mien derrière qui tape dans mes tempes et qui bat la chamade. C'est pas le moment de se déconcentrer, je rassemble tous les esprits que je peux mettre en œuvre et je tente de percevoir un pouls au niveau du cordon ombilical. J’entends tout à coup dans mes oreilles un "Boum, boum". Seul, retentissant. C'est la victoire et je cris presque : ”J'ai un cœur, j'ai un cœur !" J'ajoute "Inférieur à 60 battements pas minutes, mais il récupère !". Chez un enfant, un rythme si peu rapide c'est comme un arrêt cardiaque. On s'affaire et on stimule, et on aspire, et on ventile. "Cœur supérieur à 100 !" Je le sens s'accélérer entre mes doigts et c'est grisant. Grisant de victoire. La pédiatre s'occupe de le ventiler et je les laisse un instant. Un autre accouchement a eu lieu et l'enfant ne va pas bien non plus. Et la pédiatre qui court encore ! C'est pas possible ils se sont donnés le mot. Bon, tout est bien qui fini bien. Nos bébés se rétablissent et on a eu plus de peur que de mal. Dans tout ce ramdam je prends aussi en charge un déclenchement en salle B et une patiente qui nous vient des urgences gynéco pour contractions. Celle-ci veut une péridurale et on la lui fait dès que possible.

3h : Le rythme du bébé de la patiente sous péridural commence à poser problème et on appelle le médecin. On est maintenant à 8 cm et Ambre transmet au médecin. Il examine lui-même et dit simplement "qui l'a examinée ?" Je réponds que c'est moi, quand je sens un air de jugement. Je demande : ”On n’est pas à 8 cm ?" Pas de réponse. Je réitère ma question. Toujours pas de réponse, pourtant je suis sûre de mon toucher. Après avoir tenté une dernière fois de savoir ce qu'il en était et devant son silence je m’abstiens d'insister j'en saurais plus plus tard. Ils sortent de la pièce avec Ambre, et le père m’interroge : ”On n’est pas à 8 cm?". Je réponds donc que je n'en sais rien, que j'étais pourtant sûre de moi, mais que l'erreur est humaine et que je suis encore étudiante. Le médecin m'a demandée de vider la vessie et j'en profite pour examiner. À nouveau je ne comprends pas : non seulement on était bien à 8, mais en plus maintenant on est à 9 !
Je retourne dans le bureau et je les entends discuter dans le couloir. J’attends qu'il parte, et je saute sur l'occasion pour tirer les vers du nez d'Ambre. On serait selon lui à 5 cm. Je lui fais part de ma surprise et elle m'avoue qu'il lui a glissé dans le couloir que "je n'étais qu’étudiante" et qu'il fallait qu'elle m'encadre davantage. Piquée au vif, je prends sur moi, et je lui confie tout de même que je veux bien me tromper mais que cette fois-ci je trouve une dilatation à 9 cm et rien d'autre. Pour tirer le vrai du faux elle s'en va donc dans la salle pour se faire sa propre idée. Quelques instants plus tard elle revient avec un sourire en coin. "On est à 9 cm". Le médecin a examiné pendant une contraction et le col s'est rétracté. Ceux qui me connaissent bien sauront que "j'ai toujours raison" et que cette fois-ci je le dis avec un grand sourire. C*** méprisant. Avec lui, comme avec beaucoup d’autres, à chaque fois je ne suis que "l'étudiante". Celle qui n'a pas de prénom et qui n'a pas son mot à dire à part pour changer les bassins. J'apprécie le respect de ma future collègue qui lui signifie lors de l'appel suivant. Par la suite j'apprécie moins : je remarque que sur les papiers elle s'est pliée au sens du médecin.
Pendant l'accouchement il réussira même à vexer Ambre en lui faisant une réflexion à elle, certainement vexé d'avoir été mis à défaut.

6h40 : La relève arrive et on est bien contentes. 

8h : Finn, a répondu à mon mot d’hier. Visiblement il est déjà parti en garde et on s'est croisés. Bon, le lit est pas top, l’oreiller est naze, il n’y a pas de volet, on entend tout ce qui se passe dans la rue et il n’y a pas non plus de clim. Mais sinon ça va être cool ! Je suis tellement fatiguée que de toute façon je pourrais m'endormir à même le sol.

 

J 71 

 

16h : Me voilà réveillée. Je file faire le ménage chez Mehdi que je n'ai pas eu le temps de faire après mon déménagement et c'est lui qui m'accueille. Il me dit que ce n'est pas la peine et qu'il le fera. Un peu beaucoup maniaque sur les bords de toute façon il repassera derrière moi donc je ne me fais pas prier et je retourne tranquillement à la maison. J'en profite pour ranger mes affaires et m'installer un peu.

20h : Ce soir on va voir un concert chez Neiman sur la route de Mana à la sortie de Saint-Laurent. C'est une soirée tranquille, rien d'extraordinaire on boit une petite bière et rentre sagement à la maison.

00h30 : Je suis déjà couchée et même si j'ai dormi toute la journée je ne vais pas me faire prier pour me rendormir.

 

J 72 

 

11h : Bon j'avoue que j'abuse un peu avec le sommeil, une vraie marmotte c'est pas possible ! Je mange un bout, je passe chercher le hamac que Marine me prête et vais faire des courses pour cet après-midi. Aujourd'hui je suis invitée à la crémaillère d'une colocation de sage-femmes et infirmiers. J'achète des bières et des verres à bière-pong comme cadeau de crémaillère quand je croise Mélaine, une sage-femme, dans les rayons. Je la questionne sur la route et finalement elle me propose de la suivre. Arrivés sur place on dit bonjour aux personnes déjà présentes et on fait le tour du propriétaire. L'endroit est magnifique. C'est un carbet très bien entretenu en pleine forêt, sur deux étages avec un grand terrain qui donne sur une marre avec une pirogue. L'un des colocataires nous dit qu'on peut faire un tour dedans mais qu'il faut se méfier puisqu'un grage (un serpent mortel) siffle quand on passe à proximité. Cela suffit à nous faire déchanter et on se dit que finalement on va peut-être se passer de la petite balade. Un peu plus loin dans un autre carbet, il y a des masseuses qui sont venues pour l'occasion et qui font de la réflexologie plantaire. Chacun apporte la contribution qu'il veut mais personnellement je n'ai pas de monnaie sur moi. Juste en face il y a une crique sur laquelle débouche une cascade. Un vrai petit bout de paradis. Je croise une tête que je connais et je suis ravie : Théo est là et j'avais peur de ne pas le revoir avant son départ. On dit souvent que les meilleurs partent en premier, ici ça se confirme. C'était une très belle rencontre mais il repart lundi en "bateau stop" (oui, oui ça existe) pour tenter d'aller jusqu'à Tahiti. On passe une super soirée, on est nombreux et je connais pas mal de monde c'est agréable. Une petite centaine de personnes animent la maison et les jeux sont nombreux. Un ventri-gliss’ géant fait retomber tout le monde en enfance, et les souvenirs de nos intégrations en tant que bizuths refont surface.

4h : Au dodo !

 

J 73 

 

12h : C'est un appel qui me tire de mon sommeil. Ma mamie essaie de me joindre. Ensuite je me lève pour me nourrir et je retourne faire une sieste pas méritée du tout. 

16h : Journée dodo - séries j'adore !

 

J 74 

 

6h : Après 10 réveils dans la nuit j'ai la motivation d'une loutre pour aller travailler. Je croise les doigts pour que la journée soit tranquille et je pars pour le boulot dans l'humidité du matin. 
6h40 : La relève est sympa et on ne récupère que 5 patientes pour 3 sages-femmes. Je tournerais avec Angéla aujourd'hui et on commence la journée en beauté : une petite patiente qui n'a pas du tout faire suivre sa grossesse marquée par un diabète, nous est transmise à 3 cm et à peine trois quarts d'heure après, alors que je l’examine, je constate que la dilatation s'est déjà avancée à 9 cm. Je décide de rester dans la salle avec elle et prend mes dispositions par ce qu'elle présente des risques pour faire une hémorragie de la délivrance. 
7h45 : Un premier bébé nait. Tout se passe bien, dans la douceur et sans déchirure. 2 heures après, elle remonte déjà dans le service des suites de couches. Aujourd’hui, je m'occupe aussi d'une patiente déclenchée pour ses tensions. Je suis frileuse à présent sur ce genre de patiente, l'expérience de l'éclampsie m'a marquée et je vais m'en souvenir pendant longtemps. Je m'occupe en plus, un petit peu après, d'une Version par Manœuvre Externe. La manœuvre réussit et l'enfant se retrouve dans la bonne position pour l'accouchement (la tête en bas). 
13h : On mange déjà, et tous ensemble c'est tellement rare ! On peut même prendre le temps et ne pas avoir mal au ventre après avoir mangé à toute vitesse c'est le grand luxe. 
13h30 : La journée continue avec une autre patiente : antécédent d’éclampsie. Décidément c'est le thème de la journée. Et dire qu'en métropole ce genre de cas est rare.
16h : C'est tellement royal que je m'autorise un gouter. Je fais chauffer de l'eau pour me faire du chocolat chaud et je cherche mes gâteaux. Je cherche, je cherche. On m'a volé mes gâteaux. Boudeuse je m'en vais me plaindre, les aides-soignantes  m'ont piqué mes gâteaux et ça n'est pas la première fois : je me rabats sur une traditionnelle tartine de beurre (doux, salé par mes soins on fait avec les moyens du bord). Bretonne un jour bretonne toujours ! 
18h30 : J'amène une patiente dans le service des suites de couches et j'en profite pour passer une tête dans le bureau. Jackpot Aurélie, Jeny et Constance sont là. On papote un peu et je rejoins la salle de naissance pour pouvoir faire nos transmissions et rentrer tranquillement chez "moi". 
19h30 : Avant de franchir le portail j'entends du monde sur la terrasse. Je rentre ma moto et 2 couples sont entrain de prendre l'apéro : "Bonsoir, on est (l'un des couples) tes nouveaux collocs !” Ah bah tiens enchantée ! Ils me proposent de venir boire une bière avec eux et je me joins à eux pour faire plus ample connaissance. L'une est médecin, l'autre est infirmier aux urgences. Ils sont accompagnés d'un couple d'infirmier qui se sont mariés la semaine dernière. On discute un peu et je passe une bonne vingtaine de minutes avec eux avant de les laisser tranquilles et de m'éclipser dans la chambre. 
J'écris pendant deux bonnes heures et mes yeux se ferment tous seuls. 
22h30 : Je m'abandonne au sommeil le ventre vide, ce soir je n'ai pas faim.

 

J 75 

 

6h : Je n'ai aucune envi d'aller au travail. Hier j'avais le moral chafouin et ce matin je suis de mauvaise humeur. Les gens me gonflent et je n'ai pas envi de faire d'effort. Il va bien falloir pourtant. 
6h40 : On fait la relève et cette fois je tournerais avec Flora (une ancienne étudiante de Montpellier), Cécile et Elyn. Je fais un grand sourire pour dire bonjour et ensuite je fais mon asociale et gère l'ouverture des salles de mon côté. Ça me permet d'être un peu seule avec ma mauvaise humeur et de rendre service à tout le monde. Ce matin aussi c'est calme et on se dit qu'à un moment on va se prendre un retour de bâton. Je retrouve ma patiente d'hier déclenchée pour son hypertension. Toujours au même point, son dossier n'a pas avancé et la pauvre petite dame, toute mignonne, ne moufte pas. Elle prend son mal en patience et coopère. Elyn, l'une des sage-femmes a l'air gentille de loin mais je préfère ne pas tourner avec elle et lui laisse ses patientes. Je tourne avec Cécile et Flora. Je reprépare une dame en début de journée et je dois lui demander trois fois les choses puisqu'elle n'en a rien à secouer de ce que je lui dis. Sa mère est couchée dans le lit et ne semble pas comprendre que ça puisse ne pas être pratique d'examiner sa fille de 17 ans dans un lit où deux personnes dorment sans me prêter la moindre attention. La nouvelle maman refuse d'aller aux toilettes avant de changer de service. C'est important pourtant, mais devant leur manque de respect et de nombreux "Tchip" de leur part je baisse les bras avant de m'énerver. Flora me dit à mon retour "Ah mais moi je leur laisse pas le choix. Je vais y aller." Pas de soucis, fait comme il te plait ! 
9h : Ce matin il y a une césarienne programmée : la maman du futur bébé a déjà eu 3 césariennes et son 4ème accouchement se fera donc aussi de cette façon. Si elle avait des contractions, il y aurait trop de risques qu'elle fasse une rupture utérine. On attend donc le petit bout avec Cécile et le temps est long donc on papote un peu. Je lui confie que ce n'est pas facile tous les jours mais que ça fait partie de l'aventure et que je suis de mauvais poil aujourd'hui. J'ai remarqué que quelque chose n'allait pas pour elle aujourd'hui et je lui permets de cette façon de se confier à moi si elle le veut. Elle attrape ma perche et me dit qu'elle aussi ne se sens pas bien aujourd'hui. 
9h : Petit loulou est né et il a déjà pleuré avant de nous être amené. On lui fait ses soins et on repart s'occuper. 
Les filles vont manger et je n'ai pas très faim par ce que j'ai grignoté un bout de pain il y a une heure pour laisser Cécile vider son sac aux sage-femmes du jour. Je reste dans le bureau et je surveille les rythmes en faisant des papiers. J'ai une idée imparable pour me remettre de bonne humeur : 2 minutes après me voilà avec un petit bouille dans les bras et ça va tout de suite mieux. 
Une patiente atteinte de VIH nous est adressée des UGO pour un début de travail. En métropole on en aurait fait tout un foin. Ici ce n'est qu'une patiente de plus et seule une petite note est marquée sur le tableau pour éviter les risques de contamination. La patiente a été observante et a bien fait suivre sa grossesse, qui s'est très bien déroulée, et grâce à ça son enfant a très peu de chance d'être contaminé. Les deux futurs parents ne parlent qu'anglais et Flora et moi on n’est pas trop de deux pour communiquer. Après quelques heures le travail n'avance pas assez vite et sa poche des eaux est rompue depuis trop longtemps. Sa CRP (marqueur d'infection) augmente et on doit accélérer les choses. On fait poser une péridurale et elle s'agrippe à moi, sa tête est posée contre la mienne. C’est un moment très intime avec quelqu'un que je connais depuis quelques instants à peine et qui ne parle même pas la même langue que moi. Je la réinstalle après tout ça et le rythme de bébé commence à ralentir. Une fois, deux fois, trois fois. Le médecin est là, il décide d'attendre un peu. Quatre fois, cinq fois. Bon, on part en césarienne code orange ! Une course de plus : médicament anti-reflux, bijoux, rasage, habillage, sonsage, brancardage, rassurage. Une fois de plus j'attends le bébé en salle de réanimation et celui-ci va bien. Un peu sonné, mais le pédiatre est présent, il devrait l'aspirer un peu et ça ira. Finalement le pédiatre me dis de le faire. Ah bah oui un bébé “VIH +”, tout de suite on ne met pas ses gants et on délègue ! Je ris intérieurement et ne dis rien, mais n'en pense pas moins. 
Le père rentre après quelques instant et on ne sait pas trop ce qu'on a le droit de dire ou pas puisqu'on ignore s’il est au courant que sa femme est séropositive. Tenues par le secret médical on fait attention à tout ce qu'on dit. 
La journée continue dans la douceur et une autre patiente en travail nous est adressée des urgences : c'est Elyn qui s'en occupe. Quelques minutes après une autre arrive : G12 (12 grossesses) P9 (qui a accouché 9 fois), à 7 cm, ça va aller vite ! Je m'en occupe avec Flora, et je la perfuse. Je fais le point sur le dossier avant que la relève arrive. 
18h40 : Mila et Charles sont de garde. Mila est surprise de retrouver la dame déclenchée pour hypertension une nouvelle fois. On lui apprend donc que les médecins ont faillit la faire retourner dans sa chambre pour tenter un nouveau déclenchement dans une semaine mais qu'ils ont changé d'avis et qu'au contraire ils doublent les doses. 
19h30 : A peine un pied posé à la maison que je repars déjà. Les filles (Andréa, Charline, Maélia et Mathilde) passent me prendre pour aller manger une banane pesée. Nous voilà partie sur la route de Mana, en face de la forêt des Malgaches. On cherche un peu et on traverse un bidon ville. C'est fou comme ils sont bien cachés, mais on les côtoie sans s'en rendre compte. Après une bonne heure d'attente on est servies. Les bananes sont cuisinées avec du salé et sont fries accompagnées (encore) de poulet.
23h : Les filles me redéposent chez moi et une journée qui avait commencé dans la mauvaise humeur se termine avec le sourire.

 

J 76 

 

7h30 : J'ai pas mal de choses à faire et je me lève tôt. Je vais faire des courses et je reviens sous la pluie. Pas la moindre once de fraicheur, mais je suis trempée. Je déjeune et m'occupe de mon mémoire. J'envoie le résultat presque final à mes tutrices de mémoire et je file chez l'esthéticienne : cette fois-ci pas de malaise ! C'est une victoire personnelle et je rentre à la maison pour écrire un peu avant de filer à la piscine. 
12h30 : C'est parti pour aller nager un peu. J'ai pris quelques kilo et n'ai pas bronzé d'un pouce. Il est temps de faire quelque chose et de se donner bonne conscience : il faut que j'arrête de manger une fois sur deux et que je fasse de vrais repas avec un peu de sport. Ça ira vite mieux. 
Finalement la piscine ne vend pas de bonnet et c'est obligatoire donc ça sera pour une prochaine fois. 
14h : Je mange avant d'aller dormir et ce soir rebelote pour une garde de nuit avec Cloé et Cécile.

N 76 

 

18h40 : Cette nuit je serais aux Urgences Gynécologiques et Obstétricales (UGO). Juste avant la relève je trouve Lola en pleurs après avoir raccroché d'avec un brancardier. Celui-ci a été appelé dans la journée et la patiente qu'il devait déplacer était sortie de l'hôpital sans prévenir (puisqu’elle n'avait pas mangé depuis une dizaine d’heures). Ne la trouvant pas dans sa chambre ce monsieur à fait demi-tour et une fois la patiente revenue Lola a passé 3 commandes de brancardage avant de saisir qu'il y avait un problème : l’agent en question "n'avait pas que ça à faire" et a simplement annulé les demandes. Son manque de professionnalisme et de respect ont blessé ma collègue qui est fatiguée après une journée comme celle-ci et elle s'effondre dans le bureau à l'abri des regards de nos patientes. Je prends le dossier et j'amène moi-même la patiente à destination, on n’est jamais mieux servie que par soit-même. À mon retour le cadre d'astreinte a été appelée et c'est Lola qui se fait accuser de négligence : ”Elle aurait du savoir où se trouvait sa patiente et ne pas la laisser partir". À 40 patientes par journée en plus de sage-femme, médecin, infirmière, psy, secrétaire, pharmacienne, assistante sociale, et j'en passe, on ne peut pas être en plus flic !
Une fois les larmes séchées on commence la relève et on récupère 4-5 patientes mais tout est plus ou moins en attente. On ne peut pas faire grand-chose de plus en attendant les résultats de leurs bilans sanguins. Une G8P5 a des contractions et je vais refaire le point avec elle pour voir si les choses avancent. Je pose un rythme fœtal et vais faire une prise de sang. Ensuite j’examine, et je fais le point sur le dossier. Je comprends vite que la patiente en a marre d'être enceinte et aimerait qu'on fasse en sorte qu'elle accouche. Malheureusement ça ne fonctionne pas comme ça et les choses n'avancent pas. J'accueille quelques instants après une patiente très inquiète : elle est enceinte de son troisième enfant et ses deux premiers sont morts in-utéro. Elle me pose un milliard de question et Cécile m'informe qu'elle est déjà venue ce matin. Elle se présente cette fois-ci pour métrorragies (pertes de sang). Je l'examine et je ne constate aucune perte de sang. Après discussion avec le médecin celui-ci décide d'hospitaliser la patiente pour la rassurer. Je perfuse, j'informe, j'enregistre et la nuit continue. Une autre petite dame se présente : rupture de la poche des eaux, et début de travail. Cloé s'en occupe et la passe rapidement en salle. Puis une autre sonne : même chose. Je m'en occupe et je la passe aussi en salle. C'est son premier enfant, mais elle est haïtienne. Et cette demoiselle fait beaucoup de bruit donc on a peur de pas se rendre compte quand ça sera vraiment le bon moment pour qu'elle accouche. 
Comme on a transféré toutes nos patientes et que le reste est retournées à domicile il n'y a plus rien aux UGO. Je change de service pour aider Jeny et Charlie  en salle qui ne sont que deux pour 8 patientes. Je les décharge et prend en charge les dames que je connais. 

2h : Toutes les patientes sont cadrées et les filles des UGO nous gardent la boutique le temps qu'on aille manger. On entend au détour d'un couloir, au milieu de notre repas, qu'il y a un accouchement sur le parking des urgences. Je jette tout sur la table et je cours rejoindre Cécile et Cloé. Je prends des gants, Cécile une table d'accouchement et Cloé prend les devants pour appeler l'ascenseur. On court et on sème tout sur notre passage, un stylo, des ciseaux, une pince kocher, du sparadrap... Arrivées dépouillées et à bout de souffle on trouve la patiente sur un brancard, douloureuse mais clairement pas entrain d'accoucher. Presque déçues on la monte et les brancardiers me laisse l'examiner en salle d'UGO : dilatation complète. On passe en salle d'accouchement. Arrivés dans la salle on passe la patiente sur le lit et je mets mes gants au cas où elle se décide à pousser. J'apprends dans la foulée qu'elle est "HTLV1 positive” (c'est contagieux) et je prends d'autant plus de précautions. Aucune coordination, les filles me laisse presque en plan et j'ai l'air cruche avec mes gants à attendre que quelqu'un daigne installer ma dame dans les étriers. Une fois installée je dis à ma p'tite patiente de pousser et elle s'en donne à cœur joie ! Petit bout est né, et elle va très bien. Sa maman est ravie et moi aussi. Je m'occupe de tout et les filles m'aident sur les papiers. J'apprécie, et deux heures après la nouvelle maman remonte déjà dans le service des suites de couches. Tout le monde rêve d'accoucher comme ça, ça serait tellement plus simple ! 
La petite patiente haïtienne a été récupérée par Charlie, mais celle-ci est occupée sur un autre accouchement quand elle se décide à accoucher. Je fais l'accouchement un peu dans l'urgence et je crochète le menton du loulou pour le faire sortir plus vite par ce que son rythme ralenti. J'y vais corps et âme et je me retrouve allongée sur le lit en forçant pour faire sortir cet enfant. Victoire ! Il naît et il va bien aussi. Charlie arrive après la bataille et elle est déçue d'avoir raté ça. Je fais les petits points qu'il faut suturer et je réinstalle la patiente. Un peu vexée que personne ne m'ai proposé son aide je retourne dans le bureau de soin en me disant qu'elles doivent être occupées. Que neni, je retrouve les deux gazelles entrains de parler sans avoir levé le petit doigt, ni avancer la paperasse ! Il est 6h15, la relève arrive bientôt et aucun papier n'est fait alors que ce n'était même pas ma patiente. Je me coltine tout et je suis fatiguée donc ça me gonfle : dans une équipe on s'entraide normalement ! C'était pas trop le thème de cette nuit visiblement, mais bon. 
6h40 : L'équipe de jour arrive et évidement je n'ai pas pu terminer. Ça m'agace de leur laisser la moitié du travail.

 

J 77 

 

15h30 : Je pensais aller visiter le camp de la transportation avec Alex aujourd'hui mais j’ai trop traîné et ça va fermer avant qu'on ai pu prendre le temps de faire le tour. On va boire un jus de Maracuja au bord du Maroni, au point couleur, et évidement on croise une camionnette de gendarmes. Ils s'arrêtent pour dire bonjour et filent en intervention. 

18h30 : Alex s’en va déjà et après quelques baisers volés à côté du coucher de soleil, je rentre musique dans les oreilles, me laissant porter par les notes et la chaleur ambiante. Je longe la rive et je rentre écrire à la maison. 

20h30 : Jeny passe me prendre en voiture et on file au Tipic. Arrivée sur place quelques filles sont déjà présentes : Charlie et ses colocataires Marie, Marion, Marie et Marine. On plaisante un peu sur la répétition des prénoms et on commande un verre. Les gendarmes sont à la table d'à côté et Jeny est mal à l'aise par ce que son histoire avec Pablo ne s'est pas très bien terminée. Ici les ragots vont vite, tout le monde connais tout le monde et tout se sait. Je fais distraction et on passe une très bonne soirée. Ensuite Charles, Ambre, Mila, Aline et le copain de Marine nous rejoignent. On fait simple et on commande tous la même chose : le serveur revient un peu gêné et nous avoue qu'il n'aura pas de verre pour tout le monde. On finit donc nos premiers verres pour qu'il puisse en avoir davantage. 

En allant commander une fille revient à la table en disant "Jeny la serveuse a dit que t'étais rousse ! Elle a demandé s'il fallait apporter le verre à la table de la jolie rousse.” Tout le monde rigole, c'est pas Jeny, c'était pour moi. La serveuse Brésilienne m'avait déjà tendu une perche il y a quelques semaines avec un "C'est fou ce que tu peux être belle au naturel". Les plaisanteries vont bon train et ça tombe évidement sur ma pomme. 

Au cours de la soirée je discute avec Charles. Il m’interroge sur mes amours et état d’âmes et quand je lui montre la photo d’Alex il bave d’envie. Amusée je me laisse aller aux confidence et comme il creuse un peu plus je lui raconte mes peines de cœur. Elise, toujours présente dans ma tête, Alex, toujours présent dans ma vie. Je n’arrive pas à me défaire d’Elise et explique à Charles que j’ai bien compris qu’il n’y avait pas beaucoup d’avenir pour notre relation. Qu’elle sera plus heureuse, que ça sera plus facile sans moi, et que je m’efface pour cette raison. Son silence a perduré et je me tais sur mon espoir de la retrouver puisque mes projets d’avenirs ne pourront pas coïncider avec une vie future. Charles me dispute et n’y va pas avec le dos de la cuillère : “Tu fais du maternalisme, c’est pas à toi de décider pour elle. Tu l’as repoussée exprès, pour l’obliger à passer à autre chose alors que t’en avais même pas envie.” Il marque un point. Alex est parfait, et même si les choses ont évoluées entre nous deux les choses sont claires : je ne me suis pas encore détachée d’Elise, et sans ça, rien n’est envisageable sur le long terme. Je dis à Charles à quel point j’en suis désolée. Il est tellement parfait et on s’entend si bien que s’en es troublant. 

00h : Je rentre sagement à la maison et les quelques survivantes vont au Coumarou. Je cogite sur la conversation de ce soir. “Tu me manques.” S’échappe de mon téléphone, et je m’endors en espérant une réponse.

 

J 78 

 

11h30 : Marmotte un jour, marmotte toujours ! J'apporte son duvet à Mathilde et je passe par le chinois à côté de chez moi pour acheter un bonnet de bain et des lunettes de piscine. Je gratte un peu la guitare en rentrant et j'écris encore. 
Je pique du nez. Bon bah une petite sieste, encore. 
16h30 : Le réveil sonne et je dois me faire violence pour sortir du lit. 
17h : Direction piscine. Je vais renouer avec mon passé de nageuse et ça fait bien longtemps que je n'ai pas fait quelques brasses. Certainement pour mon bac de natation (auquel j’ai eu 19 messieurs-dames oui, oui). 
La reprise se fait sentir et mes bras me tirent rapidement. Je nage un kilomètre et je papote avec les filles : Ambre, Mila, Alison et Jeny sont là. On croise aussi Constance et Mathis et on décide d’aller tous boire un coup au point couleur après. Petite collation avec un jus banane-citron ça fait un bien fou, et après s’être dépensées zéro culpabilité ! J’ai entendu parler d’écouteurs résistants à l’eau et commence à m’y intéresser, par ce que nager sans but c’est pas très divertissant mais avec une séance pré-établie et de la bonne musique ça peut le faire. L’entrée de la piscine n’est qu’à 2 euros je pourrais me permettre de revenir régulièrement. C’est agréable de prendre du temps pour moi ; écriture, guitare, moto, piscine. Mon quotidien est vraiment différent de ma vie Montpelliéraine. 
20h30 : Jeny passe me prendre et direction Goélette ! On change pas une équipe qui gagne et ce soir Charlie est de la partie. Arrivées sur place on tombe nez à nez  sur Pablo avec une fille ! On reste un peu et on propose à Jeny d’aller au Tipic pour qu’elle ne soit plus mal à l’aise. Nous voilà en route pour le Tipic, et arrivées sur place on tombe sur le reste de la bande des gendarmes qui vient de se faire mettre dehors par le bar qui voulait fermer. 
23h : Direction Coumarou, l’avantage c’est qu’à cette heure là ça sera gratuit. Le videur n’est pas de cet avis et visiblement nos têtes font que non, il a décidé qu’on paierait 10 euros par tête. 
Je refuse et les filles me ramènent : la boîte est vide, et la soirée est mal partie je serais mieux dans mon lit.

 

J 79 

 

12h30 : J’ouvre les yeux après une bonne grasse matinée et je vais faire des courses. Alex me retrouve et me fait un bon petit plat. La plâtrée de pâtes bolognaises pèsent sur mon estomac, j’ai trop mangé ! 
On digère un peu avec une balade et on va faire la visite du camp de la transportation. L’endroit où les bagnards de France étaient exilés, et où a commencé la ville de Saint Laurent puisque c’est eux qui sont à la base de tout. Le guide nous raconte l'histoire du bagne, le fonctionnement, les punitions, les conditions de vie et nous fait visiter les cellules. On peut même piétiner l'endroit où l'on faisait siffler la guillotine. 40 mises à mort ont été faites ici, et les bourreaux eux même étaient des prisonniers. Après la visite il y a un musée à visiter mais à cette heure il est fermé. On se balade là où les dortoirs étaient communs et à présent ce sont des associations de toutes sortes qui animent les lieux. Une sage-femme, sur le pas de la porte de l'un des locaux en question me reconnait et m'interpelle. C'est Laetitia, un très jolie rousse avec qui je n'ai jamais eu l'occasion de tourner mais qui a l'air très gentille et qui, par ailleurs, a retenu mon prénom (à Montpellier, parfois, après une dizaine de gardes les sages-femmes ne nous reconnaissent même pas). On discute un peu et son copain nous explique l'un des projets de leur associations : fabriquer ses propres lunettes de soleil en bois. Plus précisément la monture, et c'est carrément canon ! Envieuse je prends quelques renseignements et je pense que lors de la prochaine session je me laisserais tenter par un peu de travail manuel. 
On rentre tranquillement à la maison et on se couche tôt, demain matin je suis de garde. Le lit une place commence à être une habitude, une fois collés l’un à l’autre ça nous convient très bien.

 

J 80 

 

5h55 : Le réveil sonne et c’est parti pour mes 3 dernières gardes en salle d’accouchement. 
6h30 : J’arrive toujours avec un peu d’avance et suis entrain de me faire un café quand j’entends une dame sur la point d’accoucher. À force on finit par reconnaître et différencier les cris de douleur aux cris d’un accouchement imminent. Mila, une sage-femme me voit dans l’encadrement de la porte et me dit « Tu veux faire un accouchement ? ». Je m’entends prononcer un « Toujours ! » enjoué et excité, et c’est parti. J’arrive dans la salle et Charlie est déjà installée ; elle semble exténuée et agacée du comportement de la patiente. Au détour de mon “bonjour” je comprends qu’elles en ont fait 10 cette nuit et qu’elles sont épuisées. Enchantée de l’aubaine j’enfile mes gants et je demande un minimum de renseignements. Il faut au moins que je sache : si c’est son dixième enfant, ou s’il est gros c’est pas la même chose. Je demande à la patiente si je peux l’examiner et constate avec surprise qu'elle n'est pas encore à dilatation complète. J'en fais tout de suite part à mes collègues et celles-ci me répondent dépitées qu'elle pousse sur son col malgré ça depuis tout à l'heure et qu'on a beau la mettre en garde en n'en fait qu'à sa tête. Deux-trois poussées plus tard un petit loulou est déjà né. Il est 6h40 pile et j'ai déjà fait un accouchement aujourd'hui : ça promet. Le placenta sort sans difficulté et le post partum immédiat est parfait, même pas de déchirure. Je réinstalle la patiente et je file dans le bureau pour rejoindre toute l'équipe et écouter la relève. 
On ne va pas s'ennuyer aujourd'hui et lors de la répartition des patientes les filles ne mettent que mon nom sur le tableau de la maman que je viens d'accoucher. D'habitude j'ai toujours une référante mais aujourd'hui visiblement ça n'est pas la peine. La suite de la surveillance se passe bien hormis sa tension qui commence à grimper. J'appelle le médecin pour l'en informer et je lui administre du Loxen pour régler le problème. Hop, hop, hop, en suites de couches !
Je discute un peu avec l'équipe et je leur avoue à demi mot que j’espère, lors de ma dernière garde, faire mon dernier accouchement toute seule. 

7h30 : La journée démarre sur les chapeaux de roues et je prends en charge deux autres patientes : un déclenchement et une dame en travail qui devrait accoucher dans les heures à venir. Je fais rapidement le point sur les dossiers, paperasses, sonnettes, organisations, transmissions, et j’en passe. Ma p'tite dame sur le point d'accoucher est effectivement "petite" puisqu'elle n’a que 14 ans. Si je ne l'avais pas lu dans son dossier je ne l'aurais jamais deviné. Elle a mal, et pourtant elle serre les dents sans demander de péridurale. Sa maman, qui n'est pas présente, le lui avait interdit. Après avoir tenté de discuter avec elle, mes collègues de la nuit ont réussi à la "convaincre" et celle-ci fini par accepter l'anesthésie. A 14 ans son corps n'est pas encore formé comme celui d'une femme et la grossesse ainsi que l'accouchement représentent de véritables mises à l'épreuve. Je la gère entièrement et fais particulièrement attention à tout lui expliquer, à redoubler de douceur et de bienveillance. Le rythme de bébé est parfait mais une fois arrivée à 9 cm la dilatation stagne et l'enfant ne s'engage pas dans le bassin. C'est un gros bébé et je fais une échographie pour confirmer mon avis : il est mal positionné et "regarde les étoiles" au lieu de regarder le sol. Le diamètre d'engagement est donc plus important et c'est plus long. Je redouble d'effort pour la positionner et lui donner toutes ses chances d'accoucher par voie basse. Elle ne se plaint pas une fois et se laisse faire pendant que je la positionne dans un sens, puis dans l'autre, à quatre pattes, ou encore en tailleur. Tout ça dans le but de faire tourner le loustic, et ça marche : après plusieurs heures de lutte acharnée et trois heures de dilatation complète, on s'installe enfin. Je vois pointer le bout du nez de l'hémorragie : un travail long, un gros bébé, l'utilisation de syntocinon pour remédier à la stagnation... Sans grande surprise ça saigne de trop et je me retrouve à devoir appeler les médecins. L'équipe arrive rapidement et elle bénéficie d'une anesthésie plus lourde pour pouvoir faire toutes les manœuvres qui visent à arrêter l'hémorragie. La patiente semble encore algique et s'agite. L'anesthésiste ne semble présenter aucune patience ni tolérance et avec tout le paternalisme qu'il est possible d'avoir il lui dit qu'elle n'a pas mal ; que ce n'est pas possible avec tous les médicaments qu’il lui a donné. Quand bien même, elle n'a que 14 ans. C'est une enfant qui a peur, et qui, même si elle n'a pas mal physiquement, a le droit d'être terrorisée de tout ce monde, et de ce qui lui arrive. Je fronce les sourcils et j'insiste à nouveau sur l'âge de la patiente présente devant nous en espérant qu'il saisisse l'allusion. Sans réussite. Tant pis pour lui, je prends le temps et je tente de tout lui expliquer dans les détails au fur et à mesure. Une fois que les choses sont cadrées la journée reprend son cours et une autre patiente m'est présentée. J'accepte en espérant faire l'accouchement avant la fin de la journée. On passe la dame d'une salle de pré travail à une salle de travail et on s'installe rapidement pour l'accouchement. Je sonne mes collègues comme à mon habitude pour qu'on me rejoigne pour le moment fatidique et Coline passe une tête par la porte : 

  • Tu as tout ce qu'il te faut ?
  • Oui oui j'ai tout, faut juste l'installer !
  • D'accord, bah écoute tu te débrouilles, ton aide-soignante est là et tu nous appelles si tu as besoin. 

Elle accompagne sa phrase d'un sourire et d'un clin d'oeil et c'est parti : je vole en solo. J'ai fait ça des dizaines de fois, les gestes sont familiers, rien ne change sauf que je n'ai plus de filet. Ma patiente pousse comme une championne, et alors que je me baisse pour plus de précision dans mes gestes celle-ci fait un effort de poussée de plus. Un jet d'urine me va tout droit dans le décolleté et je sursaute de surprise. Je ris de bon coeur, accompagnée de l'aide-soignante et du couple. L'enfant nait et je me prends une douche de liquide amniotique : je suis baptisée ! Un petit Diswano est venu au monde, je le pose contre sa mère qui pleure de bonheur et je suis émue. Je lui souhaite un bon anniversaire et j'exécute des gestes qui me semblent déjà routiniers. Je retourne dans le bureau des sages-femmes et je raconte mes aventures tout sourire : je me suis fait faire pipi dessus, et en plus je suis contente ! On rigole et l'équipe me félicite, ensuite je vais me changer. Beurk. 
18h40 : La relève commence, je transmets mes 3 dossiers et je rentre épuisée mais satisfaite. Une journée de plus qui restera dans ma mémoire.

 

J 81 

 

6h40 : Ce matin le tableau est chargé. Je tourne avec Jeny et Angéla et je décide de prends en charge 3 patientes : une accouchée, un déclenchement et une dame en travail. De cette façon je me mets en difficulté et je touche à tout. 
Pour commencer je m’occupe de la dame en salle K qui a accouché il y a maintenant deux heures et qui va pouvoir aller dans sa chambre, dans le service des suites de couches. Je commence par me présenter puis la nettoie, la lève, et lui fait signer quelques papiers après l’avoir emmenée aux toilettes. Ensuite je m’occupe de la paperasse et entre temps je me penche sur mes deux autres dossiers. Aujourd’hui c’est mon avant-dernière garde et je compte bien en profiter à fond ! La patiente que je prends en charge et qui est déclenchée semble fatiguée, c’est son 4ème enfant et elle en a assez d’être ici à attendre. Après l’avoir saluée, je profite du fait qu’elle parle bien le français pour pouvoir tout reprendre avec elle en détails et répondre à ses questions. Elle ne veut qu’une chose : son bébé. Je l’examine, j’appelle les médecins et lui administre du cytotec. Une heure après ma patiente sonne pour aller aux toilettes et me gratifie d’un « ça marche pas ton médicament madame, je veux des contractions ! » 
Je ris et je lui dis de ne pas s’inquiéter que ça va marcher et qu’il faut y croire. 
Après l’avoir rebranchée, celle-ci m’appelle dans la demi-heure par ce qu’elle est algique, à l’examen son col n’a pas franchement bougé. Je confie à Angéla que selon moi, malgré le peu de recul que j’ai pu avoir de ces trois derniers mois, je pense qu’il faut la passer en salle d’accouchement. Angéla décide de me faire confiance et me dis que c’est ma patiente, c’est moi qui gère. 
Direction la salle P et ma patiente qui voulait des contractions regrette a présent, elle a mal et c’est difficile de gérer la douleur qui semble être apparue tout à coup. Elle me demande de l’examiner une fois, deux fois : toujours la même chose. 
Tout à coup, alors que je suis dans la pièce et que je viens de retirer mes gants, elle change de tête et me dis qu’elle a envi de pousser. Le temps d’appuyer sur la sonnette et de me tourner pour attraper d’autres gants je vois son périnée s’amplier, et alors que je n’ai pu mettre que la moitié d’un gant elle pousse une fois et son bébé est sur le matelas sorti d’un coup. Angéla arrive, me trouve désemparée et ris de la situation. Je lui explique que moi-même je n’ai pas pu voir les choses venir et elle comprend totalement. Elle ne semble pas me juger pour un sou et m'aide dans ma galère. Elle va chercher le synto et m'aide à terminer ce que j'ai à faire. 
Une fois sortie de la chambre je prends en charge la surveillance du post partum et je file dans la salle B où se trouve l'une de mes patientes. 18 ans. 18 ans et totalement immature. Elle râle et chouine comme une enfant qui fait un caprice par ce qu'elle a marre d'attendre. Péridurale bien en place elle ne sent même plus ses jambes mais elle en a assez. Le travail est long et ses réactions m'effraient : elle est bien moins mature que la patiente de 14 ans dont je me suis occupée hier, pourtant elle a décidé d'être maman et aura bientôt sous sa responsabilité un petit être vivant, entièrement dépendant d'elle. Arrivée à dilatation complète, elle a trop appuyé sur la péridurale et ne sent plus rien, je lui propose de faire un effort de poussée pour s'entrainer et voir comment le bébé descend dans le bassin. Elle pouffe de rire au mot “pousser", et je me dis que ça va être compliqué quand je ne sens rien du tout au bout de mes doigts. Je décide de laisser ce bébé descendre et je croise les doigts pour que les choses se déroulent bien. Je reviens une heure pour tard pour un autre examen et un homme l'accompagne cette fois-ci (troisième personne différente de la journée, malgré nos interdictions et la politique de restriction à une seule personne). Je comprends que c'est le papa et avant de retenter de pousser celui-ci me demande s'il peut faire quelque chose avant. J'accepte intriguée et je ne bouge plus mes doigts (présents actuellement dans le vagin de ma patiente). Il prend alors de l'eau dans sa bouche et crache sur le ventre de sa dulcinée. Je sursaute, surprise et Jeny qui m'accompagne explose de rire. Je tente de garder mon sérieux mais un sourire m'échappe, ce n'est pas facile. Jenny demande "Vous faite quoi monsieur ?". Il prie. Ensuite il met de l'eau dans la bouche de la future maman, et c'est son tour. En crache un peu lamentablement sur son ventre et je reçois pour la deuxième fois des postillons : ah il faut l'aimer ce métier ! 
14h : Le dossier d’une patiente m’est transmis pour une raison tout du moins pas banale : un HRP (hématome rétro-placentaire). C’est un épanchement sanguin suite à un décollement du placenta qui a été constaté lors d’une échographie. Urgence Vitale, normalement dans ce genre de situation on part en césarienne code rouge mais ici la patiente va bien, ne présente pas de douleur, ne saigne pas et qui plus est son enfant va bien lui aussi. On surveille tout ça et la patiente est un amour. Elle a déjà 4 enfants et elle est très douce, je prends plaisir à m’occuper d’elle. À sa demande on accepte de faire une exception et pour des raisons culturelles on autorise plusieurs personnes en même temps à rentrer 5 minutes. Un quart d’heure plus tard je rentre sans aucune discrétion dans la chambre et trouve 5 personnes autours du lit, entrain de prier. Je pars à reculons et choisis la tolérance et la patience. 
Après 3h d'attente à dilatation complète pour ma petite jeune en salle B on ne peut pas attendre davantage et le loulou n'est vraiment pas loin de la sortie, il ne descendra pas plus loin tout seul. On s'installe et elle tente de pousser, de pousser, de pousser. C'est long. Bébé voit le jour et crie de bon cœur. Le placenta ne tarde pas mais je constate rapidement des saignements inhabituels. À seulement 300 mL je dis à Jeny que je pense que ce n'est pas normal, qu'il faut qu'elle appelle les médecins. On attend une minute et le temps d'appeler on est déjà à 500 mL, la limite. C'est reparti pour la prise en charge d'une hémorragie. Jeny me dis qu'elle me laisse gérer les choses et je prends les rennes. 
En plein milieu de la prise en charge, lors de l’un des nombreux aller-retours dans le service j’entend des cris qui viennent des urgences. Je me penche sur la situation et tombe sur le père de la dame à l’HRP fou de rage, qui hurle à s’époumoner sur 4 personnes du personnel soignant. La sécurité qui est présente me demande d’appeler la gendarmerie tout de suite. Je me rue sur le téléphone du service et comme je ne connais pas le numéro qu’il faut composer pour sortir de l’enceinte de l’hôpital je prends mon téléphone perso et je compose le 17. 
Je me présente, explique la situation et donne mes coordonnées, une patrouille va intervenir dans les plus brefs délais. 
Je retourne sur l’hémorragie et une fois l'urgence terminée on fait le point : 1,4 litre de sang perdu. Elle était déjà anémiée et le médecin nous demande de refaire une hémoglobine dans les deux heures. Choses faites les résultats sont sans appel : 6 d'hémoglobine. J'en informe le médecin qui indique la transfusion sans plus d’hésitation. Je n'ai jamais eu l'occasion d'en faire et j'en informe Jeny qui me guide dans les démarches. On descend chercher du sang et on fait les tests de compatibilités sanguines. Dans tout ce méli-mélo la patiente n’a même pas vu son enfant qu’on a emmené tout de suite et après plus de 3h de prise en charge celle-ci n’a pas demandé une seule fois à le voir, ni n’a demandé de ses nouvelles. 
18h40 : L’hémorragie m’a contrariée et je m’administre le meilleur remède que j’ai trouvé pour toutes altérations en tout genre de mes humeurs : du câlin de nouveau-né. Et ça marche ! Jeny est jalouse et me vole la bête dès qu’elle le peut. Je lui réclame et on se bagarre pour pouponner dès que possible. 
Je fais le point avec Jeny sur ce qu’il s’est passé avec l’homme agressif. Celui-ci n’a pas apprécié que l’une de mes collègues ose lui rappeler les consignes du service quant aux visites. Pour des raisons d’hygiènes les aller-retours et les échanges ne sont normalement pas possibles. Celui-ci n’a pas cherché à comprendre et à bien faillit frapper l’une des sages-femmes qui s’est trouvée au mauvais endroit au mauvais moment. 
21h30 : Plus personne.

 

J 82 

 

8h30 : Je me suis endormie sans prévenir hier soir et du coup je me réveille tôt. Je vais en profiter pour être efficace et faire tout ce que j'ai à faire. Je m'habille et file à la pharmacie, ensuite je ramène son vélo à Anaïs, il est 11h du matin et la chaleur est difficilement supportable quand on n’est pas à l'ombre. Alex m’accompagne et c’est un amour, par cette chaleur il préfère souffrir à ma place et roule en pleine cage pendant que je l’attends à l’arrivée avec ma moto. Sur le chemin du retour on s'arrête au consulat du Suriname pour faire un Visa. Je présente mes papiers, je paie 37 euros et 20 minutes plus tard je suis autorisée à séjourner 4 jours sur le territoire surinamien ! Papier en main on passe au super U acheter de quoi manger ce midi. Ça sera salade chèvre-chaud en entrée et pâtes bolognaises maisons ce midi. En début d'après midi je me fais violence pour ne pas dormir tout de suite et pour préparer mon sac. Il vaut mieux que je prévois puisque je vais devoir courir partout et je n'aurais pas forcément le temps de le faire plus tard. 
15h : Alex est parti travailler après manger et une fois installée, ventilateur à fond, lumière à peine tamisée, doudou dans les bras, Friends et... Silence radio.

 

N 82 

 

17h30 : Le réveil sonne et j'ai bien dormi. Je suis de bonne humeur. Ce soir c'est ma dernière garde et je compte bien en profiter. J'ai fait jusqu'à présent 49 accouchements depuis que je suis arrivée en Guyane. 49 accouchements auxquels j'ai participé ; je n'ai ni compté les césariennes, ni les accouchements instrumentaux dans lesquels je n'ai "pas pu mettre les mains". 

18h40 : Blouse enfilée, matériel en place, cheveux relevés je n'ai toujours pas choisi dans quel service je vais être cette nuit. Cécile me fait les yeux doux pour que j'aille aux UGO et Juliette pour la salle de naissance. Les deux équipes sont cool et dans les deux cas je m'y sentirais bien donc je décide de faire en fonction des patientes. Charline était du jour et me dis en souriant qu'elle sait déjà où je vais choisir d'aller : en salle de naissance il y a une gémellaire en probable début de travail avec le premier bébé qui se présente en siège. Jackpot ! Elle a raison mon choix est vite fait. Je m'installe tout sourire pour écouter la relève et j'ai apporté un gros paquet de bonbon Kréma pour ma fin de stage. 

Cette nuit donc, je prendrais en charge la gémellaire qui, j’espère, va se mettre en route cette nuit ; une patiente épileptique qui était déjà là hier mais que je n’avais pas pu prendre en charge ; et une primipare en travail. Je commence la nuit en faisant le point sur les dossiers, je me présente, j’enregistre, j’écris, j’appelle et c’est calme jusqu’à 2h du matin. Je prends une patiente en plus qui semble en début de travail et les choses s’enchainent. 

2h : Après 3h de dilatation complète, on s’installe pour l’accouchement de la primipare. Le rythme du bébé est parfait et elle commence à pousser. Et elle pousse, et elle pousse. La demi-heure règlementaire au bout de laquelle on doit appeler les médecins est passée mais le rythme est toujours parfait. On prend donc la décision, avec Juliette, de ne pas les appeler. On peut se laisser dans ces cas là jusqu’à une heure d’efforts expulsifs. 42 minutes plus tard naît un petit cœur, avec une grosse tête. Juliette m’a proposé de prendre la main mais j’y tenais je voulais le faire moi-même, et maintenant je suis en sueur, fatiguée d’avoir crocheté (manœuvre qui vise à accélérer l’expulsion en attrapant le menton du nouveau-né à travers le périnée). Le papa coupe le cordon et Juliette me félicite : c’est le 50ème bébé que j’ai fait naître depuis que je suis ici. Je recouds ma patiente et j’apprends après l’avoir réinstallée que mon autre dame en travail a accouché sans prévenir avec l’une de mes collègues. Tant pis pour moi, c’est dommage mais je suis contente d’avoir pris le temps cette fois. Un autre accouchement se fait dans la salle d’à côté à 3 minutes d’intervalle du mien. La dame en salle T sonne, puis en salle B. On profite d’un petit moment de répit pour aller manger et on se retrouve avec les filles des UGO. Pendant le repas leur téléphone sonne : une patiente est sur le point d’accoucher aux urgences générales. Elles partent en courant et nous on s’empresse de préparer une salle en attendant des nouvelles. Quelques instants plus tard elles nous appellent : une dame s’est effectivement présentée sur le point de pousser mais il s’agit d’un enfant en position de siège dont un des pieds sort déjà dans le vagin. Le temps qu’elle monte on a le droit à d’autres informations passionnantes : la dame en question a déjà eu 3 césariennes et n’est pas censée accoucher par voie basse (voie naturelle). Elle ne l’a d’ailleurs jamais fait. En plus de ça c’est un macrosome (gros bébé) donc même si avec un peu de chance les fesses passent et que l’utérus résiste aux contractions, la tête pourrait rester coincée. Les médecins sont prévenus et tout le monde se retrouve dans la même salle. Je perfuse la dame et tente de lui expliquer ce qu’il se passe. Juliette pose un rythme et pour couronner le tout son rythme cardiaque décélère. Indication posée : on part en césarienne code rouge. “Mais madame, vous aviez rendez-vous pour une césarienne programmée il y a deux semaines !”, “Oui mais c’est la première fois que j'oublie !”. Ah bah tiens ça c’est de la repartie. 

La folle nuit continue et le soleil commence déjà à se lever quand les choses finissent pas se tasser. Je fais un accouchement de plus juste avant la relève et on se dépêche de faire les papiers avant que l’équipe du jour n’arrive. 

6h40 : On fait la relève et je dis au revoir à mon stage en sale de naissance. 3 mois plus tard, un bon nombre de choses se sont passées. J’ai eu la chance d’assister à beaucoup de situations différentes et de prendre l’autonomie et la confiance dont j’avais besoin. 

La prochaine garde que je ferais en salle de naissance, ça sera en tant que diplômée. Et ça me fait tout drôle de me dire ça. 

7h15 : Je rêve d’aller me coucher, mais ce n’est pas au programme. Epuisée, je mets mon sac à dos et c’est parti pour de nouvelles aventures : ce matin je pars direction Paramaribo, la capitale du Suriname.

 

J 83 

 

7h10 : Je quitte le service en vitesse, épuisée de ma garde. Casque attaché, sac à dos en place je me dépêche de rentrer à moto quand je me rends compte, sur la route, que j’ai oublié de rendre les clés du cadena de son vélo à Anaïs. Demi-tour ! Je cours dans l’hôpital et je croise Maélia qui part aussi : on se retrouve tout à l’heure. C’est reparti pour un tour et j’arrive à la maison pour déposer ma moto. Mon sac est prêt et je n’ai plus qu’à attendre qu’Andréa vienne me chercher : on part pour 3 jours au Suriname ! On passe retirer de l’argent et le distributeur limite vite nos retraits. De notre séjour rien n’est payé, et je ne peux prendre que 200 euros de liquide. Direction chez Charline puis Andréa nous dépose aux pirogues qui vont nous emmener jusqu’à la “BAC” (la frontière Surinamaise). On monte sur la pirogue après avoir négocié avec le piroguier : 2,5 € pour la traversée du Maroni. 
Arrivées à bon port on se présente au guichet et Charline m’avoue qu’elle parle très mal anglais et qu’elle compte sur moi… C’est mal parti ! On rit un bon coup quand elle m’entend prononcer mes premiers mots d’anglais et ne pas comprendre les papiers administratifs à remplir. Passeports tamponnés, un homme se présente à nous pour nous proposer de nous emmener à Paramaribo, pensant à un racoleur on refuse par ce que les filles doivent nous rejoindre, on a déjà convenu d’un voyage avec un Taximan. “Non, non mais je suis le cousin de Demelso, c’est moi qui vous emmène !” Ah. Bon, on lui fait confiance et on le suit. Une fois dans sa voiture (avec le volant à droite, ça surprend) on se marre nerveusement en se disant qu’on se fait peut-être avoir comme deux niaises. Heureusement ce n’est pas le cas et quelques minutes après on retrouve Maélia et Andréa arrivées par une autre pirogue. Une dizaine de minutes plus tard on s’arrête pour attendre d’autres co-voyageurs. Les filles papotent et je sens le sommeil pointer le bout de son nez. Je lutte, je lutte, on est 3 sur 4 à avoir fait la nuit et elles ne semblent pas plus fatiguées que ça. 
“… hein Thaïs ?”, “Oui, oui”, “Ahah elle dort déjà elle est terrible !”. Oups, je me suis endormie. Les 2h30 de voiture passent à une vitesse folle puisque je passe mon temps à dormir et heureusement Andréa m’accompagne pour me faire déculpabiliser. On s’arrête à un bureau de change et nos euros deviennent Dollars Surinamais, appelés aussi SRD. 1 SRD = 0,12 euros. Je me retrouve donc avec une liasse de billet de 50 et me sens riche ! 
La taxi traverse des quartiers pauvres et on commence à se demander ce que l’hôtel nous réserve avant d’arriver à destination et d’ouvrir de grands yeux ébahis : Le hall de l’hôtel donne sur une piscine avec Cascade et un bar dans l’eau (oui, oui dedans). On paie 150 SDR le taximan (moins de 20 euros la course d’un peu moins de 3 heures). La chambre ne sera disponible qu’à partir de 16h mais en attendant on pose nos bagages dans un local, on prend serviettes et maillots, et direction bronzette. On commande de quoi manger et c’est un peu la roulette russe. Tout est en anglais ou néerlandais, et on est toutes aussi mauvaises. On se commande une petite boisson et pour moi ça sera une Caipirinha (cocktail à base de cachaça) fraise, après tout je ne vais rien me refuser je suis en repos pour 5 jours, c’est des mini vacances. Je me souviens qu’Alex m’a conseillé d’essayer la Parbo Djogo et j’en fais part aux filles, donc Maélia et Charline commandent ça et les repas arrivent vite. On se régale. Bidons bien remplis on se trouve un coin et on se fait notre propre petit salon de soleil : 3 banquettes moelleuses et un transat qui forment un carré. On se baigne et on peut observer l’aquarium géant collé à la piscine, les poissons sont énormes. Après la trempette on s’étale sur nos matelas respectifs, protégées par le parasol ; il fait 30°, grand soleil et la chaleur est difficilement supportable si on n’est pas à l’ombre. Je m’endors. 
J’émerge deux bonnes heures après et je suis seule. Les filles sont dans la piscine. 
17h : Après s’être présentées à l’accueil la réceptionniste nous accompagne jusqu’à notre chambre. Disons plutôt notre suite : cuisine, salon spacieux, terrasse, grande salle de bain et deux chambres doubles. On écoute ses explications et la remercie. Ensuite on tire au sort et les binômes de chambre sont établis : Maélia & Charline, et Andréa & Moi. On veut appeler pour réserver un taxi, pour faire la réservation du sushi dans lequel on veut aller et pour le massage qu’on aimerait se faire faire demain. Une fois de plus on rit puisque visiblement personne n’a comprit les explications et on a toutes acquiescées en pensant que les autres avaient compris. En vrai divas, c’est agréable de se sentir privilégiées comme ça : une à une à la douche, on s’habille et le taxi nous attend déjà devant la réception. Ce soir c’est sushi, ça fait des mois qu’on n’a pas pu en manger et c’est le luxe de la ville dont Andréa voulait absolument profiter. 
Arrivées au restaurant nos voisins de table, au nombre d’une bonne dizaine sont plus que bruyant et on ne s’entend pas discuter. Après plus d’une heure de repas c’est fatiguant et tout le restaurant les regarde, indigné de leur manque de savoir vivre. Enfin partis, la fin de notre repas approche et on sympathise avec le serveur. Il nous appelle un taxi et nous voilà en route pour le “Téquila Bar”. 
Pour seulement quelques SRD nous voilà sur place et la musique est vraiment sympa, on commande un verre et on profite du Dj. Les soirées ici commencent très tard et malgré les 23h passées quand on part le monde n’est pas encore arrivé. Selon notre entourage, les bars ne s’animent souvent que vers 3h du matin. 
00h30 : Je me glisse dans le lit et quel bonheur ! Il est moelleux, il est spacieux, les draps sont doux, mon dieu, j’ai l’impression d’être sur un nuage. En ouvrant la table de chevet on plaisante sur le nouveau testament qui s’y trouve : ça sera la lecture d’Andréa pour ce soir, moi je ferme les yeux et quelques secondes après seulement je sombre déjà dans un sommeil profond.

 

J 84 

 

7h45 : Charline frappe à la porte. Notre réveil n’a pas sonné et il faut qu’on se bouge le popotin pour prendre le petit déjeuner avant que le taxi n’arrive : ce matin on va voir les dauphins les plus petits du monde (dauphins Sotalias). 5 minutes après je suis prête et on descend rejoindre le soleil déjà debout depuis un moment. Le petit déjeuner se fait à l’étage, au-dessus de la réception, et donne une vue sur la cascade de la piscine. Un buffet gargantuesque s’offre à nous et on en profite à fond : œufs brouillés, café, pastèque, viennoiseries et j’en passe, un vrai régal. Lunettes de soleil sur le nez, une fois bien réveillées on rejoint le taxi qui nous emmène en dehors de la ville. Une fois de plus on monte sur une pirogue et visiblement elle ne sera que pour nous. On prend le large et l’air marin fouette nos visages éblouis. On rejoint un groupe de pirogue et les dauphins sont déjà là. Ils sont nombreux et j’aimerais les voir de plus près. Après avoir mis mon sac en sécurité j’enlève mes chaussures et je m’engage sur la proue du bateau. Au pire je finirais à l’eau c’est pas bien grave. Je m’avance un maximum et mes jambes sont de part et d’autre de la pirogue. J’ai les pieds dans l’eau et je les agite pour attirer les dauphins. Ils ne sont pas peureux et s’en donnent à cœur joie pour offrir leur spectacle. Un des dauphins fais une pirouette juste à côté de moi, à pas plus d’un mètre, juste avant qu’un autre passe sous mes pieds. J’en prends plein les yeux et retombe en enfance. Après une bonne demi-heure je me résonne et je vais me mettre à l’ombre avant de le regretter. Hier j’ai déjà pris des coups de soleil rien qu’en restant à l’ombre. On rentre à quai et le taxi nous récupère pour nous emmener au centre commercial à notre demande. On veut faire du shopping entre copine, mais après plusieurs boutiques, même si les vêtements sont globalement moins chers on ne trouve pas notre bonheur et on ne veut pas y passer la journée. Direction le centre-ville pour manger au bord du fleuve. Le taxi nous a mal comprit malgré notre insistance et nous a emmené au mauvais endroit. Finalement on n’arrive pas à s’entendre et il ne connait pas l’adresse qu’on lui donne. On convient donc d’un autre endroit et on marchera. On cherche le tatoueur que Maélia a déjà repéré et ensuite on ira manger. Une fois le tatoueur trouvé on tente de se faire comprendre et l’artiste se moque de nous. Notre accent est vraiment catastrophique mais à quatre on réussit à se faire comprendre. Le rendez-vous est pris pour 16h : Maélia veut se faire tatouer, et moi j’avais parié avec elle que si elle trouvait le courage de le faire je me faisais repercer la langue ou le tragus (l’oreille). On va manger et le chemin est long, on a du mal à retrouver le spot dont Andréa nous a parlé et la marche en plein soleil devient éprouvante. Arrivées à destination je paie 2 SRD pour aller aux toilettes, dame pipi me donne du papier et je traverse une espèce de cabanon avant de tomber sur les dites-toilettes. Je crois voir passer quelque chose de noir et de long (un scorpion ?), pas très rassurée je regarde dans la cuvette avant de faire quoi que ce soit, des fois qu’un serpent aurait décidé d’y nicher. On mange un peu de tout, du magnoc, bami, nassi, poisson frit, brochettes de porc, piment etc… Charline repart à l’hôtel pour son rendez-vous de massage et on reste à trois Maélia, Andréa et moi. Sur le chemin du tatoueur on se fait reluquer avec une insistance très malaisante. Je me fais siffler et l’homme en question, après m’avoir regardé de haut en bas regarde mes fesses sans aucune gène avant que Maélia ne le rappelle à l’ordre. On trace notre route sans y prêter plus d’attention, ici c’est courant on a l’habitude. En route j’émets la possibilité de faire un petit malaise. Elles sont prévenues et elles le savent c’est plutôt courant chez moi. 
16h : Pile à l’heure, après avoir eu un peu de mal à retrouver la boutique (il n’y a pas que l’anglais qu’on a en commun, le niveau d’orientation non plus n’est pas fameux), on s’installe et la perceuse me laisse le choix : je décide de me faire percer la langue avant. Le pire sera fait. Dans une pièce commune, assez petite, deux femmes sont déjà entrain de se faire tatouer. L’une d’entre elles se fait tatouer le dos et la moitié de ses seins est offerte à la vue de tout le monde. Maélia convient de son tatouage avec le tatoueur et je m’assois face à la perceuse bien entourée. Elle perce, j’ai mal, en plus de l’avoir fait à l’envers elle ne réussit pas à mettre le piercing en place et je commence à me sentir mal. La langue tirée dehors, je pâlis et Andréa rejoint tout ce beau monde pour me resucrer avec du coca dès que possible. Elle à déjà ouvert la bouteille et à peine ma langue rendue je bois une gorgée pour faire fuir le malaise. Raté, je chancèle et commence à partir dans les vapes. L’avantage c’est qu’un bon nombre de personnes s’occupe de moi tout à coup : Andréa me lève les jambes, un autre va me cherche un fauteuil, un me fait de l’air, une me mouille le visage, et un autre me fait respirer de l’alcool : la dernière solution est radicale. Je me remets peu à peu et la dame me demande si je veux toujours me faire percer l’oreille. Toujours ! Je ne baisse pas les bras et j’y retourne, certainement un peu maso sur les bords, une fois que j’ai repris des couleurs la perceuse m’invite à passer en arrière-boutique pour la suite des festivités. L’endroit n’est pas très propre, le mur est tagué. Le matériel est stérile lui (heureusement !), je n’ose rien dire et je serre les dents : ça me fera une histoire de plus à raconter et je serais contente une fois que ça sera fait. En plus Maélia m’a dit que ça ne faisait pas mal du tout. 
Je m’assoit et on commence. J’essaie de ne pas bouger, ma langue me fais mal je ne peux pas faire beaucoup de bruit c’est l’avantage, et non de dieux ça fait mal aussi ! Je sens craquer le cartilage sous l’instrument et je respire un bon coup : c’est pas le moment de refaire un malaise. Je sors sur mes deux jambes mais pas au top de ma forme. Andréa me fait attendre un peu avant de repartir : on doit y aller, j’ai rendez-vous à 17h pour le massage. 
17h15 : J’arrive en retard et je m’en excuse timidement en anglais, mon malaise nous a retardé et c’est tant pis pour moi ça sera du temps en moins sur le soin. La dame me reçoit avec toute l’antipathie qu’elle peut présenter et je m’installe sur la table. Sans aucune douceur elle commence ses gestes et renifle, parle avec sa collègue dans la pièce d’à côté, l’appelle “bitch”, je sens qu’elle a des ongles et pendant le massage elle me craque même les doigts de pied. Un peu déconcertée, elle se met à discuter avec moi. J’apprends qu’elle s’appelle Monica, qu’elle a 4 enfants, et qu’elle est grand-mère. Qu’elle a un piercing au nombril et qu’elle a 52 ans. 
Je sors du rendez-vous plus amusée que détendue et retrouve les filles au bord de la piscine. On flâne un peu avant de retourner dans la chambre et on se prépare à sortir. 
20h : On prend le taxi, ce soir c’est Thaïlandais. Le restaurant se trouve dans un quartier résidentiel, il est magnifique. On s’installe dans une ambiance calfeutrée et le serveur se présente à nous. Il s’excuse auprès de moi et me dit que “ce n’est pas possible ici”. Sans comprendre je le vois s’approcher et prendre la saleté qui se trouve sur ma gauche. On explose de rire en se disant qu’il a dû prendre ça pour du shit. Il revient un peu plus tard pour prendre notre commande et on a 3 choix : soit un assortiment de 3 plats, soit 6, soit 9. À cause de ma langue je m’en tiens à trois et les filles prennent l’option des 6. Une fois de plus, en raison du piercing je n’ai pas le droit de boire d’alcool. Je le sais bien que le salon de tatouage ne m’ait donné aucune consigne, puisque je l’ai déjà fait il y a quelques mois. Le trou c’était rebouché après l’avoir retiré pendant quelques heures. 

Les plats nous sont servis et je ne réussis à rien manger hormis la glace coco-citronnelle après une longue attente. Mon smoothie aussi est le bienvenu et je ne dois compter que sur ça pour ce soir.
Après le restaurant on prend à nouveau le taxi pour aller au casino : ici c’est la grande attraction et je n’y suis encore jamais allée. Un peu inquiètes d’être en short-tongs ça ne semble pas poser de problème et on rentre sans encombres. Les jeux de cartes doivent déjà être compliqués en français alors en néerlandais sous-titrés anglais je vous laisse imaginer ! On se rabat sur les machines à sous et je double ma mise : de 6 euros (50 SRD) je passe à 12. C’est une petite victoire mais c’est une victoire quand même. 
2h : Fatiguées, on rentre à l’hôtel et on s’endort confortablement installées dans nos lits moelleux.

 

J 85 

 

9h30 : On se lève avant que le petit déjeuner ne soit plus disponible. J’en profite nettement moins qu’hier étant donné que je ne peux rien manger. Ma petite maman dira que c’est bien fais pour moi mais j’ai faim. On traine au bord de la piscine pour le reste de la matinée et je mange une glace pour midi. Le taxi vient nous chercher et après s’être arrêtés un moment pour d’autres voyageurs on file à Albina. On rentre en pirogue et Andréa me dépose sur la route. 

15h : Alex vient m’embrasser. En quelques jours on s’est déjà manqués et je lui tire timidement la langue pour l’informer de la nouveauté. Après quelques baisers volés sur la terrasse, il part déjà en patrouille dans sa tenue militaire.
21h30 : Je m’endors déjà.

 

J 86 

 

J’ouvre les yeux à 5h comme s’il était temps de se lever. Je m’autorise une grasse matinée et me lève finalement à 8h30, reposée. Je vais faire des courses et j’achète de quoi manger sans trop de difficultés : vive les glaces ! J’achète aussi des petits pots pour bébés. 
13h : Aurélie me rejoint devant la maison et on va manger au bord du fleuve avec les sages-femmes. Elles m’y ont invité lors de ma dernière garde et, quand on arrive, un festin est déjà étendu sur les nappes à même le sol. Une dizaine de mes futures collègues sont déjà assises en rond et on se joint à elles. Je sors un petit pot et on se moque de moi, je m’en doutais un peu. 
Cet après-midi on convient d’aller à l’île aux lépreux avec Jeny et Aurélie. Comme son nom l’indique c’était une île sur laquelle étaient isolés les malades, du reste de la population. De la nourriture leurs était jetée des rives par les pirogues. Justement on y va en pirogue et on passe l’après-midi coupées du monde, sur notre petite île, avec un peu de musique, du soleil et des copines. Ici tout le monde est embêté par les moustiques sauf moi, bizarrement je ne me fais pas (ou peu) piquer. Par contre ça ne me protège pas contre les fourmis et elles mordent beaucoup. Aujourd’hui elles y sont allées à cœur joie, ça fait un mal de chien
J’ai encore pris quelques coups de soleil malgré la crème solaire, pas trop douloureuse je file prendre une douche en rentrant et me prépare pour la soirée. Pour commencer on va faire un barbecue chez des gens qu’on ne connait pas dans le quartier haïtien. Invitées par des amies d’amies on sympathise vite et on traine pour aller au Tipic comme il était prévu. Finalement une fois devant c’est déjà fermé et on va directement au Coumarou. On passe une bonne soirée mais je suis déjà fatiguée à 2h et je ne suis pas d’humeur à attendre. Je demande donc ses clés à Jeny et je vais dormir dans sa voiture en attendant. 
2h30 : Jeny me ramène et elle file à la Charbonière, elle ne s’arrête jamais !

 

J 87 

 

11h30 : Je me réveille et en ouvrant les yeux je constate que j’ai enfin une réponse d’Elise. Sans pouvoir plus attendre j’ouvre son message les yeux encore fatigués. Elle me fait comprendre qu’elle est passée à autre chose et que je devrais faire pareil, son silence s’explique par la présence de quelqu’un d’autre dans sa vie. 

J’ai l’impression de me prendre un coup de massue. Dans un premier temps je choisi de ne pas répondre, mais la curiosité finie par prendre le dessus. Si je le connais et que je ne le sais pas avant mon retour, je risque d’avoir l’air bête une fois rentrée. 

“Oui, tu la connais”. Deuxième coup de massue, non seulement c’est quelqu’un de mon entourage mais en plus c’est une femme. Et dire que c’est moi qui lui ai fait sauter le pas, qui l’ai guidée dans ses premières découvertes. Je demande à savoir qui est cette personne et la réponse est sans appel. “C’est Caroline”. 

Je m’énerve et manque d’envoyer mon téléphone dans le mur. J’ai le coeur qui tape dans ma poitrine et j’ai l’impression que quelqu’un le serre à tel point que j’en ai mal. Je frappe le mur, ma main est douloureuse. Je frappe le matelas. Je pleurs, et m’écroule sur le sol de ma chambre. Je reste là, quelques secondes, quelques minutes, peut-être même quelques heures. Partagée entre colère et humiliation, tristesse et résignation. Je ressens tellement de chose à la fois, quelques-unes parfois contradictoires, que je ne sais pas quelle sensation est la plus forte. Je suis désemparée et dois gérer une crise d’angoisse dans mon coin. On a tous des hauts et des bas et je n’ai pas envi d’embêter les autres avec ça. L’éloignement me pèse plus que jamais, je reste dans mon coin à broyer du noir. Ça ira mieux demain. Ça doit aller mieux demain. Ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort, je grandirais comme ça aussi, la vie n’est pas toujours aussi facile.

 

J 88 

 

6h55 : C’est un nouveau jour, une nouvelle semaine et un nouveau mois. Le moral n’est toujours pas de retour mais je me fais violence et après tout je n’ai pas le choix. Je vais sourire, mettre un pas devant l’autre et je vais y arriver en plus ! 
Les p’tits coups de mou ça arrive à tout le monde et ma maman dit toujours « il faut laisser le temps au temps ». Justement c’est son anniversaire aujourd’hui. Je lui accorde ma première pensée et je lui envoie un message tout plein d'amour. Elle me manque, ce genre d'évènement c'est pas facile quand on est loin mais le retour n'est que meilleur. 
7h15 : Je pars de la maison, pour arriver en avance. Ce matin je commence à 7h45 dans un nouveau service : le service de consultations. Et je ne sais pas où c'est. Une fois arrivée je passe récupérer mes affaires dans le vestiaire de salle de naissance, et j'en profite pour passer une tête et faire un coucou à tout le monde après m'être préparée un café. 
7h40 : Je descends, café à la main et trouve sans difficultés. Je demande au secrétariat et l'une des secrétaires me guide jusqu'au bureau de la cadre. Elle n'est pas là, et visiblement elle est déjà partie au staff (réunion des différents professionnels de santé qui vise à faire le point sur les dossiers). Elle me propose d'attendre l'une des sages-femmes dans la salle de soins. 

7h50 : Luciane arrive rapidement. C'est l'une des deux sages-femmes de la journée, et elle est plus âgées que les sages-femmes que j'ai l'habitude de voir ici. Elle me propose de la suivre, c'est parti. Je fais une consultation avec elle et je prends quelques initiatives tout en observant son mode de fonctionnement. Elle m'explique tout très bien et j'essaie de comprendre comment les logiciels fonctionnent. Ce matin est particulièrement calme apparemment, et après un premier rendez-vous je vais à la rencontre de Naziha, la cadre, de retour dans son service. Elle m'invite dans son bureau pour faire le point sur les objectifs de ce stage qui va durer un mois. Ici, contrairement à la métropole, les sages-femmes de l'hôpital ne font que les consultations du 9ème mois (de fin de grossesse), et non pas tout le suivi de grossesse. Celui-ci représenterait une part de travail beaucoup trop importante, et ne serait pas adapté à la population qui se trouve en difficulté pour se déplacer jusqu'à l'hôpital tous les mois. D'autres réseaux ont donc été développés et ce sont les sages-femmes libérales, les médecins généralistes et la PMI (Protection Materno-Infantile) qui s'en occupent. La consultation en question consiste à faire le point sur le dossier, donner les dernières directives, planifier la fin de la grossesse et prescrire les bilans ainsi que les traitements nécessaires. Les horaires théoriques sont 7h45 - 12h15 et 12h45 - 15h. Sauf que Luciane m'avoue rapidement que c'est rare qu'on finisse à l'heure ici. Les patientes sont souvent en retard, ou mal suivies et les consultations s’éternisent. 
On discute planning et on convient qu'une semaine de consultations sages-femmes (9ème mois et grossesses pathologiques) suffiront. Ensuite je ferais deux semaines en échographies, amniocentèses, et orthogénie (avortement), et la dernière semaine se déroulera avec les gynécologues qui font différentes consultations comme de la cancérologie, des consultations d'infertilité etc...
12h50 : Effectivement on vient de finir le programme de la matinée et on est déjà en retard pour commencer le programme de l'après midi ! La patiente suivante étant en retard on peut se permettre de filer manger. Comme je viens d'apprendre que la cafétéria n'est pas encore fonctionnelle je vais en salle de naissance pour piquer un plateau. 
13h10 : Après avoir mangé un repas sans faim, toujours un peu tourneboulée je suis contente de me remettre au travail. 
14h30 : On fini notre 4ème consultation de la journée et la patiente suivante a déjà plus d'un quart d'heure de retard. 
15h : La patiente n'est pas venue et sur 7 patientes planifiées seulement 4 ce sont présentées. On discute sur le pas de la porte avec les sages-femmes et Laurence l’infirmière, et on se rend compte que j'étais dans la même résidence que Luciane quand j'habitais chez Mehdi. Elle me dit m'avoir vu au bord de la piscine et s'être dit que j'étais bien jeune. Elle a trois enfants et m'a l'air d'être une vraie petite maman. C'est pas désagréable de retrouver un cadre de stage un peu plus "hiérarchisé" et je pense qu'elle le fait avec bienveillance. 
15h10 : Avant d'enfourcher ma moto je passe au bureau de Mr Lewis, qui gère les appartements du Chog et que je dois appeler concernant mon logement à l'internat. De vive voix ça sera mieux, mais une fois arrivée dans son bureau il est absent. Je l'appelle, pas de réponse. 
15h20 : De retour à la maison je tombe sur Ted qui me dis que Mr Lewis cherche à me joindre. Il lui a laissé son numéro perso et je l'appelle dans la foulée : il veut me voir. Bon, je remonte sur ma moto et c'est reparti. J'ai chaud, il est 15h30, la cagne tape sur mon jean, mes gants, mes baskets et mon Bombers. 
15h35 : Mr Lewis arrive et m'invite à rentrer dans son bureau. Il me dit sans détour que le logement dans lequel je suis actuellement va bientôt être abandonné par le Chog et qu'il veut me transférer rapidement pour pouvoir le faire. Il a déjà une chambre de disponible, seul hic : la clim ne fonctionne pas. La température dans un préfabriqué comme celui-ci, sans aucune ombrage n'est pas supportable. Il s'occupe donc de régler le problème au plus vite et je devrais faire mes bagages d'ici la fin de la semaine. Ravie de la nouvelle je rentre à la maison. 
16h : Une fois de retour je saute sur mon téléphone et j'appelle ma petite maman. Elle est en train de fêter son anniversaire et j'en profite pour saluer tout le monde. On papote un peu et elle retourne profiter de son moment. J'en profite ensuite pour passer deux trois coups de téléphone, envoyer des messages aux copains et ça me fait du bien d'avoir des nouvelles. Même à l'autre bout du monde, ce sont toujours les mêmes qui sont là. Ensuite j'écris un peu et je prévois d'aller nager avant de sortir. J'ai besoin de me défouler et quelques longueurs ne me feront pas de mal. 
17h45 : Je passe chercher Alex, direction piscine municipale. On fait un crochet au magasin de chaussure avant : mes seules sandales m'ont lâchées il y a quelque temps et Alex a dû jeter ses chaussures (pleines de sang) après être intervenu sur un grave accident de la route pendant son week-end avec la bande des gendarmes à Cayenne. On se jette à l'eau et je n'ai pas envi de discuter, il ne me reste qu'une demi-heure et je compte bien rentabiliser mon temps. Sans dire un mot Alex semble comprendre de lui-même et reste à côté de moi, me laissant dans mon monde.
18h45 : On nous somme de sortir du bassin et je constate, déçue, que je n'ai parcouru que 650 m. J'ai récupéré des séances de natation utilisées pour mon bac de natation, mon professeur de l'époque me les avait transmise pour que je puisse les utiliser à des fins personnelles. Je n'ai fait que 50 mètres de sprint et le reste des longueurs portaient sur un travail qualitatif. Je ne suis pas assez fatiguée. J'ai besoin de plus mais ça devra attendre demain. 
On rentre se doucher et on passe chez le chinois. Ce soir la bande se rejoint sur le petit bout de plage devant chez Agnès donc on commande un peu pour tout le monde et on rejoint le reste de la troupe. Il fait bon, on a mis un peu de musique et ça fait du bien de se retrouver. On raconte les anecdotes du Suriname et on rit de bon cœur : le meilleur des remèdes ! 
23h15 : Sages, on décide de rentrer, demain je travaille. Une petite douche, et un gros dodo.

 

J 89 

 

7h10 : Maintenant je peux me lever un peu plus tard, je commence une bonne heure après les horaires de salle de naissance. Le réveil est doux et je me dis en ouvrant les yeux qu'être heureux c'est aussi un choix, et que même si c'est plus facile de se morfondre il n’en est pas question. 
7h45 : Après être passée chercher des tenues, m'être fait un café et avoir répondu aux messages du petit matin je m'installe dans la salle de consultation en attendant la sage-femme. C'est finalement Naziha, la cadre du service, qui se présente devant moi et qui me dis que ça sera elle qui assurera les consultations aujourd'hui. Les minutes passent et la dame de la première consultation ne semble pas se présenter. On s'occupe avec de la paperasse en attendant. 
8h40 : La première patiente arrive et Naziha me propose de conduire la consultation d'entrée de jeu. Je lui avoue que je préfère d'abord regarder comment elle procède et que je prendrais les rennes lors de la prochaine si elle veut bien. Un peu surprise, voire même déçue de devoir travailler, elle acquiesce et pendant qu'elle fait le plus gros de l'interrogatoire je m'occupe de la clinique. 
La deuxième patiente est déjà là quand on ouvre la porte à l'issue de la première consultation. Elle ne parle pas un mot de français, c’est donc Naziha qui prend de nouveau les choses en main. Je suis encore plus surprise qu'hier de l'aisance dont elle fait preuve dans la langue Taki-Taki. On dirait qu'elle est bilingue c'est impressionnant. Les consultations s'enchaînent et on prend rapidement du retard. Les 45 minutes prévues ne sont pas du tout suffisantes pour faire le point sur la grossesse, les traitements, les prescriptions, les conseils d'usages, la planification des rendez-vous, la clinique et le dossier. 
13h15 : On vient de finir le programme de la matinée ; celui de l'après midi devait commencer à 12h45. Je file manger un plateau en salle de naissance et finalement ne fais que picorer puisque le repas est vraiment immangeable. 
13h30 : Me voilà déjà de retour et je toque timidement à la porte. Naziha a déjà commencé la consultation. La patiente est une G13 P9 et a des antécédents plus longs que le bras. Hypertension artérielle, rhésus négatif, diabète gestationnel, macrosomie, dystocie des épaules, hémorragie de la délivrance, césarienne et j'en passe. On fini tant bien que mal la consultation, en taki-taki, sinon c'est trop facile, et elle passe voir l'anesthésiste juste à côté. 
Le temps qu'on voit la patiente suivante, l'anesthésiste nous fait part d'une notion du dossier dont nous n'avions pas connaissance : se surajoute à tout ça une thyroïdectomie totale. Aller on reprend tout et finalement on fait même le Rophylac (médicament administré aux patientes de rhésus sanguins négatifs pour éviter que la mère ne s'immunise contre l'enfant) qui avait été oublié malgré son suivi et sa grossesse avancée de presque 39 semaines d'aménorrhées. 
16h : Déjà une heure que la journée aurait dû se terminer et pourtant on a vu deux patientes en moins, et mangé en quelques minutes seulement. Naziha me propose de terminer les derniers détails et de rentrer chez moi. Je saute sur l'occasion et je rentre écrire un peu. Finalement j’écris pendant 3 bonnes heures avant d’aller chercher Alex à moto. Je passe le prendre et on file au bord du fleuve pour boxer. Il a bien compris qu’il fallait que je me défoule et me propose une séance avec coach perso.
On commence par un échauffement cardio et je me laisse guider. On s’étire en courant et on n’a pas l’air malin tous les deux au milieu de nulle part entrain de gesticuler dans tous les sens. Ensuite squats, puis pompes. Il m’en demande 10 et en me voyant sourire et le faire sans ralentir il me dit que c’est trop facile : on en rajoute 10. Pareil pour les squats. Après on passe aux choses sérieuses et il détaille les mouvements pour que je visualise et que je le fasse à mon tour, points nus. C’est tout une coordination et c’est pas si simple que ça en à l’air. Direct, crochet, uppercut on fait les choses dans les règles de l’art et j’apprends à me déplacer ainsi qu’à monter ma garde en permanence. Je suis sans arrêt en flexion et ça tire sur les cuisses. Après les bases il me fait enchainer les mouvements et j’enfile les gants pour frapper sur les “pao” qu’il a amené. J’y vais de bon cœur et c’est fou ce que ça peut faire du bien. Seul hic, il n’a pas pris ses bandes et les gants sont trop grands pour moi. À cause de ça je ne peux pas frapper de toutes mes forces sous peine de me faire mal aux poignets. Après une séance d’une bonne heure je rentre à la maison et je file sous la douche. 
21h45 : 2 œufs brouillés, une biscotte avec du beurre et un petit pot de légume Blédina, que des bonnes choses. Je m’endors ensuite, de bonne fatigue.

 

J 90 

 

7h10 : Le réveil est doux malgré mes muscles de cuisses et d’épaules tout endoloris. Je mange un peu de fromage blanc et saute sur ma bécane pour aller au travail. 
7h45 : Les sages-femmes n’ont pas l’air pressées et Christine, l’une des deux à faire les consultations aujourd’hui n’est pas encore en tenue. 
8h10 : On commence la première consultation et elle me propose déjà de prendre les choses en mains. Je lui avoue que j’aime bien observer pour la première afin de m’adapter à son mode de fonctionnement mais elle me force un peu la main et je dirige donc les événements. La première patiente est une « métro » (métropolitaine), infirmière, forcément. Je me présente et celle-ci me coupe tout de suite : elle est mal entendante et a oublié ses appareils auditifs donc il va falloir que je parle fort. Avec ma petite voix c’est une vraie difficulté ! 
Le reste des patientes s’enchaînent et avec Christine on s’échange les rôles à chaque fois : un coup elle fait la clinique et moi les papiers, un coup l’inverse. 
Elle prend en main les consultations en Taki Taki et réprimande une patiente qui n’a pas pris ses médicaments de toute la grossesse et qui consomme du Pemba : celle-ci se retrouve donc anémiée (manque de fer) et on va devoir lui faire une cure de Ferinject (qui coûte très cher à la sécurité sociale). Christine essaie de la responsabiliser mais je comprends vite que c’est perdu d’avance. Ici hormis les blanches, j’ai rarement vu des patientes qui avaient un travail. D’ailleurs elles ont toutes l’AME (Aide Médicale d’Etat, qui permet aux étrangers vivants depuis au moins 3 mois sur le territoire français d’avoir accès aux soins). J’en ai vu de rare avec la CMU et peut être une seule avec une mutuelle. Certaines n’ont même pas d’AME et viennent à l’hôpital sans aucun suivi en sachant qu’on les prendra en charge quoi qu’il arrive.
Au cours de la matinée on prend un peu de retard et Christine me presse un peu. Finalement on fini à 11h45 ; la dernière patiente n’est pas venue et à 12h je pars manger en salle de naissance. 
Arrivée dans le service les plateaux ne sont pas encore servis, j’attends, j’attends et j’ai peur de ne pas en voir la couleur. 
12h30 : les plateaux arrivent et j’ai un quart d’heure pour manger. Je parle avec la métropole et 12h45 je suis déjà devant la porte de consultation. 
J’attends la sage-femme et j’en profite pour écrire un peu sur mon téléphone en attendant. 
13h10 : Christine arrive et elle tente de rattraper son retard donc on se presse un peu. Moi ça me va par ce que ça veut dire que je ne finirais pas avec une heure de retard. On reçoit deux patientes ; je m’occupe de la première, Christine de la deuxième. 
14h30 : La patiente de 14h15 n’est pas là et on me libère quelques minutes après. Je rentre à la maison et me rue sur mon ordinateur pour rattraper mon retard de rédaction. 
16h : Je pars pour la piscine. J’ai encore de l’énergie à dépenser et préfère mettre tout ça dans quelque chose de productif. Le temps de me préparer et d’aller retirer  du liquide il est déjà 16h20 quand je me mets enfin à l’eau. 100 mètres d’échauffement et on passe aux choses sérieuses, les longueurs s’enchainent et dès le départ j’ai mal aux muscles à cause des séances des deux derniers jours. Je m’aperçois après quelques instants que Constance, Mathis et Noé sont à deux lignes de la mienne mais je reste concentrée, je n’ai pas envi de discuter. 
17h15 : Jeny me rejoint et comprend que je n’ai pas envi de m’étaler d’avantage. On nage et l’une et l’autre avons besoin de nous vider la tête. Je suis essoufflée, fatiguée et les longueurs commencent à se faire ressentir quand j’en arrive à un exercice de rapidité : 3 x 50 mètres crawl sprint avec une minute de pause, puis la même chose en mouvements de brasse. 
17h45 : On se fait virer de la piscine et je viens de finir les exercices que je m’étais fixée. D’abord contrariée de ne pas avoir réussi à finir la séance établie pour les niveaux “confirmés” je me rends compte qu’elle a été créée pour les hommes. J’en ai fait une sacrée partie et c’est déjà bien. 
Je rentre à la maison et m’écroule sur mon lit après avoir peiné à monter les escaliers. Une petite douche et un gros dodo. Ce soir je ne vaut pas très cher.

 

J 91 

 

6h45 : Mes yeux s’ouvrent avant que le réveil ne sonne. J’ai mal partout, je suis à peine réveillée et pourtant j’ai déjà envie de me défouler. Une rage dévorante me hante depuis plusieurs jours, et tout à sachant pourquoi elle est là je ne veux pas me permettre d’y penser. Aller, on réfléchi pas trop, on se bouge le cul, et c’est parti pour une journée de plus. 
7h44 : Je suis partie à la bourre et j’arrive pile à l’heure ! J’attends Asma, la sage-femme avec qui je vais tourner aujourd’hui et on commence les consultations. La journée démarre et avec elle les choses sont efficaces. Elle me laisse faire beaucoup de choses et je la ralenti certainement mais je fais mon taff et c’est déjà ça. Le feeling ne passe pas très bien mais après tout on est au travail et je ne suis pas forcée d’avoir des atomes crochus avec tout le monde. Je fais mon boulot, et j’essaie de bien le faire. Luciane, la deuxième sage-femme de consultation du jour met toujours 3 plombes avec les patientes et on en prend en plus pour compenser son retard.
Tout se passe bien jusqu’à ce qu’Asma me dise “Bon, je te dis les choses maintenant, au fur et à mesure mais faut pas que tu le prennes mal hein”. Ah. Bon, je m’attends au pire. “Ça me choque que tu sois habillée en civil”. Je lui explique qu’on ne m’a pas donné de tenues puisqu’il n’y en a même pas assez pour les sages-femmes et qu’on m’a dit pouvoir ne rien mettre. Visiblement elle n’est pas d’accord avec ça, et m’impose une vielle tenue trouvée en boule dans un placard. Un peu vexée puisque je n’y suis pour rien, je prends sur moi et attends que ça passe. Les vielles rengaine d’étudiante ça me connais, j’enfile la blouse sale et chiffonnée et affiche un sourire poli.
16h : La piscine est fermée aujourd’hui et comme je suis tout courbaturée, complètement à plat, mais que j’ai quand même envi de me dépenser Alex me propose une séance de Yoga. Ravie de passer du temps avec lui en liant l’utile à l’agréable, j’accepte. Finalement il vient à la maison et à force de discussion il doit déjà retourner au travail avant qu’on ai pu faire une séance. 

J’ai une peur bleue de m’engager et de m’ouvrir un peu plus et il commence à le ressentir. On met les choses au point et le ton monte, je me pensais détachée mais je sens les sanglots se mettre petit à petit en travers de ma gorge. Il s’est attaché, ça se voit. J’ai peur, ça se voit autant. Fasse à mes propos fermés il me propose de partir, j’accepte. Une fois sur le pas de la porte je vois qu’il hésite, il veut que je le retienne, mais je ne peux pas, je ne suis même pas sûre de ce que je peux lui offrir. Qu’il parte, je commence à avoir l’habitude, et il le fera forcément à un moment  donné sans aucune surprise. Avant de franchir le pas de la porte et de confirmer ce que je pensais déjà savoir il se ravise, fait demi tour et me prend dans ses bras.
18h30 : Il n’y a plus de réseau, et je croise les doigts pour que ça passe. La dernière fois ça a duré jusqu’au lendemain 11h, non seulement le réseau internet ne marche plus mais aussi celui du téléphone. Plus rien ne fonctionne, les TPE (paiements en cartes bleues), les distributeurs etc… On se retrouve vite en difficulté, et on devait aller boire un verre avec Aurélie ce soir. Je l’ai croisé dans un couloir en revenant de ma pause tout à l’heure et j’ai compris qu’elle avait besoin de vider son sac. J’attends un peu et si à 21h je n’ai toujours pas de nouvelles j’irais voir directement au Tipic s’ils y sont. 
20h30 : On frappe à la porte de ma chambre et je vois Andréa passer dans l’entrebâillement de la porte. Dans le temps on se débrouillait bien sans téléphone et si on voulait parler à quelqu’un on se déplaçait ! Je me lève, j’enfile mes chaussures et c’est parti pour un petit verre. 
Arrivés sur place, les gendarmes sont à la table d’à côté. Pablo vient nous dire bonjour et après avoir papoté quelques minutes on se dit que ça sera plus simple de coller les tables. On se regroupe, et on passe une très bonne soirée. Alex devait me rejoindre après le travail et il sait que je dois aller boire un verre avec la bande. Je guette son arrivée, et repousse même notre départ mais pas de signe de vie.
23h : De retour à la maison, je trouve mon casque de moto (celui d’Alex) posé sur mon lit. Il est forcément passé pendant mon absence ! Peut-être que s’il me l’a ramené ça veut dire que nos plans de ce soir tombent à l’eau. J’hésite, j’attends, et finis par me coucher, toujours sans nouvelles et sans réseau.

 

J 92 

 

7h45 : La journée commence et comme j’ai tourné avec toutes les sages-femmes différentes cette semaine je ne sais pas encore avec qui je vais tomber aujourd’hui. Je vois Luciane arriver en première et je me dis que lundi elle avait été gentille donc c’est parti. Peut-être que je changerais pour passer l’après midi avec Asma ? 

8h : Finalement elle est de mauvais poil aujourd’hui et je sens que je ne suis pas la bienvenue. Je crois comprendre qu’elle a des problèmes personnels (avocats, divorce ? Ça ne me regarde pas donc j’essaie de ne pas écouter les conversations sur les poignées de portes). Elle traine, on est très en retard et je commence à m’impatienter devant son manque de tact et de patience. Je bouillonne quand elle décide de passer un coup de téléphone. Je suis mise à la porte le temps qu’elle passe un appel personnel et qu’une patiente attend encore. L’heure de manger est largement passée et ça me gonfle, elle aurait au moins pu me proposer d’aller manger le temps de régler ses affaires. J’attends dans le couloir comme une courge quand Asma me demande ce que je fais. Un peu bébête je ne sais pas quoi répondre et elle me dit de demander la permission mais que je devrais pouvoir aller manger. J’hésite, et je tente. Je frappe à la porte et je veux faire simple : “Est ce que je peux … ?” Elle me coupe net pour me dire de ne pas parler. Bon. Je sors, et je continue à respirer pour ne pas m’énerver. La journée se termine avec une heure de retard et je rentre contrariée. 
16h30 : J’ai proposé mon aide pour une retranscription de SudMédical (mon ancien job étudiant) et je sens que je vais le regretter. Je le fais bénévolement, le coordinateur était en difficulté et je sais à quel point ça peut aider ce genre de coup de pouce. Sauf que la retranscription c’est chiant, je ne finis qu’à 20h passées. 
Ted et Mia, mes colocataires, sont là. Ils sortent ce soir et préparent un cocktail pour l’occasion, une caipiraïnha. J’ai la tête farcie et ils me proposent un verre que je refuse poliment : il me reste encore quelques minutes à retranscrire. 
Quelques instants plus tard, Mia pose un verre à côté de moi et me regarde l’air de dire “Aller, ça va te faire du bien”. J’accepte en souriant, et je me doute que si j’ai envi de vider mon sac je peux. Ils ont compris que quelque chose n’allait pas depuis quelques jours et m’offrent l’occasion de me confier. Je n’ose pas jusqu’à ce que Ted me demande simplement :

  • Ça fait combien de temps que tu es là toi ?
  • 3 mois.
  • Ahhh mais c’est pour ça !

Devant mon air interloqué il poursuit :

  • C’est le cap des trois mois. Tout le monde passe par là : c’est le moment où tu as fini de t’émerveiller de tout ce qui est nouveau et que ton chez-toi te manque. Mais ça va passer t’inquiète pas, c’est tout à fait normal. Puis tu verras, une fois rentrée t’auras qu’une seule envie c’est de repartir.

Sa confession me soulage et me faire rire. Il a tout comprit. On discute un peu et je leur parle un peu de ma vie. Ils me parlent de la leur. Ça me change les idées et ils me proposent de venir passer la soirée avec eux, ils vont chez des amis. J’accepte mais quand j’allais me remettre au boulot Jeny m’envoie un message. Elle n’a pas le moral et me demande d’aller au Tipic avec elle. Je n’en ai pas la moindre envie, mais les copines d’abord… 
21h : Elle passe me prendre et Charlie nous rejoint au Tipic, on parle et on passe une soirée tranquille, chacune dans une période pas forcément facile. Jeny remet pas mal sa vie en question, son quotidien d’ici, sa façon d’être, ses amours. On tente de la rassurer et de lui changer les idées, puis on rentre. Sagement.

 

J 93 

 

9h : 9h et je me lève déjà : il faut que je sois efficace ce matin. Je commence par aller faire des courses et ensuite je prépare mon sac : on part en carbet pour le week-end sur la route de Mana. Les filles passent me prendre et on file au marché pour manger, ensuite on décolle. Andréa, Kylian, Maélia, Agnès, Mathilde et Charline seront de la partie. On mange chinois au bord du Maroni et on part. Le carbet se trouve à “crique rouge” là où l’une des collocations sages-femmes se trouve. On cherche un peu et on fini par trouver le chemin au fond des bois. 10 minutes de marche, on arrive sur place et après avoir déposé nos sacs et s’être présentés on va voir la crique. C’est pas fameux. Le soleil n’est pas au rendez-vous et l’eau est toute marron. Pas franchement motivées pour aller se baigner on reste là et on discute avec une mère et sa fille qui sont présentes. C’est la famille du monsieur qui tient l’association du carbet en question et la petite, Joaline, âgée de 8 ans, n’a pas sa langue dans sa poche. Pour l’occasion j’ai acheté un paquet d’M&Ms et elle se sert sans demander. Je me dis qu’elle n’est pas timide et ça me fait rire, mais elle mange rapidement tout le paquet. Ça me fait moins rire.
Chacun installe son hamac et j’ai l’impression qu’on fait ça depuis toujours, chacune son bout de poutre, ses nœuds et sa moustiquaire. Après avoir monté le camp la soirée commence. Kylian s’occupe du barbecue, c’est toujours moi qui m’y colle et cette fois-ci je n’ai pas envi de proposer mon aide. Personne d’autre ne le fais mais ça n’a pas l’air de le déranger. On se goinfre et on joue au Jungle Speed, Andréa prend un fou-rire puis c’est mon tour. Ça fait longtemps que je n’avais pas ris comme ça et qu’est-ce que ça fait du bien !
3h : Extinction des feux. Alignés dans nos hamacs on s’endort paisiblement. Cette nuit ma serviette de bain me servira de couverture, je n’avais pas de place dans mon sac et à chaque fois je me dis que ça ira. Sans faute, le lendemain matin je me dis systématiquement que j’ai eu froid et que c’est sur, la prochaine fois je prendrais un sac de couchage !

 

J 94 

 

Dans la nuit j’ai froid et me réveille à plusieurs reprises. Rama, le chien de Mathilde nous réveille toutes les demi-heures en aboyant contre les bêtes qui doivent se trouver dans la forêt. Vers 9h30 tout le monde est réveillé et on va petit-déjeuner. On se fait un petit festin et comme tout le monde a peu dormi on s’autorise une sieste en fin de matinée. À notre émergence il ne fait pas beau, une averse fait rage et contrairement à d’habitude elle ne semble pas vouloir s’arrêter. La saison des pluies commence à pointer le bout de son nez et on n’est pas pressés. Aujourd’hui on devait passer la journée dans un autre carbet, celui de Mr Ly, pour profiter de l’eau mais à ce rythme ça risque d’être compliqué. En attendant on décide d’aller manger une soupe au marché de Javouhey et après avoir remballé on roule en direction de la ville. Alex nous rejoint sur place avec ma moto, on se remplie la panse et le retour se fait sous la pluie aussi, avec ce mauvais temps personne n’est motivé pour faire plus que ça et chacun rentre chez soi.

17h : Ce soir c’est Kamelott, câlins d’Alex, et je reste au calme.

 

J 95 

 

7h : Aujourd’hui on est lundi et je commence deux semaines d’un nouveau stage, toujours en consultations mais cette fois-ci du côté échographies/orthogénie/amniocentèses. 
J’arrive pour 7h45 et la personne chargée des consultations aujourd’hui n’est pas encore arrivée. J’attends sagement dans le couloir, assise avec les patientes, quand Magdaléna arrive. C’est l’une des sages-femmes que j’ai déjà rencontré et qui vient aussi de Montpellier. Je me souviens qu’elle est très gentille et je suis soulagée de commencer la semaine à ses côtés. Finalement elle me fait part d’une information intéressante : la première consultation n’est qu’à 8h30. Parfait, je profite de l’aubaine pour aller voir Mr Lewis, chargé des logements du Chog, dont je n’ai pas de nouvelles. 
Je me présente dans son bureau et il m’invite à entrer. Ils étaient justement entrain de faire une réunion et visiblement ils parlaient de moi. Mr Lewis me dit sur un air de reproche qu’il cherche à me joindre depuis la fin de la semaine dernière. Surprise et un peu gênée j’affirme n’avoir reçu aucun appel, aucun message ni aucun mail. “Ah oui, mais c’est par ce que j’ai perdu vos coordonnées.”. Ah, bah oui forcément c’est moins facile. Finalement mon “appartement” de l’internat est disponible depuis vendredi, donc je peux y emménager quand je veux. Je suis contente de la nouvelle et saute sur l’occasion : je passerais prendre les clés dans la journée et une fois le déménagement fait je lui ramènerais les clés de l’ancien appartement. Point info : il m’informe que finalement il manque aussi un frigo et un micro-ondes. Tiens, tiens. Je suis chargée de récupérer le micro-ondes du logement dans lequel je suis actuellement, puisque de toute façon Finn doit partir rapidement. Mr Lewis me confit aussi qu’il n’a pas de nouvelles de ce dernier. Devant ma proposition de lui transmettre son numéro mais il me répond “Ah non, non, c’est bon je l’ai, c’est juste que c’est lui qui a besoin de moi, pas l’inverse.” Bon… Drôles de façons de faire quand même. 
Parenthèse terminée je retourne dans le service de consultations et on s’affaire à enchainer les consultations d’échographies. Le matin ça n’est que des écho, et l’après-midi des avortements. 2 fois dans la semaine il y a un créneau pour les amniocentèses mais pour l’instant il n’y en a pas de prévu pour cette semaine. Les patientes ne semblent pas se présenter ce matin et Magdaléna me dit que c’est inhabituel. Elle me demande quels sont mes objectifs de stage et quel est mon niveau en échographie. Mon niveau ? Zéro. Je lui avoue que j’ai fais un stage de deux semaines pendant ma 4ème année mais que l’échographiste en question ne m’a presque jamais fais toucher la sonde. Elle rigole et me dis qu’elle était elle-même chez cette personne pendant ses études : on reprendra les choses tranquillement aujourd’hui. Les patientes ne viennent pas et sur sept personnes seulement deux se sont présentées quand on s’apprête à aller manger. Finalement l’une d’entre elle arrive en retard et on décide de la prendre quand même au vu du nombre de dames qu’on a vu ce matin. Le temps de finir la consultation une autre est arrivée et ainsi de suite. Finalement on fini la matinée avec 2 heures de retard et je file manger en profitant de l’absence d’une autre patiente. 
13h45 : En revenant personne n’est encore là. On attend, on attend, et finalement elle me laisse partir. Sur les 3 patientes prévues cette après midi aucune ne s’est présentée. Souvent en service d’orthogénie il y a plus d’absence. Les dames changent d’avis sur leurs avortements, où sont mineures et peu observantes. J’en profite pour rentrer en vitesse et emballer mes affaires. Je poste un message sur le groupe des copains en appelant à la mobilisation : Agnès se propose de faire l’aller-retour avec mes bagages. 
Une heure après je suis déjà prête, ce sont les déménagements les plus rapides qu’il puisse exister. Ma vie tient dans 3 sacs, forcément c’est facile. Je dépose mes affaires dans mon nouveau chez moi, je m’installe, je déballe, je dépose les clés à Mr Lewis, et cours au service informatique avant qu’il ne ferme pour avoir un code internet. Ensuite je sais que je devrais travailler mais j’ai besoin d’aller nager. Direction piscine municipale. 
17h30 : Je me mets à l’eau et commence à enchainer les longueurs. 3 de crawls pour 1 de brasse. Je nage un kilomètre et ça me va, je n’ai pas beaucoup d’énergie et ça m’a suffira pour aujourd’hui. 
En rentrant je m’installe dans les parties communes avec mon ordinateur et me penche sur mon mémoire. J’écris un peu et j’essaie de sympathiser avec les gens autours. Ici tout le monde est très ouvert et on peut parler facilement avec les autres. À Saint-Laurent tout le monde se connait et visiblement je suis déjà connue des lieux, pas besoin de faire les présentations. 
On me propose de manger : Ici chacun a un micro onde et un frigo dans sa chambre mais rien de plus, donc tout le monde cuisine et mange sous le carbet de la partie commune. Une grande cuisine est mise à notre disposition avec un four, des plaques de cuisson, un plan de travail, c’est parfait. Je refuse poliment, je n’ai pas très faim ce soir, mais j’aime beaucoup le principe. Ici tout le monde semble partager avec tout le monde et je note que d’après une règle tacite de l’internat “ce qui est sur la table appartient à tous”.

 

J 96 

 

7h30 : On commence à 8h et c’est grand luxe : je me suis levée il y a 20 minutes. 10 minutes pour me réveiller, 5 pour m’habiller et me laver les dents et 5 pour aller de chez moi au service. C’est royal ! Ce matin c’est Clara qui est là. Je l’ai déjà croisée au détour d’un couloir, elle m’avait parue gentille, et bienveillante. Ma première impression se confirme, elle a l’air d’avoir de la bouteille mais elle est très douce. Je me sens rapidement en confiance, avec elle la conversation est facile. Les consultations s’enchainent et entre les retards des patientes et le nôtre, on se retrouve avec 2 heures de retard une fois de plus. Certaines patientes arrivent en fin de grossesse sans le moindre suivi, la moindre consultation ni la moindre analyse sanguine. On perd un temps fou pour ne satisfaire que le minimum et pourtant on prend un retard de dingue. 
Ce midi pas de repas, la demi-heure de pause a déjà été largement mangée par notre matinée. Malgré tout ça Clara me fait faire des choses et ne compte pas les minutes perdues, je profite du temps qu’elle passe à rédiger les comptes-rendus pour m’exercer à cette science difficile. Ça parait enfantin pour ceux qui ont l’habitude, mais en réalité c’est très difficile. 
14h30 : Je demande à Clara si je peux partir. Officiellement c’est la fin de la journée et même si nos consultations ne sont pas terminées je dois rentrer travailler. Je suis en plein dans les rendus de mémoire et il me reste une bonne dose de travail. 
En rentrant je mange et quand je finis par me mettre enfin au travail il est déjà 16 heures passées. Ma tutrice de mémoire m’a demandé de reprendre la discussion (l’une des quatre parties de mon mémoire) et je dois lui rendre demain. Le problème c’est que je ne sais pas du tout comment m’y prendre et l’exercice en question est très compliqué. 
J’apprends pendant l’après midi que Florent, l’un des gendarmes s’est blessé à la boxe et qu’il s’est démit l’épaule. Les gendarmes sont en route pour les urgences et je me doute que je ne pourrais pas faire grand-chose mais je propose mon aide : apparemment ça ferait très plaisir à monsieur que je lui fasse un cheesecake. Ils ne perdent pas le nord ceux-là… J’en profite pour faire une pause et aller faire des courses. En revenant, comme je n’ai pas envi de me remettre au travail, je commence à me mettre à l'œuvre. Une fois que j’ai réduit les biscuits en miette à la main dans un torchon (on fait avec les moyens du bord quand on n’a pas de broyeur) je me rends compte que le souci va être plus difficile à surmonter pour la chantilly qu’il faut monter au fouet. Je m’apprête à baisser les bras quand les garçons de l’internat me proposent de l’aide. À mon avis ils ne sont pas fou non plus et ils en veulent une part ! Je mets tout ça de côté et je verrais plus tard, pour l’instant il faut que je me remette au boulot. 
Je bosse, je bosse et je me fais taquiner puisque tout le monde est là et que je galère avec mon mémoire depuis hier. Une fois la mise en page reprise et la bibliographie dans les normes je m’autorise à m’arrêter quand il est 22h30. Tout le monde est encore là et j’émerge de ma bulle. Je remets la main à la pâte et un anesthésiste, qui habite à l’internat monte la chantilly à ma place quand il me voit peiner avec mon pauvre petit fouet.
Première partie de la pâtisserie faite, je décide que ça suffit pour aujourd’hui et que je finirais tout ça demain. Mon gâteau repose au frigo et mon cerveau va se reposer aussi.

 

J 97 

 

8h30 : Ce matin le programme commence à 8h30 et quand j’arrive, pile à l’heure, je trouve Mélaine la sage-femme d’aujourd’hui qui a déjà commencé une consultation. Une patiente s’est présentée à 32 semaines de grossesses (8 mois) sans aucun suivi. Elle tente d’étoffer un peu son dossier et de voir ce qu’elle peut à l’échographie. Le problème c’est que quand le fœtus est trop gros, l’échographie est limitée, et il y a beaucoup de choses qui sont difficiles à observer, ou qu’on ne peut pas voir. Évidement la datation de la grossesse est incertaine et en plus on a le risque de passer à côté d’un faible poids ou d’un bébé trop gros pour son terme. Les deux situations peuvent poser problèmes mais dans ce genre de cas de figure on ne peut pas savoir et on croise les doigts pour que la nature fasse bien son travail. La patiente suivante est enceinte de jumeau, cette fois le rendez-vous consiste exactement en la même chose, sauf qu’on le fait deux fois. Pendant les grossesses gémellaires les mamans doivent faire des échos tous les mois, alors que pendant une grossesse normale, dite “monofœtale”, il n’y en a que 3. Pendant la consultation une patiente frappe à la porte, une fois, deux fois, et semble s’impatienter pendant les quelques secondes que je mets avant d’ouvrir la porte : c’est une dame qui est venue avec plus d’une heure et demie de retard hier, et qui, manque de temps, a été reportée à aujourd’hui. Cette fois-ci elle est en avance mais visiblement elle n’a pas envi d’attendre. Bien écoute ma cocotte on n’est pas à ta disposition donc tu vas attendre gentiment et t’estimer heureuse qu’on t’ai redonné un rendez-vous. Excédée par le comportement de certaines patientes je n’en montre rien et je referme poliment la porte. S’ensuit une autre patiente en retard et une fois de plus le repas me passe sous le nez. Cette fois-ci j’ai anticipé et j’ai amené des biscuits que je mange discrètement, vers midi, pendant que Mélaine fait son examen. 
Vers 13h, sans avoir fait de pause et toujours à la bourre, on enchaine avec les rendez-vous de l’après midi. Avant mon départ à 14h30 on s’occupe d’une patiente dont la grossesse est arrêtée : parfois, sans raison apparente les grossesses ne se développent pas et cessent d’évoluer. Malheureusement on doit faire en sorte que la grossesse s’évacue et pour ça on doit procéder à un protocole d’avortement. 
14h30 : Ma journée de stage se termine et j’ai une folle envi de pâtes carbonara. Ici il fait trop chaud et je n’ai mangé des pâtes que très rarement depuis que je suis arrivée. Ce midi je fais une exception à la règle et commence à me faire à manger quand je fais connaissance de Morgane, la copine de Cédric, l’un des gendarmes. Visiblement elle aussi me connait et voyant qu’elle vient aussi de finir son service je lui propose de faire à manger pour deux. Elle accepte et a l’air ravie, elle va même chercher du fromage râpé et du parmesan, pile ce qu’il manquait. Après ça je finis le cheesecake et je suis plutôt fière de moi, il attend patiemment dans le frigo et j’espère que personne ne s’amusera à le toucher en attendant qu’il rejoigne le cantonnement militaire. 
16h30 : Je me remets une fois de plus à travailler, sans aucune conviction ni aucune inspiration. J’ai beaucoup de mal mais je me force, pour finir à 22h15. Je mets un point final à mon mémoire et je ne suis pas satisfaite. Après tout je n’en sais rien, je suis peut-être complètement à côté de la plaque, et j’ai repris la discussion sans avoir la moindre idée de ce qu’il fallait faire. De toute façon c’est comme ça et je ne vois pas comment changer les choses, il faudra que je m’en contente. Un peu frustrée, je vais me coucher et j’espère que c'était la dernière modification technique que j’apportais à ce travail de plusieurs mois.

 

J 98 

 

8h : Aujourd’hui je tourne encore avec Mélaine et on prend vite du retard. Je vois qu’elle a du mal, qu’elle hésite parfois, qu’elle ne se fait pas confiance. Elle maudit les échographies du premier trimestre et a du mal à faire la différence entre ce qui est dans la limite du normal et du pathologique. Les rendez-vous s’enchainent et une fois n’est pas coutume la matinée déborde sur l’après midi. Pas le temps de faire de pause on enchaine sur les rendez-vous d’orthogénie pour lesquels on n’est déjà plus à l’heure. 
14h30 : Je m’échappe et le mot de la journée c’est efficacité : rangement de mon mini chez-moi, linge, vaisselle, je me renseigne aussi pour que mes grands-parents viennent potentiellement me voir d’ici quelque temps (avion, train, hôtel, déplacement, taxi…). Après tout ça je vais faire les courses et j’achète de quoi faire des coockies : Alex a joué son calimero en me disant que s’il ne se cassait pas un bras je ne lui en ferais jamais. Sortons les violons. Une fois rentrée je me penche à nouveau sur mon mémoire et à présent il ne me reste “plus” qu’à corriger l’orthographe et la syntaxe. Pour ça j’ai prévu, et j’ai mis sur le coup les deux meilleures alliées que j’ai : ma p’tite maman et ma p’tite mamie. Ensuite je me m’occupe un petit peu de l’organisation de mon prochain voyage, la Guadeloupe, et j’organise mon week-end. Cette fois on va aux îles du salut et ça promet d’être grandiose ! Je retravaille encore un peu et j’écris mon journal de bord qui a pris un sacré retard au milieu de tout ça. 
La vie à l’internat me plait et je travaille au milieu de tout le monde. Même si je ne parle pas j’ai l’impression de ne jamais être seule c’est agréable.
Dans la journée j’ai reçu un mail de ma maitre de mémoire : Victoire ! Elle est ravie de la dernière version.

 

J 99 

 

7h30 : Le réveil sonne, je m’active, je m’habille et je passe me remplir une tasse de café avant de traverser la rue qui donne sur l’hôpital. Ce matin la journée commence avec le Staff et après être passée chercher un haut de tenue je m’installe discrètement dans la salle de réunion en attendant que ça commence. Les chefs médecins, internes, sages-femmes, cadres, pédiatres sont là et Mme Laurent, une échographiste de diagnostic anténatal nous présente les cas de la semaine sur un diaporama. Les patientes sont plus jeunes les unes que les autres et elles refusent souvent les examens complémentaires. À l’échographie de nombreuses pathologies sont dépistées ou suspectées, cependant les croyances ici font que les familles décident bien souvent de mener les grossesses à terme quoi qu’il en coûte. Les communautés bushiningées croient beaucoup en la réincarnation, aussi, si un être ne doit vivre que quelques instants c’est qu’un ancêtre avait besoin de ces quelques minutes sur Terre. 
Ce matin Madame Laurent soulève un point intéressant : il y a beaucoup de suspicions d’infection par des maladies tropicales ce matin. Est-ce que ça ne serait pas une recrudescence d’épidémie ? On le saura avec le temps. 
Une fois le Staff terminé Clara et moi on se dirige vers le service de consultation pour enchainer les échographies et les rendez-vous d’orthogénie. 
14h30 : Je pars de l’hôpital et me dépêche par ce que ça va être la course. J’ai promis aux garçons de leurs faire des coockies pour ce week-end et je n’avais pas de papier cuisson hier soir. Alex m’en a déposé à l’internat dans la matinée et je m’active pour les faire en vitesse avant qu’ils ne passent me chercher. J’adore pâtisser et aujourd’hui je tente une nouvelle recette, j’essaie de faire des coockies énormes : c’est un échec cuisant, la pâte coule partout dans le four. Je réussis à rattraper les choses un minimum et finalement ce n’est pas si terrible. Sauf que c’est déjà l’heure de partir, et qu’ils n’ont pas eu le temps de refroidir, les garçons sont déjà là.
Véritable échec culinaire ils deviennent vite de la charpie. De honte, je veux les jeter mais tout le monde proteste. J’en laisse une partie aux filles de l’internat pour leur soirée de ce soir et j’emballe le reste. Je prends mon sac et c’est parti : le week-end peut commencer. 
Une voiture 7 places m’attend devant les urgences. J’embrasse mon amoureux, dis bonjour à Florent -qui a l’épaule en écharpe- à Vincent et à Armand, deux loustics que je n’avais pas encore rencontrés. On passe chercher Mathilde et on file à Kourou. Le week-end promet d’être parfait. Une fois la route et les coockies engloutis (apparemment vraiment bons même en miettes), on arrive au carbet dans lequel on va passer le week-end. C’est paradisiaque. L’odeur me parait familière mais je ne réussis pas à mettre le doigt sur la chose à laquelle ça me fait penser. On fait un rapide tour avec le propriétaire des lieux et on laisse nos sacs avant de repartir en ville. On dépose Florent qui dort chez les gendarmes (à cause de son épaule il ne pourra pas dormir dans un hamac) et on va faire deux trois courses. L’avantage c’est qu’avec les gendarmes on n'a pas grand choses à prévoir pour ce genre de week-end : la nourriture est prévue pour eux au cantonnement donc ils l’emmènent simplement, et Pat (le barman de chez eux) prévoit les cocktails et les bières qu’on lui paie ensuite. On passe reprendre Florent et on file au “mille pattes” un restaurant qui fait de la nourriture à emporter. Je choisis un hamburger au roquefort et les garçons commandent de quoi nourrir un régiment. Retour au carbet on mange comme si on avait faim et on boit une bière en restant responsables : demain une grosse journée nous attend et il faut qu’on soit debout pour 5h45. Une petite douche, installation du camp et au dodo. Chacun accroche son petit nid et Alex boude. Je ne lui ai pas laissé le temps de lui faire croire que j’avais besoin de lui et en quelques secondes mes nœuds accrochent déjà mon hamac de façon fiable. On se retrouve dans les douches et même si personne n’est dupe c’est marrant de jouer aux adolescents. Après un petit câlin du soir dans un seul hamac je finis par le quitter pour aller m’endormir dans le mien pour le reste de la nuit. Les poutres sont très éloignées cette fois-ci et je dois presque sauter pour grimper dedans, c’est assez drôle mais j’espère ne pas tomber demain matin.

 

J 100 

 

5h30 : Après une nuit agitée je suis déjà réveillée quand le réveil sonne à 5h45. Je me suis réveillée toutes les demi-heures et je suis fatiguée. J’enfile mon maillot de bain et… Petit problème technique, mon fermoir s’est cassé : Alex à la rescousse, il bricole quelque chose pour que ça tienne avec de la corde à hamac, je dois pas avoir l’air maligne mais ça n’est pas le but. On plie le camp rapidement et à 6h30 tapantes, une fois que tout est rangé dans la voiture, on part chercher Florent et le petit déjeuner. On cherche une boulangerie et comme je l’avais dit rien n’est ouvert. Je me permets un “j’ai toujours raison” et on se rabat sur un Chinois pour prévoir les sandwichs du midi. 
7h30 : On arrive pile à l’heure pour le rendez-vous et c’est parti : on monte sur le catamaran qui nous emmène sur les îles. La traversée dure une bonne heure et demie et l’air marin me fait du bien. Tout ça me rappelle des souvenirs, je suis comme à la maison. Je m’affale sur le filet du cata et profite du soleil matinal. Mathilde se met à ma gauche et bouquine. Comme le ciel est couvert, on croise tous les doigts pour que ça se découvre et que la météo ne nous joue pas des tours. La mer commence à devenir houleuse et on se fait éclabousser, un peu, beaucoup, énormément. Trempées on capitule et on remonte sur la coque du bateau. Arrivés sur place le bateau fait le tour de l'île et le capitaine nous conte l’Histoire des lieux. Il y a 3 îles : Ile Saint-Joseph, Ile Royale et l’Ile du Diable sur laquelle était exilé Dreyfus. Ces îles étaient habitées par des bagnards et le taux de mortalité a été jusqu’à atteindre les 46 %. Ici les autorités étaient tranquilles, par ce que même s’ils tentaient de s’échapper les bagnards n’avaient aucune chance, les requins arpentaient les environs et même s’ils réussissaient à y échapper les courants les ramèneraient sur les rives. Dreyfus, seul pour son île n’était pas si solitaire : 14 gardes rien que pour lui, qui n’avaient pas le droit de lui adresser ne fusse qu’une parole. 
Une fois le tour fini, le catamaran fait une première halte sur l’île royale. Il est 9h et le tour à pied fait 1h30 environ. On commence par se prendre une bonne pluie et après s’être abrités une dizaine de minutes les torrents tropicaux se sont déjà calmés pour faire place à un éclairci. Ici l’eau n’est pas marron, pas turquoise non plus mais c’est agréable de voir quelque chose de bleu. À peine le pied à terre on a la chance de voir deux iguanes sur un rocher, bon c’est pas magnifique mais les tortues qu’on voit juste après c’est pas mal du tout ! Il y en a partout, elles font une halte à la surface pendant quelques secondes et disparaissant dans la profondeur des eaux. On traine puis on s’arrête au musée de l’île. Juste en sortant Alex me dit “Thaïs, lève les yeux”. Chose faite, je les écarquille : des singes ! Je dégaine mes cacahuètes prévues pour l’occasion et un petit capucin s’approche déjà de moi. J’ai un énorme sourire sur le visage, je retombe en enfance. Cette petite bouille d’homme n’est pas farouche et vient chercher la cacahuète directement dans ma main avant de repartir aussi sec. Il sait ce qui l’intéresse. Une flopée de singe se joint à lui et on est vite entourés de petits et de plus gros. Je vis un rêve d’enfant et Alex le sait, il me mitraille de photo. Je joue une bonne demi-heure avec eux et je ne m’en lasse pas. Les autres si, malheureusement, et on doit déjà repartir. Un peu triste on me dit qu’on en verra plein d’autres et qu’il faut garder des munitions. 
9h45 : On reprend le chemin et le soleil tape, on grimpe en haut de l’ile et la vue est imprenable. On rencontre un paon qui fait la roue, puis les femelles, avant de voir les prisons des bagnards. La route continue tout en rencontrant des singes à plusieurs reprises. Armand et moi on ne s’en rassasie pas. On croise des plus petits aussi, les Saïmiris. On traine et les autres avancent. Une fois le tour fait il est déjà 13h et je rejoins les autres qui ont commencé à manger. Je n’ai pas faim. Je mange un œuf dur et prépare un sandwich que je mangerais plus tard. 
13h15 : Le catamaran est là et nous emmène sur l’île Saint-Joseph. Arrivés sur place on nous laisse le choix pour arriver à quai : le zodiac ou la nage. La décision est vite prise. Hop en maillot, et hop à la flotte ! Je saute de l’avant du bateau et j’ai l’impression de revivre l’été de mes 13 ans (traversée Hyères - Corse en voilier). On fait le tour de l’île, celle-ci est plus petite. Un cimetière, des gravures sur les roches, des cocotiers, les rives de roche. Une fois de plus on s’émerveille et il est déjà l’heure de rentrer. Je m’endors paisiblement sur les genoux d’Alex sur le catamaran du retour, on est tous un peu Ko. 
Une fois sur Kourou on dépose Flo, on passe acheter du charbon pour ce soir, et après avoir récupéré le loulou on file au carbet. Après la douche on s’affaire au barbecue et je commence à me sentir toute drôle. Je m’éloigne un peu et je pense que j’ai pris un coup de chaud, une fois le petit malaise passé je réussis à rejoindre les autres et ils comprennent vite que ça ne va pas. J’ai chaud, j’ai froid, j’ai mal au ventre, à la tête, j’ai la nausée : et une insolation, une ! J’avais pourtant fait attention. La tempête est passée et la soirée suit son cours. Franck, un copain des garçons nous rejoint avec sa chérie. Il l’a rencontrée ici, elle travaille dans la station spatiale de Kourou (le point de lancement des fusées françaises). On papote et cette fois-ci aussi on reste tranquilles. 
1h : On est déjà couchés mais Vincent n’est pas de cet avis : il emporte une bouteille de planteur, des bières et il va faire amis-amis avec le groupe d’à côté. Je le vois revenir titubant à 5h du matin et je rigole. Cette nuit j’ai froid, et ma serviette est mouillée, elle ne me réchauffera pas.

 

J 101 

 

8h : Cette fois-ci j’ai mieux dormi malgré le froid. On se lève assez tôt puisque le carbet doit être rendu à 9h. On paie (30 € par tête pour deux nuits) et on part chercher Florent pour aller déjeuner. Les garçons nous parlent du brunch d’un hôtel depuis deux jours et on en a déjà l’eau à la bouche quand on apprend, en arrivant, qu’il n’y en aura pas ce matin. Déçus, on réussit à trouver un autre hôtel et les garçons mangent comme s’ils n’avaient pas été nourris depuis plusieurs jours. On rentre et sur la route on aperçoit un serpent. Le conducteur fait demi-tour : Armand veut absolument la tête pour pouvoir la faire mettre en résine. On s’assure que la bête est bien morte et le serpent Corail (mortel) est soigneusement enfermé dans un sac à double tour. 

Une fois rentrée pas de repos pour moi : je dois apporter les dernières corrections à mon mémoire avant de l’envoyer à l’impression. La dead line approche et je dois me dépêcher. Syntaxe, orthographe les deux corrections ne sont pas de trop, j’en fais moi-même une de plus après tout ça. Je mets un point final avant de l’envoyer et appuie sur “envoie”. Mon cœur s’envole. Ça y est. Enfin. Une belle étape franchie. Je me sens toute légère. 

20h : Dimanche c’est le traditionnel Madras du dimanche soir. En plus, le premier épisode de Games Of Throne sort et tout le monde l’attend. Pourtant c’est un échec, avec le décalage horaire on ne l’aura pas pour ce soir. 

 

J 102 

 

7h : Réveillée à 7h je commence à 7h30 par une amniocentèse. 
7h45 : La patiente n’est toujours pas là. Deux médecins et une sage-femme sont mobilisés à une heure matinale et elle n’est pas là. Leur manque de considération à tendance à m’agacer. C’est un manque de respect. Elle fini par arriver et l’examen commence en retard. C’est un examen de seconde intention qui est faite lorsqu’il y a des notions d’appels échographiques (des images anormales, qui font penser à une trisomie par exemple). Il vise à introduire une aiguille dans la poche amniotique du bébé à travers le ventre afin de prélever du liquide. Une fois le geste terminé on enchaine avec les consultations et aujourd’hui c’est Clara qui m’encadrera une fois de plus. Elle m’informe que les filles de la première semaine ont enfin rempli mon carnet de stage après plusieurs relances de ma part. Je jette un œil et je suis contrariée par ce que j’y trouve écrit : elles y dépeignent le portrait d’une étudiante qui manque d’entrain et qui doit faire attention à sa tenue (je n’y suis pour rien si on ne m’a pas accordé de blouse quand même !). La frustrée en instance de divorce s’est lâchée et je trouve ça mesquin. Au détour d’un couloir elle me dit même “si tu veux parler de ton appréciation t’hésites pas hein, tu viens nous trouver”. Oui, oui, compte là-dessus. Tu m’excuseras de ne pas parler couramment Taki Taki ça faisait pas partie de mes objectifs de stage. Bref, la matinée continue et on commence par une patiente qui est en avance. Puis une qui est en retard. Le dossier d’une des patientes que l’on voit m’interloque : la petite dame qui se tient devant moi a 23 ans, et quand je me penche sur ses antécédents je peux déjà compter 5 accouchements, un sixième va bientôt avoir lieu visiblement puisqu’elle est enceinte jusqu’aux yeux. Son premier enfant est né quand elle avait 10 ans. Je n’en reviens pas. Après ça une autre patiente au dossier atypique arrive : 5 grossesses, 6 bébés : eh oui, ce sont des jumeaux cette fois-ci. 
12h45 : Je mange en 10 minutes et à mon retour on commence une consultation avec une patiente de 16 ans qui souhaite interrompre sa grossesse. Les 3 autres patientes de l’après midi ne daignent pas se présenter et Clara et moi on discute un bon moment en attendant. Elle fini par me libérer après avoir rempli l’appréciation de mon carnet pour la semaine dernière. Beaucoup plus gentille l’appréciation n’est pas du tout péjorative et je repars un peu apaisée, j’avais peur qu’elle se laisse influencer par la première. 
Une fois rentrée à la maison j’appelle Sophie qui veut me parler de quelque chose d’important. Elle veut acheter un appartement et aimerait avoir mon avis. Je suis flattée d’avoir encore ma place dans ses prises de décisions importantes, même un tout petit peu. On discute et je lui fais se rendre compte que sa décision est déjà prise. Ensuite j’appelle Mika, un copain et ancien collègue de SudMédical qui fait des études de pharmacien. Après tout ça je trie les milliers de photos des derniers évènements et j’y passe un bon moment. 

21h : J’écris et à 21h on se fait un ciné à l’internat : Un grand écran marche dans les parties communes et on met tous les fauteuils et canapés devant. On lance le premier épisode de Games Of Throne et l’ambiance est unique : tous entassés les uns sur les autres, à se passer des sucreries des hamacs aux canapés et des canapés aux fauteuils. Tout le monde se tait, captivé. Moi je suis lovée contre Alex.
Une fois couchée j’apprends le scoop du jour : l’un des gendarmes de la bande qui s’amusent plutôt bien et ne se refuse aucune fille depuis qui est arrivé est en fait marié et va être papa. C’est du propre.
On ne peut vraiment avoir confiance en personne, j’ai de la peine pour les filles avec lesquelles il n’a pas été honnête (et que je connais bien sur) et trouve ça mesquin de sa part, mais après tout il est adulte. Si c’est ça la vie de grande personne…

 

J 103 

 

7h45 : Clara m’encadre aujourd’hui, on commence par un premier rendez-vous à l’heure. Une métropolitaine qui a fait une fausse couche et qui doit venir s’assurer qu’elle n’a pas fait de rétention. Suite à une hémorragie quelques jours avant, on avait dû lui donner des médicaments pour faciliter l’expulsion de l’embryon et stopper les saignements. Pour ça on doit faire une échographie endo-vaginale. Comme son nom l’indique l’instrument doit rentrer par en bas et je fais rapidement signe à Clara. Elle comprend mon signe de tête et prend les choses en main. Cet examen je sais le faire, mais je connais la patiente et serais amenée à la recroiser plusieurs fois, par respect pour son intimité je m’efface et me met de telle sorte à ne rien voir de ce qu’elle n’aurait pas envi de me montrer. Clara semble ne rien me reprocher et j’apprécie : certaine sages-femmes n’auraient pas compris et m’auraient dit que le côté professionnel prime. Sauf que pour moi c’est le côté humain qui soit surplomber le reste. Ensuite on attend une demi-heure les retardataires et là tout s’enchaine. Les rendez-vous se multiplient et on ne s’arrête pas avant 12h45. Dans les consultations de ce matin l’une des patientes s’est présentée sans son carnet de grossesse et nous met en difficulté : on essaie de faire le point sur ses antécédents afin de pouvoir orienter notre examen mais celle-ci reste évasive. Devant notre insistance elle fini par répondre agacée : 

  • Oui, bah j’ai 2 enfants.
  • Donc c’est la 3ème grossesse ?
  • Non.
  • Du coup vous avez été enceinte combien de fois ?
  • Je sais pas. 13.

Ah. On lui demande si elle a fait des fausses couches ou des avortements. Elle répond de façon évasive et une fois de plus on insiste. “Oui bah, une fausse couche et puis des IVG” Ah. “Bah comptez du coup, je sais plus, 9 IVG. Voilà.”. 
Voilà. Abasourdie par son manque de discernement on passe outre et je sens que Clara s’impatiente. La consultation se termine, beaucoup plus longue qu’elle n’aurait dû l’être, la patiente n’a pas de couverture sociale, n’a pas ses papiers sur elle, est arrivée en retard et vient de décider de faire suivre sa grossesse donc on est dans le flou total et on doit tenter de dater la grossesse avancée de plusieurs mois. 
13h15 : Personne n’est encore arrivé quand je suis de retour mais rapidement les patientes débarquent. Sur 5 programmées on en voit 3 : 2 mineures et une grossesse arrêtée. J’aime ce genre de consultation, ça peut paraitre bizarre vu de l’extérieur mais ce sont des moments très enrichissants sur le plan humain. Je me sens personnellement concernée et j’aime beaucoup conseiller, accompagner, prévenir et soutenir les femmes dans un moment difficile de leur vie. Parce que oui, l’avortement fait aussi partie de mon métier, j’estime que je dois accompagner les femmes et leurs grossesses sous toutes leurs formes. 
14h30 : Je rentre à l’internant et j’écris, j’écris, j’écris. Je corrige. Je passe le reste de l’après midi dans les parties communes à être là, sans l’être. Entourée mais seule à la fois.

 

J 104 

 

8h : Ce matin le créneau d'amniocentèse n’est pas utilisé et les consultations ne commencent qu’à 8h30. Je me présente à l’heure et Magdaléna a déjà commencé une consultation. Je me fais discrète et me joins à elle. Ensuite on attend un peu et entre les patientes à la bourre et les patientes sans le moindre suivi on prend du retard. Les consultations s’enchainent et notre manière de fonctionner est rodée : elle fait le point sur le dossier pendant que j’installe la patiente, allongée, dans le noir, protection mise en place je commence l’examen et lui décrit les données principales. Présentation (tête en bas ?), position du placenta (pas trop bas par rapport au col ?), position du dos, quantité de liquide amniotique, Doppler (indice de flux sanguin dans le cordon), et quelques biométries (mesures fœtales). Quand je trouve le sexe je le garde pour moi et j’attends toujours qu’elle confirme, je ne voudrais pas provoquer une fausse joie. D’ailleurs j’y réfléchis souvent et me suis toujours dis que le jour où je serais concernée je ne voudrais pas savoir à l’avance. Ensuite elle reprend la main, et elle fait l’examen pendant que je regarde assise derrière. Le temps qu’elle fasse le compte rendu je joue encore avec l’échographe et nettoie la table une fois qu’elle commence à imprimer les résultats. 
12h45 : On vient de finir le programme de la matinée avec 3/4 d’heure de retard, comme d’habitude et la première patiente de l’après midi n’est pas encore là. Je vais manger en vitesse et reviens une petite demi-heure après. On mène à bout une consultation mais les 3 autres dames ne viennent pas. 
14h20 : Je suis libérée et je me dépêche pour être prête quand les garçons arriveront. On part pour Cayenne dans la foulée. Constance et les gendarmes ont loué une villa de rêve et j’y suis invitée. Alex et Simon passent me prendre en voiture et on rejoint les autres qui sont déjà là-bas depuis hier. 

3h de voiture. Je suis vite barbouillée, la première partie de la route tourne beaucoup je dois me concentrer pour ne pas vomir. Dès que je peux je m’endors et espère que le chemin passera vite. On passe par Iracoubo, la ville frontière où se font les contrôles d’identités. Enfin ça c’est quand on n’est pas avec les gendarmes puisqu’en leur présence la simple présentation de l’une de leur carte fait passer tout le carrosse sans le moindre contrôle. 
17h30 : Arrivés à destination je descends de la voiture un peu groggy mais je me réveille instantanément en entrant dans la maison. J’arrive sur la terrasse et crois rêver. Je suis dans la villa la plus belle que je n’ai jamais vu, piscine de rêve avec cascade, 12 garçons trempés mieux bâtis les uns que les autres et l’apéro déjà posé sur la table. Après seulement quelques secondes je finis à l’eau toute habillée et c’était plus que prévisible. Ma salopette en jean est lourde imbibée d’eau, je peine à remonter. Une fois au sec on trinque tous et la soirée commence. La maison compte 5 chambres dont une suite avec un dressing indécent et une salle de bain avec Jacuzzi, une cuisine américaine qui rendrait jalouse n’importe quel(le) bon(ne) cuisinier(ière), des carbets pour hamacs et un salon immense avec salle à manger. Une fois séchée je vais me changer et je me fais jolie, ici je me maquille rarement et j’apprécie de faire un effort de temps en temps. La soirée suit joyeusement son cours en s’accompagnant de grillade et de baignade. 
3h : On se couche pour la plupart, les survivants survivent, moi je suis fatiguée et je m’endors rapidement après une bonne douche.

 

J 105 

 

8h30 : Je me réveille un peu “fatiguée” de la veille et mets le nez dehors. Le soleil lui s’est déjà levé depuis un moment, et il est bien réveillé. Les loustics se réveillent et tout le monde est un peu dans le pâté. On prend un petit déjeuner au soleil et après un café et un saut dans la piscine les humeurs semblent meilleures. Je me cache à l’ombre du parasol et profite du moment présent. Les garçons jouent dans la piscine comme des enfants et Constance partage mon transat fuyant elle aussi les brulures. Au moins je ne suis pas la seule, elle est aussi blanche que moi. Alban joue du Ukulélé à côté de nous et le moment est idyllique. On laisse passer deux heures avant de se mettre au rangement. Chacun se met à l'œuvre et je suis surprise de voir qu’ils sont très autonomes, ce sont de grands enfants mais c’est agréable de voir qu’ils n’attendent pas que les femmes se mettent à la vaisselle et eux au barbecue. Constance me confie même qu’elle n’a pas levé le petit doigt depuis deux jours et qu’elle a été traitée en vraie princesse. 
12h : On entame la route du retour et on s’arrête au Mac do en passant. C’est le premier que je fais depuis 3 mois et demi et j’apprécie ! L’une des choses qui me manquent de la métropole… Les tacos, sushis, baggles, fast-food, ça n’existe pas à Saint-Laurent et si on aime pas les Madras et le chinois on tourne vite en rond. Je dors sur la route et fais même une sieste en rentrant. J’allais très bien, jusqu’à ce qu’une migraine commence à faire rage. Ça m’est arrivé à deux reprises déjà et je vois la chose venir exactement comme les dernières fois. La douleur ne passe pas sous anti-inflammatoires et je commence à avoir envi de vomir à cause d’elle. Je suis prostrée, dans le noir, sans pouvoir parler jusqu’à ce que je me fasse violence : dans un éclair de génie je me souviens avoir mis de côté des perfusions dans une de mes valises. Je supplie Alex d’attraper le matériel, il m’aide à rejoindre les parties communes, pose tout sur la table et je n’ai que l’embarras du choix. Ici il y a 5 infirmières au mètre carré et pas moins qui sont prêtes à me perfuser. Ils comprennent rapidement et quelques minutes après je suis cathéterisée, une poche de Glucose 10 % passe et on me propose de m’allonger dans le hamac en attendant que ça aille mieux. Situation plutôt atypique, pour parfaire le tableau la poche est accrochée au mousqueton du hamac. Alex part chercher Madras pour tout le monde en attendant et quand il revient je suis sur mes deux pieds, comme s’il ne s’était rien passé. Ça a été radical et tout le monde me dit que j’ai changé de tête en un quart d’heure. Pour me perfuser ils ont choisi la seule étudiante, et la pauvre ils lui ont mis la pression ! Je la félicite, elle a fait ça très bien, je n’ai même pas d’hématome. 
22h30 : Une fois le repas engloutis je file me coucher, et m’endors sans aucune difficulté.

 

J 106 

 

7h15 : Le réveil sonne et pendant que je m’habille tranquillement j’ai un flash : ce matin il y a le staff et ça commence à 7h30. Je saute dans mon pantalon, j’embarque des biscuits, manque d’avaler ma brosse à dent et je cours vers l’hôpital. 
7h30 tapantes j’ouvre la porte de la salle de réunion et j’ai à nouveau une illumination : le staff ça commence pas à 7h30 mais à 8h. Amusée de ma bêtise je rebrousse chemin et je vais déjeuner tranquillement en attendant. 
8h : J’ai mal au ventre mais je me fais violence je vais en direction du Staff. 
8h30 : Les consultations commencent et je suis barbouillée, j’ai mal à la tête, j’ai mal au ventre. J’en informe Clara et elle me dit que je peux partir si j’ai besoin. Je me force à rester et ça finit par passer au bout d’une ou deux heures. 
15h15 : On s’arrête seulement. Je devais aller à la piscine mais c’est fermé et c’est pas plus mal. Je rentre me reposer, peut être qu’un peu de sommeil chassera ce que je couve. 
17h : Je vais en ville pour trouver une batterie pour la moto et Alex m’accompagne. S’il faut la pousser pour la démarrer je ne pourrais pas le faire. Il a vu un garage à la sortie de la ville et on s’y dirige. Une fois là-bas je descends et m’adresse à l’un des hommes présents. Je lui demande s’il sait où on pourrait trouver une batterie pour mon deux roues (puisqu’eux ne font que les voitures), celui-ci se retourne vers Alex sans la moindre gène et lui répond sans même un regard pour moi. Je ris ouvertement et Alex devine ma réaction, il évite mon regard pour ne pas s’esclaffer et je pars en disant tout fort “tu crois que c’est par ce que j’ai pas de pénis ?”. On repart en riant, mais à moitié quand même, je pense que je m’y connais plus que lui dans ce domaine mais comme c’est un monsieur… On va chez le chinois indiqué et celui-ci n’a pas la batterie en question. La seule solution c’est d’aller à Albina. Bon, on passe par Super U faire des courses et je passe la soirée tranquillement à l’internat. Chacun cuisine pour tout le monde et Mathilde une sage-femme partage ses patates douces avec moi. Moi je fais cuire une bruschetta et je la mets au centre de la table découpée en morceaux pour que tout le monde se serve. 
23h : Il est temps de dormir, et je ne me fais pas prier pour ça.

 

J 107 

 

Aujourd’hui je n’ai rien de prévu et j’en profite : je me réveille tard et me lève encore plus tard. 
11h30 : Je pointe mon nez dehors et je me fais un petit déjeuner de champion : œufs brouillés, jambons crus, pain au chocolat, et chocolat chaud. J’ai le bidon bien rempli quand je regagne mon bungalow. Je traine au lit et regarde un film avant d’émerger pour écrire. Je m’installe dans les parties communes et je commence à taper frénétiquement mon clavier pour vous y dépeindre ma vie de tous les jours. J’ai aussi pris ma guitare que je n’ai pas pu gratter depuis un moment. J’en profite et les accords reviennent vite. 
18h30 : Il est temps que je commence à me préparer pour la soirée de ce soir. Musique en place je file sous la douche, petit robe et je me maquille. Maélia passe me prendre à 19h45 et on file au Tipic. Arrivée sur place Jahed, Qaïs, Fares et Arnaud sont là. On se joint à eux et on commence un verre. Rapidement Charline, Maélia, et Marion nous rejoignent accompagnées de Mireille, une nouvelle. La Caïpirainha ne pardonne pas et la soirée est bien partie quand les garçons décident de partir manger à la charbonnière. Notre verre n’est pas fini et on n’est pas pressées donc on décide de rester et de commander au chinois juste à côté. Ensuite on les rejoindra chez eux une fois servies. Les commandes arrivent et on fini puis on décolle. Arrivées sur place les garçons ne sont pas là. On les croise sur le chemin du retour : finalement ils ont mangé sur place. Je sens que Marion -qui sort avec Qaïs- commence à s’agacer, on décide d’aller manger chez elle et Charline. On met de la musique, on papote, on joue avec Patch le chien, qu’on appelle aussi Parbo, PV19, Poubelle, et j’en passe (c’est l’année des P !). Andréa a amené un cocktail plus que corsé et elle commence à montrer des signes de fatigue. On en rigole et vers 1h du matin on se dit qu’il est temps d’aller à la soirée de la goélette, c’est pour ça qu’on est de sortie à la base. Sur place, la musique n’est pas la même que d’habitude et ça rappelle vraiment la métropole. Ça fait du bien ! Mes copains me manquent et même si je suis bien entourée c’est pas pareil. Andréa n’est pas bien, je m’occupe d’elle et la tiens pour qu’elle ne tombe pas. On l’assoit, je vais lui chercher un verre d’eau. Finalement elle vomit par dessus la balustrade du restaurant bateau… Maélia et moi, en bonnes copines, on rigole discrètement. J’appelle Kylian pour qu’il vienne la chercher mais il ne répond pas. Une fois, deux fois, j’appelle un taxi. Je l’amène au bout du chemin et un garçon (je devine que c’est un gendarme) attend lui aussi le taxi de Baris. Je suis plus sereine que de la laisser prendre la route seule et lui demande de faire attention à elle. Une fois montée dans le taxi je rejoins les autres et la soirée continue. Les gendarmes paient leur tournée et m’offrent une bière. Ensuite c’est le tour de Jahed. Je me mêle à la foule et les autres dansent. La musique a changé et ça devient lourd pour ceux qui n’ont pas bu à outrance ou qui n’ont pas pris de substances illégales. 
2h30 : Je décide de rentrer, et en sortant Alex est sur mes talons. Je vois deux internes entrains d’acheter de la coke entre deux camionnettes. Je m’approche et leurs fais signe : “partez, dégagez maintenant. Il y a tout l’escadron de la gendarmerie qui est présent ce soir, vous êtes vraiment pas malins. Alex arrive.” “Ah oui, merci t’as raison”. Ils ne sont pas très clairs et sont déjà tout transpirants, avec les yeux qui partent un peu dans tous les sens. Ici la drogue est plus facile d’accès, la cocaïne est parait-il plus “pure” et moins chère. Sans parler du THC ; plus que courant, il est fumé comme des cigarettes, les gens ici ne se cachent même pas quand ils en consomment. 
2h45 : Je suis sagement dans mon lit, et après quelques secondes je me suis déjà abandonnée au sommeil.

 

J 108 

 

10h30, 11h, 11h30 : Il est temps que je me lève. J’ai invité les copains pour un brunch aujourd’hui. Ça sera l’occasion de leur montrer mon nouveau chez moi et de fêter Pâques “en famille”. Je sors tout ce qu’il faut et mets la main à la pâte : je libère une grande table, branche mon enceinte et commence à préparer des pancakes. Chacun arrive au compte-goutte et une heure après Mathilde, Andréa, Kylian, Maélia, Charline, Alex puis Marion sont autour de la table. Les internes émergent aussi petit à petit et tout le monde discute. 
15h30 : La petite bande décide d’aller se baigner dans une crique. Moi je fais mon ours, je n’ai pas envi et je préfère rester au calme. 
16h30 : Bien au frais dans mon bungalow, confortablement installée dans mon lit je regarde un film et les bras de Morphée m’enveloppent rapidement. 
19h30 : Je me réveille à peine et ce soir rien d’extraordinaire au programme. Je fais des pâtes à la sauce Alfredo (ail - parmesan) qui font saliver tout le monde puis regarde un reportage sur le GIGN : Alban, l’un des loustics a passé les tests l’an dernier (soldés par un échec malheureusement) et apparait dans le reportage. Une bonne partie de leur bande essaie cette année : Alex, Florent, Armand, Alban, et mon dieux, quand on sait ce qui les attends, ça fait peur.
23h : Je m’endors dans un sommeil agité, je fais presque chaque nuit des cauchemars ces temps-ci. Cette fois, je rêve d’une sœur jumelle élevée dans le grenier de ma maison, la jambe amputée dans un sac-poubelle, accroché à elle. Je pense que l’analyse de mes rêves intéresserait bien des psychologues.

 

J 109 

 

11h30 : Après un gros dodo je me fais violence pour me lever. J’attends des nouvelles de filles par ce qu’on doit aller à Albina aujourd’hui. Ma moto fait des siennes ces derniers jours : pour la démarrer il faut la pousser, sauf que toute seule je n’en ai pas la force. Il faut que j’achète une batterie mais il n’y en a que là-bas. En attendant je m’occupe de la Guadeloupe. On part bientôt et il faut qu’on s’occupe des derniers logements. Les billets d’avions, la voiture, et les premiers logements sont réservés. Le voyage commence à prendre forme et je viens de réaliser qu’on part dans une semaine. Tout ça signe la fin de mon voyage en Guyane. Une semaine de consultation, 2 semaines de vacances, puis mon dernier stage de trois semaines dans le service des suites de couche et me voilà de retour ! Ça ne va pas être de tout repos et les dernières nouvelles ne sont pas très bonnes. Ma tutrice de mémoire de l’école refuse d’assister aux soutenances de ses tutorées “au vu du climat actuel à l’école”. J’avais pourtant mis mon examen fin juin pour qu’elle puisse être présente. Se surajoute à ça nos date d’examens qui ne nous ont pas encore été communiqués alors que les convocations ont été envoyées à l’école en février 2018, il y a plus d’un an… La révolution fait rage, et l’école nous le fait payer. D’ailleurs je ne saurais pas si j’ai mon diplôme avant le fameux jour de la remise des diplômes : exprès pour que nos familles ne puissent pas venir de loin. En plus notre cérémonie a été annulée par l’école. Rien d’officiel ne se fera cette année. Tant pis on fera une fête entre nous mais c’est plutôt fatiguant toute cette histoire. 
Après la Guadeloupe je me repenche sur les détails d’impressions du mémoire, dernières retouches j’espère… Puis commence à organiser une présentation orale que je dois faire à mon retour sur un cas clinique. J’ai décidé de choisir l’éclampsie à laquelle j’ai assisté chez ma patiente mi-février. On doit choisir “une situation marquante”, je pense qu’on est bien dans le thème. Je gratte un peu la guitare et j’écris quelques heures. 
21h30 : Je me suis préparé à manger et après quelques difficultés de branchement on fini par s’installer pour ce qui semble être la nouvelle tradition du lundi soir : épisode de Games Of Thrones au cinéma version internat. On s’installe tous dans le noir et tout le monde se tait. Une fois l’épisode terminé et les spéculations de tout le monde atténuées je rejoins mon petit lit. 
23h30 : Je ferme les yeux et me laisse aller à un sommeil agité une fois de plus.

 

J 110 

 

7h20 : J’ouvre les yeux avant que le réveil ne me tire des profondeurs du sommeil. Je profite de l’aubaine pour trainer au lit et quand, cette fois-ci, il sonne, je n’ai toujours pas bougé d’un pouce. Ce matin je ne sais pas trop à quoi m’attendre puisque je commence une semaine de consultations avec différents médecins de l’unité mère-enfant. Je ne sais même pas pour quelle heure on m’attend alors je vais miser sur 8h30 et on verra bien. 
Je mange une tartine, engloutis un café et me dirige vers l’hôpital. Je passe prendre ma blouse froissée et file vers le service d’Hospitalisation De Jour qui m’est inconnu. Une dame se propose de me renseigner et je ne mets pas longtemps à trouver la personne avec qui je suis ce matin. Celle-ci a l’air surprise, on ne l’avait pas informée de ma visite et elle revient de vacances donc elle ne consulte pas ce matin. Elle me fait aussi part du fait qu’elle est enceinte et que ce matin elle ne se sent pas bien. Message reçu, je la laisse tranquille et je rentre à la maison. Je pourrais aller consulter en échographie mais je ne manquerais à personne et ça n’est pas une matinée qui fera la différence. J’en profite pour rentrer et me rendre utile : vaisselle, lessive, ménage, rangement, écriture. Je prends des nouvelles de la métropole et dès que je peux je gratte un peu. Cet après-midi je pourrais me consacrer à la préparation du cas clinique que je dois présenter à l’oral en rentrant lors de l’une des épreuves de mon diplôme. 
13h : J’attends le Dr Silvan pour une après midi de consultations, elle arrive au bout d’un bon quart d’heure et les bavardages commencent. On m’avait prévenue et je l’avais déjà croisée une ou deux fois dans les couloirs mais effectivement elle parle beaucoup. C’est une vielle dame, 70 ans passés, mariée à son métier et un véritable puits de savoir. Elle a passé son enfance en Tunisie et a vécu bonne partie de sa vie au Niger et au Sénégal où elle s’est battue, petit bout de femme qu’elle est, pour soigner des femmes sans le moindre moyen. Elle me raconte déjà des histoires plus rocambolesques les unes que les autres et je me noie dans ses contes. Je bois ses paroles et elle adore ça, elle me parle de l’Afrique, des coutumes, des femmes, des césariennes qu’elle a faites au milieu de nulle part.
Heureusement le premier rendez-vous ne commence qu’à 14h30 et lui laisse le temps de parler un peu. 
14h30 : La dame arrive et elle consulte pour dispareunies (douleurs lors des rapports sexuels). On fait une échographie, un examen sous spéculum et on explique à la patiente les diagnostics possibles. Dans tout ce qu’on lui dit, la chose à retenir c’est qu’il n’y a rien à faire et je trouve ça frustrant. La vie d’une femme et son bien être passe aussi par un épanouissement physique, hors la médecine d’aujourd’hui n’y accorde que très peu d’importance. La consultation s’achève et on parle à nouveau. La patiente suivante semble ne pas se présenter et je m’en vais vers 15h15. Plutôt courte comme journée.
Une fois rentrée je joue un peu de guitare et file chez l’esthéticienne. La moto ne démarre toujours pas mais la pente qui descend vers les urgences me permet de la démarrer sans avoir à la pousser. Seconde vitesse passée, elle rugit une fois arrivée en bas et je souffle : à peu de chose près je n’y arrivais pas. Elle cale devant le salon d’esthétique et heureusement j’avais prévu le coup : Alex sera dans les parages pour la redémarrer. Après un échec on réussit à lancer la machine et on cale sur la route. On la pousse jusqu’à la station essence pour faire le plein et le Mr nous informe d’un endroit où l’on vend des batteries de moto. On décide de s’y diriger et voilà Alex entrain de courir sous la pluie pour démarrer la moto, moi qui tente de le suivre et qui saute sur l’engin avant qu’il ne nous fasse faux bond ! 
On croise les doigts et… Victoire ! Il vend les bonnes batteries. On ne peut pas la changer sur place mais j’en aurais une neuve d’ici peu. Je paie et on rentre à l’internat, trempés. 
Ce soir Clément, un interne du Chog, fait sa soirée de départ. Je mets une petite robe, me fais jolie et rejoins les autres pour fêter ça. L’ambiance est à la fête et j’arrive à parler facilement avec les filles de l’internat. On sympathise un peu plus et on rigole bien, en mangeant tout ce qui passe sur la table. 
23h : Je travaille demain et je n’ai pas envi d’être fatiguée, je dis au revoir à tout le monde et rejoins ma chambre à deux pas des parties communes.

J 111 

 

9h : Je suis devant la salle de consultation du Dr Silvan et j’attends un bon quart d’heure avant qu’elle n’arrive. On a déjà 15 minutes de retard sur l’emploie du temps et elle m’annonce qu’elle doit opérer ce matin, bousculant de cette façon tout le programme de la matinée. En attendant l’appel du bloc on essaie de faire le plus de consultations possible. Les autres dames devront attendre son retour. Pendant qu’on s’installe Adrien appelle sur le téléphone du docteur, demandant à me voir dans son bureau. Mon cœur s’emballe, j’ai l’impression d’être convoqué chez la directrice sans savoir pourquoi.
Après 2 consultations, comme prévu, elle est appelée pour monter au bloc opératoire et moi je vais voir Adrien. Celui-ci voulait simplement mon planning puisque Naziha (la cadre des consultations) est en congés. Une fois chose faite il me dit de retourner dans le service et de terminer la matinée avec le Dr Khon. 
11h30 : Un peu déçue de ne pas avoir été libérée je me rends comme convenu devant le bureau du Dr Khon qui m’accueille avec gentillesse. Il est lui aussi l’un des ancêtres de l’hôpital et a reçu bon nombre de récompenses dans son domaine (comme la légion d’honneur). Les consultations s’enchainent, je me fais petite et je suis surprise de constater que toutes les patientes sont venues. Et à l’heure en plus. Il faut s’appeler “Docteur” pour avoir le droit à ce genre de privilège visiblement. Avant de partir il me laisse poser un implant à l’une de ses patientes (méthode de contraception infiltrée à l’intérieur du bras). C’est plutôt facile, désinfection, anesthésie sous-dermique, insertion du dispositif, compression. La patiente me félicite, elle n’a pas du tout eu mal. Ravie de l’entendre je rentre manger chez moi avant d’enchainer avec les consultations d’orthogénie. Je reviens une demi-heure plus tard et la journée continue avec des consultations qui me sont plus familières. 
15h15 : Visiblement les dernières patientes ne sont pas venues et je suis déjà libre. 
Une fois rentrée, pour ne rien changer, je m’occupe de mon mémoire. Cette fois-ci c’est la dernière. Après avoir apporté les dernière modifications, changé les dernières marges, les derniers détails. J’appuie sur “envoyer” et c’est parti pour la version finale de mon mémoire qui sera imprimée demain en 3 exemplaires. 
20h30 : Demain c’est l’anniversaire d’Alex et pour fêter ça on va au restaurant ce soir. On essaie quelque chose de nouveau et c’est plutôt par mal. Ça ne paie pas de mine mais le restaurant en question propose burger ou ribs maisons avec de la viande locale. Les deux sont un régal et on repart repus.

 

J 112 

 

8h40 : Ce matin aussi je commence à 9h et je suis devant la salle à 9h pétantes. Une patiente est déjà là et je m’assois à ses côtés en attendant le Dr Medine avec qui je suis ce matin. J’attends, j’attends, j’attends, et après 3/4 d’heure d’attente je me demande s’il y a un problème. Je tente de me renseigner mais la secrétaire n’a pas l’air sûre d’elle. Je monte à l’étage pour m’assurer qu’elle ne consulte pas directement dans un autre service et je la croise au téléphone dans un couloir. Elle croise mon regard et elle sait que je suis là pour elle. Je comprends vite qu’elle passe un appel personnel et j’attends un peu à l’écart. Après plusieurs minutes je la vois monter dans un ascenseur pour descendre sans même se retourner. Croyant sérieusement à une blague je vais voir la cadre d’aujourd’hui pour savoir où je dois attendre. Elle me confirme que j’attends au bon endroit depuis le début et qu’il faut que j’y retourne. Me voilà donc assise exactement sur le même siège pendant plusieurs dizaines de minutes supplémentaires. Je me lève pour voir s’il ne serait pas plus intelligent de ma part d’aller avec les sages-femmes et quand je me retourne, je vois le Dr Medine en question rentrer dans son bureau avec 1h30 de retard, accompagnée d’une patiente. Je frappe à sa porte et lui rappelle que je dois assister à ses consultations ce matin. Elle acquiesce et me fait entrer. 
Le thème de la matinée c’est VIH. Des patientes atteintes, enceintes ou pas, viennent consulter pour faire le point notamment sur le dépistage du cancer de col de l’utérus qui est plus fréquent chez elles. Je fais les frottis et plusieurs consultations s’enchainent. 
11h40 : La patiente suivante devrait arriver d’une minute à l’autre mais le Dr  Medine décide de partir à nouveau sans trop prévenir. Je patiente dans son bureau. 
11h55 : Toujours pas de retour, je décide de lui laisser un mot et de partir manger, cet après midi je consulte avec d’autres médecins et si elle est en retard dans ses consultations à cause de raisons personnelles ça n’est pas ma faute. 
11h58 : Elle revient et je patiente une bonne dizaine de minutes de plus quelle finisse sa conversation avec l’une secrétaire pour pouvoir lui dire, sac déjà sur l’épaule, que je m’en vais. Elle accepte et je pars, excédée de son manque de respect. Je pense qu’on ne peut pas demander aux patientes d’arriver à l’heure si nous même ne le sommes pas pour de bonnes raisons (comme des rendez-vous qui s’éternisent). Les dames de ce matin on attendu 1h30 en voyant leur médecin au téléphone dans le couloir d’à côté, c’est inacceptable. 
Je rentre à la maison et file faire deux trois courses. J’ai du pain sur la planche puisque j’ai prévu d’offrir à Alex son gâteau préféré pour aujourd’hui (un Tiramisu) et j’ai promis aux filles de faire un Kouign-amann pour leur crémaillère de demain. Une fois les courses faites, je passe récupérer un batteur chez Charline et Marion et rentre à l’internat avant de filer en vitesse à l’hôpital. 
13h : Les rendez-vous du Dr Selim devaient commencer à 12h30 et il n’est pas encore là. J’attends un quart d’heure de plus avant qu’il n’arrive. On mène deux consultations de diabétologie et il me dit que son programme est déjà terminé. Bon. Je vais attendre le Dr Aziz comme convenu pour terminer la journée. Lui aussi arrive avec un bon retard d’une demi-heure. C’est pas croyable ! 3 docteurs, 1 points commun : aucun ne s’est excusé ni auprès des patientes ni auprès de moi. On fait deux consultations et l’une d’elle concerne une patiente de 70 ans. La vielle dame peine à se déplacer et je l’aide pour la faire monter sur la table d’examen. On doit lui poser un spéculum et tout en le faisant le docteur m’explique qu’il faut y aller doucement chez le patientes âgées puisque cet examen peut être douloureux pour elle. En le disant, sans un regard pour la patiente, sans prévenir, sans gel sur son instrument, il introduit le spéculum et vient de faire l’inverse de ce qu’il tentait de m’apprendre (et que je savais déjà). 
15h15 : Je l’informe qu’il est l’heure pour moi et que ma journée de consultation est terminée. Je rentre à la maison et met la main à la pâte sans attendre. Chose faite le Tiramisu repose tranquillement dans le frigo en attendant d’être dégusté. Moi je pique du nez et vais faire une petite sieste, ensuite c’est promis je me remets au travail. Avant de m’autoriser à fermer les yeux j’écris les derniers lignes de mon journal de bord que j’ai enfin réussis à mettre à jour. 
16h30 : Je m’abandonne au sommeil et…
20h : Oups. Bon aller, je me lève et je me mets au travail. Il me reste pas mal de boulot concernant mes examens de fin d’année et les dates de la bataille finale sont tombées aujourd’hui. Rattrapages le 14, épreuve clinique le 20 et présentation orale d’un cas clinique le 24. Sans oublier la soutenance. Une chose à la fois, pour l’instant je vais m’occuper de la présentation orale : je dois présenter à une assemblée le cas d’une patiente que j’ai rencontrée lors de mon stage et qui m’a marquée. Je n’ai que l’embarras du choix et pourtant ma décision a été prise sans aucune hésitation. Je vais plancher sur la situation clinique qui m’a le plus marqué ici : l’éclampsie. J’en ai d’ailleurs parlé avec Dr Khon hier qui me disait qu’en une année le nombre d’éclampsies déclarées à Saint-Laurent-du-Maroni était égal à celui de la France entière pour le même laps de temps. J’ai eu la chance, plutôt le malheur d’y assister et je vais m’en servir pour quelque chose de constructif. 
Ce soir je mange un plat tout fait acheté entre midi et deux et je vais me coucher tôt. Assez préoccupée par tout ça je m’endors tardivement après avoir tourné dans tous les sens.

 

J 113

 

8h15 : Le réveil sonne et ce matin je prends mon temps. C’est mon dernier jour avant les vacances pourtant j’ai plein de choses en tête. J’espère pouvoir déconnecter un bon coup une fois partie. 

9h : Je me présente aux infirmières d’éducation thérapeutique des patients. Ce sont des infirmières spécialisées dans l’apprentissage et l’accompagnement des patients dans leur maladie, ici, le diabète. Safia et Mara sont très gentilles mais pas vraiment pressées, la matinée n’est pas passionnante et on se balade dans les services en voyant différentes patientes. Pas de chance, pas une ne parle français aujourd’hui et je ne fais donc qu’écouter dans mon coin. 

12h : Je rentre manger à l’internat et après avoir englouti un plat de l’hôpital je fais une petite pause Harry Potter avant de repartir. Sophie m’appelle pour prendre des nouvelles et on papote de tout et de rien. Ça me fait plaisir de la retrouver, sa présence me manquait et je pense que le temps a fait son travail, l’amitié est restée et on tient encore beaucoup l’une à l’autre. 

13h : Je repars en consultations et cette fois-ci je rejoins Clara en orthogénie puisque les infirmières ne travaillent pas le vendredi après-midi. Je demande à l’intéressée si je peux me greffer à ses consultations et elle accepte sans aucun problème. Je lui fais savoir qu’il faudrait qu’elle signe mon carnet de la semaine une fois de plus puisque c’est avec elle que ma semaine s’achève mais comme elle ne m’a vu qu’une demi-journée cette-fois, elle refuse. Le problème va se poser avec tout le monde puisque j’ai vu tous les médecins chacun une demi-journée cette semaine. Je laisse donc un mot dans mon carnet non rempli que je dépose sur le bureau de la cadre pour qu’elle le retrouve lors de son retour de congés. Elle fera bien comme elle veut. 

14h30 : Après deux consultations de contrôle de vacuité (pour s’assurer que l’utérus est bien vide à l’aide de l’échographie), notre après midi est déjà fini et je rentre chez moi. 

Je me mets à l'œuvre à peine rentrée, pour préparer un Kouign-amann cette fois. Spécialité bretonne, pas moins difficile à faire, la recette n’est faite quasiment que de beurre, de sucre et de farine. J’expérimente puisque c’est la première fois que j’en fais un, on verra bien. Je pétris la pâte, je laisse reposer, j’enduis de beurre, de sucre et je recommence. La tâche me prend plus de deux heures et le résultat a l’air pas mal du tout. 

17h30 : Il est temps de faire mes bagages et malgré ça je ne réalise toujours pas. Je suis en vacances ! Maintenant il va falloir que j’essaie de décrocher des examens, des révisions, du stress et des stages, ça n’est pas chose facile. Ma valise est prête et j’ai hâte de partir. Demain matin je pars pour un week-end à Cayenne et lundi je m’envole direction Pointe-à-Pitre avec Maélia et Aurélie, nous retrouverons là-bas 3 de leurs amis belges : Eléonore, Flavian et Xander. 

Une fois mes affaires préparées je file sous la douche et prépare mes affaires pour la soirée. Ce soir c’est la crémaillère de Charline et Marion mais c’est aussi les 23 ans de Marion. Le thème c’est “Soirée du style, ou pas” avec des habits d’Albina (ville frontière Suriname-France). Je serais donc en pangi vert à carreaux avec des chaussettes à doigts de pied multicolores et des tongs. Magnifique si vous saviez ! 

20h30 : J’embarque mon sac, je monte sur ma moto et je vous donne des nouvelles au plus vite. La fin de mon périple approche à grand pas, vous me manquez.

 

 

J 114 

 

9h : J'ouvre les yeux, reposée, et les vacances commencent. Alex passe me prendre et c'est parti pour un week-end en amoureux. La voiture avale les kilomètres rapidement et on se retrouve dans la capitale en un rien de temps à force de discussions. Je ne suis même pas malade cette fois-ci et il est déjà l'heure de manger. 
13h : On décide de manger en ville avant de rejoindre le Rb&b que j'ai réservé et on jette notre dévolu sur un Japonais. On s'installe dans la salle et je vais aux toilettes en attendant de commander. En revenant petite surprise : je vois un cafard de la largeur de ma main qui traverse tranquillement la pièce de la salle à manger. Un peu répugnée je me résigne, la Guyane et ses aléas n'ont pas fini de nous faire chanter. 
15h : On convient d'un rendez-vous avec une amie de la propriétaire et on se retrouve à l'adresse indiquée. Pour ce week-end j'ai réservé une petite villa très charmante, avec terrasse et piscine histoire de lézarder au soleil et de profiter du début des vacances en douceur. 
Sur place, après avoir fait le tour du propriétaire, je demande où se trouve la piscine. "Ah... Il doit y avoir un malentendu ils ont enlevé la piscine il y a quelque temps". Un peu mise de travers je souris poliment, après tout ce n'est pas de sa faute et je règlerais ça avec les personnes concernées. 
On décide de se bouger un peu et après s'être installés on va faire une petite randonnée qui s'appelle Rorota, mais aussi "la balade des paresseux". Je n'en ai pas encore vu et c'est l'endroit où on est sûr d'en voir ! Claquettes aux pieds, on se dit que ça ira puisque c'est une balade et que ça a l'air tout plat. Erreur. Arrivés sur place le sentier qui donne sur la randonnée est difficilement praticable même en basket. On rigole, on glisse, on court quand il y a des fourmis puis on fini par arriver sur quelque chose de plus stable. 
Après avoir marché une bonne heure pas de paresseux. Le nez au ciel, on scrute les arbres favoris de ces derniers mais rien à faire, ils ne veulent pas se montrer. Le point de vue est tout de même très joli et au milieu de toute cette faune on a même la chance d'admirer un colibri, tout près, à portée de main. Le vert de l'amazone et le bruit des animaux bercés par le soleil sont tout ce qu'il y a d'agréable et je pourrais presque m'habituer à tout ça. Un peu déçus de ne pas avoir atteint notre objectif on part faire des courses dans une grande surface et Ô joie ! Une grande surface, une vraie. Avec plein de choix et... Un centre commercial, des magasins ! Ça change de mon quotidien. On rempli un petit cadi pour le petit déjeuner, on s'est fait plaisir. Les courses nous ont pris une bonne heure rien que pour demain matin mais on rit comme des enfants à chaque rayon, fatigués l'un de l'autre. 
De retour dans notre petit cocon sans piscine, après avoir pris une bonne douche on repart en ville pour aller chasser le repas de ce soir : Madras. Alex me vend ceux de la place des palmistes (l'une des places phrases de la ville), depuis un bon moment. On achète tout ça pour quelques euros et on rentre déguster devant un bon film. On a jeté notre dévolu sur "A star is born" et le film nous captive jusqu'à la fin. 
23h : Estomac plus que remplis, j'en ai même mal au ventre, on s'endort repus et bienheureux.

 

J 115 

 

8h00 : Je me réveille et un mal de crâne abominable me scie le crâne. Après avoir tenté de me rendormir j'échoue et me résigne à me lever. La douleur me déclenche une nausée fatale, je cours aux toilettes et mon estomac tente de vider quelque chose qu'il n'a pas... Je n'ai plus d'anti-douleurs et évidement on est dimanche. 
9h30 : Manger me fera peut-être du bien et je me fais violence pour me mettre à table pour le petit déjeuner. Alex est aux petits soins et des œufs brouillés sont rapidement servis dans mon assiette. Après avoir picoré deux trois bouts, je capitule. Je vais me recoucher. En boule dans le grand lit, je m'endors péniblement, la tête entre deux oreillers, privée de lumière et de sons. 
11h30 : J'ouvre timidement les yeux et ça a l'air d'aller mieux. Je ne me réjouis pas trop vite et je m'hydrate le plus possible pour faire fuir la douleur sans médicaments. Je finis par me remettre à table et mange sans retenu le festin qui s'offre à moi. Pain, charcuterie, fromage, fruits, fromage frais, viennoiseries, le mal est passé et j'en profite à pleine bouche. 
13h : L'heure de la balade digestive est arrivée et on charge un sac à dos pour partir à l'aventure. On rejoint la plage de Bourda à 300 mètres du logement et on longe la rive les pieds dans l'eau. Alex veille au grain et je bois, je bois, je bois. La balade dure un peu et on fait demi-tour, un peu inquiets du soleil qui tape sans relâche. Sur la route on rencontre un pécheur et juste au moment de notre arrivée une touche tire la canne. On s'arrête curieux, après quelques instants une raie se débat et sort de l'eau. Il la laisse repartir, il cherche de l'acoupa et n'a pas d'intérêt à la garder. Ravis du spectacle notre balade continue. On monte dans la voiture et décide de continuer notre tour en allant voir un fort dans la ville de Cayenne. Chose faite, une jolie vu s'offre à nous et on fini la journée par un cocktail à l'hôtel Mercure au bord de la piscine. Ce soir on a décidé de manger au restaurant, mais un dimanche ça parait compliqué. L'hôtel Mercure semble nous tendre les bras, on jette notre dévolu sur sa cuisine raffinée et une table est réservée pour 19h30. 
17h : De retour à la maison, une bonne douche, une petite robe, un peu de maquillage et de repos et c'est déjà reparti après quelques épisodes de la série Kamelott. Alex rit comme un enfant devant un dessin-animé et j'adore ça. 
19h30 : Arrivés pile à l'heure on entre dans la salle du restaurant, la température est glaciale. On demande à être en terrasse et la réponse est négative : les portes coulissantes ne marchent plus. Tant pis. Je m'installe grelotante et croise les doigts pour m'habituer au choc thermique. Le serveur vient prendre notre commande et s'adresse à moi de façon désagréable. Il est ouvertement impoli et je sens qu'Alex n'a pas apprécié qu'on me manque de respect. Il lui répond sèchement et le diner commence malgré tout dans la bonne humeur. Le vin est bon, le repas est succulent et nos estomacs sont vite pleins. On ne prend pas de dessert et on rentre en roulant. 
22h30 : Mon lit une place depuis 4 mois commence à être un peu étroit et oppressant ; le lit deux places est grandement apprécié et épuisés, le sommeil ne se fait pas prier pour venir nous bercer.

 

J 116

 

9h30 : Je me réveille, cette fois-ci pas de mal de tête ! Je me dis qu'il ne faut pas trop trainer puisqu'un avion m'attend, et que justement il ne m'attendra pas si j'arrive en retard à l'aéroport. L'épisode de Paris en Janvier m'a vaccinée et je vérifie 3 fois l'itinéraire avant de sortir du lit. 

Une fois de plus le petit déjeuner est royal et j'en profite pleinement. Pour accompagner un moment parfait on met l'épisode de Games Of Thrones et on commence à le regarder pendant que je le télécharge pour regarder la fin dans l'avion. 

11h : On décolle, un pincement au cœur, de notre petit cocon pour prendre la route vers l'aéroport. 

11h30 : Après une petite demi-heure de route Alex m'accompagne pour rejoindre les filles et je retrouve Maélia assise sur la terrasse d'un café dans l'aéroport. Aurélie qui part avec nous est en train d'enregistrer son bagage en soute puisqu'elle est la seule à en avoir un. Elle nous rejoint accompagnée de ses parents. On fait les présentations, Aurélie ressemble à sa mère comme deux gouttes d'eau. Je comprends vite d'où vient son grain de folie et quand vient le moment de nous quitter il est temps pour Aurélie de dire au revoir à sa petite maman. Tout à coup elle me fait penser à la mienne, des larmes plein les yeux et un sourire aux lèvres elle laisse partir son bébé en me disant que c'est dur mais que ça vaut le coup puisqu'elle voit à quel point sa fille est heureuse. Avec un sourire rassurant je lui dis que les parents sont tous les mêmes et que c'est bien normal de ressentir tout ça, mais qu'elle est entre de bonne main. Je dis au revoir à Alex un peu à l'écart et on se quitte en sachant qu'on se retrouve dans 10 petits jours. 

Les adieux terminés, on s'éloigne toutes les trois, bras dessus bras dessous, valises et sac à dos en place, pour voler vers des terres inconnues. 

12h : L'avion à un peu de retard, on attend sagement. On compare nos billets et on peut constater qu'on sera aux 3 opposés de l’avion.

 

J 128 

 

10h : Il est temps de se lever, je suis encore à l'heure Guadeloupéenne (9h) mais ça devrait revenir vite. Aujourd'hui j'ai pas mal de chose à faire. Je range d'abord un peu, puis je range ma valise, lance une lessive, me penche sur mes cours et l'emploie du temps que je vais me fixer jusqu'aux examens qui arrivent à grand pas. Je vais faire quelques courses et la matinée est déjà passée. 
12h45 : Je rattrape mon retard et je regarde le dernier épisode de Games Of Thrones dans mon lit, enfin seule. Après ça je télécharge un peu de musique, j'étends le linge et je règle deux trois petites choses comme mon billet de train pour le retour. Je rentrerais beaucoup plus chargée qu'à l'allée puisqu'Alex prendra le train Paris - Montpellier avec moi. Lui bossera ses tests du GIGN et moi mes examens de fin d'année. 
Aujourd'hui il travaille toute la journée et on va devoir se contenter de 3 petites soirées avant son départ pour la métropole. Il me rejoint en fin de journée et à peine arrivé il doit déjà repartir, appelé en urgence par le travail : deux hommes ont été interpellés et sont en garde à vue à la gendarmerie, leur clan n'est pas d'accord et un groupe d'une vingtaine de personnes d'ici s'est réunit devant le commissariat pour mettre le quartier à feu et à sang. Un peu déçue je me résous à attendre, chacun son métier, aussi prenant soit-il. 
Je penche pour un film et m'endors sans plus attendre.

 

J 129 

 

Je me lève et commence par un petit déjeuner devant mes cours. Je commence une période pas très drôle durant laquelle je vais alterner entre garde et révisions. Je reste travailler un peu dans les parties commune et en fin de matinée il fait déjà trop chaud pour rester dehors. Je rejoins le frais de ma petite chambre et travaille encore et encore. La journée n'est pas passionnante, et les jours prochains promettent de ne pas l'être non plus. 
Alex devait manger avec moi ce midi et pour changer m'a demandé de lui faire des pâtes carbonara. Pâtes carbo faites, on apprend que l'alerte est maintenue et qu'il ne me rejoindra qu'en fin d'après midi. Je prends mon mal en patience et continu à travailler. 
16h : Monsieur débarque et décide qu'il est temps d'aller prendre l'air. Pantalons enfilés, Bombers, gants et c'est parti pour un petit tour à moto. Il m'emmène au cœur de la Guyane dont il sait que je suis amoureuse et j'en prends plein la vue. Je scrute le vert des arbres à la recherche des paresseux. On s'enfonce dans les villages les plus reculés, la moto laisse des traces dans la terre orange et je m'amuse à le voir faire coucou à tous les enfants qu'il croise. Chacun d'eux répond à son geste de main avec un grand sourire et je me prends au jeu. J'essaie, et ça marche ! J'ai le droit aux sourires et aux coucous moi aussi. On s'arrête une première fois au bord du fleuve, admirant la vue et je le questionne sur son retour. C'était certainement la dernière fois qu'il venait ici, est ce que ça va lui manquer ? Peut-être, mais il y en encore tellement de choses à voir ailleurs. On reprend la route et on croise le chemin d'un serpent corail. Il est mortel et celui-là est bien vivant, traversant la route, paisiblement. On a failli rouler dessus. On s'en approche, pas trop quand même, et on repart. On se laisse aller dans les bidons villes et le travail à la chaine que j'y vois est mystique. Je suis captivée par une dizaine d'enfants, alignés, déchargeant des sacs de sable d'une barque amarrée au fleuve à la force de leurs bras. 
Le chemin du retour est entamé et on tombe sur un petit village isolé, les enfants jouent dehors sans se soucier de la technologie, ils jouent entre enfants et les plus petits sont nus. J'accroche le regard de la plus petite d'entre eux et elle coure après la moto, irradiée d'un sourire percutant elle court en riant. J'ai du mal à laisser partir cette image et je la garde jusqu'à ce qu'elle soit trop loin de moi. On termine notre escapade par la visite du cimetière de Saint-Laurent, plus coloré qu’un coucher de soleil, c’est certainement l’endroit le plus beau de la ville.
Rentrés à la maison des images plein la tête, on passe une soirée tranquille à l'internat et on jette notre dévolu sur "Astérix et Obélix mission Cléopatre" pour ce soir. Comme si on ne l'avait pas assez vu !

 

 

 

 

J 130 

 

6h : Debout, debout ! Les vacances c'est fini et la reprise se fait ressentir. Ce matin je commence dans un nouveau service et cette fois-ci c'est le dernier stage : les suites de couches (SDC pour les intimes). C'est le service qui accueille les mamans dans les premiers jours après la naissance de leur bébé. 
6h40 : La relève commence et le service déborde : une cinquantaine de patientes pour 3 sages-femmes. 18 patientes pour Maggie et moi. Les suites de couches en métropole c'est le service "planque" ici c'est le service chiant. Je prends les choses du bon côté et me dis qu'au moins je ne courrais pas dans les couloirs. Ce matin j'ai croisé Suzane l'une des sages-femmes, et c'est bien la seule avec qui je n'ai pas envi de tourner. Évidement elle est en SDC et je fais en sorte d'être avec la 2ème sage-femme. Ça sera donc Maggie, l'une des jeunes diplômée, très gentille mais très lente. À peine la relève terminée Suzane m'agace déjà. Elle doit être la plus vielle du service et se prend pour un cador. Elle se permet des réflexions à ses égales et elle rit fort. Beaucoup trop fort. 
Le tour commence et Maggie m'explique le fonctionnement du service. On commence le tour à deux et rapidement je prends des initiatives et j'encadre les patientes seules. C'est toujours la même routine : constantes, signes fonctionnels, transit, diurèse, saignement, examen gynécologique, médication, papiers, papiers, papiers. Facile, mais un peu redondant du coup. Au milieu de mon tour du matin Cloé, la 3ème sage-femme qui s'occupe des suites de couches pathologiques me propose de faire une transfusion sanguine avec elle. J'accepte. Je n'en ai fait qu'une seule jusqu'ici et dans l'urgence ça peut être pratique d'être à l'aise avec la tonne de paperasse et traçabilité. C'est une pratique très dangereuse si elle n'est pas réalisée correctement. Une mauvaise poche administrée à une mauvaise patiente peu engager son pronostic vital. Après quelques imprévus pendant la manœuvre (quelques aller-retours pour aller chercher du matériel, changer la voie veineuse etc...) je reviens une bonne demi-heure plus tard et je retrouve Maggie exactement au même endroit : elle n'a pas avancé depuis mon départ. Bon je me bouge le derrière et dès le premier jour je vois déjà quasiment la moitié du secteur. La journée continue dans une lenteur abominable et je sens que je commence à m'impatienter. 
12h30 : J'ai fini ce que j'avais à faire et j'en profite pour aller manger. Je croise le Dr Khon qui mange en salle de détente et il me reconnait. Il m'interpelle en me disant qu'aujourd'hui il donne un cours aux sages-femmes et aux internes sur la pré-éclampsie et que je suis la bienvenue si je le souhaite. Je le remercie, mais je suis de garde jusqu'à 19h10 même si c'est dommage puisque je présente une épreuve de mon diplôme sur le sujet. 
L'après-midi passe relativement vite entre la visite du pédiatre, du médecin, les prises de sang, les sonnettes, les papiers. J'ai même le temps d'aller faire pipi c'est royal !
Ici rien à voir avec ce que je connais. Les mamans se posent beaucoup moins de questions et du coup tout est beaucoup plus simple. Au revoir les allaitements interminables et douloureux, elles s'endorment souvent avec bébé au sein. La plupart des berceaux ne servent même à rien puisque les nouveaux-nés dorment dans le lit avec leur mère. Comme celles-ci sont moins stressées les enfants sont apaisés et ne pleurent que pour des besoins primaires : la couche, le contact ou la faim. 3 problèmes plutôt faciles à gérer. Terminé les défilés interminables de berceaux dans les couloirs : chaque maman tient son petit dans les bras, marchant en lui donnant le sein. Même pour les changer c'est une moindre histoire : sur les genoux, la tête en bas, les fesses en l'air et c'est plié en 30 secondes. J'admire leur instinct et j'espère avoir le même quand ça sera mon tour. Malheureusement je pense que j'en sais beaucoup trop pour aborder les choses avec autant de sérénité. 
Je croise Naziha, la cadre, au détour d'un couloir et lui touche un mot quant au cours du Dr Khon. Elle m'encourage à y aller et me dis que c'est l'occasion, tant pis pour ma dernière heure de stage. A 18h15 je quitte donc Maggie et me dirige vers la salle de réunion. Le cours a déjà commencé et je m'installe discrètement. C'est monotone, une tonne d'information est donnée et je sens que tout le monde peine à rester attentif. Le Dr Khon nous informe que c'est certainement la pathologie la plus compliqué qui existe en obstétrique et qu'il reste encore plein de chose inconnue aujourd'hui. J'ai encore choisi la facilité tient ! 
19h30 : Quand le cours se termine je repasse dans le service et Maggie n'est toujours pas partie. Elle a pris une tonne de retard et encombre encore le bureau avec des dossiers non terminés. Je la salue et rentre à l'internat. 
Ce soir c'est l'anniversaire de Charline et avant de rejoindre la petite troupe Alex et moi on passe acheter chinois pour manger tout les deux et profiter un peu avant son retour. Finalement la soirée ne commence pas bien, on se dispute pour des idioties et l’apogée de la bêtise arrive en même temps que les nouveaux gendarmes. On croise le nouvel escadron en ville et Alex n’apprécie pas. Après une petite crise de jalousie suivie par une mise ou point on fini par aller directement à la soirée de Charline. Chacun prend sur soit et c’est calme, aucun excès n'est à déplorer. On est les derniers arrivés et les premiers à partir puisque je travaille aussi demain matin. Le but c'était de faire un bisou et d'être là quand elle ouvrirait ses cadeaux. Elle a l'air contente c'est le principal.

 

J 131 

 

6h : Aller, on y retourne. La routine s'installe déjà, je me lave les dents, m'habille en vitesse en j'embarque mon sac déjà prêt avec des biscuits pour le petit déjeuner. 

6h40 : Relève. Aujourd'hui je tourne encore avec Maggie et je prends les choses en main dès le départ pour gérer moi-même la moitié du service. Comme ça, chacune son rythme et j'irais l'aider quand j'aurais fini. Le tour commence et une fois fini comme prévu je vais lui donner un coup de main. Papiers, constantes, allaitements, sonnettes, médecin, pédiatre, papiers, constantes, allaitements, sonnettes, médecin, pédiatre…

14h30 : Mine de rien on n’a pas arrêté et il est temps d'aller manger. Je me pose quelques questions quant à l'organisation quand je ne suis pas là. Je vois la moitié des patientes et pourtant on fini quand même en retard. Il y a un sérieux problème de suractivité et je trouve ça dangereux, voir maltraitant puisque notre prise en charge n'est pas optimale. La journée continue et je ne m'arrête pas. J'en profite pour décharger les autres sages-femmes et j'aide là ou je le peux. Prises de sang, sonnettes, soins, renseignements... La journée est longue, trop longue. Ce soir c'est ma dernière soirée avec Alex et j'espère que les transmissions ne vont pas s'éterniser. 

19h : On commence la relève en retard puisqu'une fois de plus Maggie est à la bourre et je commence la relève de mes patientes sans elle. Elle complète avec ses patientes et c'est long. Elle traine et je commence à bouillir. C'est fou de ne pas savoir s'organiser comme ça ! Je prends sur moi, et j'essaie de ne rien laisser paraitre. 

19h20 : Premier message d'Alex, il a quitté sa soirée de départ en avance pour moi et il est déjà à l'internat, il m'attend. J'aurais dû finir il y a 10 minutes mais je sens que ça n'est pas pour tout de suite. 

19h45 : C'est fini et je m'en vais en vitesse avant d'être désagréable avec Maggie. Je suis énervée et ça se voit quand j'arrive à l'internat. Je crache mon venin une bonne fois pour toute et ça va mieux ! Le diner est en cours de préparation, c'est un ange. Il a fait les courses et a tout acheté pour nous faire un vrai petit festin. Je remarque qu'il a acheté des M&Ms et me dit "ça sera pour le moral de demain". Ce soir ça sera faritas et le mieux c'est que je n'ai qu'à mettre les pieds sous la table. On mange en regardant le dernier épisode de Games Of Thrones et on se couche pas trop tard, demain il part à 7h.

 

J 132 

 

À 6h30 il est bien trop tôt mais il est l’heure de se lever. Alex a acheté tout ce qu’il faut hier pour un petit déjeuner de roi et on profite d’un bon festin dans les parties communes avant le départ. 
7h45 : Je le ramène à moto jusqu’au cantonnement et repars après un dernier baiser de cinéma. 
Je roule dans mes pensées à vive allure quand la voiture pile devant moi. Je réagis tout de suite et commence une manœuvre d’évitement qui devrait réussir jusqu’à ce que cet idiot se déporte du même côté pour doubler la voiture de devant lui sans un regard en arrière. Manœuvre de la dernière chance je tente un freinage d’urgence, mais avec cette route mouillée et ma roue déjà déviée impossible de garder le contrôle de ma moto qui chasse déjà et m’emporte dans sa chute sur le côté gauche. 
Sonnée je ne me rends même pas compte que le conducteur, repart aussi sec et me laisse sur le bord de la route. Heureusement 3 personnes s’inquiètent de ma chute et viennent me proposer leur aide. Ils veulent appeler les pompiers mais après un rapide tour du propriétaire je n’ai rien d’autre à déplorer que quelques égratignures et une sacrée peur bleue. Je refuse et après m’être assise pour reprendre mes esprits une seconde, je remonte sur la moto que quelqu’un a relevé pour moi. 
Par chance elle démarre, le clignotant a l’air cassé mais à par quelques rayures rien de bien grave. Je reprends le chemin du retour plus prudente que jamais et retrouve les parties communes de l’internat vides. J’ai quand même des plaies sur tout le côté gauche et je me suis cognée la tête malgré le casque. J’ai mal au genou et mon tibia a doublé de volume. Je marche d’un pas mal assuré vers les urgences gynécologiques, je sais que Maélia y est de garde aujourd’hui et avec un peu de chance elle pourra m’aider à désinfecter si c’est calme. 
Après avoir raconté mes mésaventures les filles insistent pour que j’aille aux urgences, je refuse à nouveau et en contrepartie j’accepte de rester quelque temps avec elle. Je reprends mon assurance petit à petit et une fois tout désinfecté ce n’est pas si grave. Le clignotant de la moto n’est que déboîté et mise à part la béquille et la pédale de vitesse tordues rien n’est cassé. 
9h : Je rentre chez moi pour travailler, et ce matin je ferais ça dans mon lit !
Je lutte pour ne pas m’endormir trop tôt et je capitule à 12h30, achevée par le contrecoup de ma chute je suis épuisée. 
Je m’endors en un instant et me réveille plusieurs heures plus tard. 
17h30 : je me lève enfin, et il est temps de s’activer puisque je suis de garde cette nuit. Je m’habille, fais ma toilette et me dirige boitillante vers l’hôpital. J’ai pris un anti-inflammatoire ce matin et ça devrait aller. 
18h40 : La révèle commence.

 

N 132 

 

18h40 : Pour ma première nuit en Suites de Couches je serais avec Cloé, Marine et Mélaine. Je décide de me mettre avec Mélaine et on fonctionne assez bien ensemble. Je prends d’entrée de jeu la moitié des patientes du service et le tour du soir commence. On distribue les médicaments, je prends moi-même un doliprane, on fait un rapide check-up et on laisse nos patientes dormir. On peut même aller manger pas trop tard. 
Après ça je passe ma nuit à répondre aux sonnettes entre deux discussions, à faire des guthries (prise de sang) aux bébés et au petit matin à faire des prises de sang aux mamans. La nuit c’est beaucoup de papiers, donc je m’occupe comme je peux pour que ça ne soit pas trop long. L’avantage c’est que je peux parler avec la métropole puis qu’à partir de 2h de matin il est 7h chez elle.

 

J 133 

 

8h30 : Il est temps d’aller dormir. 
15h : Je me réveille un peu déphasée et me met au travail, pas de temps à perdre, je prépare mon oral de soutenance du mémoire et je commence à savoir par où prendre le problème. 
21h : J’entends qu’on parle dans les parties communes et sors le nez de ma case en me souvenant qu’il était marqué « bouffe » sur le tableau de l’internat. Aujourd’hui les filles ont prévu de manger ensemble et je me joins à elles. Caitlyn, une nouvelle infirmière a préparé des croques-monsieurs. Comme il y en a pour tout le monde je paie ma part avec l’application Lydia et en mange un. On rigole on parle, ça me change les idées et je retourne travailler. 
23h30 : le sommeil est déjà là, et je pars avec lui.

 

J 134 

 

10h : Aller, aller debout là-dedans ! Je m’active je me mets au boulot. Révisions, révisions, révisions. À part ça rien de passionnant. Ce soir c’est la crémaillère de la nouvelle coloc des copains : Agnès, Maélia et Jahed nous accueillent à deux pas de l’hôpital. 
20h : Je me fais toute belle et je pars à la soirée, bombe lacrymogène à la main. Ça n’est pas de trop, le quartier est mal famé et après m’être fait courser par des chiens je me fais héler de l’autre côté de la rue par des jeunes. Je ne réponds pas et m’engage à pied dans la rue qu’on m’a indiquée, pas éclairée, et pas sûre de mon chemin. 
Finalement je trouve sans trop de difficulté et dis bonjour à tout le monde. Je papote un peu avec Salomé après avoir fait le tour du propriétaire et c’est vraiment sympa. Le salon est en fait une terrasse avec un gros grillage et il y a beaucoup d’espace ! Ils n’ont pas encore aménagé mais il y a de quoi faire. Je signale à Agnès qu’une blatte se trouve sur le mur de sa chambre et après une grimace de sa part elle dit en souriant « Salomééé». Apparemment Salomé a été désignée « homme de la maison » à la place de Jahed et se charge des bêtes de tout le monde. Je mets une pizza au four et fais la conversation avec Agnès puis Jahed, Aurélie, Malo (le nouveau chéri de Charles). J’apprends aussi a connaître Caitlyn et c’est un coup de cœur ! Ça fait du bien de sortir le nez de ses bouquins. On apprend dans la soirée que finalement une quatrième colocataire rejoint la petite famille puisque Salomé la copine de Jahed vient habiter avec eux. Ils mettent même une boîte à idée au milieu de la table pour que chacun vote un nom pour la coloc, je me lâche sur les jeux de mots et tente un « aristo4 » (le chat s'appelle Omaleh) ou encore un « 4midable » (formidable). Je reste sage et décide de rentrer un peu avant minuit. Caitlyn et Cassandre profitent du voyage pour rentrer avec ma bombe et moi. On papote encore un bon moment à l’internat et après des conversations plus bizarres les unes que les autres on finit par se raisonner et aller se coucher 
2h : Il est bien trop tard mais j’ai passé une très bonne soirée. Je me couche sans aucun regret.

 

J 135 

 

8h30 : Le réveil sonne à 8h30 mais c’est difficile, tellement difficile, il sonne toutes les dix minutes pendant une bonne heure avant que je ne réussisse à me lever. La mise au travail est tout aussi difficile et je peine toute la journée à trouver la motivation. Je fais des fiches pour ma présentation orale et envoie un mail de postulation à l’hôpital d’ici. Mon CV est déjà fait, ma lettre de motivation est rapidement au point et j’envoie tout ça pour une demande d'emploi de 6 mois.

Je travaille encore sans conviction jusqu’à ce qu’il soit l’heure de me préparer : ce soir c’est l’anniversaire d’ Aurélie. 

20h : J’amène Caitlyn qu’Aurélie a invité hier et il se met à pleuvoir. On cherche un peu l’adresse indiquée et une fois trouvée on est déjà trempées. On passe la soirée à papoter toutes les deux, Aurélie a l'air aux anges d’avoir tous un t’as de copains rien que pour elle. J’ai parfois l’impression d’être à un goûter d’anniversaire au milieu d’une tonne de dragibus, marshmallows et ballons de toutes les couleurs. L’impression se confirme quand je vois le gâteau de princesse qui a été fait pour l’occasion. Elle est contente c’est le principal, elle souffle ses bougies et à 23h45 après avoir pris quelques photos il est déjà l’heure de rentrer. On profite de l’accalmie d’une averse pour filer dormir avant que ça ne reprenne de plus belle. Les routes ne sont déjà pas très sûres en temps normal, autant se méfier à moto. 

 

J 136 

 

6h40 : Aujourd'hui je suis de garde et je prends la relève avec Laurianne, une sage-femme que j'aime beaucoup. Je trouve que sa façon d'être est saine et pour avoir discuté avec elle au court des dernières soirées j'aime beaucoup sa philosophie. C'est une personne très posée, pas stressée pour un sou. La journée se déroule dans une routine déjà bien connue. Constances, examens cliniques, prescriptions, médications, sonnettes, papiers. J'entends du bruit au détour d'un couloir : une accompagnante crie sur une sage-femme. Elle s'époumone à dire que c'est inadmissible, que c'est de la maltraitance etc... Je me penche un peu sur le problème et comprends vite : sa sœur qui a du mal à se lever depuis son accouchement (pourquoi ?), de 140 kg, s'est urinée dessus soi-disant après avoir attendu une demi-heure qu'on réponde à sa sonnette. C'est faux. J'y suis allée moi-même à plusieurs reprises et entre moi et mes collègues la patiente n'a pas dû oser appeler une fois de plus. Elle a donc menti à ses proches en accusant le personnel, c'est plus facile. Les insultes fusent et c'est difficile de se laisser insulter sans rien dire. Au milieu d'injures plus violentes les unes que les autres on se fait traiter de racistes. L'accompagnante aboie dans les couloirs que si ça avait été une blanche on ne l'aurait pas prise en charge de la même manière. Marine déborde et ne réussit plus à garder son calme. C'est l'insulte de trop et elle s'énerve à son tour : "Bien sur, je suis venue bosser en Guyane par ce que je suis raciste !" Gérer un service de 18 patientes seule, c'est déjà pas facile, mais quand on se prend des reproches en plus, c'est difficile à entendre. 
La garde s'achève et je rentre à l'internat. Je me joins au reste de la troupe et mange avec tout le monde. Ensuite je me mets dans les parties communes pour travailler et ne pas m'endormir dans mon lit. Caitlyn se joint à moi et je comprends qu'elle a besoin de discuter. Ça ne va pas fort. Elle est arrivée depuis 3 petites semaines et les débuts sont difficiles pour tout le monde. Je la rassure : on est tous passés par là. Elle va se prouver des choses et en ressortir fière d'elle, encore plus forte qu'avant. On discute bien, et même si je sais qu'il serait plus sage de travailler je ne me vois pas la laisser seule. On se confie une bonne heure avant que je finisse par aller me coucher et téléphoner à mon amoureux avant de dormir.

 

J 137 

 

6h : Le réveil est dur mais je suis encore de garde aujourd'hui. J'enfile un short, j'embarque un paquet de biscuit et je suis déjà en route pour l'hôpital. 
6h40 : J'arrive pour prendre la relève et me souviens de quelques chose qui m'avait échappé : je suis de garde avec Aurélie aujourd'hui ! Ravies de la nouvelle on prend le service plein avec le sourire. On se divise les tâches et une fois le tour terminé, au milieu des milles choses à faire on trouve un petit moment pour aller manger toutes les deux. C'est le moment confessions et on se raconte les dernières histoires. On se remet rapidement au travail. Au milieu d'un service plein à craquer on doit faire une transfusion, chose déjà anormale dans un service de suites de couches physiologiques mais en plus Aurélie n'en a jamais fait. Je la rassure : j'en ai fait une il n’y a pas longtemps et je vais lui montrer. C'est le monde à l’envers, mais après tout elle est jeune diplômée et je le prends comme un compliment. Je prends les choses en main et je sens qu'elle est stressée, pour ne rien arranger on l'appelle en cours de procédure, l'ancienne perfusion s'est bouchée, et les sonnettes fusent. Je fais le plus de choses possible sans elle et lui montre ce qu'elle a besoin de voir. Elle appelle le laboratoire pour poser une question et l'homme au bout du fil lui dit d'un ton moitié énervé - moitié condescendant : "Mais je comprends pas qu'on vous laisse seule pour une première transfusion". Pas vraiment seule, mais bon. 

15h : La journée reprend sa course et les sorties prennent du retard. La nouvelle interne se retrouve en difficulté. Elle ne connait pas le fonctionnement du service et peine à faire les papiers dont on a besoin pour laisser sortir les dames. Une patiente commence à s'impatienter. Les autres internes viennent prêter mains fortes et alors qu'on croule sous les papiers de nos milliards de sorties elle tambourine à la porte. Une fois de plus on se fait insulter et elle ne comprend pas qu'on la fasse sortir aussi tard (17h). Son taxi est là et elle n'a pas envi de payer davantage. L'interne se prend la tête avec elle, puis vient le tour d’Aurélie. Ils finissent par lui claquer la porte au nez et après quelques minutes elle tambourine encore une fois. Cette fois je m'y colle et ça va pas être la même. Je lui fais un grand sourire et lui explique avec le plus grand calme du monde qu'on lui avait dit dès le départ que ça prendrait du temps, qu'on ne pouvait pas lui donner d'heure de départ et qu'elle ne devait pas appeler le taxi avant qu'on le lui dise. De plus, que le service est plein et qu'elle n'est pas la seule à attendre, que nous ne nous sommes que quelques-unes pour tout faire et qu'on fait du mieux qu'on le peut. Si elle n'est pas satisfaite, qu'elle peut faire une lettre à la direction pour la surcharge de travail mais pas pour une maltraitance des soignants qui font tout ce qu'ils peuvent avec le peu de moyens qu'on leur donne. Que de frapper à la porte ne changera rien à part nous faire perdre du temps dans des discussions interminables et inutiles et que si elle le désire, elle peut sortir dès maintenant contre avis médical, sans ses ordonnances et rendez-vous de suivi. De plus qu'elle ne peut pas se plaindre de "rester debout à attendre" alors que sa chambre est encore à disposition et qu'elle encombre les couloirs et dérange les patientes qui essaient de se reposer. 
La patiente se rend bien compte qu'elle n'a plus aucun argument à avancer et j’ai gagné la paix. Je suis fière de l'avoir mouchée. 
18h30 : Charles arrive pour la relève et je sens qu'il s'impatiente lui aussi. Aurélie n'est pas prête et met un bon quart d'heure avant d'avoir fini. Je fais mes transmissions en attendant que vienne son tour : elle dit souvent "je ne sais plus", "j'ai pas regardé", "j'ai pas eu le temps". Charles semble agacé mais Aurélie ne le voit pas. Il prend sur lui et tout se finit bien. 
19h30 : Je rentre à la maison, fatiguée de ma journée bien chargée. Je mange avec tout le monde et ils s’installent devant le dernier épisode tant attendu de Games Of Thrones. Je salue tout le monde un peu dépitée avant qu’ils n’essaient de me retenir d’avantage. "Tu travailleras plus tard”, "Faut aussi te reposer”. Je résiste et  me mets au boulot.
22h30 : K.O, j'ai fini de travailler et ne me fais pas prier pour m’endormir.

 

J 138 

 

8h30 : Le réveil sonne. Je petit-déjeune dans les parties communes et me met au travail dans la foulée. Je fais mon diaporama pour l'oral de mon mémoire et même si le fond est là, la forme ne me convient pas. Rien n'y fait, je ne suis pas satisfaite même si les autres me disent que c'est bon. 
Dans la matinée je prends des nouvelles de la métropole et je mange dans les parties communes avec mes colocataires. 
13h : Je me dirige vers l'hôpital en tenue civile pour aller cherche le dossier de ma patiente de février (celle qui avait éclampsé). Le dossier a été retrouvé et je repars avec celui-ci sous le bras. Je rentre faire la sieste et grâce à ma capacité légendaire d’endormissement je n’y trouve aucune difficulté. 
18h : Il est temps de se lever, je suis de garde ce soir et en plus Charles m'a demandé de tourner avec lui.

 

N 138 

 

18h40 : Ce soir on a une équipe de choc. Charles, Laurianne, et Charlie sont de garde cette nuit et ça promet ! C'est agréable de ne plus se sentir étudiante, et de se sentir intégrée comme leur égale. 

19h : Aurélie était de garde aujourd'hui et elle est encore à la bourre. Je suis passé lui faire un bisou dans l'après midi pour lui souhaiter son anniversaire. Ce soir ils vont tous au restaurant pour fêter ça. Pendant les transmissions je sens que Charles s'impatiente et elle fini par nous faire sa relève. Une fois de plus il y a beaucoup de "je ne sais plus", "j'ai pas regardé", "j'ai pas eu le temps". Charles explose et s'énerve sur elle au milieu de la salle de soin. Je me fais toute petite et me sens mal à l'aise au milieu des deux. Les larmes montent dans les yeux d'Aurélie qui a pourtant fait de son mieux. Un petit problème d'organisation peut-être dû à sa jeune expérience. Je ne ferais pas mieux j'en suis sûre. 

Elle ne peut pas se retenir plus longtemps et la relève se fini dans les larmes, au milieu de sanglots qui ressemble familièrement à ceux d'une étudiante qui vient de se prendre un soufflon pas une ancienne. C'est notre quotidien dans nos études et ça faisait quelques mois que je n'avais pas vu ça. En métropole les sages-femmes sont de vraies garces avec les étudiantes et celles qui n'ont pas réussi à s'endurcir finissent souvent comme ça. J'en fais partie. J'ai toujours fait de mon mieux, et je prends toujours trop à cœur ce genre de méchanceté. 

Je fais un câlin à Aurélie avant qu'elle ne rentre et essuie ses larmes. "Aller, tu vas t'amuser ce soir, tous tes copains seront là, vous allez bien manger et tu vas penser à autre chose. C'est fini et tu reviens pas en garde avant quelques jours, tu vas avoir le temps de souffler". Charles s'excuse, un peu honteux de s'être autant emporté, à la vue de tout le monde. Aurélie qui a du maquillage noir partout sur le visage repart les yeux bouffis. 

Notre tour est rapidement fait et on encadre en plus deux césariennes programmées pour demain. La nuit c'est beaucoup de papier. On discute, on met un peu de musique et Charles à force de parler commence à agacer gentiment Laurianne qui essaie de se concentrer. Moi j'en profite pour corriger mon journal de bord et au petit matin je fais la petite main avec des prises de sang. 

6h40 : La relève arrive, je rejoindrai bientôt mon lit. 

8h : Au dodo !

 

J 139 

 

12h30 : Après 4h de sommeil on vient toquer à ma porte : "Tu veux des pâtes carbo ?". La petite tête d’une infirmière se trouve devant mon bungalow avec des yeux de biche. Je ne dis jamais non à ce genre de chose et je cède : “J'arrive." Aurélie mange avec nous et après une bonne plâtrée de pâte je me remets déjà au travail. Entre deux révisions j'écris un peu et j'essaie de publier mes photos de vacances. Après le repas du soir je m'y recolle et je ne vois pas l'heure passer.

1h : Le nez dans mes bouquins les internes débarquent. Pas discrets du tout je constate qu'ils ont tous bu un bon coup. Ils s'installent à la même table que moi et je capitule : je ne pourrais pas plus travailler au milieu de leur bavardages. J'abandonne et après quelques minutes passées avec eux je vais me coucher.

 

J 140 

 

8h, 8h10, 8h20, 8h30 : Le réveil est difficile. Je me mets au travail et après les révisions il est l'heure de manger. Je grignote avec les autres et me remets rapidement au travail. Je suis épuisée et m'accorde une sieste. Je me réveille 1h30 plus tard et ça va beaucoup mieux ! J'ai lutté toute la journée contre la fatigue en me disant que ça finirait par passer. J'ai appris que parfois il faut simplement s'écouter, et que rester bornée pour travailler n'est plus productif une fois qu'on est trop fatigué. Je m'y remets et je passe voir Madame Frabo, la cadre sup’ de la maternité avec qui j'ai rendez-vous aujourd'hui pour un entretien d'embauche. Arrivée sur place elle n'est pas dans son bureau, je vais boire un café en attendant. Elle finit par revenir et les choses sont vites fixées : "Je ne vais pas vous faire passer d'entretien. Le meilleur entretien qu'il existe c'est les preuves que vous faites en stage. Et comme je n'ai entendu que du bien de vous, je vous engage". Parfait ! On parle disponibilité et je reste ferme, ma décision est prise je ne reviendrais pas plus de 6 mois. Elle finit par plier par ce que j'ai été étudiante ici et que je pars avec un avantage que les autres n'ont pas. Je connais les équipes, les services, et les protocoles. 

20h : En rentrant je travaille encore avant et après le diner.

22h45 : Je suis couchée et m'endors difficilement.

1h : Réveillée par le bruit des parties communes les autres rentrent de soirée visiblement éméchés.

 

J 141 

 

9h30 : J'ouvre les yeux sans avoir mis de réveil et il est temps de sortir du lit. Je prends un petit déjeuner dans les parties communes et me mets au travail sans attendre. J'enchaine entre répétition d'oral et journal de bord et la matinée passe à une vitesse folle. Il est déjà midi quand je finis ce que j'avais à faire ce matin et Alex m'appelle, j’ai promis aux filles de faire à manger ce midi et je m'y mets en même temps que je discute avec lui. Je mets les poivrons au four avec un peu d'huile, j'émince l'ail, découpe les oignons, tranche les tomates, fait cuire du pain. Bref, je fais la popote et Alex me raconte les dernières nouvelles : elles ne sont pas très bonnes puisqu'on vient de l'appeler à l'instant pour lui apprendre que sa demande de dernier recours pour passer les tests du GIGN a été rejetée pour cette année. Il s'entraine depuis des mois dans l'espoir qu'on lui laisse les passer mais la médecine fait barrière et refuse à cause d'une tendinoplastie réalisée il y a plusieurs années. Il accuse le coup mais gère ça comme un champion, un peu trop bien peu être. J'ai peur qu'il ne réalise pas et j'essaie d'être présente à plusieurs milliers de kilomètres.

Après une heure de tambouille le repas est prêt et je sers mes copines qui sont sagement assises à table.

13h30 : L’une part au boulot et je reste discuter avec Cassandre jusqu'à ce qu'il soit l'heure de reprendre pour moi. Mon réveil sonne pour me rappeler à l'ordre : il est temps de s’y remettre !

À nouveau j'enchaine entre répétition et écriture. J'essaie de parler fort, de parler moins vite, de bien choisir mes mots, et lors de mes dernières répétitions de la journée je le fais presque sans mes fiches. La méthode est bonne, maintenant il ne faut rien lâcher, c'est la dernière ligne droite.

20h : Ce soir il y a une grosse soirée dans une coloc des internes et cette fois je n'ai pas réussi à dire non. Par contre j'ai négocié : je prends ma moto et je rentre à 23h30. Finalement, après discussion, je comprends que la moto n'est pas une bonne idée : il fera nuit et le chemin est difficilement praticable même en voiture. Je cède et trouve un arrangement : c'est d'Ayman qui nous ramènera avant minuit.

21h45 : On part pour la soirée et je ne regrette pas ma décision, avec un deux roue ça aurait été inconscient ! On passe de justesse et le carbet, même s'il est loin, est vraiment parfait. 5 chambres, 2 étages. Le dernier est un roof-top abritant plusieurs  hamac. On s'est tellement éloignés de la civilisation que les étoiles ne se cachent plus. Je reste subjuguée par le spectacle qui se tient devant moi, c’est le plus beau ciel étoilé que je n'ai jamais vu. On discute un peu, les autres boivent un coup et certains sont déjà bien entamés. L'un des internes m'offre sans la moindre gêne de nous joindre à lui, Caitlyn et moi, dans sa chambre, "quand on veut". Je ris de sa grossièreté et ne m'en formalise pas. Il est déjà dans un autre monde et n'a pas dû prendre que de l'alcool. Il se répète et oubli d'une phrase à l'autre ce que je lui ai déjà dit. Je m'esquive et l'heure du retour approche. Sauf que je ne vois toujours pas d'Ayman. Normal : les invités sont coincés sur le chemin. 3 voitures se sont embourbées et on ne peut passer ni à l'aller ni au retour, on est coincés ici.

La soirée continue un peu forcée et je crois rêver du spectacle qui s'offre à moi : certains invités ont des sachets remplis de "bonbons" de toutes les couleurs. Sans y prêter plus d'attention je patiente pour pouvoir rentrer.

Avant de partir Caitlyn me prend la tête par ce qu’elle a changé d’avis et ne veut plus rentrer. Comme je comptais sur elle et que ça dépend de mademoiselle je me retrouve coincée et n’apprécie pas qu’on me force la main. Finalement elle finit par m’avouer que ça va plus loin que ça. Je lui plais et elle me fait carrément du rentre-dedans. Je la remets gentiment à sa place, il ne se passera rien entre nous.

2h : On fini par rejoindre une voiture garée avant les voitures coincées en traversant le chemin gorgé d'eau et de boue. 2 de notre groupe de 6 finissent sur les fesses et on rejoint la voiture d’Alizées qu'elles ont réussi à désembourber mais qui est complètement recouverte de boue ! Les filles sont arrivées un peu plus tôt dans la soirée et se sont retrouvées coincées : habillées de leurs petites combishort à fleurs et avec leur plus beau maquillage elles ont poussé la voiture comme elles ont pu. Morgane est couverte de terre de la tête aux pieds. Ayman s'est moqué d'elles avant d’essayer de passer. Sa manoeuvre s’est résolue par un échec et il a fini dans la fossé.

2h30 : Je retrouve enfin mon lit ! Mais le sommeil est parti et ne semble pas décidé à revenir.

4h30 : Je réussis enfin à m’endormir.

 

J 142 

 

9h : Après un premier réveil à 9h je me dis qu’il est trop tôt et qu’il faut en profiter. Je me réveille 3h plus tard bien reposée.

12h : Je traîne un peu au lit avec le bruit de la pluie et me prélasse en somnolant.

Aujourd’hui c’est journée repos, je compte bien en profiter. Je passe ma journée au lit entre sommeil et révisions. J'écris, m'organise, et commence à envier mon retour. Je lutte pour ne pas m'endormir dans l'après-midi afin de ne pas avoir de difficultés à m'endormir ce soir.

Finalement je lutte, je lutte, je lutte et me joins aux filles dans les parties communes en début de soirée. Elles sortent ce soir, encore une fois je refuse poliment.

22h30 : Maintenant qu’il est temps de dormir le sommeil n’est plus au rendez-vous. Après quelques épisodes de friends je finis par réussir à m’endormir.

 

J 143

 

6h : Hop hop hop debout là-dedans !

6h40 : La journée commence et aujourd’hui je prends la relève aux côtés d’Angéla avec qui j’ai déjà tourné en salle. Le feeling passe bien et j’aborde la journée sans stress avec un service de Suites de Couches pathologiques contenant seulement 5 patientes. Les suites de couches pathologiques prennent en charge les patientes avec un suivi plus lourd que la normale. Par exemple, l’une d’entre elles aujourd’hui a un retard mental important. Dans ses antécédents plusieurs atrocités, un viol, une tentative de suicide... Le dossier médical est long et compliqué. La matinée débute et le tour est vite terminé. On prend notre temps, ça fait du bien.

13h30 : Bien occupées malgré tout on se pose pour manger et la discussion se fait sans difficulté. On se raconte nos histoires de cœur comme deux copines et la journée reprend son cours avec seulement 4 patientes, la cinquième est rentrée chez elle. Peu après une nouvelle nous est transmise, césarisée hier elle a fait une hémorragie interne d’un litre et vient d’être reprise au bloc opératoire pour stopper les saignements. En attendant je profite de son bébé et lui donne toute l’affection dont il n’a pas besoin puisqu’il passe son temps à dormir.

Pour rendre service et faire passer le temps je propose mon aide plusieurs fois à mes futures collègues et Maéliss, une perpignanaise, fini par accepter. Je ferais donc les conseils de sortie pour 5 mamans. Après les avoir toutes réunies je commence par demander qui parle français et peut traduire à celles qui ne comprennent pas la langue. Je me retrouve face à 5 carpes, qui me regardent avec des yeux ronds comme des billes. Aucune d’entre elles ne comprend un mot de ce que je dis.

Je pars dans le service en quête d’une solution et fini par mettre la main sur la seule aide-soignante qui parle Taki. Celle-ci traduira phrase après phrase tout ce que je dis.

Une fois choses faites je m’occupe à droite à gauche et à force de faire différentes choses on se rend compte en fin de journée (heureusement !) que j’ai marqué quelque chose dans un mauvais dossier. Je m’excuse et rectifie mon erreur un peu gênée.

18h40 : Angéla m’offre de rentrer chez moi sans faire la relève et j’accepte, reconnaissante.

Je me pose un petit peu dans mon lit et on vient toquer à ma porte : c’est Tania une infirmière. « Tu viens Thaïs ? On mange ! » j’arrive. Je me joins à eux et fais la conversation avec tout le monde.

20h30 : Je me fais violence, il est temps que je me remette au travail. Je reste dans les parties communes et je potasse, écouteurs dans les oreilles.

Caitlyn vient s’assoir sur le canapé d’à côté et je sens qu’elle veut me parler. La colère est passée, elle a été blessée mais ne veut pas qu’on soit fâchées jusqu’à mon retour. Elle a décidé d’arrêter de bouder et on se met à discuter comme s’il ne s’était rien passé. On s’entend vraiment bien. Elle me raconte la fin de sa soirée de samedi et j’apprends qu’elle n’a pas fini la soirée seule puisqu’elle a finit au lit avec le beau Trystan. Elle m’avoue à demi-mot qu’elle regrette un peu par ce qu’elle n’était pas avec la bonne personne. Bon. Passons. On change de sujet et Mélanie se joint à nous. On parle de tout, de rien, de rugby. Je l’aime beaucoup aussi.

Après une heure de discussion Mélanie s’en va et je lui fais part à Caitlyn qu’à cause d’elle à chaque fois je ne révise pas. Il faut qu’elle m’aide un peu ! Elle prend les choses aux pieds de la lettre et décide de m’aider dans mes révisions. Elle jouera le rôle de la patiente et répond à l’interrogatoire d’une demi-heure que je dois connaître par cœur pour le diplôme, avec lequel j’ai beaucoup de mal. Elle ne m’aide pas beaucoup puisqu’elle choisit une situation très drôle mais très compliquée. Ma patiente fictive est enceinte de jumeau, d'un papa qui l’a quittée, elle est bipolaire et collecte tous les antécédents médicaux qu’il existe. Je m’amuse de la voir se laisser prendre au jeu et après une bonne heure de répétition on décide qu’il est temps d’aller se coucher. Elle travaille demain matin et moi je dois réviser.

23h45 : Après une bonne douche mon lit me tend déjà les bras.

 

J 144 

 

8h : Le réveil sonne une première fois, puis une deuxième, une troisième. Vraiment pas décidée à me réveiller je repousse jusqu’à 9h.

9h : Toujours aussi difficile je me force et reste dans le pâté toute la journée. J’engloutis un café avec espoir, je révise, téléphone, tente de faire une machine (la seule machine fonctionnelle sur les 6 est prise), fait ma vaisselle et range un peu.

Ensuite vient l’heure de manger et à 12h30 je me mets déjà au lit pour la sieste par ce que je suis épuisée.

12h45 : On toque à ma porte... C’est le monsieur de la wifi qui veut passer demain matin. « Ah non monsieur, je suis de garde cette nuit donc demain matin à 9h30 je serais en train de dormir ». Bon du coup ils veulent le faire maintenant. Soit. Ça fait du bruit, ça prend du temps mais tant pis, visiblement je n’ai pas le choix.

14h : Je m’endors enfin.

16h45 : La sieste est finie et cette fois-ci je suis bien réveillée. Je mange un bout, me prépare un peu, fait deux trois emplettes sur internet et c’est déjà l’heure de partir en garde.

18h20 : Avant de décoller je tente de mettre mon linge à laver dans la machine d’à côté qui semble réparée. Erreur. Non seulement elle ne veut pas se lancer mais en plus elle ne veut plus s’ouvrir et me rendre mon linge. Je décide de régler le problème demain, maintenant je n’ai pas le temps.

 

N 144 

 

18h40 : Une fois de plus la relève est gentille avec nous et l’équipe est top. 6 patientes et je tourne avec Jeny, Charlie et Maéliss. Jeny rentre de vacances, on met un bon moment avant de s’y mettre, le temps de se raconter tous les derniers potins. Son retour en métropole lui a remis les idées en place et elle a décidé de rentrer plus tôt que prévu. Elle n’ira pas jusqu’au bout de son contrat d’ici et a décidé qu’il était temps de penser à elle et de s’écouter, de retrouver sa famille. 

23h : Le tour est vite fini et j’aide les filles à coups de prise de sang, distribution de médicaments, et prise de tension.

00h : On mange toutes ensemble et les discussions sur le CHOG fusent. Les sous-effectifs font que le service est en crise et les sages-femmes sont en désaccord avec la direction. On parle contrat, négociations, congés, et ça me fait drôle d'avoir des conversations d'adultes. Parfois j'ai l'impression d'être plantée entre deux mondes, pas pressée de quitter le confort et l'innocence de l'enfance mais attirée par le quotidien et l'indépendance de la vie d'adulte. Une fois les panses bien tendues on se remet au travail pour cadrer les dossiers. Là aussi c’est vite terminé pour nous. Le reste de la nuit est longue. Très longue. J’écris, je joue sur mon téléphone, j’envoie des messages, et la batterie finie par flancher. J'en profite pour réviser un peu et viens le matin.

6h : Sur 6 patientes j'ai 4 prises de sang à faire. J'y vais tranquillement et ça me prend une petite demi-heure. Je m'excuse au près des patientes de les réveiller si tôt et leur promet qu'après ça elles pourront se rendormir. Le fonctionnement du service m'horripile parfois mais c'est comme ça. Hier soir je les avais prévenues pour qu'elles ne soient pas surprises.

6h45 : Jeny me laisse faire la relève de mes patientes et me libère ensuite. Je file sans me faire prier et je passe faire un coucou en salle de naissance : Charline et Maélia sont là. Charline prend quelques mesures par ce qu'elle me coud quelques petites choses avant mon départ.

7h : Je file à la maison et m'endors rapidement.

 

J 145 

 

14h50 : Mes yeux s’ouvrent, il est temps d'émerger si je veux avoir le temps de faire mon programme de révisions de la journée.

Je me mets au travail sans tarder et je sens que je suis encore fatiguée. Complètement déphasée par ce rythme jour / nuit / révisions et ces 50h par semaine. Je me fais violence et me rend compte qu'à présent je connais ma présentation orale de mémoire par cœur. Je n'ai même plus besoin de mes fiches. Je discute un peu dans les parties communes et révise un peu plus. Je téléphone à Alex et je m'y remets, répétant cette fois mon interrogatoire de clinique. Celui-là aussi je commence à bien le connaitre et c'est rassurant de voir que mes méthodes de travail fonctionnent. Je travaille à côté de tout le monde et me joins aux autres pour le diner. Trystan a cuisiné une bolognaise pimentée. Tout le monde partage et après avoir bien mangé je me remets au boulot. Aller, c'est bientôt fini.

23h : Je pose mon ordinateur, et continuerai demain. J'écris quelques lignes et je me couche.

 

J 146 

 

8h : Debout là-dedans ! Aller, aujourd'hui on a du pain sur la planche. Je me tire difficilement du lit et c'est parti. Je commence par me faire couler un café nécessaire et j'étends mon linge puisque le sèche linge n'a pas fonctionné. Le soleil tape déjà et il fait bien 28° dès les premières heures du jour. Une fois chose faite c'est l'heure de ma première répétition d'oral. Je m'y colle et une fois encore je rentre dans les temps impartis. Ensuite je me mets dans les parties communes et j'en profite pour écrire un peu entre deux révisions. Le temps passe vite quand on écrit. Je fais une nouvelle répétition avant de constater que je connais déjà ma présentation sur le bout des doigts. Je décide d'arrêter les révisions pour quelque temps, de ce côté là ça ne servira plus à rien. Je m’en vais faire quelques courses et j'achète de quoi faire le repas de demain. Le jeudi à l'internat c'est repas commun, cette fois-ci c'est moi qui m'y colle, je vais leur faire des pains pitas. Je prends aussi de quoi faire un bière-pong pour ce soir et de la vodka skittles que je ferais moi-même. En rentrant les préparations me prennent un bon bout de temps, une fois l'internat rangé et mon cocktail prêt je m'autorise une petite sieste, ça serait dommage d'être fatiguée ce soir.

19h : Une petite douche puis j'essaie de me faire jolie avant que tout le monde n’arrive. Ce soir c’est mon soir, on fête mon départ. Je rejoins certains de mes colocataires qui sont déjà dans les parties communes. On grignote ensemble et la soirée commence en douceur. Xander arrive quelques dizaines de minutes après avec sa grosse enceinte et pendant qu'elle crache de la musique sans aucune limite de son, on se met en place pour le bière-pong. Tout le monde est emballé et après avoir marqué lors de mes 3 premiers lancés ils se battent pour m'avoir dans leur équipe. C'est drôle par ce qu'après ça plus aucun point de ma part ! Après deux parties les gens commencent à arriver et la soirée bat son plein. Je discute avec tout le monde et ça me fait plaisir puisque justement : il y en a du monde ! On est rapidement presque 40 et chacun semble passer une très bonne soirée. Alors que j'étais en pleine conversation je sens qu'on frappe quelque chose sur ma tête. Puis quelque chose de visqueux coule le long de mon cou... Un œuf. C'est le début de la guerre. La bataille commence, la farine, les œufs, l'eau, le lait : tout vole ! Évidement j'en prends la plupart, à tel point qu’à la fin je ressemble à un gros gâteau, je suis obligée d'aller me doucher. Après m’être changée j'y retourne et le matin arrive vite. Tous les copains m'ont offerts des petites babioles et ont noté pleins de petits mots dans un carnet. Les premières lignes m’arrachent déjà quelques larmes : je décide de lire tout ça dans l'avion et de profiter de la fête. Pendant un instant je prends un peu de recul, je me rends compte à quel point je suis heureuse ici, cette nuit, et de tout le chemin que j'ai fait depuis maintenant 5 mois. J'ai pleuré en arrivant, pars aussi en pleurant.

5h30 : Les gens partent tard. Je viens de regarder l'heure, tout le monde vient de quitter les lieux, moi je vais retrouver mon lit.

 

J 147 

 

10h : J'ouvre un œil et constate les dégâts de la veille : je n'avais pas fait attention mais ils se sont aussi lâchés dans ma chambre ! Ces bourriques ont vidé la totalité de mon armoire sur mon lit, mais pas uniquement. Ils ont caché des soutiens-gorges sous mon drap pour que je sente des bosses toute la nuit. La palme de la bêtise est accordée à celui qui a mis tous mes couverts dans un pichet d'eau et qui l'a mis au congélateur. Pendant un moment je cherche aussi mes culottes. Après quelques recherches la plupart sont cachées sous les lattes de mon lit. Je bois un coup, je rigole, et referme les yeux.

12h : J'entends le bruit du rangement au loin. Bon aller, faut se lever et donner un coup de main. Je me dépêche mais en arrivant presque tout est déjà fait. Je fais la vaisselle et nettoie les tables pendant que Mélanie s'occupe du sol et Caitlyn du rangement. On fait cuire une pizza, puis 2 pizzas et je retourne au lit : aujourd'hui c'est journée repos.

16h30 : Je me lève enfin. Enfin lever est un grand mot, je reste au lit quand même et me prélasse sans la moindre révision.

19h30 : Je mets le nez dehors et sors de ma case pour préparer le repas aux loulous. Tout le monde met la main à la pâte : Pascal et Trystan coupent les oignons, Mélanie les tomates, Alizée la salade et moi je m'occupe de la viande et des pains. À table ! Une bonne dizaine autour de la table on mange "à la bonne franquette" je suis ravie de voir que ça plait à tout le monde. Ils m'appellent "le petit cordon bleu de l'internat" et on s'en met partout.

22h : Après un petit moment agréable avec tout le monde je retourne au calme pour ne pas me coucher trop tard. Demain je suis de garde.

 

J 148 

 

6h40 : Aller, j’attaque mes deux derniers jours de gardes. Ce matin du côté suites de couches pathologiques je tournerais avec Marie, un peu déçue je ne montre rien : elle me semble froide au premier abord mais peut être que je me trompe. On fait la relève puis on se repartit grossièrement les patientes, le tour s’enchaine et finalement elle s’avère être beaucoup plus agréable que prévu. La matinée passe lentement entre tour et détours et on fini par manger à peu près à l’heure. On mange toutes les deux et j’ai l’impression d’être avec une copine, on papote facilement et à peine le repas engloutit qu’il est déjà temps de s’y remettre. Je me dis souvent que j’espère ne pas faire peur aux futures étudiantes que je pourrais croiser. Je veux pouvoir les aider, et faire en sorte qu’elles soient sereines quand elles tournent avec moi. La course continue et entre autres une patiente nous vient de la salle d’accouchement : à priori tout va bien, je l’accueille sans plus de tracas mais… Surprise ! L’arrivée de ses analyses chamboulent le reste de la garde. Son bilan est catastrophique et tout ces composant vitaux du sang sont dans les chaussettes. Elle fait ce qu’on appelle un HELP Syndrome et le médecin en est averti en urgence. Il arrive rapidement, son diagnostic est sans appel : il faut prévenir la famille et transférer la patiente en réanimation. Je l’accompagne pour son annonce et vois devant moi un spectacle qu’il n’est pas facile de regarder sans flancher. La nouvelle maman ne parle pas un mot de français, c’est sa fille, âgée de 21 ans, qui traduit pour elle. Sa fille comprend les choses au fur et à mesure de la traduction et les mots restent comme étouffés dans la gorge, pour ne finir que dans un soupir. Ça semble douloureux de parler et c’est là que l’équipe intervient : du réconfort, des mots doux, une main sur l’épaule. J’ai la gorge nouée et je me mets à sa place. Non, non, il ne faut pas. Je ne dois pas me mettre à sa place. J’essaie de prendre le recul nécessaire et de trouver les mots justes, rassurants mais pas mensongers, ça n’est pas facile.

19h30 : La garde se termine avec du retard mais tant pis, une fois mon rapport rempli je rentre chez moi, j’engloutis un bout de pain et je file au lit.

21h30 : Extinction des feux.

 

J 149 

 

6h15 : Je me lève difficilement, c’est ma dernière garde. J’enfile un short, prend de quoi grignoter et c’est déjà l’heure de partir.

6h40 : L’équipe du jour commence à arriver, aujourd’hui je serais avec Cloé du côté suites de couches pathologiques. De l’autre côté c’est Johanna et Pascaline qui gèrent. Les sages-femmes d’aujourd’hui m’inspirent peu et après avoir fait la relève mes craintes se confirment avec une réflexion de Pascaline de bon matin. La croisant dans un couloir je lui souris franchement et hoche la tête dans un bonjour. Elle m’apostrophe d’un “bonjour” sec et se retourne après avoir croisé ma route en insistant fortement et de façon condescendante 

  • Bonjour. Quand même. (Petite étudiante tu es malpolie !). 
  • Oui, oui, je t’ai répondu
  • Ah, je t’ai pas entendu

Bah oui, con****. De quoi me mettre de bonne humeur pour la journée, elle avait déjà l’air du genre méchante avec les élèves, mais cette fois-ci c’est confirmé, la journée va être longue, je vais faire abstraction.

6h50 : Un appel de Charlie, semble être une porte de sortie que j’ouvre à la volée : un souci de planning fait qu’il manque une infirmière du côté “grossesses pathologiques” aujourd’hui. Je saute sur l’occasion et me propose : je n’en ai jamais fait dans cet hôpital et comme j’aimerais travailler ici après c’est la bonne occasion ! On convient que j’irais là-bas pour la journée et le sourire de Charlie quand j’arrive dans son service rattrape toute la mauvaise humeur qui c’était immiscée dans ma journée jusqu’ici. Je ne suis pas trop perdue et me rend utile. On ne mange pas tard et en même temps que les aides soignantes. Très gentilles, on papote toutes les 4 et c’est l’heure de reprendre le boulot. L’après midi est long, très long. Trop long. Je compte les heures avant la fin et celle-ci fini par arriver. Je pique un peu du nez mais à 19h10 Charlie me libère.

19h30 : 20 minutes plus tard après avoir sauté dans la douche je suis déjà au lit. J’ai été épuisée toute la journée, j’ai rêvé de ce moment.

22h30 : Je m’endors déjà, faisant abstraction de la fête qui fait rage à côté. Ce soir Morgane fête son anniversaire mais je n’ai pas la force d’y aller. Je culpabilise un peu, mais tant pis.

23h : On vient frapper à ma porte : “Thaïs ! Viens nous aider au bière-pong !” Ah non, désolée là je vais passer mon tour les copains. Les réveils cette nuit sont nombreux, ils finissent par se taire quand je m’endors enfin paisiblement. Erreur.

4h : Le retour du Coumarou est sans pitié : ils n’ont pas fini de se défouler et ne semblent pas être beaucoup mais j’ai vraiment l’impression qu’ils sont juste devant ma porte.

 

J 150 

 

5h15 : Musique à fond, je me réveille à nouveau et cette fois impossible de me rendormir. À 6h, une fois tout le répertoire de Céline Dion massacré le silence a regagné l’internat.

6h30 : Je capitule et finis par me lever. Je trouve rapidement de quoi m’occuper et fais mes valises, commence à ranger puis nettoyer. Ensuite je pointe mon nez dehors et petit-déjeune au milieu des cadavres encore tièdes de la fête récente.

9h : Je retourne au lit et ne refais surface qu’après 12h30 passés. Je prends une douche, c’est repartit : valises, révisions, ménage…

20h30 : Ce soir c’est goélette et même si je n’ai pas une folle envie d’y aller je pourrais faire un dernier bisou à toute l’équipe. J’y rejoins Mélanie et quelques internes. Pascal, l’un d’entre eux, est parti plusieurs jours sur le fleuve pour une balade en pirogue en immersion au milieu des villages de différentes origines. Je bois ses paroles pendant que l’heure tourne.

23h : Les autres ne sont pas encore arrivés. Tant pis pour eux, demain une grosse journée m’attend, je rentre juste après qu’Aurélie vienne d’apparaitre. Elle fait la moue mais compatit, me fait un dernier bisou et me retient au dernier moment avec une petite attention de dernière minute : elle a imprimé 2 photos de nous deux et a écrit un petit mot derrière chacune. Je suis touchée par le geste, je m’en servirais comme marque page.

23h15 : Dernières embrassades, je rentre à moto et m’endors paisiblement.

 

J 151 

 

7h45 : Le réveil sonne et ma dernière journée commence. Cette fois je ne traîne pas et commence les derniers rangements. Une fois chose faite je pars déposer ma moto dans la coloc de Jahed-Maélia-Agnès-Salomé (faut vraiment qu’on lui trouve un nom à cette coloc). Je fais un dernier bisou à Maélia qui a encore les yeux collés et reviens à l’internat, juste à côté, à pied.

J’aide Alison avec sa valise et comme j’ai encore un peu de temps je file en salle de naissance pour faire un bisou à Cassandre. À mon arrivée j’ai le droit à un gros câlin. Je fais un dernier bisou à toute l’équipe de jour et m’en vais sans me retourner. On doit partir entre 9 et 10h, pour patienter je nous prépare un petit dèj avec des œufs, du jus de fruit, du pain frais et du beurre.

On attend un moment et on commence à s’inquiéter de ne pas avoir de nouvelles de Pascal avec qui on va à Cayenne. Après quelques messages et un appel sans réponse je fini par recevoir « j’ai une galère ». Bon, j’aime pas trop ça mais on a prévu large donc ça devrait le faire. Finalement il ne m’explique pas et me dis d’abord qu’on va quand même partir mais un peu plus tard. À 11h30 il change d’avis et me dit de trouver un autre moyen.

Pas de panique, ça fais partie du voyage et on s’en sort toujours. L’avantage c’est qu’on est deux et comme j’ai des difficultés à parler à cause d’un aphte affreux c’est Alison qui s’y colle. On appelle tous les covoiturages et tous les taxis collectifs qu’on connaît : pas de réponse.

Finalement Charlie est appelée à la rescousse et elle nous amène au quartier glacière (où se trouve le débarcadères des pirogues). Je sais que là-bas il y en a plein !

Quelques minutes après, notre copine est là, on charge tout dans la camionnette. La voiture n’est même pas garée qu’un premier garçon court déjà vers nous « Albina? Albina? », « Non, Cayenne! ». Sans même répondre il nous aide à descendre les bagages et on sait qu’il va nous orienter. A peine arrivées à hauteur de la voiture la négociation commence : « 35! » « Ah non, 30€. ». On est deux et on a des bagages, on sait qu’on n’est pas en position de force mais on insiste « Et il faut qu’on parte tout de suite! ». Il nous confirme qu’il part tout de suite et charge les bagages. Après quelques minutes d’attente on demande pourquoi on attend encore et il nous répond plusieurs fois « on attend quelqu’un ». Il veut juste remplir davantage. Pas de panique, on est encore large. Ensuite il joue la carte de la surprise et rajoute « Ah mais vous voulez aller à l’aéroport ? C’est 60 pour ça ! ». On fait le calcul et ça revient à payer 30 euros par personne pour 10 km. On refuse, on se débrouillera autrement. Il nous amène à Cayenne et Aline, une copine sur place passera nous prendre.

12h : 1 minute avant de partir Pascal m’appelle et me demande s’il reste une place pour lui dans la voiture. Oui il en reste une. Je lui passe le chauffeur et ils conviennent qu’on passe le prendre à l’internat dans 10 minutes.

Une fois sur place on l’attend un quart d’heure de plus et je commence à bouillir. On s’est mal compris sur le lieu de rendez-vous et il arrive en courant, à bout de souffle et sur le point d’exploser. Les explications suivent et les événements se sont enchaînés pour lui depuis hier : sa voiture a glissé à cause de la pluie en rentrant de la goélette pour se retrouver dans un fossé. Ce matin pendant qu’il tentait de la sortir il s’est fait cambrioler et a délogé les malfrats par chance, en rentrant chercher une corde. Il a un examen à passer à Cayenne tôt demain matin et pour lui ça a été une suite successive de malchance. Je tente de l’apaiser comme je peux et de lui faire voir les choses différemment : il a cassé sa voiture mais elle n’était déjà pas très en forme et personne n’a été blessé. Grace à ça des gens lui sont venus en aide aujourd’hui et il a rencontré plein de monde, en plus de ça, ça lui fera une bonne histoire à raconter. C’est dans les pires galères que se cachent souvent les meilleurs souvenirs. En plus s’il avait réussi à sortir sa voiture du fossé il ne serait pas rentré chez lui au moment précis où certaines personnes essayaient de lui voler ses affaires. Au final ils n’ont eu le temps de rien voler, et il a même réussit à avoir un taxi pour être à l’heure à son examen. On fini par en rire et sans toutes ces mésaventures les voyages ne seraient pas les mêmes. On est 6 dans la voiture de 7 et avec les bagages de tous le monde on est très à l’étroit. Au premier arrêt j’en profite pour passer tout derrière et laisser les deux pipelettes discuter entre elles. Le courant à l’air de bien passer entre Pascal et Alison, moi je suis fatiguée, je n’ai pas envi de discuter. Mon aphte me fait un mal de chien et même si je le voulais j’aurais du mal de toute façon.

Le taxi nous dépose dans une zone commerciale de Cayenne et après un arrêt pipi et ravitaillement de quelques minutes, Aline vient nous chercher avec sa voiture pour nous emmener à l’aéroport. Petit hic, la voiture est une petite twingo et même en voulant jouer à Tétris pas d’autre solution : la grosse valise de 25 Kg va sur nos genoux. Mi-étouffées mi-amusées on pouffe de rire de l’aventure qu’on est en train de vivre et on essaie de faire tenir la bouffe droite par tous les moyens possibles. Par chance le voyage n’est pas trop long. A notre arrivée on laisse Aline avec son chéri pour qu’ils se disent au revoir.

En patientant je regarde une série, révise un peu et l’avion arrive vite. On embarque avec patience, par chance je suis seule sur ma rangée de 3 fauteuils, c’est royal ! À moi tous les plaids et toute la place. Je m’étale et après un repas, un début de film, quelques lignes et révisions je m’endors déjà. Juste avant de m’endormir je lis le carnet avec les petits mots que tous les copains m’ont écrit, par miracle sans verser de larme. Je m’endors avec la hâte d’arriver.

 

J 152 

 

9h Heure locale (+ 5h) : Finalement j’ai dormi plus de la moitié du trajet, on arrive déjà dans une heure. On nous sert le petit déjeuner puis l’atterrissage est entamé. Les dernières minutes sont longues et les bagages se font attendre. Je finis par retrouver Alex, encore plus impatient que moi et une fois les retrouvailles faites on embarque dans sa voiture direction l’escadron de gendarmerie Maison-Alfort. Je découvre son chez-lui et lutte contre le sommeil pour me mettre directement dans le décalage horaire. Mon avion a atterri à 9h ce matin, pour moi il est 5 heures de moins.

14h : On embarque à nouveau, cette fois Alex et moi, dans le train, direction Montpellier. Finalement c’est lui qui pique du nez et moi qui garde les yeux ouverts. Il s’endort massivement sur moi pendant que je compte les heures avant de retrouver mon “chez moi”.

17h30 : La chaleur de Montpellier m’assaille et je sens que la fin du voyage est là. Je m’émerveille des choses qui me sont familières et en fait profiter Alex qui n’est jamais venu. On rejoint l’appartement de Nathalie, bien chargés de mes lourdes valises, une fois les 3 étages étroits en colimaçon montés j’embrasse mon amie. Seulement quelques minutes après je les laisse et me dirige place de la comédie pour récupérer les clés de ma voiture et filer sur Aigues-Mortes.

Mon frère n’a pas changé, je lui trouve juste de nouvelles lunettes sur le bout du nez. Clés en main la dernière étape du voyage commence, je roule en direction de la maison de mon adolescence. Je suis fatiguée, mais quelques minutes me séparent maintenant du point final. Je me gare, m’avance, respire un grand coup et frappe trois fois. Maman m’ouvre, me regarde fixement, stupéfaite, son visage se déforme sous les larmes et je la prends dans mes bras : “Ça y est maman, je suis rentrée.”

 

Fin.